Mémoire portant sur la possession comme moyen d’acquérir la propriété immobilière et la pratique notariale de l’usucapion.
SOMMAIRE
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PARTIE I – LA POSSESSION
Chapitre I –.. Les éléments constitutifs de la possession…………………………………………… 7
Section I – Composantes de la possession………………………………………………………………… 9
Section II – La réunion et la dissociation des éléments constitutifs de la possession……. 16
Chapitre II –. Conditions d’efficacité et effets de la possession……………………………….. 19
Section I – Absence de vices absolus……………………………………………………………………… 20
Section II – Absence de vices relatifs…………………………………………………………………….. 21
PARTIE II – L’ACQUISITION DE LA PROPRIÉTÉ D’UN BIEN IMMOBILIER PAR LA POSSESSION
Chapitre I –.. La prescription acquisitive………………………………………………………………. 24
Section I – Fonction probatoire de la prescription acquisitive………………………………….. 25
Section II – Les conditions de l’usucapion……………………………………………………………… 26
Section III – Les effets de la prescription acquisitive……………………………………………….. 39
Chapitre II –. L’usucapion en tant que mode de preuve de la propriété
……………………… immobilière…………………………………………………………………………………….. 43
Section I – L’objet et la charge de la preuve…………………………………………………………… 44
Section II – L’acte de notoriété acquisitive, un moyen de preuve de l’usucapion ?……. 46
INTRODUCTION
Il existe dans le Code civil, à l’article 2255, une définition : « La possession est la détention ou la jouissance d’une chose ou d’un droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-mêmes, ou par un autre qui la tient ou qui l’exerce en notre nom ». En dépit de cette formulation, la notion de possession reste difficile à saisir, d’autant plus que les rédacteurs du Code civil n’ont pas, à ce sujet, conçu une théorie générale. Ils n’ont traité de la possession qu’à propos de l’un de ses effets, l’usucapion ou prescription acquisitive (art. 2255 à 2279) : dans le chapitre II du titre XXI du Livre III, consacré à la prescription acquisitive, la possession n’est effectivement envisagée que sous cet angle. Il s’agit là d’une vision bien trop étriquée : la notion de possession domine en effet le régime des droits réels et, spécialement, celui de la propriété.
Soit un individu en face d’une chose. Il peut en être propriétaire ou usufruitier ; il peut aussi avoir sur elle un autre droit réel, tel un droit de servitude. Rechercher si cet individu est propriétaire, usufruitier, etc., c’est analyser la situation de droit de l’individu en ce qui concerne cette chose.
Mais à côté de la situation de droit, il y a une situation de fait. Voici un individu en face d’une chose, il en use, en jouit, en dispose comme un propriétaire, ou bien par les actes qu’il accomplit il se comporte comme un usufruitier. Généralement cet individu exercera ce pouvoir de fait sur la chose parce qu’il a le droit d’agir ainsi ; il en est effectivement propriétaire, usufruitier. Mais ce n’est pas toujours le cas. Soit ainsi un voleur : il exerce sur la chose qu’il a volée un pouvoir de fait ; il n’est cependant pas en droit d’exercer ce pouvoir sur la chose ; il n’a pas sur elle un droit de propriété. La situation de fait n’est donc pas systématiquement liée, conforme à la situation de droit. Il y a bien deux notions distinctes, deux pouvoirs différents. Quand bien même les deux pouvoirs seraient réunis sur la même tête, ils sont différents en ce qu’ils sont séparables : il y a le pouvoir de fait sur une chose et il y a le pouvoir de droit sur cette chose. Le pouvoir de fait sur la chose, laquelle peut être corporelle ou incorporelle, c’est la possession. Rechercher celui qui exerce un pouvoir de fait sur une chose avec l’intention de se comporter comme s’il en était propriétaire – ou titulaire du droit réel correspondant à son comportement – qu’il le soit ou non, c’est rechercher celui qui est possesseur. Rechercher à qui appartient en droit ce pouvoir sur la même chose, c’est déterminer qui est propriétaire de cette chose ou, en dépassant le domaine du droit de propriété, qui est titulaire d’un autre droit réel sur cette chose : usufruit, servitude, etc.
Une question se pose cependant : pourquoi protéger la possession ? De prime abord, il semble que le droit n’ait pas à tenir compte de la possession, que celle-ci doit se distinguer nettement de la propriété ou des autres droits réels, les seuls dont le droit doive se préoccuper. Lorsque quelqu’un exerce un pouvoir sur une chose, une seule question doit, semble-t-il, se poser : cette personne a-t-elle un droit réel sur cette chose, en est-elle propriétaire, par exemple, ou bien en a-t-elle seulement la détention ? Si l’on constate que l’individu qui exerce un pouvoir sur une chose n’a pas sur elle un droit réel et qu’il n’est pas non plus détenteur, pourquoi le droit s’occuperait-il de ce pouvoir qui est exercé sur la chose, puisque la possession n’est qu’un pur fait ? Il semble donc que la possession ne devrait produire aucun effet juridique, si ce n’est simplement protéger les tiers qui, trompés par la situation apparente, auraient pu être amenés à traiter avec le possesseur en le prenant pour le propriétaire.
