Mémoire portant sur le droit de vote des étrangers en droit international.
Introduction
Débattre de la question du droit de vote des étrangers semble un peu irréaliste dans le contexte du droit international actuel où, paradoxalement, à l’heure où l’on ne jure plus que par la mondialisation, les Etats se montrent de plus en plus jaloux de leur souveraineté nationale. Et pourtant, il s’agit là d’un sujet qui est particulièrement d’actualité dans la mesure où elle a été un des enjeux de la campagne présidentielle[1]. Le droit de vote accordé aux étrangers ne semble alors plus aussi impossible et incongru dans la mesure où sa reconnaissance pourrait se réaliser prochainement au bénéfice des étrangers résidants en France, et cela lors des élections municipales.
La question du droit de vote pour les étrangers n’est pas une nouveauté en France, en effet, elle a déjà fait l’objet de nombreuses discussions, et a notamment fait parti du programme du Parti Socialiste en 1978. Et pour remonter plus loin encore dans l’histoire, la question a été évoquée au lendemain de la Révolution Française, à l’heure où les nouveaux décideurs étaient très engagés dans la mise en œuvre du principe selon lequel « tous les hommes naissent libres et égaux en droit»[2].
Et pourtant même au plus fort de la ferveur et de l’engouement pour cette égalité entre les hommes dès la naissance, le droit de vote aux étrangers n’a pas réussi à rallier toutes les opinions. En effet, il est un fait que l’étranger a toujours suscité la méfiance des nationaux, que ce soit en France ou dans d’autres pays : l’étrangers est toujours accueilli avec beaucoup de réserve de la part des natifs d’un pays et cela parce qu’ils sont « différents »[3].
Mais il est également un fait que la France a toujours accueilli et accueille toujours un bon nombre d’étrangers, mondialisation oblige. Ainsi, à titre d’illustration nous pouvons citer le fait que « en France un habitant sur trois est d’origine étrangère à la première, la deuxième ou la troisième génération ; dans les années 20 ce pays compte le taux d’immigration le plus fort du monde, avant même les USA »[4].
Ce sont des éléments qui ne peuvent être ignorés et qui ont poussé les décideurs publics à se pencher sérieusement sur la question de ces étrangers. En effet, il a bien fallu règlementer la condition des étrangers et cela non seulement pour protéger les français mais également pour faire reconnaître à ces derniers que les étrangers ont aussi des droits.
Les décideurs publics ont ainsi œuvré de manière à ce que la xénophobie qui dominait à la genèse du droit français des étrangers perde du terrain, de sorte que les étrangers ont pu acquérir progressivement des droits plus ou moins égaux à ceux des nationaux dans certains domaines. Cependant, ils n’ont pas changé de position en ce qui concerne les domaines pouvant mettre en jeu la souveraineté nationale.
Dans ces domaines, on assiste alors au retour en force du critère de la Nationalité qui est la condition prépondérante dans l’exercice de certains droits comme la participation à la vie politique de l’Etat par exemple. Participation qui se matérialise dans le droit de vote, qui est donc encore refusé aux étrangers.
Notre travail traite justement de la question du droit de vote des étrangers. Une question qui est encore d’actualité car malgré les différents rebondissements en la matière, qui sont allés du déni le plus catégorique à un début d’acceptation très prometteur[5], les débats restent ouverts et passionnés.
Le fait est que le système de droit actuel, que ce soit interne ou international, n’est pas très favorable, à quelques exceptions près, au droit de vote pour les étrangers. La raison la plus souvent invoquée est l’absence de lien juridique ferme entre l’étranger en question et son Etat d’accueil. Un lien juridique qui est la nationalité.
La question qui se pose à ce stade de notre réflexion est alors en quoi le lien juridique de la nationalité est-il indispensable dans la reconnaissance du droit de vote accordé aux étrangers non communautaire ?
La précision de notre question n’est pas anodine en ce qui concerne l’allusion aux étrangers non communautaires. En effet, depuis l’avènement de la Communauté Européenne d’abord et de l’Union Européenne ensuite[6], une nouvelle catégorie d’étranger est apparue, les étrangers issus de l’Union qui jouissent d’un droit tout à fait différent des étrangers non communautaires et qui bénéficient d’un traitement nettement plus favorable de la part des Etats membres de l’Union Européenne.
L’intérêt de notre questionnement réside dans le fait qu’en répondant à cette question, nous aurons une idée de la faisabilité juridique de l’octroi du droit de vote aux personnes ne justifiant pas de la nationalité française. Et pour ce faire, nous allons nous allons voir dans une première partie l’état du droit positif en matière de droit de vote des étrangers (I), avant de nous intéresser à la question des moyens juridiques qui pourraient permettre l’octroi du droit de vote aux étrangers au niveau des élections locales (II).
- Le droit de vote des étrangers en droit positif
La question du droit de vote est fortement imbriquée à la nationalité dans le droit positif français, or la nationalité est considérée aujourd’hui encore comme l’un des piliers de la souveraineté nationale. Elle est donc jalousement protégée par les Etats, raison pour laquelle la distinction nationaux/étrangers est encore d’actualité.
La première question qui se pose est alors, qui est l’étranger ? En France, la qualité d’étranger est reconnue à toute personne qui n’a pas la nationalité française. C’est un principe qui est posé par les textes relatifs au Code de l’entrée et du séjour de l’étranger et du droit d’asile restent applicables depuis le 1er mars 2005. Et il est valable même si les personnes visées sont issues de pays présentant des liens particuliers et étroits avec la France.
Cependant, il y a ici lieux de faire la différence entre étrangers issus de l’Union Européenne et étrangers qui ne sont pas ressortissants de l’Union Européenne. La distinction est importante dans la mesure où il y a une différence de traitement entre les étrangers issus de l’Union et ceux qui ne le sont pas. Cette différence de traitement est justifiée par le droit particulier qui régit les Etats membres de l’Union Européenne dans leurs relations entre eux et qui se traduit par un traitement plus souple comparé à celui réservé aux ressortissants d’autres pays non membres.
C’est ce que nous allons étudier dans cette partie de notre travail, ainsi nous allons essayer de nous familiariser avec la situation des étrangers dits « communautaires » (A), avant de nous pencher sur la question des étrangers non communautaires (B).
