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Mémoire portant sur la nationalité d’une entreprise multinationale.

Problématique : Une entreprise multinationale a-t-elle une nationalité ?

 

Plan

 

Revue de la littérature

  1. Concepts centraux : « entreprise multinationale » et « nationalité » (d’une firme)
  2. Enjeux de la nationalité d’une firme multinationale

2.1.      Enjeux internes : choix stratégiques et organisation au regard de la notion de « nationalité »

2.2.      Enjeux externes : les multinationales face à la politique nationale

  1. Comment pourrait-on déterminer la nationalité d’une multinationale ?

Conclusion

Bibliographie

 

Revue de la littérature

 

Les grandes entreprises n’ont autant profité de l’ouverture à de nouveaux marchés et à l’intégration des matières premières et des facteurs de production dans leur calcul d’exploitation par-delà les frontières nationales qu’avec la mondialisation manifeste du XXIème siècle. En fait, la globalisation a fait tomber certaines barrières érigées auparavant (celles-ci ayant généralement un but « patriotique », de sorte à favoriser tout ce qui est « national » face à la concurrence étrangère) pour permettre l’extension (voire la généralisation) du commerce international. Cependant, si cette mondialisation a surtout été favorisée (du moins par l’Organisation Mondial du Commerce) pour intensifier la concurrence au profit notamment des consommateurs, ce phénomène s’accompagne aussi d’un mouvement de concentration du côté de l’offre. Ainsi, de grands monopoles ne cessent de se développer à l’échelle internationale et tendent à dominer même les marchés à l’intérieur de leurs pays d’implantation.

 

Parallèlement à ce mouvement, mais également une conséquence de celui-ci, si la notion de nationalité devrait être vouée à disparaitre avec cette tendance à la globalisation de l’économie, il n’en est pas ainsi. En effet, à des grands groupes multinationaux, qui devraient être « apatrides » puisque présents dans des dizaines de pays et intégrant diverses cultures dans son organisation, sont toujours associés (du moins par l’opinion publique) des nationalités de référence. Force est de reconnaitre que Renault, l’Oréal, ou encore EADS sont des multinationales « françaises », FORD est une américaine, Bombardier est une canadienne, FIAT est une italienne, etc.

 

Plusieurs questionnements s’invitent alors avec ce sujet d’actualité : la notion de « nationalité » a-t-elle encore de la pertinence dans cette tendance à la globalisation commerciale et managériale ? Quelles pourraient être les conséquences significatives de cette notion, le cas échéant ? De quelles manières pourraient être déterminée la nationalité d’une firme multinationale ?

 

De ces questionnements, il est possible de formaliser une problématique de forts enjeux pour ces firmes multinationales et de leurs relations avec leurs environnements respectifs : Une entreprise multinationale a-t-elle une nationalité ? Afin de répondre à cette question centrale, il convient dans une première section de focaliser la revue de la littérature sur les deux concepts centraux à savoir « l’entreprise multinationale » et « la nationalité » (de l’entreprise). Cela conduit à s’interroger sur les enjeux de cette notion de nationalité sur les multinationales. Enfin, il y a lieu de chercher à identifier les critères permettant de déterminer éventuellement la nationalité d’une entreprise multinationale.

 

1.       Concepts centraux : « entreprise multinationale » et « nationalité » (d’une firme)

 

Beddi (2012), définit la firme multinationale comme « une entreprise qui réalise des investissements directs à l’étranger (IDE) et qui possède ou, dans une certaine mesure, contrôle des activités à valeur ajoutée dans plusieurs pays »[1]. Pour sa part, Cohen (1997) discute de la notion de « firmes globales » pour les distinguer plus implicitement du concept de « firme international » (ou encore « d’entreprise internationalisée »). Pour ces premières, l’auteur met en avant ce que Reich désigne comme des « entreprises-réseaux » selon lesquelles « le critère de la nationalité du produit ou de la firme cesse d’être pertinent, l’entreprise n’a qu’un drapeau, le sien »[2]. Par contre, selon la thèse de l’auteur, l’entreprise « multinationale » se développe, échange et investisse à l’international tout en gardant un certain ancrage national, ce qui ne serait plus le cas de la firme globale. Cette position de l’auteur vient désormais soutenir les propos de Hirst et Thompson (1996)[3]. Autrement dit, ces auteurs adoptent l’idée selon laquelle la firme multinationale disposerait légitimement/légalement une nationalité.