Or la loi accorde à celui qui exerce les prérogatives d’un droit certains avantages, notamment la protection de la situation dont il jouit en fait. Ainsi, une personne qui exerce sur une chose les attributs du droit de propriété, même si elle n’est pas vraiment titulaire de ce droit, verra-t-elle sa possession produire certaines conséquences juridiques dont l’une des principales est que le possesseur, à supposer qu’il ne soit pas le véritable titulaire du droit, peut cependant acquérir ce droit par le jeu de la prescription acquisitive. Les effets sont plus étendus si le possesseur est de bonne foi, c’est-à-dire s’il a cru être titulaire du droit, mais ils existent même s’il est de mauvaise foi. Quid cependant des raisons qui ont conduit le droit à attacher des effets juridiques à la possession en matière de droits réels et ce nonobstant le fait que le possesseur ne soit pas propriétaire. La prise en considération de la possession se justifie d’une triple manière.
- Le législateur tend à empêcher les actes de violence, à faire régner la paix publique. Le propriétaire qui a perdu la possession de sa chose peut être tenté de la récupérer. Si le possesseur n’était pas protégé, le propriétaire pourrait songer à avoir recours à la force pour reprendre la possession ; il faut éviter qu’il ne se fasse justice à lui-même. On défendra ainsi le possesseur contre tout acte de violence qui pourrait être accompli à ses dépens, de quelque personne qu’émane cette violence, quand bien même elle émanerait du propriétaire. Si le possesseur a été dépossédé, on lui donne une action pour reprendre la possession de sa chose – c’est l’action en réintégration, qui est l’une des actions possessoires. Mais il n’y a là qu’une protection provisoire du possesseur : une fois que celui-ci aura été remis en possession, celui qui prétend avoir un droit de propriété pourra faire trancher la question par les tribunaux.
- L’efficacité de la possession protège l’intérêt des tiers : lorsqu’un individu a exercé sur une chose les prérogatives d’un droit qu’il a à l’égard de la collectivité, l’apparence du droit, la sécurité des relations avec les tiers exigent que ceux-ci soient protégés. Quand ils traitent avec un possesseur en le croyant propriétaire, il faut que, soit la possession de celui avec lequel ils ont traité, soit leur propre possession, les rende propriétaires. Certes, les tiers trouvent déjà une certaine protection dans les règles de la propriété apparente. Mais la théorie de la propriété apparente n’était pas entièrement dégagée lorsque les rédacteurs du Code civil ont réglementé l’acquisition de la propriété par la possession. Au demeurant, les règles de la propriété apparente sont assez rigoureuses : on exige que le tiers qui a traité avec le propriétaire apparent démontre qu’il a été victime d’une erreur commune et invincible ; or cette preuve n’est pas aisée, et la théorie de la propriété apparente n’est pas de nature, à l’heure actuelle, à assurer une sécurité suffisante dans les transactions. En décidant que la possession fait acquérir la propriété, le législateur assure dans une certaine mesure la protection nécessaire des tiers.
- Le propriétaire qui se désintéresse de sa chose, qui laisse un tiers se mettre en possession, n’est pas économiquement intéressant. Le possesseur est celui qui utilise la chose, qui l’exploite, qui la travaille en fait. Il peut paraître légitime qu’il soit aussi rapidement que possible juridiquement considéré comme le véritable titulaire du droit, car c’est lui qui fait de la chose l’usage socialement utile. On observera toutefois que cette justification de l’effet de la possession ne vaut que dans le cas où un certain délai doit s’écouler pour que la possession conduise à la propriété.
C’est d’ailleurs dans cette dernière justification des effets attachés à la possession que l’usucapion en matière immobilière, objet du développement qui va suivre, s’inscrit.
