Mémoire portant sur la possession comme moyen d’acquérir la propriété immobilière.
PRINCIPALES ABRÉVIATIONS
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Art. : Article
Bull. civ. : Bulletin des arrêts de la Cour de cassation
- civ. : Code civil
chron. : chronique
Civ. : Cour de cassation, chambre civile
Com. : Cour de cassation, chambre commerciale
- : Dalloz-Sirey (Recueil)
Defrénois : Répertoire du notariat Defrénois
DH : Dalloz hebdomadaire
DP : Dalloz périodique
Gaz. Pal. : Gazette du Palais
Grands arrêts : Grands arrêts de la jurisprudence civile, Dalloz, 11e éd.
JCP : Juris Classeur Périodique Semaine juridique
JO : Journal officiel
- cit. : Opere citato
Rappr. : Rapprocher
RD imm. : Revue de droit immobilier
Req. : Chambre des requêtes
RTD civ. : Revue trimestrielle de droit civil
RTD com. : Revue trimestrielle de droit commercial
- : Recueil Sirey
Soc. : Cour de cassation, chambre sociale
SOMMAIRE
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PARTIE I – LA POSSESSION
Chapitre I – Les éléments constitutifs de la possession 7
Section I – Composantes de la possession 9
Section II – La réunion et la dissociation des éléments constitutifs de la possession 14
Chapitre II – Conditions d’efficacité et effets de la possession 18
Section I – Absence de vices relatifs 19
Section II – Absence de vices absolus 19
Section II – Possession vicieuse 19
PARTIE II – L’ACQUISITION DE LA PROPRIÉTÉ D’UN BIEN IMMOBILIER PAR LA POSSESSION
Chapitre I – La prescription acquisitive 23
Section I – Fonction probatoire de la prescription acquisitive 24
Section II – Les conditions de l’usucapion 25
Section III – Les effets de la prescription acquisitive 37
Chapitre II – L’usucapion en tant que mode de preuve de la propriété
immobilière 40
Section I – L’objet et la charge de la preuve 41
Section II – L’acte de notoriété acquisitive, un moyen de preuve de l’usucapion ? 43
INTRODUCTION
Les rédacteurs du Code civil s’occupent de la possession au titre chapitre II du titre XXI du Livre III du Code civil, consacré à la prescription acquisitive. Ils la définissent comme « la détention ou la jouissance d’une chose ou d’un droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-mêmes, ou par un autre qui la tient ou qui l’exerce en notre nom » (art. 2255 C. civ.). Nonobstant cette définition, il est avéré que la notion de possession reste difficile à appréhender. On a critiqué ladite définition. Elle nous apprend, malgré le fait que la possession est un état de fait, l’exercice d’un pouvoir mais le terme « détention » est source de confusion, car s’il est utilisé sans qualificatif et seul, techniquement, il a un sens et implique un état ayant une ressemblance à la possession proprement dite. La définition avancée par les législateurs est aussi fautive car elle n’est pas exacte : il n’existe pas de rapport nécessaire entre l’existence d’un droit et la possession. Ce rapport existe seulement quand le droit se trouve dans le patrimoine du possesseur. Cependant, quelqu’un peut être possesseur sans qu’il ait un droit à exercer. Aussi, la définition du Code civil renferme l’idée de chose matérielle et l’idée de propriété. Elle fait abstraction de l’extension progressive de la notion de possession, qui a conduit les juristes à reconnaître à côté de la possession des biens corporels, un autre genre de possession qui implique l’exercice en fait sur une chose d’un simple droit de servitude par exemple. C’est d’ailleurs dans cette perspective que Maurice Picard a pu avancer que « les actes qui constituent la possession ressemblent tantôt l’exercice du droit de propriété, auquel cas on dit qu’il y a possession d’une chose, et tantôt à l’exercice d’une autre droit, auquel cas on dit qu’il y a possession d’un droit ». Dans l’ouvrage de Baudry-Lacantinerie et Tissier, intitulé « De la prescription », « La possession n’est autre chose que l’exercice, la jouissance, soit par nous-mêmes, soit par autrui, du droit réel que nous avons ou que nous prétendons avoir sur une chose ; peu importe que ce soit un droit de propriété ou tout autre, par exemple, un droit d’usufruit, d’usage, d’habitation ou de servitude ».
Comme évoqué ci-avant, la possession est l’exercice d’un pouvoir de fait. Aussi, la question de connaître si le possesseur a le droit d’agir comme il le fait ou non, n’est pas la même pour l’existence de la possession et pour la réalisation de ses effets. Aussi, sous l’angle de la possession, le possesseur qui agit sans droit est celui qui exerce un droit acquis. Il n’y a pas lieu de faire la distinction entre le droit qui résulte d’un contrat, qui découle d’une succession ou d’une donation et le droit qui a fait l’objet d’une usurpation. Les deux sont sur le même pied. Comme on l’aperçoit, la possession n’est pas une institution juridique. Dans la possession, il n’existe de juridique et d’institution mis à part les moyens employés par la loi pour la protéger, ou la détruire, et ceci nous conduit à avancer que si la possession ne constitue qu’un état de fait, la législation y confère cependant certains effets juridiques qui sont des droits et des actions.
Une question se pose cependant : pourquoi protéger la possession ? Savigny, un éminent juriste allemand, avance que c’est dans l’intérêt de l’ordre et de la paix publique que les législateurs ont octroyé la protection de la loi au possesseur. Il a écrit : « A peu près partout et toujours, c’est quand le législateur est intervenu pour protéger le possesseur que les luttes et les querelles ont cessé d’avoir des biens pour objet ». C’est là le fondement et la raison d’être de la règlementation de la possession, les effets que la loi lui attache. Pour Ihering, un autre grand juriste allemand, la protection donnée à la possession a surtout pour fondement l’utilité du possesseur en lui offrant des moyens rapides et efficaces de protéger l’exercice de ses droits. La prise en considération de la possession se justifie alors par le fait que le propriétaire qui se désintéresse de sa chose, qui laisse un tiers se mettre en possession, n’est pas économiquement intéressant. Le possesseur est celui qui utilise la chose, qui l’exploite, qui la travaille en fait. Il peut paraître légitime qu’il soit aussi rapidement que possible juridiquement considéré comme le véritable titulaire du droit, car c’est lui qui fait de la chose l’usage socialement utile. On observera toutefois que cette justification de l’effet de la possession ne vaut que dans le cas où un certain délai doit s’écouler pour que la possession conduise à la propriété.
C’est d’ailleurs dans cette dernière justification des effets attachés à la possession que l’usucapion en matière immobilière, objet du développement qui va suivre, s’inscrit. L’usucapion ou la prescription acquisitive est « est un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi » (art. 2258 C. civ.). Quid cependant de la justification de ce mécanisme ?
Pour justifier la prescription, la doctrine retient ordninareiement deux fondements: l’ordre public et la présomption de propriété. Savigny, influencé par Kant, invoque le respect de la dignité de la personne. L’acte troublant la possession lui porterait directement atteinte. Dans une tradition plus hégélienne (Windscheid, on s’est attaché à la volonté. Quant à la référence à l’ordre public, elle traduit un élargissement de ces vues, sous la même inspiration, mais aussi sous l’influence de considérations plus pratiques. L’idée selon laquelle il faut assurer protection contre les troubles et contre le recours à la vengeance privée (tentation des propriétaires spoliés) remonte à l’interdit unde vi et à la réintégrande médiévale. Elle a été développée dans le plan théorique par Rudorff (élève de Savigny). On la retrouve dans les justifications modernes tirées de la sécurité. En complétant cette analyse par la présomption de propriété, c’est Pothier et Troplong que l’on suit. Comme la possession est substantiellement analogue à la propriété, elle la laisse présumer. D’où la nécessité de la reconnaître et de lui attacher des effets. En fait, ce fondement est suggéré par Savigny ainsi que par le juriste hégélien Gans qui voit dans la possession une « propriété commençante ». Ce serait cependant une erreur de prêter à Ihering la même conception. Certes Ihering invoque la présomption lorsqu’il met en évidence le rôle probatoire de la possession, « bastion avancé de la propriété ». Mais ce n’est là qu’un intérêt procédural. L’intérêt économique que comporte la chose possédée et qui détermine l’état constitutif du corpus (v. infra. Partie I – Chapitre I – Section I – § 1) est le premier et véritable fondement. Si protéger la possession est le meilleur moyen de protéger la propriété, la seule propriété qui soit digne d’être protégée est celle qui entre dans le moule de la possession.
Dès lors que le possesseur d’un immeuble donné envisage d’en disposer ou de le louer, il est contraint de justifier qu’il a la qualité de propriétaire. Cependant, il arrive qu’il n’ait pas en sa possession un titre de propriété régulier. Et nonobstant l’absence d’un tel titre, le législateur lui reconnaît ladite qualité si sa possession revêt certains caractères et remplit les conditions afférentes à la prescription acquisitive. Le cas échéant, le notaire établira un acte appelé acte de notoriété acquisitive dans le dessein de conforter la possession, ce qui autorisera la location ou la vente du bien. La question qui se pose est donc la suivante : Comment le notaire doit-il procéder pour établir un tel acte tout évitant que sa responsabilité soit engagée ? Pour trancher cette question, une étude du mécanisme même de la prescription acquisitive en matière immobilière se doit d’être faite.
Pour une meilleure appréhension du sujet, il importe de faire une analyse approfondie de la notion et du rôle de la possession (Partie I). Ensuite, il convient de mettre en lumière l’acquisition de la propriété d’un bien immobilier via la possession (Partie II).
PARTIE I – LA POSSESSION
La pensée juridique progresse constamment, ce qui est, à la fois, signe de réconfort et d’espoir. La question de la possession illustre certainement ce propos, ce qui permet de prolonger et de renouveler, à son sujet, une réflexion. La possession est d’une nature subjective et factuelle : subjective, le corpus désignant un pouvoir sur la chose ; factuelle, en l’absence d’un droit, ou plus exactement d’un titre ou d’une « investiture », à l’origine de la possession. Attribué de ce fait, le corpus n’est pas une faculté légalement reconnue. Mais, sous d’autres aspects, la possession se présente comme un droit. La possession propose l’image idéale de la propriété (conçue à la manière de la proprietas romaine). Elle n’est pas l’exercice mais l’extériorité, l’état de fait ou la visibilité de la propriété. Ihering feint de croire que la propriété est ce qu’elle devrait être, imitant la possession. Mais la propriété pourra exister tandis que la possession fait défaut : elle ne sera pas alors protégée, parce que la possession s’accommode mal d’une virtualité d’action autorisant l’abandon des biens. C’est moins en raison de ses effets qu’à cause de son contenu qui recouvre un intérêt au sens objectif, que la possession est un droit. Car le droit est la qualité d’une chose d’être dans un certain état, et cet état est déterminé par l’intérêt inhérent à la chose, autrement dit par la finalité, par la valeur de celle-ci.
Si telle est la nature juridique de la possession, quid cependant de ses éléments constitutifs (Chapitre I) d’une part, et de ses conditions d’efficacité ainsi que ses effets (Chapitre II) d’autre part.
CHAPITRE I. – LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE LA POSSESSION
L’analyse des composantes de la possession a éveillé en Allemagne, au siècle dernier, une célèbre controverse ayant exercé une grande influence.
Savigny, juriste allemand, publia en 1803 son Traité de la possession. Il y soutien cette idée que l’intention animant le possesseur doit être l’animus domini, c’est-à-dire l’intention de se comporter comme un propriétaire. Il ne faut pas confondre l’animus domini et la bonne foi. Un possesseur de mauvaise foi, par exemple un voleur, a l’animus domini : il entend se conduire en maître. Quid donc n’a pas l’animus domini ? Toutes personnes qui exercent le corpus pour le compte d’autrui. Elles reconnaissent, en effet les droits du propriétaire ; elles n’ont pas l’intention de se comporter comme propriétaires. Elles ne sont donc pas possesseurs. Ainsi Savigny refuse aux détenteurs la qualité de possesseurs ; ils ne peuvent bénéficier des effets de la possession. C’est le bailleur, le déposant, etc., qui est possesseur (il possède corpore alieno) ; ce n’est pas le détenteur (locataire, dépositaire, etc.). Parce que, dans cette thèse, l’intention tient une place de premier plan, on lui donne le nom de théorie subjective.
Cette théorie a été combattue par Ihering. Il prétendit qu’aucune distinction ne peut ni ne doit être faite entre possesseurs et détenteurs en se fondant sur leur animus, car les uns et les autres ont la même intention : tenir, conserver la chose, l’animus tenendi. Serait-il même possible de faire la distinction, ce n’est pas sur la volonté réelle à la possession en dehors des contrats et des actes juridiques, la volonté de l’individu est impuissant à créer des effets juridiques : elle ne peut pas lier le législateur. C’est objectivement que la distinction entre les deux catégories d’occupants : possesseurs et non-possesseurs, doit être faite : le droit accorde, en principe à tout occupant les effets de la possession ; il ne doit la refuser à titre exceptionnel qu’en raison d’une raison tirée du contrat qui lie le détenteur au propriétaire (cause detentionis). Le législateur, pour régler les effets de la possession, se fondera donc non sur l’intention du possesseur, mais sur les intérêts qui lui paraissent devoir être protégés. Le problème étant de savoir qui, du détenteur ou de la personne dont le détenteur tient son droit, doit bénéficier des effets de la possession, il faut décider selon l’intérêt qu’il peut y avoir à protéger l’un plutôt que l’autre. La réponse variera selon les détenteurs et selon les époques.