- Le cas particulier des étrangers ressortissants communautaire
Les ressortissants des pays membre de l’Union Européenne bénéficient dans chaque pays membre d’un traitement bénéficiaire résultant des liens particulièrement étroits qui lient ces Etats membres. Dans la catégorie des étrangers, les étrangers « européens » sont considérés comme des étrangers privilégiés dans l’espace juridique commun.
C’est le Traité de Maastricht du 5 février 1992 qui crée cette nouvelle catégorie d’étrangers privilégiés, les ressortissants des Etats membres qui ont un statut quasi-national. Le privilège de cette nouvelle catégorie d’étranger est alors marqué par la « libre circulation sur le territoire européen » et « l’égalité de traitement avec les nationaux ».
Pour ce qui est de la libre circulation, elle se traduit par le fait que l’étranger issu d’un pays membre de l’Union est a le droit de travailler et de vivre dans tous les pays membres de l’Union Européenne. C’est une liberté fondamentale prévu par l’art. 39 du traité Communauté Européenne qui permet alors au ressortissant de l’Union Européenne de chercher un emploi dans un autre pays, de s’y établir pour des raisons professionnelles et d’exercer son activité sans avoir besoin d’un permis de travail au préalable. Il peut également choisir de s’y établir même quand il n’exerce plus son emploi.
De même, bénéficiera des mêmes traitements que les citoyens de son pays d’accueil en ce qui concerne les conditions de travail, l’accès à l’emploi, et tous les autres avantages fiscaux ou sociaux pour la facilitation de son intégration dans ledit pays d’accueil. Cette grande liberté de mouvement résulte en réalité de l’avènement de la notion de citoyenneté européenne instituée par le Traité de Maastricht de 1992.
Ainsi, aux termes de l’article 9 de ce traité (également appelé Traité sur l’Union européenne) ainsi que l’article 20 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne[7] «Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre ». Cette qualité juridique de citoyen européen octroi ainsi certains droits comme « le droit de ne pas faire l’objet de discriminations en raison de la nationalité dans les limites d’application du Traité » (Article 18 TFUE), « la liberté de circuler librement (Convention de Schengen) et de résidence à travers l’Union et le droit de demander du travail à n’importe quel poste » (y compris fonctionnaire national à l’exception de postes sensibles tel que militaires) (Articles 18 TFUE, 20§2a et 21§1 TFUE), et surtout le droit de vote.
Ainsi selon l’article 6 de la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local adoptée par le conseil de l’Europe le le 5 février 1992, « chaque partie s’engage […] à accorder le droit de vote et d’éligibilité aux élections locales à tout résident étranger, pourvu que celui-ci remplisse les mêmes conditions que celles qui s’appliquent aux citoyens et, en outre, ait résidé légalement et habituellement dans l’État en question pendant les cinq ans précédant les élections ».
Pour ce qui est de la France, l’entrée en vigueur de cet article a provoqué quelques remous dans la mesure où il entrait en contradiction avec la Constitution Française. Par conséquent, le Conseil Constitutionnel, dans une décision de septembre 1992 avait déclaré cet article 6 inconstitutionnel dans la mesure où « l’article 3 de la Constitution réserve le droit de vote aux nationaux français », pour cette raison, « le pouvoir constituant peut prévoir des dérogations au principe général en autorisant les étrangers de la Communauté Economique Européenne à voter lors des élections municipales et européennes ».
Cependant, dans le cadre de l’Union Européenne, les intérêts de l’Union doivent toujours passer avant les intérêts nationaux (en principe), ce qui a eu pour résultat que La Constitution a dû être modifiée de manière à ce que désormais le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales puissent être accordé aux citoyens de l’Union résidant en France.
Ainsi, désormais, les citoyens de l’Union Européenne peuvent se présenter aux élections pour devenir conseiller municipal, cependant, il ne peut toujours pas devenir maire ou adjoint, ni participer, directement ou non, à l’élection des sénateurs[8].
Pour renforcer ce privilège accordé aux citoyens européens, la directive du 19 décembre 1994 est venue fixer les modalités de la mise en œuvre du droit de vote et d’éligibilité des citoyens de l’Union Européenne qui résident dans un État membre sans en avoir la nationalité aux élections municipales. Directive qui a été transposée par la loi organique du 25 mai 1998, ce qui a facilité l’intégration de ces droits de vote et d’éligibilité à la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne en 2001.
Notons que depuis l’entrée en vigueur de la loi organique de 1998, les ressortissants des pays de l’Union européenne ont pu voter pour la première fois aux élections européennes en 1999 et aux élections municipales en 2001.
Le droit de vote des étrangers issus de l’Union Européenne n’est donc plus sujet à discussion, et il semble que « le cadre restreint du lien entre nationalité et droit de vote est désormais dépassé »[9]. Le statut particulier des ressortissants de l’Union Européenne veut qu’ils bénéficient d’un traitement différent des autres catégories d’étrangers. En effet, le droit de vote de ces derniers en France est encore très loin d’être acquis comme celui des « citoyens européens ».
- Le critère de la nationalité ou l’interdiction constitutionnelle du droit de vote aux étrangers
Il est reconnu aux étrangers certains droits qui leur permettent de mener une vie normale dans leur pays d’accueil. Des droits destinés à les mettre autant que possible sur le même pied d’égalité que les nationaux. Mais cela ne signifie pas pour autant que les Etats aient entièrement adhéré à l’idée de faire tomber toutes les barrières qui ont conforté le clivage nationaux/étrangers. Certains droits sont encore, et risquent de l’être pour assez longtemps, refusés aux étrangers. Le droit de vote est l’un d’entre eux.
En effet, force est de constater que sur le plan juridique, la reconnaissance du droit de vote au profit des étrangers semble un peu compromise. En effet, le droit de vote est un droit constitutionnel exclusivement réservé aux citoyens d’un Etat, c’est une prérogative qui découle du lien de nationalité qui lui permet de participer plus ou moins directement à la conduite des affaires du pays. Et pour cette raison l’Etat Français a toujours refusé et refuse encore d’accorder le droit de vote aux étrangers non communautaires.
Il faut cependant remarquer que les choses auraient pu être différentes, en effet, au lendemain de la Révolution Française de 1789, dans la plus grande ferveur des révolutionnaires qui prônaient une égalité parfaite entre tous, la Constitution très démocratique du 24 avril 1793 a reconnu que « Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis, tout étranger de vingt et un ans, qui, domicilié en France depuis une année, y vit de son travail, ou acquiert une propriété, ou épouse une Française, ou adopte un enfant, ou nourrit un vieillard, tout étranger enfin qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l’Humanité est admis à l’exercice des Droits de citoyen français. ».
