Mémoire portant sur l’exception sportive et le droit de l’Union européenne.
Université de Paris I Panthéon-Sorbonne
Master 2 Professionnel Droit du Sport
Mémoire
Sous la direction de « titre » Alexandre Husting
par Alvaro Ribeiro
« date : mois et année » |
L’exception sportive et le droit de l’Union européenne |
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CJCE | Cour de justice des Communautés européennes |
Europe | Revue Europe |
RAE | Revue des affaires européennes |
Rec. CJCE | Recueil des arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes |
RJ. com. | Revue de jurisprudence commerciale |
RMCUE | Revue du marché unique européen |
RTDE | Revue trimestrielle de droit européen |
TCE | Traité instituant la Communauté européenne |
TFUE | Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne |
Le XXème siècle peut être considéré à juste titre comme étant le siècle de la « Révolution sportive ». Depuis les Olympiades grecques jusqu’au Baron Pierre de Coubertin, le sport n’a quasiment pas été modifié, que ce soit dans sa pratique ou dans sa culture. Le sportif était alors vertueux[1], pur, incorruptible, et incarnait par essence l’héroïsme.
Les années 1980 ont été marquées par ce bouleversement sportif. Depuis une vingtaine d’années, l’argent s’est immiscé progressivement dans chacune des ramifications sportives[2]. Cette interpénétration économique est par ailleurs devenue inéluctable depuis le début des années 1990, depuis que les investisseurs privés[3] ont compris le potentiel économique illimité du sport.
Quelles sont les conséquences actuelles de cette nouvelle donne ? Premier constat éloquent : l’image du sportif n’est plus aussi idyllique. « Dopés » et « millionnaires » seront les deux qualificatifs les plus usités. Cette vision, certes réductrice, semble bien déroger à la perception des deux derniers millénaires. Quoiqu’il en soit, malgré toutes les affaires qui gangrènent son image[4], le sport reste le plus merveilleux ambassadeur des nations et des peuples, comme en témoigne l’extraordinaire popularité historique des Jeux Olympiques, de la Coupe du Monde de football ou encore du Tour de France de cyclisme.
Cependant, si cette popularité est le principal atout du sport, elle reste son Talon d’Achille. Les investisseurs européens l’ont compris depuis dix ans, les américains bien avant eux. Ces derniers n’ont-ils pas amendé le Sherman Antitrust Act en 1961 afin d’exempter des règles de concurrence américaines le monde sportif professionnel et de permettre ainsi la sauvegarde d’une structure monopolistique dérogatoire. Ces quatre ligues sportives[5] sont pourtant de véritables entreprises ou associations d’entreprises au sens des règles américaines et communautaires de concurrence, à l’intérieur desquelles gravitent d’autres entreprises filiales (les clubs sportifs). Le spectacle est garanti au détriment d’un sport tel que nous pouvons le concevoir en Europe. Aussi n’est-il pas surprenant de voir les américains beaucoup plus regardant sur les profits et beaucoup moins sur le dopage.
Le sport américain ne relève pas de la même logique que notre conception européenne. Il n’y a pas dans les ligues professionnelles américaines d’incertitude sportive puisque n’y figurent pas les systèmes de promotion ou de relégation. Les américains sont dans l’ère du sport spectacle. Nous n’en sommes pas très loin. Nous n’avons pris conscience que très récemment de ce phénomène nouveau dans la culture sportive, et des dangers qu’il représente pour l’équilibre du modèle sportif européen. Depuis le début des années 90 en effet, les rapports économiques avec le sport ont évolué de manière exponentielle, pour les sports à forte couverture médiatique. À tel point qu’aujourd’hui, cette évolution semble irrémédiable.
Dans ce nouveau contexte, à mesure que l’attractivité économique du sport grandissait, le droit communautaire s’est progressivement immiscé dans les rapports sportifs. Depuis la jurisprudence Walrave du 12 décembre 1974[6], la Cour de justice des Communautés européennes a ouvert la voie à l’application des principes fondamentaux du droit communautaire au sport « dans la mesure où il constitue une activité économique au sens de l’article 2 du Traité[7] ». Depuis cette jurisprudence de principe, l’ensemble des activités économiques gravitant autour du sport pouvait être soumis à la fois aux règles de concurrence issues des articles 81 et suivants du TCE (Traité instituant la Communauté européenne)[8], mais également aux grands principes fondamentaux du droit communautaire concernant l’établissement du Marché Commun : libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux[9].