Traditionnellement, l’on a rattaché le système français à la conception subjective. Longtemps la conception française s’est fondamentalement caractérisée par l’exigence de l’intention d’agir pour son propre compte, la possession pour autrui n’étant pas considérée comme une possession véritable. Dans cette ligne, le fondement essentiel de la possession est la présomption du droit du possesseur : comme l’ont dit Aubry et Rau, « ce que la loi protège, c’est bien moins la possession elle-même que le droit probable de propriété ou de servitude dont elle fait supposer l’existence ». La conception objective de la possession a généralement été reconnue comme supérieure, dans la mesure du moins où il s’agit de protéger en tant que telle la situation du possesseur. C’est ainsi que, d’après le Code civil allemand, la possession consiste dans un pouvoir de fait sur la chose (BGB, art. 854). Cependant, à la lumière de l’évolution ultérieure des deux droits – spécialement du droit français – et de l’approfondissement de l’analyse comparative, on est aujourd’hui conduit à nuancer singulièrement l’affirmation des différences. L’opposition d’une thèse subjective (Code civil français) et d’une thèse objective (BGB) est dépassée. En d’autres termes, la controverse doctrinale ne peut plus servir de référence. L’opposition du subjectivisme français et de l’objectivisme allemand a perdu une grande part de son importance, spécialement depuis qu’en droit français, la situation du détenteur précaire a été très améliorée sous l’influence de la jurisprudence et de la législation. Ces résultats étant atteints, le système allemand, proposé souvent comme modèle il y a quelques décennies, a cessé pour beaucoup d’être considéré comme meilleur que le nôtre.
Section I – Les composantes de la possession
Avant d’exposer les éléments principaux constitutifs de la possession (§ 2), il importe tout d’abord de définir cette notion qui, comme on l’a déjà évoqué, est difficile à saisir (§ 1). Par ailleurs, une distinction entre la dite notion et la détention précaire mérite d’être faite (§ 3).
- 1. – La notion de possession
Habituellement, on définit la possession comme étant un rapport de fait entre une chose et une personne, par lequel cette personne a la possibilité d’accomplir, sur cette chose, personnellement ou par l’intermédiaire d’un tiers, des actes qui, dans leur manifestation extérieure, correspondent à l’exercice d’un droit, qu’elle soit ou non titulaire régulière de ce droit.
La possession, c’est le pouvoir de fait, la propriété, l’usufruit, un autre droit réel, c’est le pouvoir de droit. Pour savoir qui est possesseur, on examine dont la situation de fait, sans rechercher si cette situation de fait correspond à une situation de droit, c’est-à-dire si le possesseur est propriétaire ou titulaire d’un autre droit réel.
- Possession et détention
Le possesseur se comporte en maître sur la chose ; mais d’autres que le possesseur exercent aussi cette maîtrise, sans être propriétaires ni titulaires d’un autre droit réel ; ce sont les détenteurs.
La détention, qu’on nomme parfois possession précaire, doit être distinguée de la possession. Le locataire occupe l’appartement qu’il a loué, le fermier perçoit les fruits des biens affermés ; le dépositaire, le transporteur conservent la chose qui leur a été confiée ; ils ont la maîtrise de la chose louée, déposée, transportée, etc. Ils ne sont pourtant pas des possesseurs.
Tandis que la possession existe indépendamment de toute situation juridique, la détention naît toujours d’une situation juridique ; elle suppose, à son origine, un titre juridique, ce titre étant conventionnel (fermier, locataire, dépositaire, etc.), judiciaire (séquestre), ou légal (père usufruitier légal, mari, etc.) Ainsi le détenteur reconnaît le droit réel du propriétaire : il détient pour le compte de celui-ci, même lorsque, comme le fermier, il trouve dans cette détention un intérêt personnel. Au contraire, le possesseur se considère comme propriétaire ou titulaire d’un autre droit réel, qu’il le soit ou non ; si donc il ne l’est pas, il méconnaît les droits du propriétaire ou du titulaire du droit réel, c’est au mépris des prérogatives du propriétaire que le voleur exerce sa maîtrise sur l’objet volé.
Le pouvoir du détenteur, naissant d’une situation juridique, est un pouvoir de droit : le locataire, le fermier etc., ont un droit, non pas sur la chose (il ne s’agit pas d’un droit réel), du moins un droit de créance contre le bailleur qui doit mettre la chose à leur disposition. Le possesseur n’a, en tant que possesseur, ni droit réel, ni droit de créance.
La possession et la détention s’opposent encore sur deux points :
- D’une part, le possesseur peut être titulaire du droit réel correspondant au pouvoir qu’il exerce ; il en est, d’ailleurs, ainsi le plus souvent, car ce n’est qu’exceptionnellement que la chose échappe à la maîtrise de la personne qui a sur elle un droit réel. Au contraire, les deux qualités de détenteur et de propriétaire ne sont jamais réunies sur la même tête : on ne peut pas être, par exemple, son propre fermier.
- D’autre part, tandis que le propriétaire cesse d’avoir la possession quand un possesseur s’empare de la chose, la présence d’un détenteur n’empêche pas le propriétaire de continuer à posséder : le propriétaire qui a loué sa maison, conserve la possession ; il possède par l’intermédiaire du locataire.
- Possession et propriété apparente
Il faut encore distinguer la situation du possesseur et celle du propriétaire apparent. Le propriétaire apparent est une personne qui, par une erreur commune, est considérée comme propriétaire.
La propriété apparente repose donc sur la croyance des tiers, et non sur le comportement du propriétaire apparent à l’égard de la chose ; le propriétaire apparent est la personne que l’on croyait propriétaire ; le possesseur est la personne qui agit comme un propriétaire.
Le propriétaire apparent n’est jamais le propriétaire véritable – l’apparence est contraire de la réalité –, tandis que, le plus souvent, propriétaire et possesseur ne font qu’un.
Les effets de la propriété apparente bénéficient aux tiers : la loi vient secourir les tiers parce qu’ils ont été trompés par l’apparence ; ils ne bénéficient pas au propriétaire apparent. C’est, au contraire, le possesseur lui-même qui bénéficie des effets de la possession ; c’est lui que la loi entend protéger.
Pour préciser plus complètement la notion de possession, il faut déterminer les éléments constitutifs de la possession.
- 2. – Les éléments de la possession
Le possesseur exerce un pouvoir sur la chose, c’est l’élément matériel, le corpus (A). Mais la possession comporte un second élément, élément intentionnel : l’animus (B).
- Elément matériel : corpus
- Définition
Le corpus est l’exercice sur une chose des actes qui correspondent au droit dont on a la possession. Envisagé relativement au droit de propriété, le corpus consiste à se conduire comme un propriétaire, c’est-à-dire exercer les attributs du droit de propriété : usus, fructus, abusus. Le corpus constitue l’élément matériel de la possession.
En l’absence du corpus, il ne peut pas y avoir possession : pas plus que le corpus sans l’animus ne constitue la possession, l’animus sans le corpus ne saurait donner la qualité de possesseur.
- La possession « corpore alieno »
En droit romain, on admit d’abord que le pater familias avait la faculté de posséder par l’intermédiaire de ses filii et de ses esclaves, ceux-ci accomplissaient les actes de maître : le pater n’en était pas moins possesseur. A l’époque classique, on étendit la possibilité de posséder par l’intermédiaire d’autrui.
La règle a été adoptée par le droit français : il n’est pas nécessaire que le possesseur exerce lui-même le corpus. On dit alors qu’il possède corpore alieno. Par exemple, la personne qui donne une chose à bail, possède par l’intermédiaire de son fermier ou de son locataire ; simples détenteurs, ils n’auront pas le corpus pour leur propre compte, mais pour le compte de leur bailleur.
- Acquisition du corpus
Le corpus s’acquiert par une appréhension matérielle de la chose, sans qu’il y ait à distinguer selon que cette appréhension a lieu avec ou sans le consentement du possesseur précédent.
Puisque le possesseur peut posséder corpore alieno, il peut également acquérir le corpus par l’intermédiaire d’une autre personne ; par exemple, si l’on donne mandat à une personne de prendre possession d’un bien, on acquiert le corpus par l’intermédiaire du mandataire. De même, l’acquéreur, avant de prendre lui-même possession, possède par l’intermédiaire du vendeur qui conserve la chose jusqu’à la livraison ; c’est le constitut possessoire, ainsi appelé parce que le vendeur, en continuant à exercer le corpus, se constitue possesseur (il vaudrait mieux dire : détenteur) pour le compte de l’acheteur.
- Elément intentionnel : animus
Il ne suffit pas, pour être possesseur, d’avoir le corpus ; l’emprise matérielle ne confère pas, à elle seule, la possession. Un chauffeur n’a pas la possession de l’automobile que son maître lui confie ; pas d’avantage le promeneur qui traverse occasionnellement un terrain, ou le campeur qui y plante sa tente pour une nuit. Que leur manque-t-il ? Un élément intentionnel, l’animus c’est-à-dire l’intention de se comporter comme le véritable titulaire du droit
- Preuve de l’animus
Les effets différents de la détention et de la possession obligent à les distinguer soigneusement l’une de l’autre. Or cette distinction apparaît très délicate, car elle ne repose que sur l’animus sur l’intention de celui qui exerce le corpus. Comment découvrir cette intention ? Sa recherche se trouve grandement facilitée par les règles suivantes, les deux premières relatives à l’animus lors de l’entrée en possession, les deux dernières concernant le changement d’animus.
- Règles relatives à l’animus lors de l’entrée en possession
◇ Présomption de l’animus domini
L’animus domini est présumé. L’article 2256 dispose qu’« on est toujours présumé posséder pour soi, et à titre de propriétaire, s’il n’est prouvé qu’on a commencé à posséder pour un autre ». Tout occupant est donc présumé, jusqu’à preuve du contraire, possesseur et non détenteur. Il n’y a là que l’application des règles ordinaires de la preuve. Le propriétaire demandeur au procès, cherche à établir que son adversaire n’est qu’un simple détenteur, par exemple que, si son adversaire occupe l’immeuble, c’est qu’il le lui a été donné à bail ; la charge de la preuve de l’existence du bail incombe ainsi au propriétaire : « actori incubit probatio ».
◇ Appréciation de l’animus
L’animus s’apprécie in abstracto, par référence à un occupant-type placé dans la même situation. On ne recherche pas l’intention concrète de l’occupant, son état d’âme : un fermier a pu, en prenant le bien à bail, avoir l’intention de se conduire en maître ; cette intention qui est restée ignorée du bailleur est indifférente, car un fermier-type, n’a pas l’intention de se comporter en propriétaire lorsqu’il entre dans le domaine qu’il a pris à bail. L’intention de l’occupant est déterminée par « la cause et le principe de sa possession » (art. 2270 C. civ.).
- Règles afférentes au changement de l’animus (Interversion de titre)
Le détenteur pourrait prétendre avoir modifié son animus au cours de l’occupation, et tenter par là de bénéficier contre le propriétaire des avantages de la possession. Aussi, les rédacteurs du Code civil ont-ils posés deux autres règles.
Lorsque le propriétaire a établi que l’occupant était à l’origine détenteur, on présume qu’il l’est resté : art. 2257 C. civ. : « Quand on a commencé à posséder pour autrui, on est toujours présumé posséder au même titre… ».
Quant à la seconde règle, elle vise ce que l’on appelle l’interversion de titre. La présomption posée par l’article 2257 peut tomber devant la preuve contraire : l’occupant peut établir qu’au cours de l’occupation, de détenteur qu’il était, il est devenu possesseur. Il ne lui suffit évidemment pas de démontrer que son intention a changé (art. 2270 C. civ.) ; au reste, ce n’est pas l’intention personnelle qui compte : on sait que l’animus ne s’apprécie pas in concreto. On ne peut pas non plus permettre, par exemple à un locataire, pour démontrer qu’il a entendu cesser de se comporter en locataire et qu’il a voulu agir en propriétaire, de se prévaloir d’un acte de maître quelconque ; le bailleur peut avoir ignoré cet acte, ou avoir cru que le locataire l’accomplissait en qualité de locataire l’accomplissait en qualité de locataire, ou avoir fait preuve de tolérance. Tout bailleur risquerait de voir son locataire devenir propriétaire par l’effet de la possession si le locataire pouvait, trop facilement, transformer sa qualité de détenteur en celle de possesseur, intervertir son titre. Aussi, les rédacteurs du Code civil n’ont admis l’interversion de titre que dans deux séries de cas : art. 2268 C. civ. : « Néanmoins, les personnes énoncées dans les articles 2266 et 2267 peuvent prescrire, si le titre de leur possession se trouve interverti, soit par une cause venant d’un tiers, soit par la contradiction qu’elles ont opposée au droit du propriétaire ».
◇ Interversion de titre provenant d’un tiers
Un exemple est nécessaire. Un locataire achète à une personne autre que le bailleur l’immeuble qu’il occupe. L’acquisition est un titre nouveau, provenant d’un tiers : le vendeur, qui a affirmé qu’il était propriétaire, et non le bailleur. Pourquoi cette interversion de titre a-t-elle pour résultat de modifier la situation de l’occupant, alors qu’elle a pu être ignorée du véritable propriétaire ? Parce que l’animus de tout acquéreur, apprécié in abstracto, est nécessairement l’animus domini : quand on acquiert une chose, c’est pour se conduire en maître à son égard.
◇ Interversion de titre par contradiction opposée au droit du propriétaire
Le Code civil permet de prouver la modification de l’animus par une contradiction apportée au droit du propriétaire. Appréciée in abstracto, la volonté de l’occupant qui contredit ouvertement le droit du propriétaire, est, en effet, l’animus domini. Le législateur exige, d’ailleurs, des signes certains et non équivoques de contradictions. De tels signes sont nécessaires pour que le propriétaire ne puisse pas se tromper sur pareille intention.
Il ne suffit donc pas que le détenteur accomplisse des actes de maître ; un acte formel de dénégation est nécessaire. Cette contradiction aux droits du propriétaire résulte soit d’une dénégation en justice ou signifiée par acte par d’huissier, soit d’actes matériels ne laissant aucun doute sur les intentions de l’occupant. Par exemple, le seul fait de refuser le paiement des loyers par impécuniosité ou négligence ; il faut que l’occupant, en refusant le paiement de loyers, précise que son refus est motivé par le fait qu’il se considère comme propriétaire.