 

Du point de vue sémantique, Merciai (1993) explique que le terme « multinationale » n’implique pas la disposition de la part de l’entreprise de plusieurs nationalités. Cela indique tout simplement la possibilité selon laquelle cette firme pourrait ne pas dépendre d’un unique marché, ce qui ouvre devant elle des opportunités de produire de par le monde[4]. C’est probablement pour éviter l’éventuelle ambiguïté du terme que d’autres auteurs préfèrent utiliser société/firme/entreprise « transnationale ».

 

Par ailleurs, le CNUCED, en voulant étudier les activités de ces firmes a développé « l’indice de transnationalité » qui n’est autre que la moyenne de trois grandeurs, à savoir : le rapport des actifs, de l’emploi, et du chiffre d’affaires établi à l’étranger sur la totalité des actifs, de l’emploi et du chiffre d’affaires. A cela s’ajoute aussi « l’indice d’internationalisation » qui calcule le ratio du nombre de filiales situées à l’étranger sur le nombre total de filiales de l’entreprise en question. Néanmoins, bien que permettant d’avoir une appréciation quantifiée de l’internationalisation d’une firme, ces indices intègrent pas des éléments pouvant être importants, dont la nationalité des acteurs de cette firme, le rapport de force avec les pouvoirs publics nationaux sur les pays d’implantation des filiales, le poids de la culture, etc.[5].

 

 

Contextuellement, les multinationales ont toujours existées depuis au moins le début du XXème siècle, mais leur développement et leur multiplication ont été surtout sentis depuis les années 1970. La majorité d’entre elles étaient, à cette époque, « américaines, européennes, puis japonaises […] à la recherche de ressources naturelles comme Shell qui emploie aujourd’hui 93.000 employés dans 90 pays, ou à la conquête de nouveaux marchés comme IBM, Procter et Gamble, General Electric, Siemens ou Toyota »[6]. Néanmoins, le XXIème siècle a vu naitre une toute autre génération de firmes avec, d’un côté, les multinationales qui seraient « issues » des pays émergents (dont de l’Afrique du Sud, du BRIC – Brésil, Russie, Inde et Chine –, du Mexique, ou de la Turquie) et, d’un autre côté, celles qui sont de taille relativement modeste. Ces entreprises sont notamment à la recherche de niches ou bien des segments d’activité de sorte que leur internationalisation vise à mettre en avant leur avantage concurrentiel à travers des acquisitions ou des alliances[7]. Par ailleurs, des pays ainsi que des régions de « taille moyenne », telle que la Suisse (Nestlé), ou encore le Taiwan (Acer) auraient « donné naissance à des grandes firmes multinationales puissantes bien qu’ils ne disposent que des marchés intérieurs et des ressources naturelles très limités[8].

 

Toutes ces affirmations et constatations s’accordent désormais à soutenir la thèse selon laquelle une multinationale a une nationalité. Larçon (2011) en donne implicitement comme indication parmi d’autres que cette nationalité se rattache au « pays d’origine » de cette multinationale, tout en notant que la plupart des grandes firmes de ce type développent leurs activités dans d’autres pays, comme « c’est le cas d’ABB (énergie et automation, 117.000 employés, présente dans 100 pays, siège en Suisse), de Nokia (équipement électronique, siège en Finlande) ou encore de Pernod Ricard (alimentation‐ boissons, siège en France) dont l’indice de «transnationalité» est supérieur à 90% »[9].