L’arrêt Bosman du 15 décembre 1995[10] fut véritablement le point d’orgue de la jurisprudence sportive relative à la libre circulation des travailleurs et au principe de non-discrimination pour raison de nationalité. Par cette décision, certaines pratiques attentatoires aux droits essentiels du sportif professionnel ressortissant de l’Union européenne, les règles de transfert et les clauses de nationalité, seront abolies, mettant un coup d’arrêt salvateur aux dérives du « marché » du football.
Néanmoins, il semble que les conséquences de l’arrêt Bosman n’aient pas été mesurées en 1995 par les juges du Luxembourg. N’ayant pas pris la peine de mesurer suffisamment les conséquences sportives et économiques de sa décision, la CJCE a en réalité favorisé l’émergence croissante de l’argent dans le monde sportif européen. En l’espace de quatre ans, les salaires des footballeurs professionnels ont explosé[11]. Les indemnités de transfert des sportifs, pourtant contraires à la libre circulation des travailleurs et prohibées depuis l’arrêt Bosman, ont été contournées dans la pratique[12]. Enfin, sur un plan purement sportif, les pays exportateurs de talent comme la France sont pillés de leur richesse, faute de pouvoir lutter à armes égales contre les clubs étrangers côtés en bourse ou bénéficiant des largesses étatiques[13].
La CJCE. a en quelque sorte mis au pas le monde sportif, sans lui donner les moyens de se préparer efficacement. Faut-il pour autant lui permettre de s’exonérer des exigences communautaires ? L’activité sportive doit-elle être perçue exclusivement sous un angle économique ? Le développement qui va suivre se focalisera sur ces points.
Il est avéré que le sport répond à des spécificités qui échappent totalement à l’économie. La règle de solidarité, laquelle permet une répartition équitable des droits télévisuels entre les clubs participant à une même compétition, reste le meilleur argument à cette particularité. Les compétiteurs, quelle que soit la dimension de la compétition (régionale, nationale, européenne ou internationale) ou leur nature intrinsèque (nations, fédérations sportives, clubs ou individus), ont intérêt avant toute chose à ce que leurs concurrents soient toujours plus performants. L’intérêt sportif n’a jamais été de dominer et d’éradiquer toute forme de concurrence, préoccupation échappant aux activités économiques classiques. Aussi, ce paradoxe ne permet d’appréhender le sport sous un angle exclusivement économique.
La CJCE, depuis ses deux décisions en date des 11[14] et 13[15] avril 2000, prises dans le cadre des affaires Deliège et Lehtonen, semble porter beaucoup plus d’attention à cette spécificité et poser les bases d’un pragmatisme salutaire.
La méthode radicalement opposée consisterait donc à imposer une exception sportive, à exonérer de manière plus radicale le monde sportif du droit commun (communautaire et par défaut interne). Plusieurs voies sont envisageables, notamment selon le modèle américain précité (dérogation au droit communautaire de la concurrence) ou par l’introduction formelle d’une disposition au TCE (sous l’article 151 du TCE, relatif à l’exception culturelle).
L’exception sportive reste toujours, et plus que jamais, au coeur des débats. Elle constitue une simple fiction juridique, situation voulue par les institutions communautaires, ces dernières préférant préserver les caractéristiques du sport autour de la notion de spécificité sportive dans le cadre communautaire.
Pour une meilleure appréhension du sujet, nous allons exposer dans une première partie l’application du principe de la libre circulation au secteur sportif européen (Partie I). Dans une seconde partie, il sera question de l’exception sportive, comme seule altérnative aux effets de l’arrêt Bosman (Partie II).
PARTIE I. – L’APPLICATION DU PRINCIPE DE LA LIBRE CIRCULATION AU SECTEUR SPORTIF EUROPEEN
Les premières initiatives de la Commission européenne en matière sportive se sont traduites par des investissements dans des épreuves internationales d’envergure afin de rechercher un impact médiatique tout en permettant la mise en valeur de l’aspect communautaire. Si le sport semble garder ses valeurs symboliques, jouant de fait un rôle politique majeur, les grandes compétitions sportives sont devenues de véritables spectacles, particulièrement suivis par des millions de téléspectateurs. À ce titre, les acteurs intervenant sur la grande scène sportive sont considérés comme de réels professionnels, qu’ils occupent officiellement ou non ce statut. Pourtant, le mouvement sportif européen n’a pas su construire assez tôt le cadre juridique adapté permettant d’anticiper sur l’évolution sociale des pratiques. Bien au contraire, c’est la demande du grand public qui, plébiscitant les pratiques sportives de haut niveau, a provoqué un important mouvement de professionnalisation, lequel, bien qu’amorcé depuis de nombreuses années, s’est amplifié ces derniers temps.