Tandis que le possesseur peut posséder et acquérir la possession corpore alieno, l’animus doit exister chez le possesseur, et celui-ci doit acquérir lui-même l’animus ; on ne peut être rendu possesseur par un tiers sans avoir la volonté de le devenir. Il n’existe qu’une exception à cette règle : on admet que les personnes n’ayant aucune volonté – l’infans et le fou – possèdent et acquièrent la possession par la volonté de leurs représentants.
Notion de pur fait, la possession devrait être d’une extrême simplicité. Or, les précisions qui ont été donnés, permettent déjà d’apercevoir les subtilités de la matière. Indubitablement, celles-ci sont dues pour une large part à la controverse entre Savigny et Ihering. Il reste cependant qu’il est toujours difficile de comprendre comment le droit peut tenir compte d’une situation en faisant, en quelque sorte, abstraction du droit. Un esprit logique saisit mal une situation juridique qui n’est pas une situation de droit, et qui est même parfois contraire à la situation de droit. Mais le droit n’est pas seulement science de la logique ; le droit est d’abord une science sociale. Du moins, rien n’est-il simple quand ces deux aspects du droit viennent à se heurter.
Section II – La réunion et la dissociation des éléments constitutifs de la possession
La possession étant constituée par la réunion de deux éléments, le corpus et l’animus, devrait cesser dès que l’un de ces éléments fait défaut. Tel est le principe. Il s’applique de manière absolue lorsque le corpus et l’animus disparaissent à la fois, ou lorsque le possesseur a perdu l’animus. Mais la perte du seul corpus n’entraîne pas dans tous les cas la perte de la possession : on peut posséder solo animo.
- 1. – Acquisition de la possession
On acquiert la possession par la réunion du corpus et de l’animus. Il faut faire sur la chose les actes rentrant dans les prérogatives correspondant au droit que l’on veut exercer. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire que le possesseur se saisisse du bien ; la possibilité actuelle d’agir sur la chose suffit ; ainsi on admet que l’acquéreur d’un immeuble est mis en possession par la remise des clefs, car il a alors la possibilité de faire non seulement les actes juridiques sur la chose, vente, bail, etc., mais les actes matériels.
L’animus résulte le plus souvent de l’appréhension même de la chose, qui fait présumer l’intention de la garder comme sienne. Il peut aussi dériver de certains faits ou conventions qui impliquent son existence, tels que la traditio brevi manu, qui est la prise de possession par l’ancien détenteur tenant sa qualité nouvelle d’un contrat passé avec le précédent possesseur, ou le constitut possessoire, qui est la convention par laquelle l’aliénateur reconnaît posséder dorénavant la chose pour le compte de l’acquéreur ; il se constitue possesseur pour le compte de celui-ci. On n’exige d’ailleurs pas qu’à chaque prise de possession corresponde une volonté consciente et spéciale. Dès lors que des choses ont été prédisposées pour la réception de possessions nouvelles, une volonté anticipée générale suffit : ainsi, le destinataire de lettres devient possesseur du courrier déposé par le préposé dans les boîtes placées à cet effet dans les immeubles avant même de savoir que du courrier y a été déposé.
Les deux éléments doivent être réunis : la seule volonté de se comporter comme propriétaire d’une chose ne peut suffire tant qu’elle ne se concrétise pas dans la maîtrise de la chose. Ainsi, le propriétaire dont la chose est entre les mains d’un tiers qui se comporte comme s’il en était lui-même propriétaire n’a pas la possession de sa chose, car il n’a pas le corpus ; c’est le tiers qui est ici possesseur. De même, le corpus à lui seul ne suffit pas : ainsi, le locataire, qui détient le bien et fait sur lui des actes matériels de jouissance, n’a pas la possession au sens strict du mot (la possession des droits réels), parce qu’il n’a pas l’animus, l’intention de se comporter en propriétaire ou en titulaire du droit réel.
- 2. – Perte de la possession
Le possesseur qui acquiert la propriété de la chose possédée ne perd pas pour autant la possession ; il réunit la double qualité de propriétaire et de possesseur ; il est désormais titulaire du droit qu’il exerce.
La possession étant constituée par la réunion de deux éléments, le corpus et l’animus, devrait cesser dès que l’un desdits éléments disparaît. Tel est le principe. Il s’applique de façon absolue lorsque le corpus et l’animus disparaissent à la fois, ou lorsque le possesseur a perdu l’animus. Mais la perte du seul corpus n’entraîne pas dans tous les cas la perte de la possession : on peut posséder solo animo.
La perte de la possession peut se réaliser de différentes manières.
- Perte simultané du corpus et de l’animus
Lorsque le possesseur n’a plus ni le pouvoir de fait sur la chose (corpus), ni l’intention de se comporter en propriétaire (animus), il perd sa possession. Il en est ainsi du possesseur qui a vendu et livré la chose, ou qui l’a volontairement abandonnée.
Une réserve doit, d’ailleurs, être faite quant à la perte du corpus. On sait qu’il est possible de posséder corpore alieno, par l’intermédiaire d’autrui. Le corpus ne sera donc pas perdu quand le possesseur confiera à autrui la détention de la chose. Au contraire, l’animus doit exister dans la personne du possesseur, sauf le cas de l’infans ou du fou.
- Perte de la possession par la perte de l’« animus » seul
La perte de l’animus suffit à entraîner la cessation de la possession.
Le vendeur qui conserve la chose vendue, étant convenu qu’il la livrera plus tard, a encore le corpus, mais il n’a plus l’animus : il n’a plus l’animus : il n’a plus l’intention de se comporter en propriétaire ; il cesse d’être le possesseur et devient détenteur, dépositaire ; c’est l’acheteur qui est possesseur, corpore alieno. On dit que le vendeur « se constitue possesseur » ; on nomme cette situation « constitut possessoire » ; il serait plus exact de l’appeler « constitut détentoire », car le possesseur se constitue non pas possesseur mais détenteur. C’est l’inverse de ce qui se passe en cas d’interversion de titre, où le détenteur devient possesseur.
Comment savoir si la personne qui exerce le corpus a perdu l’animus ? Comme évoqué ci-avant, l’animus s’appréciant in abstracto, il n’y a pas lieu d’analyser l’état d’âme du possesseur, mais de le juger par comparaison avec un type abstrait. Un vendeur normal n’entend plus se comporter comme propriétaire de la chose vendue ; il est donc sans intérêt de constater que tel vendeur a eu l’intention de continuer à agir comme s’il était resté propriétaire de la chose vendue ; il n’en a pas moins perdu l’animus, et par suite, la possession, bien qu’il ait conservé le corpus.
Au principe que la perte de l’animus entraîne la cessation de la possession, il existe une dérogation. Lorsque le possesseur devient fou, il perd l’animus ; il demeure cependant possesseur si l’animus existe chez son représentant. Il en est de même lorsque la possession est transmise à infans. Ce sont les cas où, par exception, on peut posséder animo alieno.
- Perte de la possession par la perte du « corpus » seul
Au cas où seul le corpus fait défaut, la situation est différente pour les meubles et les immeubles.
- Chose possédée meuble
Lorsque la chose possédée est un meuble, la règle générale s’applique : la disparition d’un seul élément de la possession suffit à entraîner la perte de la possession ; le seul fait de ne pas exercer le corpus ni par soi-même, ni par l’intermédiaire d’autrui, a donc pour conséquence la perte de la possession. Voici le possesseur d’un meuble qui perd la possession à la suite d’un vol ; sans doute il conserve l’animus, mais cet élément est insuffisant pour qu’il demeure possesseur.
- Chose possédée immeuble
Lorsque la chose est un immeuble, la jurisprudence, appliquant une règle recueillie du droit romain, admet que le seul fait de ne pas exercer le corpus n’entraîne pas perte de la possession : il est possible de continuer à posséder un immeuble animo solo.
Mais, pour pouvoir ainsi posséder animo solo, trois conditions sont requises :
- Il faut avoir eu, à l’origine, le corpus et l’animus, donc s’être mis en possession en accomplissant un acte de maître ;
- Le fait de ne pas avoir exercé le corpus ne doit pas constituer une discontinuité de la possession : si, par exemple, une personne s’installe sur le fonds ou dans la maison, la possession du possesseur négligent serait interrompue, c’est-à-dire qu’elle va cesser d’être effective ; il en résulte que l’absence d’actes de maître doit s’expliquer par la nature de l’immeuble et les usages des lieux (par exemple, il s’agit d’un terrain en friche) ;
- Il faut enfin que personne n’ait accompli sur l’immeuble des actes de maître pendant une année ; en effet, après une année, le possesseur originaire aura perdu les actions possessoires (elles doivent être intentées dans l’année du trouble de possession), et c’est le nouveau possesseur qui, pouvant exciper d’une possession annale, bénéficiera de ces actions ; cette situation appelée interruption naturelle de l’usucapion, est visée par l’article 2271 du Code civil. Ainsi, si le possesseur d’un immeuble qui n’exerce plus le corpus, mais a conservé l’animus, ne perd pas nécessairement la possession.
Cette différence entre les meubles et les immeubles se justifie par une considération d’ordre pratique : la perte du corpus d’un meuble est très facile à constater ; au contraire, tant qu’un nouveau possesseur ne s’est pas installé d’une façon permanente sur l’immeuble, il est difficile de décider si le possesseur précédent continue ou non à exercer des actes de maître avec une régularité suffisante.
CHAPITRE II. – CONDITIONS D’EFFICACITE JURIDIQUE ET EFFETS DE LA POSSESSION
L’article 2261 du Code civil énumère les différents vices de la possession à propos de l’un des effets de la possession, l’acquisition de la propriété par l’usucapion « Pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire ».
Les rédacteurs du Code civil ont commis une confusion en rangeant ainsi par les vices de la possession la précarité et l’interruption. Le fait de na pas posséder à titre de propriétaire constitue non pas simplement un vice, mais l’absence de la possession ; faute d’animus domini, l’occupant n’est que détenteur ; le détenteur, ou possesseur précaire, n’est pas possesseur. De même, l’interruption met fin à la possession ; une possession interrompue n’est pas viciée, elle a cessé d’exister. Les seuls vices qui doivent être retenus sont donc la violence, la clandestinité, l’équivoque et la discontinuité (Section I), qui tiennent à la conduite coupable du possesseur, et qui n’ont effet que relativement à certaines personnes ; d’autre part, l’équivoque et la discontinuité (Section II), qui sont la conséquence de la qualité de la possession et ont un effet absolu, erga omnes.
On peut classer ces vices en deux groupes qui s’opposent par leur nature et leurs effets. D’une part, la violence et la clandestinité
Section I – Absence de vices relatifs
- 1. – Vice de violence
D’après l’article 2261 du Code civil, la possession doit être paisible c’est-à-dire ne pas reposer sur la violence. On comprend que le législateur refuse toute protection au possesseur qui s’est installé par violence ; celui-ci ne pourra se plaindre, même s’il est lui-même chassé par la violence.
Il est certain que la violence vicie la possession si elle s’est produite lors de l’entrée en possession et tant qu’elle n’aura pas cessé. Mais on peut douter que la violence constitue un vice lorsqu’elle intervient au cours de la possession pour en assurer le maintien ; telle est cependant, en principe, la position de la jurisprudence qui, en invoquant le terme paisible refuse de distinguer selon l’époque à laquelle est commise la violence. Elle admet toutefois que la violence passive, c’est-à-dire celle par laquelle le possesseur se borne à résister aux voies de fait d’un tiers venu le troubler au cours de sa possession, ne constitue pas un vice.
La violence est un vice temporaire : la violence venant à cesser, la possession redevient saine, utile (art. 2263, al. 2).
Le vice de violence présente enfin la caractéristique d’être relatif : la violence ne vicie la possession qu’à l’égard de la victime de cette violence ; les tiers ne peuvent s’en prévaloir.
- 2. – Vice de clandestinité
La possession doit être également publique. Il y a vice de clandestinité quand la possession ne se manifeste pas par des actes apparents. Par exemple, un voisin creuse un souterrain sous mon fonds ; un des héritiers recèle des meubles qui ont appartenu au défunt.
Comme le vice de violence, le vice de clandestinité est relatif, opposable seulement par ceux qu’elle a empêchés de connaître la possession, et temporaire : dès que la clandestinité prend fin, le vice disparaît et la possession devient utile. Mais, sans aucun doute, le vice de clandestinité n’est pas nécessairement initial : la possession peut devenir clandestine à un moment quelconque et, par là même, vicieuse.
Section II – Absence de vices absolus
Les vices de discontinuité et d’équivoque, contrairement aux vices de violence et de clandestinité, ne sont pas fondés sur l’analyse de la conduite du possesseur. Ils résultent de la possession elle-même : la possession n’est pas suffisamment caractérisée.
- 1. – Vice de discontinuité
La possession doit être continue (art. 2261). Cela veut dire que le possesseur doit accomplir les actes correspondant au droit auquel il prétend sur la chose, sans intervalle anormal, comme le ferait un titulaire véritable du droit prétendu. On n’exige donc pas du possesseur un contact permanent avec la chose, mais on veut qu’il se comporte comme le ferait le titulaire véritable du droit eu égard à la nature de la chose. Ainsi, n’a pas une possession continue la personne qui s’empare d’un fonds, en perçoit les fruits, puis l’abandonne, au lieu de le cultiver régulièrement ; au contraire, on reconnaîtra la continuité de la possession de celui qui n’utilise un pâturage situé en haute montagne que quelques mois de l’année, parce que sa possession correspondra suffisamment au droit de propriété auquel elle s’applique par hypothèse.
La discontinuité est un vice temporaire, sans doute, mais absolu, qui peut être invoqué, contre le prétendu possesseur, par toute personne intéressée à lui contester cette qualité.