Malheureusement, cette Constitution bien qu’approuvée par référendum n’a jamais reçu application, de même que le droit de vote en faveur de l’étranger. De sorte qu’aujourd’hui, le principe qui prévaut est que le droit de vote n’est pas compatible avec le statut d’étranger.
Le principe est posé par l’article 3 de la constitution du 4 octobre 1958, qui dispose que « sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français ». Cela signifie que la qualité d’électeur est subordonnée à la possession de la nationalité française.
Cet article est sans équivoque, les étrangers n’ont pas le droit de vote sur le territoire français en ce qui concerne les questions concernant l’Etat français. Pour pouvoir prétendre à voter, une personne doit impérativement et préalablement au vote détenir la nationalité française, tous les documents officiels indispensables à l’appui.
Ce qui signifie que seules les personnes justifiant du lien juridique de la nationalité[10], assujetties au droit de ce pays, loisibles selon ses lois ont le droit de vote pour décider de comment mener la politique de l’Etat. Et cela que ce soit en élisant ses gouvernants ou ses représentants ou en répondant à une question posée par referendum. Ce qui exclu donc d’office l’étranger qui n’ont, en principe aucun lien avec l’Etat.
Cependant, il faut remarquer que le droit de vote est d’une telle importance que son exercice est non seulement considéré comme un privilège mais est également soumis à conditions. Car en effet, « donner le droit de vote, c’est donner le droit d’avoir des droits, d’en revendiquer de nouveaux »[11]. Ainsi, la deuxième partie de l’article 3 précité précise que le droit de vote est accordé aux « nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques ».
L’expression « majeurs » signifie qu’il y a une condition limitative relative à l’âge. Ainsi ce ne sont pas tous les nationaux français qui peuvent voter. Ce sont ceux qui ont atteint les 18 ans au moment des élections auxquelles ils veulent participer. Notons que la limite d’âge légale était préalablement de 21 ans mais elle a été réduite à 18 ans par la loi du 5 Juillet 1974.
Le droit de vote est donc accordé aux seuls nationaux, qui remplissent la condition d’âge légale. Mais sans distinction de sexe, ainsi la distinction entre homme et femme n’a plus de raison d’être depuis que la révision constitutionnelle de 1999 a non seulement confirmé le droit au vote reconnu aux femmes, mais également leur éligibilité[12].
Un changement de position qui marque définitivement la fin de la discrimination dont ont souffert les femmes qui ont été, jusqu’en 1938 frappée d’une incapacité civile (loi du 18 Février 1938).
Pour ce qui est de la dernière condition, à savoir que les nationaux français doivent également jouir de leurs droits civils et politiques, elle illustre parfaitement l’idée selon laquelle le droit de vote est un privilège. Rappelons que les droits civiques et politiques sont des droits destinés à protéger les individus par rapport aux pouvoirs régaliens de l’Etat[13].
Il s’agit de droits sont effectifs sans que doivent être prises des mesures d’application[14]. Des droits dont ne peut être dépouillé un individu qu’à titre de sanction. Cas de l’individu qui aurait commis un crime ou dont la moralité douteuse peut raisonnablement conduire à l’empêcher d’accéder à un poste important qui lui donne accès au denier public par exemple[15].
Les personnes frappées de sanctions du fait de leurs actes et de leur conduite répréhensibles ne peuvent donc prétendre à exercer leur droit de vote, dans aucune élection que ce soit régionale ou nationale.
Malgré les précisions de cet article 3, le code électoral en son article 2 s’est montré plus pointu en précisant que « sont électeurs les français et française âgés de 18 ans accomplis, jouissant de leurs droits civils t politiques et n’étant dans aucun cas d’incapacité prévu par la loi. ». Cet article reprend les conditions posées par la constitution tout en visant également toute incapacité qui altèrerait le jugement de la personne (cas des majeurs incapables), ou incapacité du fait d’un poste tenu par l’intéressé qui pourrait engendrer des problèmes de conflits d’intérêts (quoique ce problème s’étudie surtout du point de vue de l’éligibilité et n’intéresse pas vraiment le droit de vote).
Mais qu’est ce que cette nationalité signifie exactement ?
La nationalité, comme nous l’avons déjà évoqué, est le lien juridique qui uni un individu à un Etat. Il s’agit du lien qui matérialise l’appartenance légale d’une personne à un Etat. Ce lien juridique peut s’acquérir de deux manières, par l’attribution d’une filiation, ce qu’on appel le lien du sang ou encore « jus sanguinis ». Ou par la naissance sur le territoire de l’Etat, ce qu’on appelle le droit du sol ou encore « jus solis ».
Le droit du sang est la règle selon laquelle les enfants « héritent » de la nationalité de leurs parents. Dans les pays dont le droit de la nationalité est régit par le droit du sang (comme c’est le cas d’un bon nombre de pays européens), la nationalité des enfants demeure celle de leurs parents et cela quel que soit le lieu où ils naissent.
Pour ce qui est du droit du sol il consiste à donner aux enfants la nationalité de l’endroit où ils ont vu le jour, sans tenir compte de la nationalité de leurs parents. Le droit du sol est très courant en terres d’immigration comme c’est le cas aux Etats-Unis par exemple.
En règle générale, les pays choisissent de se soumettre au droit du sang ou au droit du sol, selon les convictions qui prédominent dans leur politique. Cependant, le recours ay droit du sol n’exclu pas forcément le recours au droit du sang.
Pour ce qui est de la France, la nationalité peut s’obtenir autant par le droit du sang que par le droit du sol. Même si traditionnellement, on pouvait constater une inclinaison certaine pour le droit du sol ainsi que le reconnait d’ailleurs la constitution de 1791 qui accorde de manière automatique la nationalité par la naissance en France : « sont français les fils d’étrangers nés en France et qui vivent dans le royaume ».
Cependant, le Code Civil de 1804 avait changé les choses « en rupture avec la tradition » et a fait en sorte que l’octroi de la nationalité se fasse comme l’octroi des droits personnels comme le nom par exemple. Et cela étant donné que la nation était désormais considérée comme une grande famille[16].
