Mémoire portant sur les caractéristiques des crises de change et de l’instabilité monétaire internationale entre 1990 et 2000.
Les caractéristiques des crises de change et de l’instabilité monétaire internationale entre 1990 et 2000.
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Le XIXe fut le siècle de la stabilité monétaire. Le XXe celui des chaos monétaires et financiers. Le XXIe siècle commence dans un paysage monétaire révolutionnaire et apparemment stabilisé. Deux monnaies dominent le système monétaire international : le dollar et l’euro. Les années 1990 et le début des années 2000 auront vu se multiplier les crises de change, constituées de brusques variations des taux de change, accompagnées de pertes massives de réserves en devises et se traduisant par une forte dévaluation ou par le flottement d’une monnaie, en situation d’ancrage, ou bien par une dépréciation violente et subite en situation de flottement impur.
On a pu l’observer parmi les pays européens tout d’abord, au début de la décennie, puis au sein des pays émergents. Citons la crise du mécanisme de change européen en 1992-1993, la crise mexicaine de 1994-1995, la crise asiatique prenant naissance en Thaïlande, en 1997, puis les alertes touchant par la suite la Russie en mai-août 1998, le Brésil de novembre 1998 à janvier 1999, la Turquie en 2001. La question est de connaître les caractéristiques de ces crises de change et de l’instabilité monétaire internationale des années 1990. Quels en sont alors le contexte, les modalités de transmission et les différentes générations de crises.
- CADRE CONTEXTUEL DES CRISES DE CHANGE
En réponse aux deux crises majeures qui ont touché l’Europe, en 1992-1993, et l’Asie du Sud-Est, en 1997-1998, la littérature consacrée aux crises de change est rapidement devenue considérable, tant sur le plan de la modélisation théorique qu’en ce qui concerne l’estimation économétrique des facteurs ou des indicateurs de crises.
De façon générale, puisque les modèles de crises de change traitent des situations dans lesquelles une attaque spéculative provoque une dévaluation, en changes fixes, ou une forte dépréciation du taux de change, en changes flexibles impurs, malgré les interventions massives des banques centrales, il était naturel d’associer ces crises aux déséquilibres de balances des paiements et à la situation macro-économique d’un pays donné.
La prévalence récente des crises jumelles, qui associent des turbulences sur le marché des changes et des défaillances parmi les institutions bancaires ou financières, a provoqué une réorientation des analyses. Les crises de change ne sauraient seulement s’interpréter comme la sanction d’une situation macro-économique insoutenable. Elles peuvent également être associées aux fragilités de caractère micro-économique apparaissant au sein des systèmes bancaires ou financiers. On a donc assisté à une floraison de modèles de crises, surtout depuis 1998, suscitant de nouvelles typologies.
Les crises des années 90 se caractérisent ainsi :
- Crise du SME en 1992-1993 : le sterling quitte le SME, les monnaies du Sud (lire, peseta et escudo) sont dévaluées d’un quart environ.
- Crise de la zone franc en 1994 : le franc CFA est dévalué de moitié, puis ancré à l’euro en 1999.
- Crise au Mexique en 1995, le peso est dévalué.
- Crise du Sud-Est asiatique en 1997, dont les monnaies sont dévaluées de – 40 à – 80%.
- Crise en Russie en 1998, où le rouble est dévalué.
- Crise en Amérique latine en 1999-2002, le real est dévalué de – 30 %, puis le peso de 400 %.
- Crise en Turquie et en Afrique du Sud en 2001-2002 : la livre et le rand se dévalorisent de – 25 et – 30 %.
- Enfin, on s’interroge sur la faiblesse d’un euro perdant 30 % de sa valeur entre 1999 et 2001 et sur la force d’un dollar capable de perdre 30 % de la sienne entre 2002 et 2003
- LES CANAUX DE TRANSMISSION DES CRISES
Les crises de change des années 90 ont toutes données lieu à un processus de contagion. On peut regrouper en cinq catégories les canaux de transmission des crises financières :
- Le commerce international
La dépréciation de la monnaie d’une économie engendre des pertes de compétitivité pour ses principaux partenaires commerciaux les incitant à effectuer des dévaluations compétitives.
- La similarité macroéconomique
Une crise de change localisée peut se transmettre à des économies qui ont des caractéristiques macroéconomiques voisines. Si la contagion des crises est brutale, rapide et difficilement prévisible, elle ne serait pas pour autant aléatoire et indiscriminée. Certains déséquilibres, externes et internes, caractérisent les économies frappées par les crises.