- 2. – Vice d’équivoque
Il y a équivoque quand les actes accomplis par le prétendu possesseur ne manifestent pas clairement son animus et qu’ils peuvent s’expliquer autrement que par la prétention à un droit sur la chose. Ainsi, le cohéritier qui exerce des droits sur une chose indivise ne peut pas prétendre à la possession exclusive de cette chose, à moins qu’il n’ait manifesté son intention de se comporter en propriétaire exclusif, soit formellement, soit par l’existence d’actes incompatibles avec la seule qualité de propriétaire indivis.
Comme le vice de discontinuité, le vice d’équivoque est absolu ; la possession est viciée à l’égard de tous.
Section III – Possession vicieuse
Cependant, une question mérite d’être posée : une possession vicieuse peut-elle produire des effets ? Il y a quelque contradiction évidente à dire que l’absence de vice est une condition d’efficacité de la possession, puis à tenir compte des effets possibles d’une possession vicieuse. Ce point mérite d’être clarifié. À proprement parler, il n’y a pas de contradiction. En effet, l’on doit affirmer que les effets de la possession sont exclus dans l’éventualité d’une possession vicieuse :
– celle-ci ne conduit pas à la prescription ;
– celui qui exerce une possession vicieuse n’est pas couvert par une présomption de propriété, de sorte que le demandeur en revendication pourra faire la preuve de son droit par tous les moyens possibles ;
– la possession vicieuse, quel que soit le vice l’affectant, ne confère pas en principe la protection possessoire : si un procès s’engage au possessoire, le possesseur violent ou clandestin ne peut exercer les actions possessoires, du moins si son adversaire se trouve être la victime de la violence ou de la clandestinité.
Pourtant la possession vicieuse – et qui, bien entendu, reste telle, ses vices n’étant pas purgés – n’est pas toujours privée des effets attachés à la possession utile. En réalité, s’il peut en être ainsi, c’est parce que certains vices, tels les vices de violence et de clandestinité, ne présentent qu’un caractère relatif ; si, par exemple, une personne s’empare violemment du bien d’autrui, elle ne peut usucaper contre celui-ci, ni user contre lui des actions possessoires ; mais cette double ressource lui appartient à l’égard de toutes autres personnes. On peut même dire que ce n’est pas alors une possession vicieuse qui produit des effets ; la possession n’en produit à proprement parler que dans la mesure où elle n’est pas vicieuse.
A certaines conditions – psychologiques, temporelles… – la possession est un mode d’acquisition de la propriété. Ces effets particuliers présentent des traits communs, liés à leur finalité. De manière plus large, on a d’ailleurs pu remarquer que cette perspective révélait une assez grande similitude entre les droits allemand et français, au-delà des oppositions traditionnelles.
En tant que mode d’acquisition de la propriété, la possession ne produit pas les mêmes effets selon qu’elle porte sur un immeuble ou sur un meuble. La donnée temporelle n’est pas prise en considération de la même manière selon qu’il s’agit de l’une ou de l’autre catégorie. Et il peut être important de savoir si le possesseur est de bonne ou de mauvaise foi : la possession de bonne foi contribue à réduire à dix ans le délai de la prescription acquisitive trentenaire. En outre, au sujet des meubles corporels, il y a lieu de tenir compte de la règle « En fait de meubles possession vaut titre ».
PARTIE II – L’ACQUISITION DE LA PROPRIÉTÉ D’UN BIEN IMMOBILIER PAR LA POSSESSION
CHAPITRE I. – LA PRESCRIPTION ACQUISITIVE
On peut définir la prescription acquisitive ou usucapion comme l’acquisition, par le possesseur d’une chose, du droit de propriété ou d’un autre droit réel sur cette chose, par l’effet de la possession prolongée durant un certain délai, même en dépit du titre qu’a pu faire transcrire un tiers. Cette définition fait apparaître les conditions (Section II) et les effets de l’usucapion (Section III). Avant d’envisager successivement les conditions et les effets de la prescription acquisitive, il faut d’emblée observer que ladite prescription remplit une fonction probatoire très importante (Section I).
Section I – Fonction probatoire de la prescription acquisitive
La prescription est une consolidation d’une situation juridique par l’écoulement d’un délai. Il existe deux sortes de prescription, l’une négative, l’autre positive.
La prescription libératoire est un mode d’extinction des droits de créance et des droits réels, ainsi que de toutes les actions tant réelles que personnelles (art. 2262). Quand le titulaire d’un droit ne l’exerce pas dans un délai déterminé, qui est ordinairement de trente ans, ce droit s’éteint au bout de ce délai, et celui contre lequel il existe peut se prévaloir de son extinction. L’extinction peut concerner soit les droits de créance, soit des droits réels, sous réserve des solutions retenues au sujet du caractère perpétuel du droit de propriété.
La prescription acquisitive ou usucapion est un moyen d’acquérir un droit réel principal – propriété, usufruit, servitude – par l’exercice de ce droit prolongé pendant un certain temps, lequel est en principe de trente ans, mais parfois plus court.
L’usucapion est une des pièces maîtresses de notre système juridique : elle donne à l’acquéreur d’un bien un titre légal qu’il ne trouve pas dans son acte d’acquisition. En effet, la transmission des droits est subordonnée à l’application du principe : nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet. Donc, si un propriétaire doit prouver l’existence de son droit, il lui faut établir qu’il le tient de quelqu’un qui était lui-même propriétaire en tant qu’il avait lui-même acquis le droit d’un auteur qui était propriétaire, et ainsi de suite, en remontant dans le passé la chaîne de toutes les transmissions successives du droit. Il en résulte que la preuve directe du droit de propriété est impossible à fournir. C’est, disaient nos anciens auteurs, une probatio diabolica, diabolique parce que cette preuve se renouvelle sans cesse et n’est jamais satisfaite, parce que toute solution de continuité, toute coupure se révélant dans la chaîne des transmissions successives, tout défaut de qualité d’un propriétaire antérieur détruit nécessairement le droit de celui qui l’a suivi et, par contrecoup, de tous ceux à qui il a été ensuite transmis.
De plus, le droit d’un acquéreur reste soumis à toutes les causes de résolution ou d’annulation qui peuvent détruire une des aliénations antérieures. Resoluto jure dantis resolvitur jus accipientis (le droit de l’auteur du transfert étant résolu, le droit de celui qui a acquis de lui est également résolu) ; c’est l’autre aspect de la règle nemo plus juris… Ainsi, jamais, aussi loin qu’il puisse pousser sa preuve dans le passé, un acquéreur de la propriété n’est à l’abri des attaques qui pourraient être dirigées contre lui : dès qu’un tiers prétendra démontrer que l’acquisition du bien par l’un des auteurs de l’actuel titulaire de la propriété a été annulée ou résolue, il menacera le droit du titulaire de cette propriété, en dépit de sa bonne foi et quelles qu’aient été les précautions prises par lui. Le risque ainsi couru par les acquéreurs paralyserait toutes les transactions, tout spécialement en matière immobilière.
La prescription libère les titulaires de la propriété de la crainte d’être soumis à la nécessité ou aux incertitudes de la « preuve diabolique » : grâce à la prescription, un terme va être marqué dans le cours du temps, terme au-delà duquel aucune discussion ne sera plus possible, quand bien même on pourrait établir la mauvaise foi du titulaire actuel de la propriété. Le droit de propriété cesse d’être incertain grâce à sa consolidation par l’effet de l’usucapion : celui qui a possédé en personne ou par l’intermédiaire de ses auteurs pendant le temps requis par la loi trouve dans cette possession un titre qui le protège contre toute action en revendication émanée d’un tiers.
La prescription n’aboutit donc pas nécessairement à priver un propriétaire de son droit ; bien au contraire, elle est utile au propriétaire lui- même dont elle consolide le droit en lui fournissant un moyen de l’établir. La fonction essentielle de la prescription acquisitive se trouve dans le désir d’assurer, non pas la victoire d’un spoliateur, mais bien celle du propriétaire légitime. La loi vient au secours de celui-ci à l’aide d’une présomption : la prolongation de l’état de fait, concrétisé par la possession, permet de découvrir le droit. En effet, les situations de fait qui sont contraires au droit ne peuvent pas, en général, se prolonger dans le temps ; celles qui durent sont conformes à la loi, si bien que le législateur a pu très équitablement présumer que, dans l’immense majorité des cas, la prescription consacre la légitimité du droit. C’est pourquoi, en affirmant le droit de propriété du possesseur qui a prescrit, la loi donne satisfaction à un intérêt public de sécurité sans heurter la justice. Pour quelque usurpateur que la prescription maintiendra en possession contre le droit d’autrui, il y a des milliers de propriétaires légitimes dont elle empêchera la spoliation, alors cependant que ces propriétaires manquaient des moyens de preuve nécessaires pour faire prévaloir leur droit.
L’idée que la prescription acquisitive est un mode de preuve de la propriété, la prescription faisant présumer la propriété, est confirmée par le Code civil, dont l’article 1350 dispose que « la présomption légale est celle qui est attachée par une loi spéciale à certains actes ou à certains faits » et que tels sont, notamment, « … 2° Les cas dans lesquels la loi déclare la propriété ou la libération résulter de certaines circonstances déterminées ».
Section II – Conditions de l’usucapion
Trois conditions sont exigées de toute prescription acquisitive : un bien susceptible de possession (§ 1), une possession non viciée (§ 2), l’accomplissement d’un délai (§ 3).
- 1. – Choses susceptibles de possession
Tout meuble ou immeuble est, en principe susceptible d’être usucaper. Cependant, les choses qui ne peuvent être l’objet de propriété privée, qui sont hors du commerce (art. 2260 c. civ.), ne sont pas susceptibles de possession, donc d’usucapion. Il en est ainsi des biens, meubles ou immeubles, du domaine public.
Egalement des universalités : seules les choses qui les composent, envisagées ut singuli, peuvent être usucapées. Autrement dit, ne peuvent non plus être usucapées les universalités juridiques (hérédité, par exemple), ni les universalités de fait (tel le fonds de commerce) : ces universalités ne sont pas, en tant que telles, susceptibles de possession ; seules les choses qui les composent, envisagées ut singuli, peuvent être possédées isolément et donc être usucapées. Il en résulte que, si une personne possède pendant le délai requis pour l’usucapion certains biens faisant partie d’une hérédité, elle ne peut pas prétendre à l’usucapion des autres biens sur lesquels elle n’a exercé aucune emprise. Il n’en demeure pas moins qu’un indivisaire peut prescrire contre ses coïndivisaires (art. 816 C. civ.), ce qui suppose que sa possession soit exclusive et non équivoque.
Cependant, si l’imprescriptibilité doit accompagner l’inaliénabilité, la première n’est pas systématiquement liée à la seconde. Ainsi les biens donnés ou légués sous condition d’inaliénabilité ne sont pas nécessairement imprescriptibles. Inversement, on ne peut acquérir par usucapion un immeuble classé comme monument historique, bien qu’il ne soit pas inaliénable (article L. 621-17 du Code du patrimoine : « Nul ne peut acquérir de droit par prescription sur un immeuble classé au titre des monuments historiques »)
- 2. – Conditions relatives aux qualités de la possession
Une possession ne peut conduire à la prescription que si elle est une possession utile, ad usucapionem. Une possession qui doit être exempte de vices ; et les actes de simple tolérance ou de pure faculté ne peuvent fonder l’usucapion.
- Une possession non viciée
Cette condition conduit à exiger, d’une part, une possession véritable, à titre de propriétaire, d’autre part, une possession exempte de vices.
La nécessité du corpus a été affirmée par la Cour de cassation, qui exige des actes matériels sur la chose. Et ces éléments de fait doivent être prouvés : l’existence d’un acte notarié constatant une usucapion est insuffisante pour établir celle-ci.
La nécessité de l’animus domini écarte le détenteur ; un simple détenteur – locataire ou fermier – ne parvient jamais à usucaper, sauf s’il justifie d’une interversion de titre ; il aura alors cessé d’être détenteur pour devenir possesseur, et le délai de l’usucapion ne commencera à courir que du jour de cette interversion.
L’animus domini s’apprécie à l’origine de l’occupation. Cette appréciation est faite in abstracto. L’animus domini est toujours présumé.
Un copropriétaire peut usucaper contre ses coïndivisaires s’il possède à titre exclusif le bien indivis. De même la Cour de cassation a admis que l’acquéreur d’un bien indivis dont le vendeur s’était porté fort de la ratification par un autre indivisaire pouvait opposer l’usucapion trentenaire à cet indivisaire qui, plus de trente ans après sa majorité refusait de ratifier.
- Les actes de simple tolérance ou de pure faculté ne peuvent fonder la prescription acquisitive
Il faut écarter comme actes constitutifs d’une possession ad usucapionem certains actes qui ne sont pas véritablement des actes de possession en ce qu’ils n’impliquent aucune contradiction au titulaire du droit prescrit : la possession utile suppose une telle contradiction, par exemple lorsque le titulaire du droit interrompt la prescription. Il en va autrement lorsque les actes accomplis sont des actes de pure faculté et de simple tolérance ; ces actes ne peuvent, en effet, « fonder ni possession, ni prescription » (art. 2262 C. civ.).
Accomplis avec la permission – même tacite – du propriétaire du fonds sur lequel ils sont réalisés, les actes de simple tolérance s’interprètent non dans le sens d’une renonciation, mais dans celui d’une complaisance, d’une politesse, faite entre voisins et à titre de bons rapports. Ainsi, lorsqu’un propriétaire permet à son voisin de passer sur un fonds ou d’aller puiser de l’eau à une fontaine, le voisin ne peut prétendre posséder en vue de la prescription une servitude de passage ou de puisage. Bien loin de cesser d’exercer son droit, le propriétaire l’a au contraire manifesté en accordant sa permission ; quant au voisin, il n’a, en l’occurrence, opposé aucune contradiction au titulaire du droit, bien au contraire il a agi d’une manière conforme à la volonté de celui-ci.