Ainsi « La nationalité est désormais un attribut de la personne, elle se transmet comme le nom de famille, par la filiation. Elle est attribuée une fois pour toutes à la naissance, et ne dépend plus de la résidence sur le territoire de la France ».
Dans ce schéma pourtant, le droit du sol n’a pas été complètement écarté dans la mesure où un individu né en France d’un étranger pouvait quand même réclamer la nationalité française dans l’année qui suit sa majorité[17].
La loi du 26 Juin 1889 marque un retour à la tradition et au droit du sol, en effet, « La France étant devenue un pays d’immigration, elle ne pouvait laisser croître plus longtemps en son sein une population d’étrangers ». La seule condition était alors que les enfants ne puissent définitivement acquérir la nationalité qu’une fois leur majorité atteinte et cela afin de garantir leur socialisation[18].
Remarquons que la nationalité ne doit pas être confondue avec d’autres notions comme la citoyenneté ou encore la nationalité culturelle.
En effet, la nationalité est multiforme et peut prendre un certain nombre d’aspect. Pour ce qui est de la nationalité culturelle, elle n’a pas vraiment de signification juridique mais plutôt sociologique. Cette forme de nationalité résulte d’un sentiment d’appartenance à un groupement d’individu ou de population qui partage un une combinaison particulière de caractéristiques objectives comme la langue ou la religion ainsi que la culture et l’histoire. Ou qui partage des caractéristiques plus subjectives d’auto identification ou ce qu’on considère comme étant le « nationalisme »[19].
Ces deux sortes de nationalités peuvent coexister, ainsi il est possible que tous les ressortissants d’un Etat donné aient la même nationalité juridique mais également culturelle, ce qui reste tout de même une exception. Et il est également possible que des personnes de même nationalité culturelle soient réparties dans deux ou plusieurs États, il est possible qu’avec une même nationalité culturelle, elles aient une nationalité juridique différente.
Pour ce qui est de la citoyenneté, cette notion n’a pas vraiment de définition juridique[20]. Sauf dans le droit de l’Union Européenne. En effet, le Traité de Maastricht instituant la nationalité européenne, défini la nationalité dans ses critères d’exercice[21], ainsi que les droits qui y sont rattachés[22].
Dans le droit national, la citoyenneté est considérée comme le fait d’être reconnu comme étant membre d’un Etat. Elle est donc de nature à octroyer certains droits à la personne qui est reconnu citoyen. Ainsi, est considéré comme citoyen « l’individu jouissant, sur le territoire de l’Etat dont il relève, des droits civils et politiques »[23].
Cette définition laisse à penser que pour être citoyen il faut détenir la nationalité, seule moyen de pouvoir exercer pleinement ses droits civiques et politiques (voir supra). Cependant, cette nationalité est une condition primordiale mais pas suffisante. En effet, il peut arriver qu’un individu qui ne bénéficie pas de la nationalité agisse comme un citoyen[24] et vice versa, un individu qui dispose de la nationalité mais qui n’agit pas comme un citoyen, on parle alors de nationalité dormante[25].
De même, et pour les mêmes raisons, la citoyenneté ne peut pas présumer automatiquement de la nationalité d’un individu. Les deux notions sont complémentaires mais ne se suffisent pas pour se définir réciproquement.
Le droit français ne reconnait pas le droit de vote aux étrangers dans la mesure où le droit de vote est considéré comme un privilège qui est rattaché à la nationalité. C’est également le cas d’une grande partie des pays européens qui se montrent, et c’est l’une des conséquences très paradoxales de l’avènement de l’Union Européenne, très jaloux de leur nationalité.
Pour autant, il est important de souligner que ce n’est pas le cas de tous les pays européens. En effet, actuellement, 13 pays européens sur les 27 accordent le droit de vote aux étrangers[26]. Cependant, il faut souligner que pour certains d’entre eux, ce droit de vote est soumis à une condition de réciprocité (cas de l’Espagne et du Portugal), à une condition de résidence (cas de la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark, la Finlande, la Suède, l’Estonie, la Lituanie, la République Tchèque, la Slovaquie et la Hongrie). Seule l’Irlande accorde le droit de vote aux étrangers sans aucune condition et dans les mêmes conditions que les nationaux.
D’autres pays encore accordent le droit de vote aux étrangers dans des cas particuliers. Notamment au Royaume Uni, qui octroi le droit de vote au ressortissant Irlandais et aux citoyens membres du Commonwealth. Le droit de vote se justifie alors par l’ « allégeance » de ces pays à la Reine d’Angleterre[27].
Pour ce qui est des autres pays à travers le monde, le cas le plus marquant est celui du Maroc qui dans la constitution votée le 1er juillet 2011 accorde le droit de vote aux étrangers dans le cadre de la pratique de réciprocité[28].
Mais pour ce qui concerne la France le droit de vote des étrangers n’est pas encore vraiment à l’ordre du jour. Cependant, cela pourrait bientôt changé avec l’accession de François Hollande à la présidence dans la mesure où il en a fait un des points forts de sa campagne présidentielle. Notons que la Grèce se trouve également dans la même situation.
Pour la France, le droit de vote est un privilège qui ne peut être accordé qu’aux nationaux et seulement à la condition qu’ils n’aient pas été déchus de leurs droits civiques et politiques. Cette situation ne permet pas vraiment à de jouir pleinement de tous leurs droits et peut même les mettre dans une position précaire dans la mesure où ils n’ont aucune maîtrise sur leur avenir étant donné qu’ils sont écarté de toutes les prises de décisions importantes.
Cependant, dans le contexte du droit international actuel qui implique de grands mouvements de biens, de capitaux et bien sûr de personnes, il apparaît important de revoir un peu la position de la France et de s’aligner sur la position de certains pays européens (voir supra) qui se montrent déjà plus ouverts sur la question.
- Les moyens juridiques permettant d’accorder le droit de vote des étrangers aux élections locales
Le droit de vote en faveur des étrangers en France n’est pas complètement inenvisageable. Des réformes peuvent être envisagés pour assouplir la règlementation en la matière et rendre possible la participation des étrangers aux élections sinon nationales du moins locales et régionales.
Ces modifications ne pourront cependant pas être réalisées immédiatement dans la mesure où les procédures juridiques à suivre, sans parler de la politique qui risque d’être assez difficile à convaincre, sont longues et ardues.