C’est pourquoi il est patent de constater que la première question que le mouvement sportif européen a dû traiter concerne le respect du principe de la libre circulation des travailleurs. Ce dernier est inscrit dans l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et apparaît dans le cadre plus général de la libre circulation des personnes qui est l’un des quatre concepts fondateurs de la Communauté européenne.
Dans cette première partie, nous allons exposer le champ d’application du principe de la libre circulation et les difficultés liées à la spécificité du secteur sportif (Chapitre I) d’une part, et les effets de l’activité économique sur le sport (Chapitre II) d’autre part.
CHAPITRE I. – CHAMP D’APPLICATION DU PRINCIPE ET DIFFICULTES LIEES A LA SPECIFICITE DU SECTEUR SPORTIF
Évoquer le statut du sportif professionnel au sein de la Communauté européenne implique un éclaircissement sur la notion de travailleurs en droit communautaire. La lecture du TFUE ne permet pas de trouver une définition de ce terme. Cependant, La Cour de justice des Communautés européennes a déclaré que cette notion de travailleur ne peut pas relever du droit interne et qu’elle revêt une portée communautaire. À ce titre, la jurisprudence de ladite juridiction a permis de dégager trois critères essentiels qui caractérisent la relation du travail. C’est le fait pour un individu d’effectuer des activités pendant un temps donné, pour le compte d’une personne et sous sa direction, et d’obtenir en contrepartie une rémunération[16].
Il est nécessaire que cette activité soit réelle et effective ; elle peut être pratiquée à temps partiel et même procurer une rémunération inférieure au salaire minimum fixé par le pays d’accueil[17].
Malgré les nombreuses difficultés rencontrées ces dernières années, le mouvement sportif européen a admis le statut du sportif professionnel mais l’a construit à sa mesure. De plus, les statuts donnés aux différents sportifs varient selon les sports considérés. Certains sont salariés, d’autres travailleurs indépendants. La diversité des logiques et des systèmes sociaux nationaux ne peut qu’ajouter à la confusion.
C’est pourquoi il est intéressant d’appliquer la solution communautaire au secteur sportif. Alors, il apparaît nettement que le sportif professionnel, vivant principalement de sa pratique, n’est plus seul concerné par cette dimension économique. Tout ressortissant communautaire pratiquant une activité physique et sportive et obtenant de cet investissement une rémunération même accessoire peut être considéré comme un travailleur et, à ce titre, bénéficier de toute la protection du droit communautaire afférente à son état.
C’est ainsi que dans l’arrêt Lawrie-Blum, la Cour n’a pas manqué de souligner que l’article 39 du TCE (actuellement article 45 du TFUE) s’applique à toute activité qui présente le caractère d’une prestation de travail rémunérée, quel que soit par ailleurs le secteur dans lequel elle est effectuée ; de plus, la Cour n’a pas retenu l’argument qui consistait à dire que la prestation concernée était accomplie dans le cadre de l’enseignement et, de fait, ne pouvait pas rentrer dans le champ d’application de l’article 39 de par son caractère non économique.
Cette jurisprudence, complétée par d’autres, démontre bien que le sport malgré ses fortes spécificités ne semble pas pouvoir obtenir un traitement différencié qui lui permette d’échapper en partie au régime du droit communautaire. Toutefois, et en raison de la complexité des questions soulevées ayant trait à la définition exacte du travailleur sportif, il nous paraît logique d’évoquer la genèse d’une construction à la fois contradictoire et confuse du mouvement sportif européen qui a abouti dans un premier temps à l’arrêt Bosman.
Section 1. – Notion d’activité économique et critères de son application au mouvement sportif
La pratique sportive, se développant de plus en plus, a permis de faire intervenir assez rapidement le droit communautaire. C’est ainsi que deux affaires ont successivement été soumises à la Cour de justice des Communautés européennes à la suite de demandes de juridictions nationales ayant eu recours à la question préjudicielle dans le but d’obtenir une interprétation du droit communautaire (l’affaire Walrave et l’affaire Dona).
Ce contentieux concerne deux entraîneurs motocyclistes de nationalité hollandaise ayant prêté leur concours, moyennant rémunération, à l’organisation de courses cyclistes de demi-fond appelées stayers. Cette pratique sportive met en scène deux équipes composées chacune d’un motocycliste et d’un cycliste. Dans le sillage du premier court le second.