À plus forte raison, les actes de pure faculté ne peuvent aboutir à l’usucapion. Ce sont des actes qu’une personne accomplit dans l’exercice de son droit, sans qu’il en résulte une atteinte au droit d’autrui. Ainsi en est- il du propriétaire d’un mur privatif qui peut ouvrir dans ce mur des « jours de souffrance », ce qu’il ne pourrait faire si le mur était mitoyen ; en ouvrant ces « jours de souffrance », il use d’une pure faculté, de sorte que si, par la suite, le mur devenait mitoyen, il ne pourrait invoquer une prescription acquisitive de ces jours.
- 3. – Conditions relatives au délai
L’usucapion nécessite un certain délai. Il est, en effet, nécessaire de donner au propriétaire le temps de s’opposer à la possession du tiers et de revendiquer sa chose. En raison du délai imposé, la prescription acquisitive ne joue, en pratique, que contre le propriétaire négligent qui s’est désintéressé de sa chose pendant un long espace de temps, voilà pourquoi on lui préfère le possesseur.
- Durée du délai
- La prescription trentenaire
Le délai normal de la prescription acquisitive en matière immobilière est d’une durée de trente ans, en application de l’article 2272 alinéa 1 du Code civil, selon lequel « Le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans ». c’est la prescription de droit commun.
La prescription s’accomplit même au profit du possesseur de mauvaise foi, même au profit de l’usurpateur. Toutefois, si la possession a commencé par des actes de violence, elle ne se compte que du jour où la violence a cessé (art. 2263, al. 2).
- La prescription de dix ans ou prescription abrégée
Elle tend à couvrir à l’égard du vrai propriétaire le vice résultant d’une acquisition a non domino, en d’autres termes l’absence de droit de propriété chez celui de qui le possesseur a acquis le bien. Pour que le possesseur puisse profiter de la prescription de dix ans, des conditions supplémentaires doivent être réunies : la possession doit porter sur un immeuble ou un droit immobilier, le possesseur doit être de bonne foi et il doit avoir un juste titre.
L’avantage consiste dans une réduction du délai. Le législateur n’a pas supprimé tout délai, comme au sujet de la possession de bonne foi des meubles corporels. À propos de ceux-ci, la suppression de tout délai est fondée tant sur la nécessité de permettre la rapidité des transactions portant sur les meubles et d’en assurer la sécurité, que sur l’adage res mobilis res vilis. En matière immobilière, l’acquéreur a le temps et la possibilité de se renseigner sur la qualité de celui avec qui il traite, et l’on a voulu laisser au propriétaire de l’immeuble, qui en a peut-être été dépossédé sans qu’il le sache, le temps d’en être informé et d’agir. De là l’exigence d’un délai de possession, mais d’un délai moindre que celui exigé du possesseur de mauvaise foi.
- Domaine d’application de la prescription abrégée
Le domaine d’application de la prescription abrégée est limité aux immeubles et aux droits réels immobiliers. Les meubles sont, en effet, instantanément acquis par le possesseur de bonne foi (art. 2276 al. 1 C. civ.) ; la suppression de tout délai est fondée tant sur la rapidité des transactions portant sur les meubles et la nécessité de la sécurité du commerce, que sur la règle res mobilis, res vilis. En matière immobilière, le législateur n’a pas voulu accorder une telle faveur à l’acquéreur de bonne foi : d’une part, il lui est facile de se renseigner sur la qualité de la personne avec laquelle il traite, car les opérations portant sur les immeubles ne requièrent pas célérité ; d’autre part, il faut laisser au propriétaire d’un immeuble, qui peut être dépossédé sans le savoir, le temps d’être informé. Cela explique qu’un moyen terme ait été adopté ; un délai de possession est nécessaire, suffisamment long pour permettre au propriétaire d’agir, mais par faveur pour la bonne foi, ce délai est plus bref que celui exigé du possesseur de mauvaise foi.
La prescription de dix ans permet d’acquérir la propriété des immeubles, mais aussi devenir titulaire des droits réels immobiliers, autres que le droit de propriété, l’usufruit par exemple. Pour que la prescription abrégée puisse être invoquée, encore faut-il que ces droits réels immobiliers aient été acquis a non domino. D’une part, les bénéficiaires de l’avantage légal doivent être de véritables acquéreurs ; d’autre part, cet avantage est exclu si l’acquisition – pourtant remise en cause – émane bien du véritable propriétaire. Il y a acquisition a non domino lorsqu’un propriétaire a vendu deux fois le même bien et que le second acquéreur se prévaut de la seconde vente.
La justification de l’usucapion abrégée explique l’existence de deux autres conditions distinctes et essentielles : la bonne foi et le juste titre.
- La bonne foi
Le législateur n’abrège le délai de la prescription acquisitive qu’en considération de la bonne foi du possesseur. La bonne foi, au sens de l’article 2272, consiste, pour l’acquéreur, dans la croyance que son titre lui a bien fait acquérir le droit réel qui en est l’objet. Le possesseur est bonne foi quand il croit avoir acquis la propriété, ou un autre droit réel, du véritable propriétaire, ou du véritable titulaire du droit.
La bonne foi suppose donc une erreur commise par le possesseur sur la qualité de son auteur. Toute erreur est prise en considération, qu’elle soit de droit ou de fait.
La bonne foi exige-t-elle en outre que le possesseur ait cru à la régularité de son acquisition ? S’il croyait acquérir du véritable propriétaire, mais avant savait que l’acquisition était nulle, par exemple pour vice de forme, est-il de bonne foi au sens de l’usucapion abrégée ? La question est discutée ; mais il semble que la réponse est négative : être de bonne foi, c’est croire que l’on est devenu propriétaire ; or, comment le croirait-on si on savait que l’on acquérait en vertu d’un titre qui ne pouvait pas transférer la propriété ?
L’article 2275 du Code civil dispose : « Il suffit que la bonne foi ait existé au moment de l’acquisition », par exemple lors de la vente. La connaissance que le possesseur a eue ultérieurement, serait-ce dès la prise de possession, des droits du revendiquant, est sans incidence sur l’appréciation de sa bonne foi dès lors qu’elle est postérieure à l’acquisition.
◇ Présomption de bonne foi
L’article 2274 du Code civil facilite l’usucapion abrégée, en présument la bonne foi du possesseur : « La bonne foi est toujours présumée, et c’est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver ». La preuve contraire, qui incombe au propriétaire, se fait par tous moyens.
◇ A quel moment s’apprécie la bonne foi ?
Le Code civil se contente se contente de la bonne foi du possesseur au moment de l’acquisition (art. 2275 C. civ.) ; peu importe que, par la suite, le possesseur ait connu la vérité, ai su qu’il n’était pas propriétaire. Les rédacteurs de l’article 2275 sont ainsi revenus à la règle romaine, rompant avec la tradition, plus conforme à la morale, du droit canonique, qui avait pénétré les coutumes : la mauvaise foi, à quelque moment qu’elle soit survenue, empêchait la prescription abrégée.
Une difficulté se présente en matière de legs particulier. Quand le légataire accepte le legs, le transfert de la propriété se produit rétroactivement au jour du décès : tout se passe comme si les biens lui avaient été transmis dès ce jour. A quel moment faut-il alors se placer pour apprécier la bonne foi du légataire : au jour de l’ouverture de la succession, ou au jour de l’acceptation du legs ? La jurisprudence décide que l’intention de l’acquéreur doit être appréciée au moment où il manifeste sa volonté, c’est-à-dire au jour de l’acceptation ; la rétroactivité du transfert n’est qu’une fiction étrangère à la recherche des intentions. Le légataire ne bénéficiera donc pas de l’usucapion de dix ans, s’il devient de mauvaise foi entre le jour du décès de son auteur et le jour de l’acceptation.
- Le juste titre
Les rédacteurs du Code civil exigent du possesseur, pour qu’il puisse bénéficier de la prescription acquisitive abrégée, qu’il « acquière de bonne foi et par juste titre » (art. 2272 al. 2 C. civ.). Que signifie cette condition de l’acquisition par juste titre, qu’on nomme plus simplement la condition du juste titre ? L’expression est mal choisie, car elle prête à confusion. D’autant plus qu’il n’y a pas dans le Code une définition du juste titre, les rédacteurs se sont référés à la notion admise à leur époque, c’est-à-dire à celle qui, dégagée par les juristes romains, avait été reprise par Pothier.
Le « titre » (d’acquisition) est un acte juridique. Contrairement à ce que suggère le terme, il ne s’agit pas d’un écrit, instrumentum, mais d’une opération juridique, negotium. Cet acte juridique doit être un acte dont le dessein est de transférer la propriété ou un autre droit réel : un acte translatif. La vente, l’échange, la dation en paiement, sont des actes translatifs, tandis que le partage ou la transaction sont considérés comme déclaratifs, c’est-à-dire comme constatant simplement que telle personne est titulaire d’un droit qu’elle a antérieurement acquis. Les décisions judiciaires sont généralement déclaratives ; cependant les jugements d’adjudication sur saisie ont un effet translatif, et constituent donc un juste titre au profit de l’adjudicataire. Le louage, le dépôt, le prêt ne sont pas des actes translatifs, car ils ne transfèrent pas de droits réel sur la chose louée, déposée, empruntée, mais seulement des droits personnels ; au reste, le locataire, le dépositaire, l’emprunteur, ne sont pas possesseurs, mais détenteurs, il ne saurait donc être question pour eux d’usucaper.
Il faut excepter les acquisitions de droits réels qui se réalisent par succession universelle ou à titre universel. La succession ab intestat, le legs universel ou à titre universel ne peuvent être retenus comme conditions de l’usucapion abrégée, c’est-à-dire comme justes titres d’acquisition. En effet, les successeurs universels ou à titre universel prennent la place de leur auteur ; ce n’est donc pas leur titre d’acquisition qui entre en ligne de compte, mais celui du de cujus, dont ils ne font que continuer la possession.
Ainsi, le « juste titre » condition de la prescription acquisitive de dix ans, est un acte juridique dont le but est de transférer à titre particulier un droit réel dans son intégralité.
Mais si le possesseur a pris possession en vertu d’un tel acte, pourquoi n’est-il pas devenu propriétaire ? L’acte juridique translatif transfert, par lui-même et à lui seul, la propriété. Alors pourquoi le bénéficiaire d’un tel acte a-t-il besoin d’invoquer l’usucapion décennale ? C’est que l’acte n’a pas réalisé son but. Le « juste titre » est un acte dont le but est transférer la propriété, mais qui ne l’a pas transférée : un titre d’acquisition inefficace, en ce sens qu’il n’a rien fait acquérir. C’est pourquoi il est fâcheux de le qualifier de « juste ». En réalité, il n’est pas conforme aux règles de droit, et c’est parce qu’il ne l’est pas, qu’il ne peut, à lui seul, transférer la propriété.
Mais privé de son effet normal, la loi lui donne un autre effet : permettre l’usucapion abrégée à son bénéficiaire. Cette faveur s’explique par le fait que le possesseur ne n’est pas emparé de la chose, cette chose lui a été transmise, irrégulièrement sans doute, mais il n’y a pas d’usurpation.
Est-ce dire que, quelle que soit la raison pour laquelle un acte juridique translatif de droit réel ne peut pas réaliser son but, cet acte permettra l’usucapion abrégée, sera un « juste titre » ? Ces raisons sont diverses : l’acte peut être nul, de nullité absolue ou relative, l’acte peut ne pas avoir été publié, de telle sorte que son bénéficiaire ne pourra pas l’opposer à un tiers acquéreur, l’acte peut ne pas émaner du véritable propriétaire. Ce qui nous amène dès lors à savoir le motif de l’inefficacité du titre. Un deuxième problème devra ensuite être résolu, celui du titre putatif.
◇ Le motif de l’inefficacité du titre
Deux situations doivent être distinguée : la situation normale (acquisition a non domino) et la situation exceptionnelle : (acquisition a domino).
🢒 Juste titre émanant d’un non-propriétaire. –
Il s’agit ici d’un possesseur qui a acquis un bien à une personne qui n’en était pas propriétaire. L’inefficacité de son titre d’acquisition tient donc au défaut de qualité de l’auteur. L’auteur, n’étant pas propriétaire, n’a pas pu transmettre un droit qu’il n’avait pas : nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet. Voilà le domaine normal de la prescription acquisitive de dix ans : c’est pour un tel acquéreur, lorsqu’il est de bonne foi, c’est-à-dire lorsqu’il a cru traiter avec le véritable propriétaire, que le législateur entend abréger le délai de l’usucapion.
Aussi, exige-t-il que le titre soit tel que, s’il émanait du véritable propriétaire, il eût transféré la propriété : la seule cause d’inefficacité du titre à laquelle remédie l’usucapion décennale, est le défaut de qualité de l’auteur.
Il en résulte que le titre doit être translatif d’un droit réel ; un titre déclaratif tels le partage, la transaction, l’état descriptif de division d’un immeuble en copropriété, ou un titre translatif d’un droit personnel ne serait pas un juste titre, c’est-à-dire ne permettrait pas l’usucapion abrégée.
Il en résulte également que le titre ne doit pas être atteint d’une cause de nullité autre que la non-qualité de l’auteur. Mais ici une distinction doit être faite entre la nullité absolue et la nullité relative. Lorsque l’acte juridique, en vertu duquel le possesseur est entré en possession, était nul de nullité absolue, son bénéficiaire ne peut usucaper par 10 ans. Il en est autrement en cas de nullité relative. La jurisprudence a en effet admis que le titre, frappé de nullité relative, peut constituer un juste titre, donc conduire à l’usucapion abrégée. Cette différence entre la nullité absolue et la nullité relative se comprend aisément. En effet, qui peut se prévaloir de la nullité relative d’un acte juridique ? Uniquement une partie à l’acte, celle que le législateur a voulu protéger. Or, le revendiquant qui prétend que le possesseur ne peut pas se prévaloir de l’usucapion décennale, se fonde sur la nullité du titre d’acquisition du possesseur. Il se prévaut, lui tiers par rapport à l’acte d’acquisition, de la nullité de cet acte. Il peut le faire quand il s’agit de nullité absolue, l’action en nullité absolue étant ouverte à tout intéressé, il ne le peut pas quand il s’agit de nullité relative.