 

Cependant, il faut reconnaitre que cette thèse de l’existence de nationalité pour une firme multinationale n’a pas vraiment de fondement juridique (cf. 3 Comment pourrait-on déterminer la nationalité d’une multinationale ?), Dorénavant, Matelly et Nies (2006) évoque un foyer de problème : « L’idée même de nationalité des entreprises est contradictoire avec le processus de l’internationalisation des firmes et pourtant, la plupart des entreprises multinationales se définissent encore comme américaines, japonaises, françaises ou autres »[10]. Ainsi, il y a persistance de la question centrale sur la « légalité » et/ou (au moins) la « légitimité » d’attribuer une nationalité à une multinationale. Ce qui amène à s’intérroger sur les enjeux conséquents de la nationalité pour une telle firme.

 

2.       Enjeux de la nationalité d’une firme multinationale

 

Il y a lieu donc de se poser la question sur la pertinence même de la notion de nationalité au regard des firmes multinationales. Serfati (2006) expose son opinion en expliquant que cette notion ne servirait à rien dans un monde économique « parfait », dans le sens d’une libre circulation des biens, des services et de la main-d’œuvre, devant permettre une division internationale du travail de manière optimale : cette libre-circulation totale entraine une égalisation des conditions de rentabilité entre les pays, rendant alors indifférent d’investir dans une localité plutôt qu’une autre. De cette théorie découle donc que les investissements directs étrangers, une voie de développement des multinationales, ne sont qu’un résultat des « imperfections du marché ». Autrement dit, la notion de nationalité devient problématique avec ces imperfections dès lors que les firmes cherchent à réduire les coûts de déplacement/transport, à exploiter des avantages stratégiques concurrentiels, à faire des économies d’échelle, etc.[11].

 

Il importe ainsi de rechercher la pertinence de cette notion de nationalité à deux niveaux : d’une part dans les choix stratégies et organisationnels des multinationales, c’est-à-dire en interne (relativement à ces entreprises) et, d’autre part, vis-à-vis de la politique du pays d’accueil des filiales de celles-ci, c’est-à-dire en externe.

 

2.1.      Enjeux internes : choix stratégiques et organisation au regard de la notion de « nationalité »

 

Un des questionnements majeurs auxquels se sont posés les chercheurs concerne les impacts éventuels de la « nationalité » d’une firme sur l’emploi. Matelly et Nies (2006) citent, entre autres, les travaux d’Artus sur les modèles de management de quatre pays occidentaux (Royaume-Uni, Etats-Unis, France, et Allemagne), permettant à ce chercheur d’observer que « la part des salaires dans le Produit intérieur brut (PIB) est au moins aussi élevée dans les pays anglo-saxons qu’en France ou en Allemagne, et que dans la période de forte croissance entre 1997 et 2000, les gains de productivité avaient été mieux redistribués en faveur des salariés aux Etats-Unis et au Royaume-Uni que dans les autres pays »[12]. Toutefois, cet « écart » de gestion vis-à-vis de l’emploi est en quelque sorte « compensé » par le fait que les marchés de travail anglo-saxons donnent davantage de pouvoir aux employeurs par rapport aux salariés. Il n’empêche que la « nationalité » des firmes semble jouer un rôle substantiel et différentiel en matière de gestion de l’emploi au niveau de ces firmes.

 

Un autre élément stratégique pour ces dernières qui est susceptible d’être remis en cause par la « nationalité » d’une firme est le niveau et la structure des dépenses en Recherche et Développement (R&D). En effet, il y aurait « deux fois plus de chercheurs dans les entreprises américaines, japonaises et suédoises qu’en France, cinq fois plus qu’en Italie ou en Espagne »[13]. Désormais, le niveau des dépenses dans ce domaine pour les pays européens est estimé à seulement 1.93% du PNB (pour l’Union Européenne), tandis que ceux des Etats-Unis et du Japon sont respectivement de 2.59% et de 3.15%, depuis le début des années 2000. Il faut dire, à ce point, que même s’il n’est pas à négliger l’influence significativement de l’Etat sur les conditions des affaires et d’exploitation des firmes sur son territoire, c’est aussi une question « culturelle ».