Les deux entraîneurs considérés comme parmi les meilleurs du monde deviennent les coéquipiers de coureurs cyclistes de nationalités différentes. Cependant, la Fédération internationale de cyclisme décide d’intégrer une nouvelle règle pour les championnats du monde de 1973 en imposant la formation d’équipes composées de sportifs de même nationalité. Les intéressés, considérant cette disposition réglementaire interne à la fédération contraire au Traité de Rome, assignent l’Union cycliste internationale devant le tribunal d’Utrecht, lequel soumet ensuite à l’appréciation de la Cour de justice un certain nombre de questions préjudicielles. La juridiction communautaire est appelée à se prononcer sur la légalité du règlement de l’Union cycliste internationale par rapport aux articles 7, 48 et 59 du Traité de Rome[18].
L’enseignement principal tiré de cet arrêt confirme que l’exercice de la pratique sportive ne relève du droit communautaire que dans la mesure où il constitue une activité économique au sens de l’article 2 du TCE.
L’arrêt précise par ailleurs que l’interdiction de discrimination fondée sur la nationalité, édictée par les articles 12, 39 et 49 du TCE (actuellement articles 18, 45 et 56 du TFUE), ne concerne pas la composition d’équipes sportives, en particulier sous forme d’équipes nationales, la formation de ces équipes relevant uniquement du sport et par conséquent restant étrangère à toute activité économique.
Il est intéressant de souligner que, dans ce cas là, il n’est nul besoin d’une argumentation juridique élaborée. Une équipe nationale ne peut être composée que de ressortissants du même pays. De plus, les règlements des fédérations sportives de différents États membres prévoient que les joueurs professionnels doivent participer aux compétitions internationales s’ils sont sélectionnés.
Cette clause peut donc constituer une justification légale bien qu’elle ne relève que d’une disposition interne au mouvement sportif.
Cette difficulté rencontrée par le juge communautaire sur la composition des équipes nationales, l’obligeant à accepter une dérogation, montre à quel point les particularismes du monde sportif réclament une approche adaptée.
La Cour poursuit en soulignant que la prohibition de ces discriminations s’impose non seulement à l’action des autorités publiques mais s’étend également à des structures d’une autre nature visant à régler de façon collective le travail salarié et les prestations de services.
Ainsi, et à partir du moment où un organisme privé décide de réglementer des activités qui font référence à des relations salariales ou à des notions de prestations de service, ce qui est généralement le cas d’organisations sportives affiliées à des fédérations, il se doit de respecter les principes communautaires et de s’interdire toute discrimination fondée sur la nationalité.
L’arrêt évoque également le problème de la territorialité liée à l’application des principes
communautaires. La règle de non-discrimination s’impose pour l’appréciation de tous rapports juridiques dans la mesure où ces rapports, en raison soit du lieu où ils sont établis, soit du lieu où ils produisent leurs effets, peuvent être localisés sur le territoire de la Communauté.
Il semblait utile que la Cour fasse référence au champ d’application de la clause restrictive objet du litige, car elle avait été conçue au sein d’une organisation internationale. L’Union cycliste internationale regroupe elle-même deux fédérations internationales qui représentent plus de cent fédérations nationales. De plus, ce règlement a été appliqué lors du championnat du Monde qui a eu lieu à Madrid alors qu’à l’époque, l’Espagne n’était pas encore membre de la Communauté européenne.
Enfin, les juges du Luxembourg n’écartent pas l’application de l’article 49 TCE dans la mesure où il vise à éliminer toute discrimination fondée sur la nationalité. C’est pourquoi les juridictions nationales sont tenues de sauvegarder ces droits.
Ce premier arrêt, concernant la pratique sportive, est intéressant dans la mesure où il pose, dès cette époque, des problèmes de fond bien que le mouvement sportif européen n’ait pas encore atteint le seuil de développement qui est le sien à la fin de ce siècle. Il était donc nécessaire d’évoquer en détail les questions soulevées afin de mieux apprécier leur traitement dans le temps.
D’ailleurs, un second arrêt rendu par la même juridiction et à propos également d’une affaire sportive montre bien la complexité du règlement de ces problèmes.
Il n’est pas étonnant de constater qu’après le cyclisme c’est le football qui interpelle le droit communautaire. M. Montero, responsable d’un club italien de football évoluant en 2ème division, souhaite renforcer son équipe et s’adresse à un intermédiaire afin de trouver un joueur à la hauteur des ambitions de cette association sportive.