🢒 Juste titre émanant d’un propriétaire. –
On suppose maintenant que le possesseur a acquis du véritable propriétaire, « a non domino ». Le principe est qu’une telle acquisition ne peut pas servir à l’usucapion décennale : le possesseur qui a acquis « a non domino » n’a pas un juste titre susceptible de lui faire acquérir la propriété via la prescription acquisitive abrégée. Le but de l’usucapion de dix ans est, en effet, seulement de secourir le possesseur qui, par erreur, a traité a non domino. A première vue, la question ne paraît même pas se poser. Si c’est le véritable propriétaire qui a traité avec le possesseur, celui-ci n’est-il pas nécessairement, par le seul effet de son titre, devenu propriétaire ? Pourquoi se prévaudrait-il de l’usucapion abrégée ? Il existe pourtant deux cas lesquels le possesseur, bien qu’ayant traité avec le véritable propriétaire, n’a pas acquis la propriété.
Le premier cas consiste dans le fait que l’acte d’acquisition était atteint d’une cause de nullité. La question est alors de savoir si la personne qui passe avec le propriétaire un acte nul peut, au bout de dix ans, prétendre avoir acquis la propriété par l’usucapion abrégée ? La réponse est nécessairement négative : le titre nul émanant du véritable propriétaire n’est pas un juste titre.
Le second cas consiste dans le fait l’acte d’acquisition n’a pas été publié. La publication de l’acte d’acquisition n’est pas une condition de la prescription acquisitive abrégée. Cependant, le défaut de publication soulève une question délicate quand le possesseur a traité a non domino. Lorsque le propriétaire vend successivement le même immeuble à deux acquéreurs, l’acquéreur qui l’emporte n’est pas celui qui a acheté le premier, mais celui qui, le premier, a fait publier son droit. Voici un propriétaire qui vend son immeuble ; l’acquéreur néglige de publier ; le propriétaire vend une deuxième fois le même immeuble ; le second acquéreur fait publier ; le premier acquéreur devra s’incliner devant le second. Mais si le premier acquéreur s’est mis en possession, et s’il y est demeuré pendant 10 ans, la Cour de cassation décide qu’il peut se prévaloir de l’usucapion décennale contre le second. Or son titre d’acquisition émane du véritable propriétaire : son vendeur était propriétaire au moment de la vente. Voilà donc un cas exceptionnel où le juste titre permettant l’usucapion décennale émane du véritable propriétaire. Sauf dans ce cas, la prescription acquisitive abrégée ne bénéficie qu’au possesseur qui a acquis a non domino.
◇ Le titre putatif
🢒 Le juste titre, condition distincte de la bonne foi. –
Lorsqu’un titre est exigé comme un élément constitutif de la bonne foi, par exemple lorsqu’il s’agit de savoir si un possesseur peut faire les fruits siens, il se peut que le titre ne soit pas réel, qu’il soit putatif et n’existe que dans la pensée ou l’imagination du possesseur. À l’inverse, retenu en matière de prescription abrégée comme une condition distincte, le juste titre doit être un titre réel. Lorsque le titre d’acquisition n’existe que dans la croyance du possesseur, on le nomme titre putatif (de putare : croire). Voici l’acquéreur d’un immeuble. Il croit, par erreur, avoir acheté, outre un terrain, une parcelle contiguë, et il accomplit sur cette parcelle des actes de maître : il en est le possesseur de bonne foi. Peut-il au bout de dix ans se prévaloir de l’usucapion ? Son titre d’acquisition est putatif. La jurisprudence lui interdit l’usucapion décennale ; elle n’admet pas le titre putatif comme juste titre.
🢒 Titre affecté d’une condition. –
Une distinction s’impose selon que la condition est suspensive ou qu’elle est résolutoire.
S’il s’agit d’une condition suspensive, l’acte – par exemple, une vente – ne peut constituer un juste titre, ni pendant que la condition est en suspens, ni par l’effet rétroactif de la condition si elle s’est réalisée.
En revanche, un titre soumis à une condition résolutoire peut constituer un juste titre, de sorte que, si la condition ne se réalise pas ou se réalise après le délai de la prescription abrégée, ce titre peut servir de support à l’usucapion.
- Régime du délai
Qu’il s’agisse d’une prescription trentenaire ou d’une prescription abrégée, certaines règles doivent être respectées au sujet du calcul du délai et des événements qui peuvent entraîner sa suspension ou son interruption. La jonction des possessions appelle aussi des remarques particulières.
- Calcul du délai
Le délai se calcul par jours et non par heures (art. 2228 C. civ.). Le jour au cours duquel l’usucapion a commencé, ne compte pas et la prescription n’est acquise que lorsque le dernier jour du délai est écoulé (art. 2229 C. civ.).
Le compte des années se fait par quantième, c’est-à-dire par douze mois, sans tenir compte du nombre de jours de chaque mois. A défaut de quantième identique – par exemple un 29 février d’année bissextile, ou un 31 du mois – le délai expire le dernier jour du mois correspondant.
Le juge doit, pour calculer ce délai, se placer à la date de l’assignation et non au jour de sa décision.
- Jonction des possessions
L’usucapion serait rarement accomplie si l’on exigeait que la même personne ait possédé pendant tout le délai. L’article 2265 du Code civil permet au possesseur actuel de joindre à sa propre possession celle de son auteur ou des auteurs : « Pour compléter la prescription, on peut joindre à sa possession celle de son auteur, de quelque manière qu’on lui ait succédé, soit à titre universel ou particulier, soit à titre lucratif ou onéreux ».
L’article 2265 n’autorise ainsi la jonction des possessions que lorsqu’il y a eu transmission de la chose et de la même chose d’un auteur à un ayant cause ; si deux possesseurs successifs sont sans lien de droit, les deux possessions ne s’additionnent pas.
L’article 2265 ne souligne pas suffisamment que la jonction des possessions prend des aspects très différents selon que le possesseur actuel est un ayant cause universel ou un ayant cause particulier.
- Ayant cause universel ou à titre universel
La jonction des possessions constitue une véritable continuation de la possession commencée par l’auteur, lorsque le possesseur actuel est un ayant cause universel ou à titre universel, parce que celui-ci continue la personne du défunt. L’héritier étant placé dans la situation du de cujus, seule entre en ligne de compte la bonne ou la mauvaise foi de ce dernier. Par conséquent, si l’auteur était de bonne foi, l’héritier prescrit par dix ans, et ce nonobstant le fait qu’il soit de mauvaise foi. A l’inverse, si l’auteur était de mauvaise foi, l’héritier prescrit par trente ans, alors même qu’il est de bonne foi.
- Ayant cause à titre particulier
Lorsque le possesseur actuel est un ayant cause particulier du possesseur précédent – un acheteur ou un légataire particulier, par exemple –, on est en présence d’une véritable jonction des possessions, qui s’ajoutent, se joignent, chacune conservant ses caractères propres.
Il n’y a aucune difficulté lorsque l’auteur et l’ayant cause ont eu une possession de même qualité. Mais, lorsque les deux possessions sont de qualités différentes, l’une de bonne foi, l’autre de mauvaise foi, la règle est que le temps de la possession de la bonne foi peut compléter celui de la possession de mauvaise foi pour permettre au possesseur actuel de parvenir à l’usucapion trentenaire, tandis que le temps de la possession de mauvaise foi ne peut être compté dans le calcul de l’usucapion décennale. Ainsi lorsque l’auteur était de bonne foi et le possesseur actuel de mauvaise foi, les deux possessions se joignent, mais leur durée totale doit atteindre trente ans ; lorsque l’auteur était de mauvaise foi, le possesseur actuel étant de bonne foi, celui-ci peut joindre à la sienne la possession de son auteur, mais le délai total doit encore être de trente ans : son auteur ayant possédé pendant 25 ans, le possesseur actuel de bonne foi parvient à l’usucapion après 5 ans. Parfois, d’ailleurs, le possesseur de bonne aura intérêt à ne pas invoquer la jonction des possessions, et à compter seulement son propre temps ; il suffit de supposer que son auteur, qui était de mauvaise foi a possédé moins de 20 ans ; c’est alors sa propre usucapion décennale qu’il invoquera.
- Interruption et suspension de l’usucapion
- Interruption de l’usucapion
La possession est présumée non interrompue. Les rédacteurs du Code civil ont, par erreur, rangé l’interruption parmi les vices de la possession. L’interruption est plus qu’un vice, puisqu’elle efface la possession en supprimant le délai accompli. Elle brise de manière définitive le cours de la prescription, de telle sorte que le temps écoulé avant qu’elle ne se manifeste est dépourvu d’effet. En d’autres termes, si les conditions pour prescrire se trouvent de nouveau réunies ultérieurement, le délai déjà écoulé avant qu’il n’y ait eu interruption n’est pas pris en compte. La prescription recommencera à zéro.
Par faveur pour le possesseur, l’article 2264 du Code civil présume que le possesseur qui prouve que sa possession au début et à l’expiration du délai a possédé sans interruption pendant tout le délai intermédiaire. Cette présomption tombe devant la preuve contraire.
On peut classer les différentes causes d’interruption de la prescription acquisitive en deux catégories.
◇ L’interruption dite civile
L’interruption civile résulte de la privation de jouissance de la chose.
Il est logique que l’intervention du titulaire du droit, manifestant son intention de l’exercer, interrompe la prescription. L’effet interruptif de l’intervention du propriétaire tient encore à des considérations de pratique et d’équité car, le procès risquant de durer, il ne faut pas que la prescription s’accomplisse en cours de litige ; il est lié aussi à la nature du jugement faisant éventuellement droit à la réclamation du propriétaire, car les jugements déclaratifs de droits rétroagissent au jour de la demande.
L’interruption peut résulter d’une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d’exécution ou un acte d’exécution forcée (art. 2244 C. civ.).
En outre, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription. Il en est de même lorsqu’elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure (art. 2241). Le législateur a considéré que les règles sur la compétence et celles afférentes à la procédure sont délicates et qu’il serait trop rigoureux de détruire l’effet de la demande en justice quant à l’interruption de prescription en raison d’une erreur sur la compétence ou d’un vice de procédure. En revanche, l’interruption est regardée comme non avenue, si le demandeur se désiste de sa demande, s’il laisse périmer l’instance ou si sa demande est rejetée (art. 2243), quelle que soit la cause de ce rejet ; à vrai dire, dans l’hypothèse d’un rejet de la prétention, il arrivera que le possesseur ait aussi la possibilité de s’abriter ensuite derrière l’autorité de la chose jugée.
L’effet interruptif de la prescription attaché à l’interruption émanant du véritable propriétaire est relatif : seul l’auteur de la citation peut s’en prévaloir ; et celle-ci ne peut nuire qu’à son destinataire et à ses ayants cause.
◇ L’interruption dite naturelle
L’interruption naturelle de l’usucapion découle du fait que le possesseur est privé, contre sa volonté, de la possession de la chose.
La perte du corpus entraîne immédiate de la possession pour les meubles. Au contraire, pour les immeubles, la privation du corpus n’entraîne perte de la possession qu’après un délai d’un an. Il y a interruption naturelle « lorsque le possesseur d’un bien est privé pendant plus d’un an de la jouissance de ce bien soit par le propriétaire, soit même par un tiers » (art. 2271 C. civ.). Cette règle s’explique par celle qu’édicte l’article 1264 du Nouveau Code de procédure civile, qui accorde les actions possessoires pendant l’année du trouble de possession. Durant cette année, le possesseur de l’immeuble peut demander à être rétabli dans sa possession depuis le jour du trouble ; ainsi grâce à cette fiction de rétroactivité, tout se passe comme si le possesseur n’avait jamais été privé de sa possession. Au contraire, lorsque le délai d’un an est écoule depuis le jour de la dépossession, le possesseur a perdu les actions possessoires, et ne peut plus recouvrer judiciairement la possession. S’il parvenait, par la suite, à reprendre possession de la chose, une nouvelle possession, sans lien avec la première, prendrait naissance.
- Suspension de l’usucapion
La suspension a pour effet de paralyser de manière temporaire le cours du délai de l’usucapion, soit en empêchant celle-ci de commencer son cours – du fait, par exemple, de la minorité du propriétaire –, soit, s’il a commencé, en empêchant de tenir compte de la période de temps durant laquelle la suspension a produit effet ; en pareil cas, la prescription reprendra son cours dès que l’obstacle à la prescription disparaîtra, le temps écoulé antérieurement à la suspension restant acquis. Si la prescription trentenaire venait à être suspendue au bout de vingt ans de possession, il suffirait de dix ans pour que la prescription soit accomplie.
L’usucapion ne peut courir contre le titulaire d’un droit simplement éventuel, d’un droit conditionnel ou même à terme. Cette règle s’explique par l’adage contra non valentem agere non currit praescriptio ; le délai ne commencera à courir que lorsque le propriétaire sera devenu propriétaire pur et simple. C’est dans cette ligne que l’article 2244 du Code civil dispose : « La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ».
En outre, il résulte de l’article 2235 du Code civil que, de manière générale au sujet de la prescription acquisitive, la prescription ne court pas contre les mineurs non émancipés et les majeurs en tutelle. La loi craint la négligence du représentant légal de l’incapable qui laisserait l’usucapion s’accomplir à son détriment.
Par ailleurs, la prescription ne court pas entre époux, ainsi qu’entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité (art. 2236 C. civ.). Si l’un d’eux pouvait usucaper les biens de l’autre, ce dernier devrait, pour interrompre la prescription, citer son conjoint ou son partenaire en justice.