Pour justifier la prescription, la doctrine retient d’ordinaire deux fondements marqués par son subjectivisme : l’ordre public et la présomption de propriété. Sous l’influence de Kant, Savigny a montré la nécessité de respecter la dignité de la personne. L’acte perturbant la possession lui porterait directement atteinte[1]. Dans une tradition plus hégélienne (Windscheid, romanistes italiens), on s’est attaché à la volonté. Quant à la référence à l’ordre public, elle traduit un élargissement de ces vues, sous la même inspiration[2], mais aussi sous l’influence de considérations plus pratiques. L’idée qu’il faut assurer protection contre les troubles violents et contre le recours à la vengeance privée (tentation des propriétaires spoliés) remonte à l’interdit unde vi et à la réintégrande médiévale. Elle a été développée dans le plan théorique par Rudorff (élève de Savigny mais contesté sur ce point par son maître). On la retrouve dans les justifications modernes tirées de la sécurité[3]. En complétant cette analyse par la présomption de propriété, c’est Pothier et Troplong que l’on suit. Comme la possession est substantiellement analogue à la propriété, elle la laisse présumer. D’où l’utilité de la reconnaître et de lui attacher les effets que l’on sait. En fait, ce fondement est suggéré par Savigny ainsi que par le juriste hégélien Gans qui voit dans la possession une « propriété commençante ». Ce serait cependant une erreur de prêter à Ihering la même conception. Certes Ihering invoque la présomption lorsqu’il met en évidence le rôle probatoire de la possession, « bastion avancé de la propriété[4] ». Mais ce n’est là qu’un intérêt procédural. L’intérêt économique que comporte la chose possédée et qui détermine l’état constitutif du corpus (v. infra. Partie I – Chapitre I – Section I – § 1) est le premier et véritable fondement. Si protéger la possession est le meilleur moyen de protéger la propriété, la seule propriété qui soit digne d’être protégée est celle qui entre dans le moule de la possession.
Dès lors que le possesseur d’un immeuble donné envisage d’en disposer ou de le louer, il est contraint de justifier qu’il a la qualité de propriétaire. Cependant, il arrive qu’il n’ait pas en sa possession un titre de propriété régulier. Et nonobstant l’absence d’un tel titre, le législateur lui reconnaît ladite qualité si sa possession revêt certains caractères et remplit les conditions afférentes à la prescription acquisitive. Le cas échéant, le notaire établira un acte appelé acte de notoriété acquisitive dans le dessein de conforter la possession, ce qui autorisera la location ou la vente du bien. La question qui se pose est donc la suivante : Comment le notaire doit-il procéder pour établir un tel acte tout évitant que sa responsabilité soit engagée ? Pour trancher cette question, une étude du mécanisme même de la prescription acquisitive en matière immobilière se doit d’être faite.
Pour une meilleure appréhension du sujet, il importe de faire une analyse approfondie de la notion et du rôle de la possession (Partie I). Ensuite, il convient de mettre en lumière l’acquisition de la propriété d’un bien immobilier via la possession (Partie II).
PARTIE I – LA POSSESSION
La pensée juridique progresse constamment, ce qui est, à la fois, signe de réconfort et d’espoir. La question de la possession illustre certainement ce propos[5], ce qui permet de prolonger et de renouveler, à son sujet, une réflexion. La possession est d’une nature subjective et factuelle : subjective, le corpus désignant un pouvoir sur la chose ; factuelle, en l’absence d’un droit, ou plus exactement d’un titre ou d’une « investiture », à l’origine de la possession. Attribué de ce fait, le corpus n’est pas une faculté légalement reconnue. Mais, sous d’autres aspects, la possession se présente comme un droit. La possession propose l’image idéale de la propriété (conçue à la manière de la proprietas romaine). Elle n’est pas l’exercice mais l’extériorité, l’état de fait ou la visibilité de la propriété. Ihering feint de croire que la propriété est ce qu’elle devrait être, imitant la possession. Mais la propriété pourra exister tandis que la possession fait défaut : elle ne sera pas alors protégée, parce que la possession s’accommode mal d’une virtualité d’action autorisant l’abandon des biens. C’est moins en raison de ses effets qu’à cause de son contenu qui recouvre un intérêt au sens objectif, que la possession est un droit. Car le droit est la qualité d’une chose d’être dans un certain état, et cet état est déterminé par l’intérêt inhérent à la chose, autrement dit par la finalité, par la valeur de celle-ci[6].
Si telle est la nature juridique de la possession, quid cependant de ses éléments constitutifs (Chapitre I) d’une part, et de ses conditions d’efficacité ainsi que ses effets (Chapitre II) d’autre part.
[1] Pourquoi ne pas tenir le même raisonnement en matière de détention ? demande Ihering. « Qu’est-ce que l’injustice contre la personne a de commun avec la manière dont celle-ci possède ? ».
[2] L’ordre public est celui des volontés privées. Il permet la défense des droits acquis, dont le maintien ne saurait être compromis sous prétexte que leur existence n’est que probable.
[3] Comp. Hernandez Gil, La función social de la posesión, Madrid, Alianza, 1969.
[4] Expression empruntée au juriste français E. de Parieu, in Mélanges Valette, Matières div., t. 30, Joubert 1850.
[5] V. la remarquable analyse de J.-M. TRIGEAUD, La possession des biens immobiliers, Nature et fondement, thèse Paris II, éd. 1981.
[6] On retrouve la célèbre définition que Ihering oppose (dans L’Esprit du droit romain) à l’idée kantienne et hégélienne de droit subjectif : le droit est un « intérêt juridiquement protégé ». En ce sens, il doit être compris comme « bien, valeur ». La volonté individuelle en est exclue.
Mémoire de fin d’études de 78 pages.
€24.90