- Dona, impresario sportif, fait paraître dans un journal sportif belge une annonce dont le remboursement lui est refusé par le président du club dans la mesure où les règlements de la Fédération italienne de football ne permettent pas l’utilisation de joueurs étrangers.
Au-delà du caractère semble-t-il prémédité de ce contentieux qui paraît avoir été élaboré de concert par les deux parties, afin de poser le problème de la légitimité des clauses limitatives contenues dans le règlement de la Fédération italienne de football, le juge national, dans le règlement de cette affaire, pose un certain nombre de questions préjudicielles[19] pour la plupart déjà évoquées dans le cadre de l’arrêt Walrave.
Les réponses apportées confirment les positions prises précédemment par la Cour. Les pratiques sportives, reconnues comme des activités économiques, relèvent nécessairement du droit communautaire. L’article 39 du TCE qui assure la libre circulation des travailleurs s’applique en totalité à partir du moment où les pratiques sportives s’effectuent contre rémunération, que ce soit dans le cadre d’une relation salariale ou à l’occasion d’une prestation de services.
Par ailleurs, toute disposition nationale qui réserve aux seuls ressortissants d’un État membre une activité entrant dans le champ d’application des articles 39 à 42 ou 49 à 55 du TCE (actuellement articles 45 à 48 ou 56 à 62 du TFUE) est incompatible avec la règle communautaire.
Enfin, l’arrêt Dona confirme l’arrêt Walrave dans le sens où l’interdiction de discrimination ne s’impose pas uniquement aux autorités publiques mais aussi selon la cause « aux réglementations d’une autre nature visant à régler de façon collective le travail salarié et les prestations de service ».
En revanche, c’est la manière dont la dérogation concernant la composition d’équipes est interprétée qui différencie les deux arrêts. Alors que l’arrêt Walrave considère que la formation des équipes nationales est une question strictement sportive, donc ne relevant pas d’une activité
économique, l’arrêt Dona souligne que n’est pas incompatible avec le droit communautaire « une réglementation en pratique excluant les joueurs étrangers de la participation à certaines rencontres pour des motifs non économiques, tenant au caractère et au cadre spécifiques de ces rencontres et intéressant donc uniquement le sport en tant que tel, comme il en est par exemple de rencontres entre équipes nationales de différents pays ».
L’arrêt Dona confirme la reconnaissance de la spécificité sportive sur ce point particulier de la composition d’équipes et l’ambiguïté de l’énoncé permet d’ouvrir les conditions d’application de la dérogation.
Si la Cour donne comme exemple la composition d’équipes nationales, le fait d’utiliser le terme « certaine rencontre » permet de concevoir qu’une région forme son équipe avec les seuls joueurs issus de cette même unité géographique.
Section 2. – Ambiguïté des accords entre la Commission des Communautés et l’UEFA
Au lendemain des arrêts Walrave et Dona, des négociations ont été entamées entre la Commission des Communautés européennes et l’UEFA (Union européenne de football association). Dès 1978, l’UEFA
s’est engagée à supprimer les clauses de limitation du nombre de joueurs étrangers appartenant à la Communauté européenne.
Mais en réalité un certain laxisme s’est instauré entre les deux protagonistes. La Commission ne s’est pas vraiment inquiétée du respect de cet accord et n’a pas souhaité soulever le problème des transferts. Du côté du mouvement sportif européen on s’est très bien accommodé de cette situation qui a permis, en fait, de continuer d’appliquer les clauses de limitation de joueurs étrangers au nom de l’intérêt sportif général.
Il a fallu attendre le 18 avril 1991 pour aboutir à un accord dit « gentlemen’s agreement » concernant le nombre de joueurs non nationaux pouvant faire partie d’une équipe. La Commission des Communautés admet ipso facto une dérogation et fait une interprétation extensive de la jurisprudence communautaire. En effet, l’UEFA est autorisée à admettre les règles suivantes : dans les conditions de pratique du football de 1re division, ont la possibilité de faire partie de l’effectif d’une équipe trois joueurs non nationaux au moins, ainsi que deux joueurs non nationaux actifs depuis cinq ans sans interruption dans le pays concerné dont trois années passées au sein d’une équipe de jeunes. Le système est étendu aux autres niveaux de championnat à partir du moment où des joueurs professionnels sont concernés et ce, au plus tard, à la fin de la saison 1996/1997.