- Au niveau externe, les pays frappés par les crises partagent des caractéristiques communes :
— au cours des 3 années précédant les crises, on observe une appréciation du taux de change réel qui conduit à des pertes de compétitivité
— dans l’année précédant la crise, le déficit courant était en moyenne supérieure de 2 points de pourcentage du PIB dans les pays en crise par rapport aux autres pays
— entre les pays en crise et ceux qui ne le sont pas, le ratio dette extérieure à court terme / dette extérieure était supérieure de 6 points tandis que le ratio dette extérieure à court terme / réserves était supérieure de 200 points. Autrement dit, les pays qui ont été en crise étaient vulnérables à tout changement du sentiment des investisseurs.
- Les pays en crises partagent aussi un certain nombre de déséquilibres internes, parmi lesquels :
— un ratio M2[1] / réserves élevé
— des taux d’intérêt réels élevés
— une situation de crise bancaire larvée ou révélée
— un ralentissement de la croissance économique et un taux de chômage élevé.
- Le choc extérieur commun
Il s’agit de l’« effet mousson » de Masson (2000). Sensibles aux taux d’intérêt pratiqués dans les centres financiers mondiaux, les entrées de capitaux dans les marchés émergents soumettent ceux ci au risque de retournement en cas de tensions sur les taux d’intérêt mondiaux. La transmission s’effectue ici par un retrait généralisé des capitaux des marchés émergents.
Cependant, d’autres chocs communs peuvent exercer une influence sur la contagion des crises financières :
- un ralentissement de la croissance mondiale
- des fluctuations du taux de change des principales monnaies
- et des chocs sur les prix mondiaux.
Au cours des années 90, chaque épisode de crises à été précédé par des modifications de l’environnement mondial et/ou régional.
La crise asiatique ne résulte pas d’une tension sur les taux d’intérêt mondiaux. Elle est plutôt liée à la forte dépréciation du yen contre dollar depuis 1995 (près de 40 %). En effet, comme les monnaies de ces pays étaient liées au dollar, elles ont suivi son appréciation contribuant à la dégradation rapide de leur balance courante.
- Les liens financiers
Une crise financière dans un pays conduit les investisseurs à modifier leur portefeuille pour des raisons liées à la gestion des risques ou à la recherche de liquidité. Par exemple :
- si une crise apparaît dans un pays, les investisseurs qui ont des titres de ce pays chercheront à réduire leur exposition au risque. Ils vendront donc les titres des pays dont ils pensent que le degré de risque est similaire au pays en crise.
- s’ils ont utilisé des instruments dérivés, ils peuvent être amenés à vendre des titres sur d’autres marchés afin d’obtenir de la liquidité pour répondre aux appels de marges liés aux pertes subies.
Les liens financiers expliquent donc que des pays subissent une crise financière indépendamment de leurs fondamentaux.
- Le comportement des investisseurs internationaux
Ce dernier mécanisme correspond pour certains à la contagion au sens strict du terme.
Elle désigne un changement brutal d’opinions des investisseurs — à la suite d’un choc quelconque — à propos du rendement escompté de leurs investissements, d’où un retrait massif et non discriminé des capitaux placés dans les marchés émergents.
Le comportement des acteurs peut se manifester à travers le processus de fuite vers la qualité. La fuite vers la qualité s’exprime de la manière suivante : les investisseurs internationaux délaissent de manière globale les marchés émergents et acquièrent des obligations d’État sur les marchés matures, et ce, en raison d’une incertitude quant à la durée de la crise.
- LES DIFFERNTES GENERATIONS DE CRISES
La «libre circulation des capitaux », c’est-à-dire la possibilité d’investir une épargne d’un pays dans des titres libellés dans une autre monnaie, constitue une des principales transformations de la finance durant les trente dernières années. Les marchés des changes, où les monnaies s’échangent les unes contre les autres, sont donc désormais dominés par des transactions d’origine financière. En conséquence, les « crises de change », épisodes de brusques variations du taux de change d’une monnaie provoquées par des mouvements de capitaux, sont devenues fréquentes.
- LES CRISES DE LA PREMIERE GENERATION
Ces épisodes de surendettement public, qui renvoient aux crises de balance des paiements des années 1970 et 1980 en Amérique latine, sont considérés comme inéluctables. Témoignant d’antécédents d’inflation élevée, ces pays ont cherché à adopter des taux de change fixe pour gagner en crédibilité auprès des marchés financiers, mais sans pour autant poursuivre une rigueur suffisante au niveau de la gestion de leurs finances publiques. Au début des années 1980, ils ont de surcroît été frappés de plein fouet par l’effondrement du prix des matières premières et par le brutal resserrement de la politique monétaire américaine de 1979, à l’origine du défaut mexicain de 1982.