Section III – Effets de la prescription acquisitive
- 1. – Déclenchement du mécanisme de la prescription acquisitive
Pour des raisons de sécurité et d’ordre public, le législateur permet au possesseur d’acquérir la propriété. Mais il n’a pas voulu obliger le possesseur à profiter de cette acquisition, à devenir propriétaire malgré lui, s’il estime cette acquisition malhonnête et contraire à la morale. En conséquence, le possesseur ne bénéficiera de l’usucapion que s’il invoque expressément. Il pourra, d’autre part, renoncer à l’usucapion accomplie.
- Nécessité d’invoquer la prescription
Dans le procès en revendication dirigé contre lui par le propriétaire, le possesseur demeure libre de ne pas soulever le moyen tiré de l’usucapion. S’il ne prévaut pas lui-même de la prescription acquisitive, le juge ne saurait suppléer d’office ce moyen (art. 2247).
Toutefois, dans l’hypothèse où le possesseur serait insolvable, et où, par suite, le refus de faire entrer le bien usucapé dans son patrimoine nuirait à ses créanciers, ceux-ci ont le droit, comme toute personne y trouvant un intérêt, de se prévaloir de l’usucapion à la place du débiteur (art. 2253 C. civ.). L’article 2253 du Code civil complète l’article 1167 relatif à l’action paulienne. Cette action n’est donnée qu’au cas où le débiteur, faisant sortir un bien de son patrimoine, diminue celui-ci ; elle est refusée lorsque le débiteur néglige de s’enrichir.
- Possibilité de renoncer à la prescription
- Le possesseur peut renoncer à la prescription
Alors même que l’usucapion aurait été acquise et reconnu, le possesseur peut y renoncer. On considère qu’une obligation naturelle de restitution pèse sur lui. Il en résulte que la restitution ne constituera pas une libéralité, et que, d’autre part, la convention par laquelle le possesseur renonce à l’usucapion accomplie et promet de restituer la chose, crée à sa charge une obligation civile de restitution.
La renonciation n’est soumise à aucune forme ; elle peut expresse ou tacite. La renonciation tacite résulte de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de la prescription (art. 2251 C. civ.).
La règle selon laquelle il est interdit de renoncer d’avance à la prescription ne concerne, à l’évidence, que la prescription extinctive. En effet, en matière de prescription acquisitive, la renonciation du possesseur devrait être considérée comme une reconnaissance du droit du propriétaire, donc comme une cause d’interruption civile.
Les créanciers du possesseur peuvent invoquer l’usucapion, malgré la renonciation qui reste valable, mais ne leur est pas opposable.
- Effets de la renonciation
Lorsque le possesseur renonce au bénéfice de l’usucapion accomplie, il est considéré comme n’ayant jamais été propriétaire : la renonciation à l’usucapion est rétroactive (de même qu’est rétroactive l’acquisition de la propriété par l’usucapion). Tout se passe comme si l’ancien propriétaire était demeuré propriétaire. En voici les conséquences :
- Tous les droits consentis sur la chose par le propriétaire se trouvent consolidés, tandis que ceux accordés par le possesseur, même après l’accomplissement du délai, sont anéantis. Du moins, les personnes au profit de qui le possesseur a constitué des droits sur la chose pourront s’opposer à la renonciation (art. 2253 C. civ.), mais seulement, bien entendu, dans la mesure où cette renonciation nuit à leurs droits.
- Etant une simple reconnaissance des droits du propriétaire, un acte purement abdicatif et non translatif, la renonciation n’a pas à être acceptée : c’est un acte unilatéral. Mais comme elle est un acte juridique, elle ne peut émaner que d’une volonté saine et d’une personne capable.
- N’étant pas translative de propriété, la renonciation n’entraîne la perception d’aucun droit de mutation. Le bien est considéré comme n’ayant pas quitté le patrimoine du propriétaire, comme n’ayant fait l’objet d’aucune mutation.
- 2. – Conséquences de la prescription acquisitive
- Acquisition de la propriété
La prescription fait acquérir au possesseur la propriété ou le droit exercé, à supposer qu’il ne l’ait pas déjà lors de sa prise de possession. Mais en tout état de cause la prescription crée au profit du possesseur un titre nouveau et inattaquable. Cela ne veut pas dire que le droit de propriété fondé sur la prescription ne puisse être grevé de certaines charges. Si l’immeuble était grevé de droits réels, ceux-ci subsistent nonobstant la prescription acquisitive qui n’a agi que sur la propriété, et non sur les charges qui la grevaient : servitudes, usufruit, hypothèques. Sans doute le possesseur du fonds peut aussi prescrire à l’encontre de ces charges, mais c’est alors une prescription distincte de celle qui concerne la propriété. Ainsi, lorsque le possesseur a acquis a non domino un immeuble grevé d’une servitude, la prescription acquisitive de la propriété n’éteint pas la servitude, à moins qu’il n’ait possédé le bien comme libre de charges.
- L’acquisition de la propriété se produit rétroactivement
- Fondement de la rétroactivité
L’acquisition de la propriété se produit rétroactivement ; tout se passe comme si le possesseur avait acquis la chose dès le jour de la prise de possession.
Cette règle a pour but de protéger les tiers, qui, en raison de l’apparence, ont traité avec le possesseur. Il serait inique que leurs droits, constitués par le possesseur, puissent être méconnus par celui-ci, devenu propriétaire de la chose.
- Conséquences de la rétroactivité
– Le possesseur, après l’usucapion accomplie, étant considéré, par suite de la fiction de rétroactivité, comme propriétaire depuis l’origine de la possession, tous les actes qu’il a passés sur la chose, tous les droits qu’il a concédés sur elle pendant l’accomplissement du délai, se trouvent rétroactivement validés. A l’inverse, les droits consentis par le propriétaire pendant ce même délai tombent rétroactivement du jour où l’usucapion est accomplie : car il est censé avoir perdu la propriété dès la prise de possession. Les droits des ayants cause du propriétaire se trouvent donc sacrifiés ; mais il ne peut en être autrement si l’on veut protéger les tiers qui ont traité avec le possesseur sur la foi de l’apparence.
– Lorsque le propriétaire revendique sa chose avant que l’usucapion ne soit accomplie, il peut réclamer les fruits perçus par le possesseur de mauvaise foi. Mais l’usucapion, dès qu’elle est accomplie, dispense le possesseur de la restitution des fruits. Il est, en effet, considéré comme propriétaire depuis l’origine de sa possession ; ce n’est donc pas seulement comme possesseur, mais en qualité de propriétaire qu’il a perçu les fruits.
– Dans les régimes les régimes de communauté, pour savoir si un bien est commun ou propre, il faut souvent rechercher s’il appartient à l’un des futurs époux avant le mariage ou s’il a été acquis au cours du mariage. Le législateur traite comme biens acquis avant le mariage ceux dont l’usucapion a commencé avant le mariage, quoique le délai de la prescription n’ait été accompli qu’au cours du mariage.
CHAPITRE II. – L’USUCAPION EN TANT QUE MODE DE PREUVE DE LA PROPRIETE IMMOBILIERE
Pour faire constater l’usucapion, la pratique a souvent recours à un acte de notoriété établi par un notaire. Ce qui nous amène dès lors à savoir si de tel acte est réellement un moyen de preuve de la prescription acquisitive (Section II). Cependant, avant d’aborder ce sujet, il importe de savoir l’objet et la charge de la preuve (Section I).
Section I – L’objet et la charge de la preuve
Le droit français ne connaît aucune espèce de procédure de vérification publique des droits de propriété immobilière, se traduisant par la délivrance d’un titre officiel et inattaquable. Bien plus, le Code civil ne propose aucune règle spécifique relative à la manière dont le propriétaire peut ou doit faire la preuve de son droit. L’article 1350-2° fait seulement une allusion à la prescription, en citant, au titre des présomptions légales, « les cas dans lesquels la loi déclare la propriété ou la libération résulter de certaines circonstances déterminées ». Cette lacune du code ne doit pas étonner. Ses dispositions n’envisagent jamais la preuve directe des droits. Est réglementée seulement la preuve des actes ou des faits juridiques d’où résulte l’existence des droits.
La preuve d’un tel acte (contrat, donation, testament) ou fait (dévolution successorale, usucapion), suivant les règles du droit commun de la preuve, n’est cependant elle-même que partiellement satisfaisante. La propriété immobilière présente, en effet, la particularité singulière d’être rebelle à l’administration d’une preuve parfaite et irréfutable. Celui qui parvient à établir qu’il tient régulièrement son droit de propriété de tel auteur, par convention ou succession, devrait prouver en outre que son auteur a lui-même régulièrement acquis son droit d’un auteur antérieur, qui l’a lui-même acquis d’un auteur précédent, et ainsi de suite jusqu’à l’infini. Indépendamment même de l’inéluctable imperfection des éléments de preuve disponibles, une pareille remontée dans le temps se heurte à une impossibilité radicale, d’où l’appellation de « probatio diabolica » donnée par les anciens à la preuve de la propriété.
À défaut de règles légales, jurisprudence et doctrine ont néanmoins élaboré un système de preuve du droit de propriété immobilière. Quid alors de l’objet de la preuve (§ 1) ainsi que sa charge (§ 2) ?
- 1. – Objet de la preuve
Pour déterminer l’objet de la preuve, il importe de comprendre qu’il n’existe pas dans notre droit de preuve directe et formelle de la propriété. La préconstitution de la preuve du droit de propriété immobilier est impossible. En matière contractuelle, un créancier peut se munir d’une preuve préconstituée, car il connaît à l’avance la personne contre laquelle il aura à exercer son droit. Le droit de propriété, qui est opposable à tous, ne pourrait être prouvé contre tous par un écrit ayant une force probante absolue que si le propriétaire d’un immeuble tenait de l’État un titre officiel établissant l’existence de son droit. En l’absence d’un tel système, il ne peut être question d’une preuve parfaite de la propriété, opposable erga omnes.
De ce fait, il s’opère inéluctablement un déplacement de l’objet de la preuve. Puisque le propriétaire n’est pas à même de produire un titre établissant de manière irréfutable son droit et que la preuve directe du droit de propriété est impossible, il doit se contenter d’invoquer les actes et les faits juridiques qui rendent vraisemblable l’existence de son droit, qui lui fournissent la preuve d’un droit meilleur ou plus probable que celui de son adversaire, la jurisprudence se contentant de preuves indirectes, présumant la propriété à partir de circonstances qui peuvent être plus facilement connues. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner de voir la Cour de cassation affirmer, au singulier et remarquable visa de l’article 544, « que la propriété d’un bien se prouve par tous moyens ».
- 2. – Charge de la preuve
- Droit commun
La charge de la preuve incombe au demandeur, conformément au droit commun. C’est à celui qui se prétend propriétaire qu’il appartient d’établir la réalité de son droit. S’il ne peut fournir cette preuve, son action est vouée à l’échec, même si le défendeur se contente d’une attitude purement passive et n’offre aucun élément de preuve de son propre droit. Il en est encore ainsi si le demandeur démontre seulement l’absence de droit de propriété du défendeur. C’est le bien-fondé de sa propre prétention que le demandeur doit positivement établir.
- Incidences du régime de la possession
Outre sa qualité de défendeur, l’adversaire du revendiquant a généralement aussi celle de possesseur. Il bénéficie, de ce fait, de la présomption de propriété attachée à cette qualité. Ce rappel permet de souligner l’importance des actions possessoires pour le véritable propriétaire. Chaque fois qu’il est en situation de se prévaloir de la qualité de possesseur évincé, il a un intérêt évident à opter pour cette dernière voie, en intentant une action possessoire, plus précisément l’action en réintégration, plutôt que l’action en revendication. La preuve du fait de la possession est plus aisée à rapporter que celle du droit de propriété. S’il triomphe dans son action possessoire, il se retrouve lui-même dans la position confortable de défendeur pour le cas où une action en revendication serait dirigée contre lui, en particulier par celui qu’il a pu, par ce moyen, évincer de la possession de l’immeuble.
En outre, même si le demandeur ne peut agir au possessoire – par exemple si les conditions de délai ne sont pas remplies – et s’il n’a d’autre ressource que de revendiquer la propriété du bien, c’est encore la possession qui, dans bien des cas, fournira au revendiquant le meilleur moyen d’obtenir gain de cause : il suffira qu’il puisse prouver que sa possession antérieure, jointe éventuellement à celle de ses auteurs, le désigne comme légitime propriétaire par prescription acquisitive. Cette incidence de la possession relève cependant du problème des modes de preuve de la propriété et non plus de celui de la charge de la preuve.
Section II – L’acte de notoriété acquisitive, un moyen de preuve de l’usucapion ?
Il n’est pas rare que le possesseur d’un immeuble donné n’ait pas en sa possession un titre de propriété régulier lui conférant toutes les prérogatives que l’on peut avoir sur un bien, c’est-à-dire l’usus, l’abusus et le fructus. Toutefois, comme il a été évoqué tout au début, la loi reconnaît audit possesseur la qualité de propriétaire dès lors que sa possession remplit les conditions afférentes à l’usucapion et revêt certains caractères. Auquel cas, le notaire dressera un acte dit de notoriété acquisitive afin de conforter la possession. Zoom sur la nature (§ 1), les règles afférentes à la rédaction (§ 2) et les effets dudit acte (§ 3).
- 1. – Nature de l’acte de notoriété acquisitive
- Définition de l’acte de notoriété acquisitive
Un acte de notoriété est « un document par lequel un officier public recueille des témoignages en vue d’établir une circonstance ou un fait matériel qu’un grand nombre de personnes ont pu constater. C’est la preuve par commune renommée ».
A partir de cette définition, on peut avancer la définition suivante quant à la notion d’acte de notoriété acquisitive : c’est un acte instrumentaire faisant état des déclarations de plusieurs personnes attestant l’acquisition de la propriété d’un bien immobilier par usucapion.