Ce même accord maintient le principe au terme duquel les relations économiques entre deux clubs ne lient pas le sportif qui reste libre de jouer dans un autre club à l’expiration de son contrat et indépendamment des négociations suscitées par les indemnités de transfert.
L’absence de fermeté de la Commission par rapport au respect du principe de la libre circulation des travailleurs, visé dans l’article 39 du Traité, montre à quel point l’interprétation de certains attendus de l’arrêt Dona ont permis au mouvement sportif de maintenir ses caractéristiques.
La grande tolérance des autorités communautaires aurait sans doute duré s’il n’y avait pas eu une contestation d’un joueur de football, M. Bosman. Les premières phases de son action ont permis de montrer que l’accord UEFA/Commission était en fait implicite, sans existence légale et qu’ainsi il ne pouvait pas produire d’effets à l’égard des tiers.
Cette longue période intermédiaire entre l’arrêt Dona et le début du contentieux entre Bosman et l’UEFA démontre combien le sport a su s’organiser pour préserver ses acquis mais sans savoir anticiper sur l’avenir.
CHAPITRE II. – EFFETS DE L’ACTIVITE ECONOMIQUE SUR LE SPORT : ARRET BOSMAN
Il n’est plus à démontrer que l’industrie du sport représente en Europe un volume financier considérable. L’avenir laisse supposer que ce secteur d’activité est capable de générer des masses financières plus importantes encore en raison de la réorganisation des réseaux commerciaux. Les acteurs du spectacle sportif ont les mêmes rémunérations que les vedettes de cinéma ou de music-hall.
Pourtant, la non-application des dispositions communautaires, rendue possible par les dérogations explicites et implicites accordées successivement par la Cour de justice et la Commission, a permis au sport d’échapper aux conséquences liées à l’activité économique. Il a fallu la détermination farouche d’un individu face à une technocratie sportive influente pour donner l’occasion aux autorités communautaires d’affirmer l’importance primordiale du respect des principes fondateurs de de l’Union européenne[20].
Section 1. – Dispositions sportives européennes et respect de l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
Depuis l’arrêt Dona, l’article 45 du TFUE (ex-article 39 du TCE) qui énonce comme principe essentiel la libre circulation des personnes ainsi que l’abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité des travailleurs des pays membres ne s’est pas vraiment appliqué au sport en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.
Pourtant ce secteur social est bien considéré comme une activité économique et certains intervenants exercent une réelle activité professionnelle. On ne peut donc qu’être étonné par ce long silence valant acceptation de la part des autorités communautaires.
Bien que, depuis les années 1974/1976, des litiges aient pu naître au sein du monde sportif
professionnel, les fédérations sportives nationales ainsi que l’UEFA, structure représentant le football au niveau européen, ont su justifier auprès de leurs adhérents et des autorités publiques communautaires la pertinence des mesures réglementaires adoptées concernant les clauses de nationalité et les indemnités de transfert. De plus, les joueurs concernés ont sans doute hésité avant de se lancer dans une procédure longue et onéreuse d’autant plus que certains tribunaux nationaux ne se sont pas vraiment mobilisés pour poser les questions préjudicielles à la Cour de justice.
La Commission saisie très tôt par ce problème aurait pu agir de manière plus efficace auprès des responsables sportifs. Une raison technique explique cette carence. Il aurait été possible d’effectuer un recours sur la base de l’article 169 du TCE (actuellement 258 du TFUE) concernant les manquements au droit communautaire commis par les États membres. Mais cet outil juridique aurait visé alors des dispositions établies par un ordre juridique privé. En considération de l’article 169, il aurait fallu alors sanctionner un État membre n’ayant pas respecté les clauses du Traité par omission, et surtout n’ayant pas voulu réagir à des dispositions sportives internes contraires aux principes communautaires. Si cette démarche juridique reste possible, elle est cependant complexe et n’est pas certaine d’aboutir.
La Commission s’est également hasardée, toujours avec beaucoup de prudence, sur le terrain de la concurrence et elle n’a fait preuve d’un peu plus de velléités sur ce point que dans les quelques mois qui ont précédé l’arrêt Bosman. La Commission a été saisie de trois plaintes sur la base des articles 81 et 82 du TCE (actuellement articles 101 et 102 du TFUE) contre la FIFA et l’UEFA ainsi que les fédérations nationales et les clubs concernés par chaque plainte.