Les réserves de change déclinent graduellement dans un premier temps. Mais, bien avant qu’elles ne se soient épuisées, une attaque spéculative les élimine soudainement dans un second temps. Deux variables sont alors susceptibles de conduire à la baisse des réserves : les prix anticipés et l’excès d’offre de monnaie. Ainsi, dans un contexte de mobilité parfaite des capitaux, une politique monétaire laxiste est incompatible avec le maintien d’une parité fixe et peut conduire à l’effondrement du change (triangle d’incompatibilité de Mundell). Plusieurs variables permettent donc d’expliquer les crises des années 70-80 en Amérique latine : les réserves de change, le crédit intérieur, le déficit budgétaire et l’inflation anticipée.
- LES CRISES DE LA DEUXIEME GENERATION
A la différence des crises de première génération, ces crises ne sont pas exclusivement le résultat de politiques macroéconomiques inappropriées entre les objectifs internes et externes des autorités. Les attaques peuvent se produire malgré un niveau de réserves suffisant par rapport à la balance des paiements. Depuis la seconde moitié des années 1980, l’accès aux marchés de capitaux confère aux réserves un rôle explicatif moins important par rapport aux crises des années 1970, dans la mesure où elles peuvent y être empruntées. Ainsi, l’abandon d’une parité fixe n’est plus exclusivement lié à l’épuisement des réserves de change.
- LES CRISES DE LA TROISIEME GENERATION
Dans la troisième génération, on peut constater à l’évidence les liens entre la fragilité des systèmes bancaires et les crises de change. Ce qui témoigne des crises mexicaines (1994-95) et asiatiques (1997-98).
- Les déterminants externes : les afflux de capitaux étrangers
Les crises de change sont indissociables des afflux de capitaux. Ces derniers augmentent en raison des bonnes perspectives de croissance et de taux de rendements, d’une dérégulation financière et d’un système de change fixe qui assure implicitement les investisseurs. Le schéma selon lequel les flux de capitaux croissent fortement en amont des crises puis diminuent peu avant l’effondrement du change, semble se reproduire avec une certaine régularité dans les crises des années 1990, quels que soient les pays et les zones régionales étudiés.
- Les déterminants internes : la fragilité des bilans des acteurs privés
L’intermédiation, qui a pour fonction de transformer les liquidités, est par nature vulnérable aux ruées des déposants. En économie fermée, l’assurance des dépôts vise à prévenir les retraits paniques des déposants et le prêteur en dernier ressort à interrompre toute ruée effective. En Asie, les banques centrales étaient cependant incapables de jouer ce rôle, ne créant que de la monnaie locale alors que les investisseurs souhaitaient retirer leurs dépôts en devises. Seules les banques internationales, par le renouvellement des lignes de crédits en devises, ou un prêteur international en dernier ressort, pouvaient interrompre la crise de liquidité. De fait, les anticipations de ruées sur les banques se sont confirmées et parfois auto-réalisées
Il existe également différents facteurs de crise : la détérioration des bilans des intermédiaires financiers, la détérioration des bilans non financiers via la variation du prix des actifs, le surendettement et fragilité des bilans des entreprises. Les indicateurs micro-économiques sont ainsi meilleurs que les indicateurs macro-économiques pour prédire les crises (notamment mexicaines et asiatiques).
BIBLIOGRAPHIE
- André CARTAPANIS, Le déclenchement des crises de change : qu’avons-nous appris depuis dix ans?, La documentation française 2004/1 – n° 97, février 2004.
- Ahmed KSAIER, Essai d’élaboration d’un système préventif de crise de change, 2004.
- Béatrice MAJNONI D’INTIGNANO, L’instabilité monétaire, PUF, octobre 2003.
- Vincent BOUVATIER, Crise de change et politique monétaire optimale dans un modèle de troisième génération : le rôle de la prime de risque.
- Banque de France, cycle économique et politique monétaire, Paris 2003.
- Olivier DAVANNE, Origine, déroulement et prévention des crises monétaires,
- Camille CORNAND, La coordination des spéculateurs lors d’une crise de change : impact de la structure d’information, 2005.
- wikipedia.org
[1] Une masse monétaire M2, donc le crédit, augmentant trop vite par rapport aux réserves de change, qui, elles, diminuent.
Mémoire de fin d’études de 6 pages.
€24.90