Dans cette deuxième partie de notre travail, nous allons étudier la possibilité de mettre en place le droit de vote des étrangers à un niveau local. Pour ce faire, il nous faudra bien sûr étudier les étapes qu’il faudra effectuer pour atteindre ce but, notamment une réforme constitutionnelle indispensable (A), et également étudier comment il faudrait faire pour parvenir à concilier le droit de vote des étrangers et les impératifs de la souveraineté nationale (B).
- Un droit conditionné par une nécessaire réforme constitutionnelle
Comme il a été dit supra, le droit de vote est un droit constitutionnel, et le droit de vote en faveur des étrangers est constitutionnellement non autorisé. Pour pouvoir mettre en place des mesures destinées à favoriser la mise en œuvre de ce droit de vote donc, il faut obligatoirement procéder à une mise à jour, si l’on peut parler ainsi, de la constitution.
Si cette réforme n’est pas effectuée, toutes les mesures qui seront prises dans ce sens risquent d’être considérée comme inconstitutionnelles et donc non valides par le Conseil Constitutionnel Français. Rappelons que le cas s’est déjà produit, avec la reconnaissance de la « citoyenneté européenne » qui permettait aux étrangers communautaires d’avoir accès au vote dans leur pays d’accueil, le Conseil Constitutionnel avait alors déclaré la mise en application du Traité de Maastricht inconstitutionnel, et il a fallu au préalable procéder à une réforme constitutionnelle avant que l’article article 8B2 du Traité.
Tout ceci pour dire que la mise en place du droit ne se fait pas automatiquement, il doit se faire par le biais d’une réforme constitutionnelle, à charge pour le législateur de légiférer ultérieurement à cette réforme pour préciser les conditions de mise en œuvre et le champ d’application dudit droit.
La réforme constitutionnelle peut se faire suivant deux procédures, par le biais d’une réunion du Congrès, ou par référendum.
Etant donné l’importance de la question de la révision de la Loi Fondamentale, c’est la constitution elle-même qui prévoit et organise la révision de ladite Constitution. Cet article prévoit plus particulièrement la Réunion du congrès du Parlement, et depuis son entrée en vigueur, cet article a été utilisé et abouti à vingt-deux reprises[29].
Tout d’abord, il faut noter que le Congrès du Parlement est la réunion des deux chambres du parlement, à savoir la réunion des députés et des sénateurs. La mise en branle de la procédure dépendra du Président de la République et cela sur proposition de son Premier Ministre (on parle alors de projet de loi) ou d’un membre du gouvernement (on parle ici de proposition de loi)[30].
Cela signifie que finalement, l’initiative de la révision de la constitution revient autant à l’Exécutif qu’au législatif[31]. Pour information, notons que les vingt-deux révisions constitutionnelles réalisées selon la procédure de l’article 89 depuis 1958 ont eu pour origine un projet de loi constitutionnelle[32], en effet aucune proposition de révision constitutionnelle n’a abouti jusqu’à ce jour. Cette initiative marque la première phase, sur les trois, de la procédure prévue à l’article 89.
La deuxième phase consiste en la discussion proprement dite du projet ou de la proposition au sein du congrès. On parle également de l’examen du projet ou de la proposition de la révision, et elle doit se dérouler selon les la procédure législative du droit commun[33]. Mais il est possible également, bien que le cas ne se soit jamais produit, de renvoyer les propositions ou projets à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, et cela à défaut de constitution de commission spéciale au sein du Parlement et de l’Assemblée Nationale.
La discussion du projet ou de la proposition de révision doit alors se poursuivre jusqu’è ce que ce que le texte soit voté dans les mêmes termes par les deux assemblées, qui ont, en matière constitutionnelle, les mêmes pouvoirs. Notons qu’en matière de révision constitutionnelle, et à la différence d’une simple assemblée législative, le Congrès ne peut exercer le droit d’amendement. Il ne peut qu’ qu’approuver ou rejeter le texte qui lui est soumis.
De même le gouvernement ne peut, et cela même si les deux chambres n’arrivent pas à se mettre d’accord sur une longue période, interrompre la navette en demandant la réunion d’une commission mixte paritaire, ni demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement.
Une fois que les deux chambres ont adopté le projet ou proposition dans les mêmes termes, il ne reste plus qu’à ratifier le texte. Cette ratification doit normalement se faire par voie de référendum dans la mesure où il s’agit de toucher à la Loi Fondamentale, tous les sujets de droits ont le droit de se prononcer.
Cependant, l’article 89 de la constitution prévoit qu’on peut éviter de soumettre la révision au référendum dans le cas où la révision a réuni la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés lors de la réunion du congrès.
Cette procédure pose cependant un grand inconvénient dans la mesure où il repose surtout sur la recherche de l’existence d’un consensus entre les organes de l’Etat, à savoir le Législatif et l’Exécutif. Mais surtout sur l’existence d’un consensus au sein même du Législatif (entre les différents membres issus de partis politiques différents et ayant des points de vue et des opinions qui peuvent diverger.
Etant donné, que les deux chambres disposent des mêmes pouvoirs, la divergence d’opinion peut complètement bloquer le processus de révision de la constitution. Ainsi en maintenant sa rédaction, en refusant de prendre en compte les modifications de l’autre, chacune peut faire durer les débats indéfiniment et, de fait, bloquer la révision. Car il est devient alors très difficile voire impossible d’atteindre la majorité des trois cinquièmes des suffrages requises.
Dans le cas où la révision n’a pu être adopté au Congrès pour manque de majorité, la seule solution qui reste est de soumettre le texte qui n’a pas obtenu la majorité requise à l’avis du peuple par voie de suffrage, par le biais d’un référendum.
Le référendum est le « procédé de la démocratie semi-directe par lequel le peuple collabore à l’élaboration de la loi qui ne devient parfaite qu’avec son consentement »[34]. Si le référendum porte sur une révision de la constitution, comme c’est le cas dans le cadre de notre travail, on parle de « référendum constituant ».
Il s’agit alors ici de demander au peuple, par la voie des urnes, ce qu’il pense du fait d’accorder aux étrangers le droit de vote. C’est toujours l’Article 89 de la constitution qui prévoit la question. Et l’initiative revient toujours au Président de la République sur proposition du Premier Ministre ou sur celle des membres du Parlement.
Dans ce cas le référendum est la suite logique de la procédure devant le Congrès du Parlement. En effet, Le référendum intervient après le vote, dans les mêmes termes, par les deux assemblées, du texte de révision proposé. L’adoption définitive du texte dépendra alors de l’issu du suffrage.