C’est dans ce contexte général que le recours de M. Bosman a pu être instruit et a donné les résultats que nous tenterons d’analyser. Précisons que dans d’autres affaires faisant référence aussi aux compétences respectives de la Communauté et des États membres, la Cour de justice avait manifesté une certaine réserve. Ainsi et malgré l’importance de la question soulevée, rien ne pouvait laisser espérer pour M. Bosman un résultat positif.
- Bosman, joueur professionnel de football, est salarié au Racing Club de Liège au cours de la saison 1988/1989, en vertu d’un contrat expirant le 30 juin 1990.
Le mois d’avril 1990, son club lui propose un nouveau CDD, pour une saison, mais avec une réduction conséquente de sa rémunération. M. Bosman refuse et est alors inscrit sur la liste des transferts. Aucun club n’ayant manifesté la volonté de s’octroyer ses services, l’intéressé prend contact directement avec le club français de Dunkerque évoluant en deuxième division.
Dès le mois de juillet 1990, un contrat entre le club belge et le club français prévoit un transfert temporaire de Bosman, moyennant le versement d’une indemnité exigible dès réception par la Fédération française de football du certificat de transfert.
Mettant en doute la solvabilité du club français, le club de Liège ne donne pas suite aux formalités de transfert et suspend M. Bosman qui, dès lors, ne peut participer au championnat durant toute une saison.
Afin de faire valoir son préjudice, le joueur intente plusieurs recours en justice. Le 28 mai 1991, la cour d’appel de Liège[21] réforme l’ordonnance de référé du tribunal de Première instance dans la mesure où elle pose une question préjudicielle à la Cour. Toutefois, le club belge se voit condamné à payer une provision mensuelle à M. Bosman.
Parallèlement, M. Bosman intente un recours contre la Commission afin de demander l’annulation de l’accord UEFA-Commission. La Cour de justice déclare cette action irrecevable par une ordonnance d’octobre 1991[22] et par-là même dément tout caractère officiel de cette entente qui, à ses yeux, n’a pas d’effets juridiques. Cet épisode de procédure est intéressant car il démontre la force des accords implicites qui ne peuvent pas faire l’objet d’un recours en annulation, compte tenu de leur caractère officieux, mais qui s’appliquent pourtant en fonction du comportement de chacune des parties.
- Bosman ne se décourage pas et, dans le même temps, porte l’affaire au fond devant le tribunal de première instance de Liège. L’UEFA et l’Union belge des sociétés de football (l’URBSFA) sont appelées dans la cause ; c’est également le cas du club français de Dunkerque interpellé par son homologue belge. Le syndicat professionnel français de football et l’association de droit néerlandais interviennent volontairement dans le litige.
Par jugement du 11 juin 1992, le tribunal de première instance de Liège[23] se déclare compétent et admet pouvoir traiter les questions relatives aux transferts et aux clauses de nationalité. En revanche, ce tribunal interroge la Cour sur l’interprétation des articles 48, 85 et 86 du TCE.
Les trois parties en cause font appel de cette décision de première instance et obtiennent de fait la suspension de la décision.
La cour d’appel de Liège, à nouveau sollicitée, rend le 1er octobre 1993 un arrêt qui confirme les décisions des premiers juges mais pose des questions qu’il nous paraît important d’évoquer et qui ont été soumises aux magistrats du Luxembourg.
Les articles 39, 81 et 82 du Traité de Rome doivent-ils être interprétés dans la mesure où ils interdisent :
- qu’un club de football puisse exiger et percevoir le paiement d’une somme d’argent à l’occasion de l’engagement d’un de ses joueurs arrivé au terme de son contrat, par un nouveau club employeur ;
- que les associations ou fédérations sportives nationales ou internationales puissent prévoir dans leurs réglementations respectives des dispositions limitant l’accès à des joueurs étrangers ressortissants de la Communauté européenne aux compétitions qu’elles organisent.
Le déroulement de cette procédure qui met en cause un nombre important de parties aux procès, la succession d’appels et de radiations, font que ces événements démontrent combien les litiges ont pu être mobilisateurs.
Il est clair que les principaux défenseurs dans le cadre de ce conflit judiciaire ont multiplié les actions de procédure afin de gagner du temps. Toutefois, la spécificité du litige ainsi que les aspects particuliers des règles internes au football n’ont pas facilité la compréhension de l’affaire. Il a fallu la forte détermination de M. Bosman, encouragé par une équipe de juristes intéressés par l’importance de l’enjeu pour la faire aboutir, ce qui démontre pour le moins que l’organisation du mouvement sportif est particulière et qu’elle réclame une approche adaptée.