 

D’Iribarne (1989) soutient cette influence des cultures nationales de manière très forte sur le fonctionnement organisationnel des firmes multinationales[14]. De même, Johanson et Vahlne (1977) affirment que les facteurs culturels et linguistiques influent substantiellement (de manière positive ou négative) le développement international des activités des firmes, et notamment dans la prise de décision ainsi que dans la circulation des informations au niveaux de ces entreprises multinationales[15]. A titre d’illustration, « la plupart des multinationales japonaises qui ont établi avec succès des filiales aux EtatsUnis continuent à faire face à de grands problèmes de communication liées à une culture de consensus qui est perçue comme une perte de temps par les managers américains »[16]. Il arrive souvent que les comités de direction de nombreuses entreprises multinationales soient nettement occupés en majorité par une nationalité, la plupart du temps aux couleurs de la nationalité « supposée » de ces entreprises. Mais, lorsque l’on descend plus bas dans la hiérarchie, il est constaté une plus grande ouverture sur cette question de nationalité, jusqu’à « dissoudre » cette dernière dans ce qu’il est appelé « culture de l’entreprise ». Plus précisément, la gestion des personnels au sein des multinationales se fait sur deux tons nettement prononcés : d’une part, une culture commune très favorisée pour transcender les nationalités et, d’autre part, une prise en considération de la différence culturelle (ce qui implique la reconnaissance des différentes nationalités existantes) dans l’organisation qui est une des conditions de vitalité de l’ensemble[17].

[1] Beddi, H. (2012). Les relations siège-filiales dans les firmes multinationales : vers une approche différenciée ? (H. M. Dauphine, Éd.) Management international, 17(1), p. 89.

[2] Cohen, E. (1997). Firmes globales ou multinationales ? La mondialisation en débat, hors-série(17), p. 70.

[3] Hirst, P., & Thompson, G. (1996). Globalization in question. Oxford: Polity Press Basic Blackwell Publishers.

[4] Merciai, P. (1993). Les entreprises multinationales en droit international. Bruxelles: Bruylant.

[5] Serfati, C. (2006). Quelques enjeux autour de la notion de »nationalité des firmes ». Revue internationale et stratégique, 62, 79-92. doi:10.3917/ris.062.0079.

[6] Larçon, J.‐P. (2011). Les Entreprises Multinationales et le Management des Différences. Du Multilinguisme et du Management Interculturel. Université Antilles‐Guyane ‐ Crillash ‐ le 20.04.11. Crillash: HEC Paris, p.1.

[7] Khanna, T., & Palepu, K. G. (2006). Emerging giants: Building world-class companies in developing countries. Harvard Business Review, 84(10).

[8] Larçon, J.‐P. (2011). Op.cit.

[9] Ibid., p. 1.

[10] Matelly, S., & Nies, S. (2006). La nationalité des entreprises en Europe. Revue internationale et stratégique(62), 41-52. doi:10.3917/ris.062.0041, p. 51.

[11] Serfati, C. (2006). Op.cit.

[12] Matelly, S., & Nies, S. (2006). Op.cit., p. 45.

[13] Ibid., p. 47.

[14] d’Iribarne, P. (1989). La logique de l’honneur : gestion des entreprises et traditions nationales. Paris: Seuil.

[15] Johanson, J., & Vahlne, J.-E. (1977). The Internationalization Process of the Firm—A Model of Knowledge Development and Increasing Foreign Market Commitments. Journal of International Business Studies, 8(1), 23-32.

[16] Larçon, J.‐P. (2011). Op.cit., p. 3.

[17] Ibid.

Mémoire de fin d’études de 14 pages.

24.90

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