Notons que dans l’Etat actuel des choses en France, si le droit de vote est reconnu par la Constitution, il le sera seulement à un niveau local. En effet, les efforts fournis par la politique dans le domaine ne tendent pas encore à accorder le droit de vote sur un plan national. Dans le cas où le droit de vote à un niveau national est envisagé, une nouvelle consultation pour une nouvelle révision constitutionnelle devra encore être mise en place.
Accorder le droit de vote aux étrangers est donc une question envisageable, mais dans le cas où il est accordé il reste encore à déterminer dans quelles conditions il peut être mise en œuvre. En effet, le droit de vote sans condition, comme c’est le cas en Irlande nous semble encore très difficilement envisageable.
Et cela parce qu’il impliquerait que toute personne qui n’a pas de lien assez fort ou pas de lien du tout, et qui sont simplement de passage dans le pays, puissent, s’il leur en vient l’envie, se prononcer sur des questions aussi importantes que la révision de la Constitution par exemple, ou le choix des dirigeants. Une situation qui, nous semble-t-il, serait de nature à malmener grandement la souveraineté nationale.
Une des conditions envisageables qui pourrait être aménagée serait d’instituer le critère de la résidence ainsi que c’est déjà le cas dans un certain nombre de pays européens. Cette condition du critère de la résidence implique que le droit de vote est accordé aux étrangers si et seulement si ils résident sur le territoire de leur Etat d’accueil depuis un certain nombre de temps. La période de la résidence devra être fixée préalablement par la loi.
Ainsi par exemple en Espagne l’article 176 de la loi électorale générale du 19 juin 1985 prévoit que « le droit de vote aux seules élections municipales peut être accordé aux ressortissants étrangers résidant en Espagne, sous réserve de réciprocité établie par un Traité ». Ce pays reconnait ainsi le droit de vote aux étrangers qui ont résidé dans le pays depuis 5 ans.
C’est également le cas du Portugal, pour une période de 3 ans. De même que pour le Luxembourg où les étrangers résidant depuis au moins cinq ans ont le droit de vote à toutes les élections.
Le critère de la résidence, contrairement au critère de la nationalité a l’avantage de ne pas être par trop sélectif, tout en assurant quand même un lien assez fort entre le pays d’accueil et l’étranger qui veut bénéficier du droit de vote[35].
Un autre critère qui pourrait être serait celui de la réciprocité. Le principe de la réciprocité est un des principes les plus importants du droit international dans la mesure où il a servi de base pour atténuer l’application du principe de territorialité des lois et ainsi faciliter et normaliser la relation entre les Etats dans certains domaines critiques.
Il consiste à « permettre l’application d’effets juridiques de certaines relations de droit, quand ces effets sont acceptés également par des pays étrangers »[36], et selon le droit international, la réciprocité implique le droit à l’égalité et au respect mutuel entre les États.
Transposé dans le domaine de notre travail, la réciprocité est considérée comme la « condition à laquelle peut être soumise la reconnaissance conventionnelle de certains droits au profits des étrangers, ces droits ne leur étant accordés que si les mêmes droits sont accordés aux français dans l’Etat étranger »[37].
Il faut cependant noter que pour la France, cette réciprocité résulte surtout de la mise en application du Traité de Maastricht, et ne concerne que les pays membre de l’Union et signataires de ce traité. Les autres pays ne sont pas pris en considération.
Contrairement à ce qui se passe dans les autres pays comme l’Espagne toujours qui accorde le droit de vote aux étrangers issus de pays comme les Pays-Bas, le Danemark, la Norvège et la Suède mais également l’Équateur, la Nouvelle-Zélande, la Colombie, le Chili, le Pérou, le Paraguay, l’Islande, la Bolivie et le Cap-Vert. Ce droit de vote concerne autant les municipaux que les nationaux.
Une fois cette question des conditions d’octroi du droit de vote réglé, il reste enfin à savoir s’il ya encore lieu de catégoriser les étrangers non communautaires et d’accorder le droit de vote en fonction de cette catégorisation. Par exemple, catégoriser les étrangers selon leur « poids » en matière fiscale ou selon le travail qu’ils exercent. Une telle catégorisation ne peut avoir lieu en notre sens, en effet c’est une opération qui nuirait gravement au principe constitutionnel de l’égalité.
Mais le droit de vote des étrangers ne risque-t-il pas d’ébranler le principe de la souveraineté nationale ?
- Les solutions légales permettant une conciliation entre vote des étrangers et sauvegarde de la souveraineté
De manière générale, la raison du refus par un Etat d’accorder le droit de vote aux étrangers est la préservation de la souveraineté nationale. L’idée que les ressortissants d’un autre Etat souverains puissent décider de la manière dont il faut conduire le pays met toujours mal à l’aise. Voilà pourquoi, pour que l’idée du droit de vote accordé aux étrangers puisse être accepté plus facilement il est nécessaire de mettre en place des solutions destinées à rassurer les plus réfractaires.
Une idée serait d’adopter la même technique que pour l’Union Européenne[38]. Dans le système européen, les étrangers communautaires, ressortissants des pays membre de l’Union ont le droit de voter lors des élections municipales. Mais ce droit n’est pas étendu aux élections qui touchent directement à la souveraineté nationale, notamment les élections sénatoriales.
En effet, le Sénat est la seconde chambre du Parlement, qui « est le représentant des collectivités territoriales et des Français résidant hors de France », article 24 de la Constitution. Il a un rôle très sensible dans la mesure où, avec l’Assemblée National, il est chargé du volet législatif dans la conduite du pays.
D’une certaine manière, il dispose donc d’un pouvoir de contrôle dans la politique du pays puisqu’il décide du cadre juridique, et partant de ce qui est légale et de ce qui ne l’est pas dans l’exercice des fonctions du législatif. Il décide également dans quelle mesure l’exécutif peut engager le pays envers les autres Etats en accréditant ou en rejetant les projets de réformes de la constitution par exemple pour permettre l’adhésion de la France dans une zone de coopération. Et enfin, le Sénat dispose également de l’initiative législative et peut ainsi revendiquer certains droits particuliers pour certaines catégories de personnes, demander l’assouplissement de certaines règlementation en faveur d’une catégorie de personnes.