- Caractères de l’acte de notoriété acquisitive
Un acte de notoriété acquisitive revêt les caractères d’un acte authentique. Aussi, ledit acte, de par l’authenticité que le notaire lui confère, a date certaine et force probante.
Contrairement à l’acte sous seing privé, qui ne fait foi, de la date qu’il porte qu’entre les parties et leurs héritiers et ayants cause, l’acte notarié fait foi de sa date également à l’égard des tiers (art. 1319 C. civ.).
La force probante conférée à l’acte de notoriété acquisitive signifie que celui-ci fait foi à l’égard des tiers des faits que le notaire y a constatés dans l’exercice de ses fonctions. Si par exemple, il est écrit que depuis plus de 30 ans, Mr X a exercé une possession continue et ininterrompue, paisible, publique non équivoque et à titre de propriétaire de telle parcelle, cet élément fait foi jusqu’à inscription de faux.
- 2. – Règles afférentes à la rédaction de l’acte de notoriété acquisitive
Comme tout acte notarié, l’acte de notoriété acquisitive est soumis quant à leur forme, à une réglementation résultant pour l’essentiel du décret 71-941 du 26 novembre 1971, lequel a été profondément modifié et enrichi par le décret 2005-973 du 10 août 2005 pour permettre à l’acte authentique électronique de voir le jour par application de l’article 1317, al. 2 du Code civil. Ces modifications sont entrées en vigueur le 1er février 2006, de sorte que depuis cette date l’acte notarié peut être dressé et conservé sur support électronique.
La plupart des dispositions antérieures du décret 71-941 du 26 novembre 1971 ont été maintenues en ce qui concerne les actes établis sur papier, voire même pour les deux types d’actes, mais l’ensemble du texte a été réécrit de sorte que la plupart des références à ce décret se trouvent modifiées.
Parmi les dispositions communes, il convient de signaler, outre celles relatives aux incapacités personnelles, ou aux témoins, celles relatives aux énonciations obligatoires des actes (Décret 71-941 art. 6). Selon ce texte, l’acte, quel que soit son support, doit énoncer : le nom et le lieu d’établissement du notaire instrumentaire, les nom et domicile des témoins, le lieu où l’acte est passé, la date à laquelle est apposée chaque signature, les nom, prénoms et domicile des parties et de tous les signataires de l’acte, et enfin la mention que cet acte a été lu par les parties ou que lecture leur en a été donnée. Concernent également tous les actes notariés, quel qu’en soit le support, les règles relatives à l’usage des abréviations, et à l’indication en lettres de certaines sommes ou dates (Décret 71-941 art. 8).
Par contre, certaines dispositions relatives à la présentation matérielle du texte, au barrement des blancs, à la numérotation des pages, à l’emplacement des renvois et à leur paraphe par les parties et le notaire ne sont maintenues que pour les actes sur support papier (Décret 71-941 art. 11 à 15).
Depuis le décret du 2 thermidor an II, les actes notariés doivent être rédigés en langue française, de sorte que lorsque les parties ou l’une d’entre elles ne comprennent pas le français, leur volonté manifestée dans leur langue maternelle doit être traduite et exprimée en français, soit par le notaire ou le clerc habilité, soit par un interprète. Une exception concerne les notaires d’Alsace-Lorraine, qui peuvent recevoir des actes en langue allemande, si les parties le requièrent expressément et déclarent ignorer le français.
- 3. – Effets attachés à l’acte de notoriété acquisitive
Comme évoqué ci-avant, pour faire constater la prescription acquisitive, la pratique a recours à un acte de notoriété acquisitive, lequel enregistre les attestations de déclarants attestant qu’un fait, à leur connaissance personnelle, est de notoriété publique.
Cependant, la jurisprudence affirme de manière constante que l’existence d’un acte notarié constant une usucapion ne peut, par elle-même, établir celle-ci ; néanmoins, il appartient au juge d’en apprécier la valeur probante quant à l’existence d’actes matériels de nature à caractériser la possession invoquée. Ainsi, les juges ne peuvent rejeter l’acte notarié en se fondant sur deux témoignages et une partie du rapport de l’expert, désigné au cours d’une action en bornage antérieur, et constant que la parcelle en cause était un chemin d’exploitation, propriété des riverains. Aussi, nonobstant la grande autorité de l’acte notarié, celui-ci ne permet-il pas à lui seul de prouver la possession.
Par ailleurs, il importe de rappeler qu’un détenteur précaire ne peut prescrire que si le titre de sa possession se trouve interverti, notamment, par la contradiction qu’il a opposé au droit du propriétaire. Ainsi, si une telle personne, titulaire d’un acte de notoriété acquisitive, établit avoir réalisé depuis plus de 30 ans un certain nombre d’actes d’exploitation sur une parcelle de terre donnée, de tel actes ne caractérisent pas la volonté de se comporter en tant que propriétaire, dans la mesure où ils peuvent être effectués à titre de détenteur précaire. En outre, l’interversion de titre n’est intervenue qu’au jour où cette personne a fait connaître qu’il se considérait comme propriétaire, notamment au jour de la publication de l’acte de notoriété acquisitive à la conservation des hypothèques. Aussi, le point de départ l’usucapion devant être fixé à cette date.
CONCLUSION
Bien que toute conclusion soit périlleuse, et nécessairement partielle ou partiale, trois remarques peuvent être faites au terme de tout ce qui vient de précéder.
La possession peut conduire à la propriété, ce qui est dans la logique des choses, dans la mesure où la propriété n’est qu’une possession d’une certaine qualité. Et parmi les modes d’acquisition de la propriété qui reposent sur la possession, on a la prescription dite acquisitive ou usucapion. Toutefois, si l’usucapion a une fonction acquisitive de la propriété, notamment de la propriété immobilière, elle a aussi une fonction probatoire.
Pour acquérir la propriété d’un bien via l’usucapion, un certain nombre de conditions doit être respecté (v. supra Partie II – Chapitre I – Section II). Et généralement, pour faire constater la prescription acquisitive, que lesdites conditions sont remplies, la pratique notariale a donné naissance à l’acte dit de notoriété acquisitive. Cependant, le notaire, avant d’établir un tel acte, doit avoir une certaine maîtrise des règles relatives à ce mode d’acquisition de la propriété qu’est la prescription acquisitive afin de se parer à la mise en jeu de sa responsabilité.
Les notaires sont responsables des fautes qu’ils commettent dans l’accomplissement de leurs tâches en tant qu’officier public ; cette responsabilité peut être mise en jeu non seulement à l’égard des parties aux actes qu’ils établissent, mais aussi vis-à-vis des tiers auxquels ces fautes peuvent être préjudiciables. Si la mission du notaire se limite à authentifier les dires des déclarants sans qu’il y ait vérification de leur contenu, il engage toutefois sa responsabilité lorsqu’il consent à établir un acte de notoriété nonobstant le fait que les circonstances ou ses connaissances personnelles sont de nature à mettre en doute la véracité des propos des déclarants et l’effectivité des faits dont ils prétendent conforter. Aussi, le notaire doit-il est être particulièrement diligent et avoir une certaine rigueur lorsqu’il est amené à établir un acte de notoriété.
TABLE DES MATIÈRES
Principales abréviations 1
Sommaire 2
Introduction 3
PARTIE I – LA POSSESSION
Chapitre I. – Les éléments constitutifs de la possession 7
Section I – Les composantes de la possession 9
- 1. – La notion de possession 9
- Possession et détention 9
- Possession et propriété apparente 10
- 2. – Les éléments de la possession 10
- Elément matériel : corpus 10
- Définition 10
- La possession « corpore alieno » 11
- Acquisition du corpus 11
- Elément intentionnel : animus 11
- Preuve de l’animus 11
- Règles relatives à l’animus lors de l’entrée en possession 12
– Présomption de l’animus domini 12
– Appréciation de l’animus 12
- Règles afférentes au changement de l’animus 12
– Interversion de titre provenant d’un tiers 13
– Interversion de titre par contradiction opposée au droit
du propriétaire 13
Section II – La réunion et la dissociation des éléments constitutifs de la possession 14
- 1. – Acquisition de la possession 14
- 2. – Perte de la possession 15
- Perte simultanée des deux éléments de la possession 15
- Perte de la possession par la perte de l’animus seul 15
- Perte de la possession par la perte du corpus seul 16
- Chose possédée meuble 16
- Chose possédée immeuble 16
Chapitre II. – Conditions d’efficacité et effets de la possession 18
Section I – Absence de vices relatifs 19
- 1. – Vice de violence 19
- 2. – Vice de clandestinité 19
Section II – Absence de vices absolus 19
- 1. – Vice de discontinuité 20
- 2. – Vice d’équivoque 20
Section III – Une possession vicieuse 21
PARTIE II – L’ACQUISITION DE LA PROPRIETE D’UN BIEN IMMOBILIER PAR LA POSSESSION
Chapitre I. – La prescription acquisitive 23
Section I – Fonction probatoire de la prescription acquisitive 24
Section II – Conditions de l’usucapion 25
- 1. – Choses susceptibles de possession 25
- 2. – Conditions relatives aux qualités de la possession 26
- Une possession non viciée 26
- Les actes de simple tolérance ou de pure faculté ne peuvent fonder
la prescription acquisitive 27
- 3. – Conditions relatives au délai 27
- Durée du délai 28
- La prescription trentenaire 28
- La prescription de dix ans ou prescription abrégée 28
- Domaine d’application de la prescription abrégée 28
- La bonne foi 29
– Présomption de bonne foi 29
– A quel moment s’apprécie la bonne foi ? 29
- Le juste titre 30
– Motif d’inefficacité du titre 31
- Juste titre émanant d’un non-propriétaire 31
- Juste titre émanant d’un propriétaire 32
– Le titre putatif 33
- Juste titre, condition distincte de la bonne foi 33
- Titre affecté d’une condition 33
- Régime du délai 33
- Calcul du délai 33
- Jonction des possessions 34
- Ayant cause universel ou à titre universel 34
- Ayant cause à titre particulier 34
- Interruption et suspension de l’usucapion 35
- Interruption de l’usucapion 35
– Interruption dite civile 35
– Interruption dite naturelle 36
- Suspension de l’usucapion 36
Section III – Effets de la prescription acquisitive 37
- 1. – Déclenchement du mécanisme de la prescription acquisitive 37
- Nécessité d’invoquer la prescription 37
- Possibilité de renoncer à la prescription 37
- Le possesseur peut renoncer à la prescription 37
- Effets de la renonciation 38
- 2. – Conséquence de la prescription acquisitive 38
- Acquisition de la propriété 38
- L’acquisition de la propriété se produit rétroactivement 38
- Fondement de la rétroactivité 38
- Conséquences de la rétroactivité 39
Chapitre II. – L’usucapion en tant que mode de preuve de la propriété
immobilière 40
Section I – L’objet et la charge de la preuve 41
- 1. – Objet de la preuve 41
- 2. – Charge de la preuve 42
- Droit commun 42
- Incidences du régime de la possession 42
Section II – L’acte de notoriété acquisitive, un moyen de preuve de l’usucapion ? 43
- 1. – Nature de l’acte de notoriété acquisitive 43
- Définition de l’acte de notoriété acquisitive 43
- Caractères de l’acte de notoriété acquisitive 43
- 2. – Règles afférentes à la rédaction de l’acte de notoriété acquisitive 44
- 3. – Effets attachés à l’acte de notoriété acquisitive 44
Conclusion 46
Table des matières 47
Bibliographie 50
BIBLIOGRAPHIE
–oo0oo–
⃰ Ouvrages. –
- Atias, Droit civil, Les biens, 8e éd. 2005 ;
- Carbonnier, Droit civil, t. 3, Les biens, monnaie, immeubles, meubles, 19e éd. 2000 ;
Ch. Caron et H. Lécuyer, Le droit des biens, 2002 ;
- Cornu, Droit civil, Introduction, Les personnes, Les biens, 12e éd. 2005 ;
- Ghestin, Traité de droit civil, Les biens, par J.-L. Bergel, M. Bruschi et S. Cimamonti, 2000 ;
- Larroumet, Droit civil, t. II, Les biens, droits réels principaux, 4e éd. 2004 ;
- Malaurie, L. Aynès, et PH. Théry, Droit civil, Les biens, 2e éd. 2005 ;
- Marty et P. Raynaud, Les biens, par P. Raynaud, 2e éd. 1980 ;
H., L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, t. II, 2e vol., Biens : droit de propriété et ses démembrements, par F. Chabas, 8e éd. 1994 ;
- Mémeteau, Droit des biens, 3e éd. 2005 ;
- Morand-Deviller, Cours de droit administratif des biens, éd. 2005 ;
- Reboul-Maupin, Droit des biens, Dalloz, Coll. Hyper-Cours, 2006 ;
- Schiller, Droit des biens, 2e éd. 2005 ;
Ph. Simler, Les biens, PU Grenoble, 3e éd. 2006 ;
J.-B. Seube, Droit des biens, 3e éd. 2006 ; Y. Strickler, Les biens, Coll. Thémis, PUF 2006 ;
- Zénati et Th. Revet, Les biens, 6e éd. 2002.
⃰ Articles. –
- Jestaz, Prescription et possession en droit français des biens, D. 1984, chron. 27 s ;
G-A. Likillimba, La possession corpore alieno, RTD civ. 2005, 1 s. ;
- Omarjee, Pratique notariale de la prescription trentenaire : l’acte de notoriété acquisitive, la Semaine Juridique Notariale et Immobilière – 29 Octobre 2010 – n° 43 ;
- Biguenet-Maurel, D. Lepeltier, Responsabilité civile du notaire, Editions Francis Lefebvre, 2012.
⃰ Codes et textes législatifs. –
Code de procédure civile 2013, Dalloz, 2012 ;
Méga Code civil 2012, sous la direction de Xavier Henry, Dalloz, 2011 ;
Loi n°2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.
Mémoire de fin d’études de 73 pages.
€24.90