En bref, le Sénateur, en tant que membre du Sénat et donc du Parlement, est considéré comme incarnant la souveraineté nationale. Il est donc logique dans le cadre de l’Union que les étrangers même communautaires ne puissent pas participer aux élections sénatoriales où le critère de la nationalité est le seul qui soit encore admis.
Mais dans la mesure où les étrangers non communautaires bénéficient déjà en France de ce que l’on appelle « citoyenneté sociale », il nous semble que leur accorder le droit de vote à un niveau municipal ne devrait pas être trop difficile à mettre en œuvre.
En effet, il a été reconnu (relativement tard) que les étrangers peuvent jouir de ce que l’on peut qualifier de « citoyenneté sociale ». Par conséquent, ils peuvent être électeurs dans les instances représentatives du personnel depuis 1946, et ils peuvent être élus délégués syndicaux depuis 1968. Et enfin à condition de « savoir lire et écrire en français »[39], et de « s’exprimer en français »[40] ils peuvent également membres des comités d’entreprises et délégués du personnel. Notons que ces deux conditions ont été abolies par la loi du 28 octobre 1982, une des lois dites lois Auroux.
Leurs droits en matières sociales se sont peu étendus, ainsi les étrangers pouvaient désormais être électeurs aux conseils des prud’hommes, même s’ils ne sont pas encore éligibles. Depuis 1982, les étrangers pouvaient également être électeurs et sont éligibles dans les conseils d’administration des caisses de sécurité sociale, les conseils d’administration des établissements publics gérant des logements sociaux (OPAC, OPHLM).
Sur un autre registre, celui de l’éducation, les étrangers pouvaient être élus parents délégués et, à ce titre, participer aux Conseils des écoles maternelles et élémentaires ainsi qu’aux conseils d’administration des collèges et des lycées. Mais la présidence des Université étant un monopole national, ils devaient se contenter de rôles qui leur permettent de participer aux instances de gestion des universités.
Au vu de ce développement, on peut dire donc que les étrangers peuvent bénéficier des mêmes droits que les nationaux. Le clivage nationaux/étrangers, même s’il est loin d’avoir complètement disparu, n’interviennent réellement que dans des domaines qui mettent en jeu l’exercice de l’autorité publique ou de fonctions de souveraineté, ce qui ne saurait être le cas dans le cadre des élections municipales. Dans ces conditions, l’alignement du traitement des étrangers non communautaires au niveau du traitement des étrangers communautaires ne peut être considéré comme menaçant la souveraineté nationale.
Conclusion
La question du droit de vote des étrangers est une question qui n’est ni récente ni exclusive au droit Français, il faut même avouer que dans ce domaine la France semble un peu à la traîne par rapport aux autres pays européens qui semblent de moins en moins réfractaires à ce droit de vote. A l’instar de l’Irlande qui a reconnu le droit de vote des étrangers sans condition aux élections municipales.
Pour autant ce ne sont pas tous les étrangers qui sont interdits d’urne en France, en effet, le principe de réciprocité qui prédomine dans les relations entre les pays membres de l’Union Européenne oblige chaque Etat membre, dont la France, à accorder le droit de vote aux ressortissants des autres pays membres. C’est également une manière de participer plus activement à la vie de l’Union et de renforcer la coopération entre les membres.
Le principe de la souveraineté des Etats tient une place très importante en France qui se montre particulièrement peu réceptive pour toutes les questions qui pourraient en limiter la mise en œuvre. Cela est déjà très perceptible au niveau européen[41], et encore plus sur la question du droit de vote des étrangers.
Ce qui explique le fait que, en France, le critère qui prédomine en matière de droit de vote est encore le critère de la nationalité, le critère de la résidence n’y a pas encore sa place. Un fait qui pourrait bien sûr changer avec le changement de régime qui s’est opéré à l’issu des élections présidentielles de 2012.
Il s’agira alors d’installer progressivement ce droit, notamment par des conventions de réciprocité qui s’étendraient alors à des pays en dehors de l’Union Européenne. A l’image de l’Espagne qui a passé de telles conventions avec ses anciennes colonies.
Bibliographie
Textes de loi
- Traité de Maastricht du 5 février 1992
- Constitution du 4 Octobre 1958
Ouvrages et thèse :
- Yves Gaudemet, droit administratif, 19è éditions, LJDG, Manuels, 2010
- Yves Gaudemet, le droit de suffrage,
- Paul Oriol, NATIONALITÉ – CITOYENNETÉ, la lettre de la citoyenneté, 11è année, n°64 Juillet-Aout 2003
- Borella François, « Nationalité et citoyenneté », in Colas D., Emeri C. et Zylberberg J. (dir.), Citoyenneté et nationalité, Perspectives en France et au Québec, Paris, PUF, 1991, p. 209-229.
- Noiriel Gérard. L’histoire de l’immigration en France. Note sur un enjeu. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 54, septembre 1984. pp. 72-76. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1984_num_54_1_2225, p. 72.
- Paul Oriol, « Résidents étrangers, citoyens ! Plaidoyer pour une citoyenneté européenne de résidence », 2003, http://paul-oriol.pagesperso-orange.fr/livre050731.pdf
- Christophe Vimbert,La tradition républicaine en droit public français, Publication Univ Rouen Havre, 1992, 34
- Sylvain Allemand, « Droit du sol versus droit du sang ?», com
- Hervé ANDRES, « Le droit de vote des étrangers, Etat des lieux et fondements théoriques », Thèse pour le Doctorat de sciences juridiques et politiques Spécialité de philosophie politique, février 2007.
Entretien :
- Avec Mr Paul ORIOL, rencontre le 12 mai 2012 à son domicile
- Avec Mr André Hervés, entretien téléphonique
- Avec Mr Bernard Delemotte
- Avec Mme Esther Benbassa, entretien téléphonique
[1] C’est l’un des engagements de François Hollande dans la campagne de 2012.
[2] Article 1 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, texte fondamental de la Révolution Française qui énonce un ensemble de droits naturels individuels et collectifs et les conditions de leur mise en œuvre.
[3] La notion d’étranger existe depuis l’avènement des civilisations organisées en structures politico-sociales. Les premières références connues remontent à l’Antiquité gréco-romaine, l’étranger était considéré comme une personne de passage dans la cité grecque, une personne qui n’a pas d’attachement géographique et qui n’a donc pas non plus d’identité socio-politique, bref une personne qui présente des menace et doit donc être exclue du monde civilisé ; le monde des grecs.
[4]Noiriel Gérard. L’histoire de l’immigration en France. Note sur un enjeu. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 54, septembre 1984. pp. 72-76. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1984_num_54_1_2225, p. 72.
[5] Qui se manifeste par exemple quand le sujet est évoqué lors de campagnes présidentielles, voir introduction.
[6] Deux termes qui pourront être utilisés indifféremment dans le cadre de notre travail dans la mesure où cela ne dénature pas leur sens respectif.
[7] Voir la Version consolidée du TUE et du TFUE, 30 mars 2010 [archive]
[8] En vertu de l’article 88-3 de la Constitution dont les conditions d’application sont précisées par la loi organique n°98-404 [archive] du 25 mai 1998, transposant elle même la directive 94/80/CE [archive] du 19 décembre 1994.
[9] Bernard Delemotte, Henri del pup, Serge Depaquit, Paul Oriol, Audrey Vizuette, “citoyens d’Europe », l’Harmattan, 2004.
[10] La nationalité est « le lien juridique qui rattache une personne, physique ou morale, à un Etat », Lexique des termes juridiques, Dalloz, 13è édition, 2001.
[11] Paul Oriol, « Résidents étrangers, citoyens ! Plaidoyer pour une citoyenneté européenne de résidence », 2003, http://paul-oriol.pagesperso-orange.fr/livre050731.pdf
[12] Le 8 juillet 1999, une révision constitutionnelle ajoute ainsi à l’article 3 de la Constitution de 1958 la disposition selon laquelle « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives » et prévoit que les partis doivent « contribuer à la mise en œuvre » de ce principe (art.4).
[13] En effet, ces droits comprennent entre autres la liberté d’expression, d’information et de la presse ; la liberté de pensée, de conscience et de religion ; la liberté de réunion, d’association et de rassemblement pacifique.
[14] Même s’il est reconnu aujourd’hui que ces droits requièrent aussi des actions positives de la part de l’Etat.
[15] Voir code pénal.
[16] Qu’est-ce qu’un Français ? : Histoire de la nationalité française depuis la Révolution, Paris, Gallimard, coll. « Folio Histoire », 2005, 646 p. (ISBN 978-2070426577).
[17] Christophe Vimbert, La tradition républicaine en droit public français, Publication Univ Rouen Havre, 1992, p.34.
[18] Sylvain Allemand, « Droit du sol versus droit du sang ? », scienceshumaines.com
[19] Voir notamment à ce sujet, Brigitte Krulic, La nation : une idée moderne, Paris, uEllipses, 1999, 176 p. (ISBN 2-729899-21-9).
[20] Paul Oriol, NATIONALITÉ – CITOYENNETÉ, la lettre de la citoyenneté, 11è année, n°64 Juillet-Aout 2003, voir également Borella François, « Nationalité et citoyenneté », in Colas D., Emeri C. et Zylberberg J. (dir.), Citoyenneté et nationalité, Perspectives en France et au Québec, Paris,
PUF, 1991, p. 209-229.
[21] « Est citoyen de l’UE toute personne ayant la nationalité de l’un des États membres » ; article 8.
[22] Droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales dans l’État membre où il réside », article 8B1. « Droit de vote et d’éligibilité au PE dans l’État membre où il réside », article 8B2. Bénéfice « sur le territoire d’un pays tiers, dont l’État membre dont il est le ressortissant n’est pas représenté, de la protection diplomatique et consulaire de tout État membre », article 8C, « droit de pétition devant le PE » et de « s’adresser au médiateur» article 8D.
[23] Lexique des termes juridiques, 13 è éditions, Dalloz, 2001.
[24] « Le cas extrême est la lutte sous une dictature où tous les droits sont supprimés mais c’est aussi le cas des sans papiers qui mènent le combat pour leur régularisation ou participent à d’autres combats au niveau du travail, du logement », Paul Oriol, NATIONALITÉ – CITOYENNETÉ, la lettre de la citoyenneté, 11è année, n°64 Juillet-Aout 2003
[25] Ibid.
[26] Entretien Monsieur Delemotte Bernard
[27] Rapellons que dans les pays du CommonWealth, la tradition veut que la Reine qui dirige ces pays. Mais ce pouvoir est somme toute symbolique, voir à ce sujet, Sarah Packard, Civilisation Britannique : British Civilization, vol. 1, Pocket, 2011, Michel Moulin, Grande-Bretagne contemporaine, Rosny-sous-Bois, Bréal, 2006, 4e éd. (ISBN 978-2-7495-0500-8), Gilbert Millat, Le déclin de la Grande-Bretagne au XXe siècle dans le dessin de presse, Paris, L’Harmattan, 2008, (ISBN 978-2-296-05798-2) (LCCN 2008448502).
[28] Article 30 de la constitution marocaine.
[29] Référence http://www.assemblee-nationale.fr/connaissance/revision.asp
[30] Article 89, alinéa 1 « L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement. »
[31] Notons cependant qu’au sein de l’Exécutif, le Président doit attendre – ou solliciter – la proposition du Premier ministre, et, en retour, le Premier ministre doit attendre – ou provoquer – la réponse du Président à sa proposition. Le président ne peut donc agir tout seul.
[32] Référence http://www.assemblee-nationale.fr/connaissance/revision.asp
[33] On parle bien sûr ici de la « navette ».
[34] Lexique des termes juridiques, 13è éditions, Dalloz 2001.
[35] Voir à ce sujet Hervé ANDRES, « Le droit de vote des étrangers, Etat des lieux et fondements théoriques », Thèse pour le Doctorat de sciences juridiques et politiques Spécialité de philosophie politique, février 2007.
[36] « Les principes de réciprocité, de liberté de preuve et de connaissance directe, et récapitulatif des moyens de preuve », http://www.oas.org/juridico/mla/fr/ven/fr_ven-mla-gen-reciprocity.html
[37] Lexique des termes juridiques, 13è édition, Dalloz, 2001.
[38] Entretient avec Mme Esther Benbassa, sénatrice d’Europe Écologie-Les Verts du Val-de-Marne depuis le 1er octobre 2011 (élue le 25 septembre 2011).
[39] Selon la loi du 27 juin 1972.
[40] Selon la loi du 11 juillet 1975.
[41] Voir toutes les réformes au niveau européens qui n’ont pas abouti du fait du refus de la France.
Mémoire de fin d’études de 28 pages.
€24.90