Le football européen, comme d’ailleurs tout le mouvement sportif, est organisé de manière pyramidale. La base est constituée par de nombreuses associations locales, elles-mêmes affiliées à une fédération nationale, membre d’une organisation internationale.
La Fédération internationale du football (FIFA), régie par le droit suisse comme de nombreuses fédérations internationales, se subdivise en confédérations continentales. Pour l’Europe, c’est l’UEFA qui est chargée d’organiser les championnats relevant de sa compétence. Elle a élaboré un règlement très précis, propre au football.
En ce qui concerne les transferts, une règle est à respecter. Tous les contrats des joueurs professionnels, d’une durée d’un à cinq ans, doivent prendre fin au 30 juin en raison de la périodicité des saisons sportives.
Le 26 avril de l’année considérée, le club doit proposer un nouveau contrat au joueur. Si ce dernier refuse, il est inscrit sur une liste de sportifs qui peuvent faire l’objet d’un transfert ; s’il se situe entre le 1er et le 31 mai, c’est le transfert dit « imposé ».
À partir du 1er juin, les transferts sont libres c’est-à-dire qu’ils se font sur la base d’un accord entre les deux clubs concernés et le joueur. Si le nouveau club ne verse pas l’indemnité, fruit de l’entente avec le club cédant, il encourt des sanctions réglementaires.
En cas d’absence de transfert, le club doit proposer un nouveau contrat à son joueur. Si ce dernier refuse, il peut être suspendu et perdre son statut de professionnel.
Afin d’ajouter à la complexité de ce système, la FIFA et l’UEFA n’ont pas la possibilité de faire appliquer directement ce dispositif. Elles le font par l’intermédiaire des organisations nationales qui ont adapté elles-mêmes leur réglementation à certaines spécificités. En France et en Espagne, l’indemnité ne peut être demandée que si le joueur transféré est âgé de moins de 25 ans ou si l’ancien club est celui avec lequel le joueur concerné a signé son premier contrat professionnel. En Grèce, la formule est un peu différente. En somme, les règles sont variables et doivent tenir compte du contexte juridique et des caractéristiques réglementaires de chaque fédération nationale.
Le problème des transferts est à l’origine de l’affaire Bosman. C’est à la suite de l’échec subi par ce dernier que ce litige a éclaté. On peut donc se demander si la réglementation de l’UEFA sur les transferts respecte ou non le principe de la libre circulation des personnes.
Une deuxième question est sous-jacente à la première. Le système de transfert ne constitue-t-il pas une forme d’entente entre des entreprises sportives, ce qui serait non conforme aux règles communautaires sur la concurrence ?
Les clauses de nationalité constituent le deuxième thème fort de la réglementation interne à l’UEFA.
Dès les années 1960, des clauses de limitation du nombre de joueurs étrangers ont été insérées dans des règlements.
Le football n’est pas le seul sport concerné et le basket-ball français en particulier a connu de nombreuses vicissitudes sur ce terrain et, malgré un arrêt du Conseil d’État[24], a maintenu des règles dérogatoires au droit national et communautaire.
La résistance dont fait preuve le mouvement sportif dans son ensemble, et les accords implicites qu’il a pu obtenir, soit auprès de ses propres adhérents, soit avec les autorités communautaires afin de déroger au principe de non-discrimination, démontre une volonté de légitimer ses propres pratiques.
Mais dans le même temps, la Cour de justice des Communautés européennes a décidé de traiter cette affaire de manière très détaillée parce que le domaine du sport, et en particulier le football, très populaire, donne l’occasion de médiatiser le rôle de cette haute juridiction. C’était donc l’occasion à saisir pour réaffirmer la suprématie d’un droit supranational comme le droit communautaire sur la base d’un des principes fondateurs de la construction européenne.
Les magistrats de la Cour de justice des communautés européennes font référence à la jurisprudence antérieure[25] pour rappeler que le sport est une activité économique au sens de l’article 2 du TCE permettant la relation salariale ou la prestation de service et, qu’à ce titre, il relève bien du droit communautaire.
Mais au-delà du rappel de ce principe, très peu respecté par le mouvement sportif européen en raison des clauses de nationalité, le raisonnement de la Cour, sur ce point, est loin d’être classique.
La Cour n’a pas identifié la clause réglementaire sportive comme étant une disposition discriminatoire et a donc implicitement tenu compte de la spécificité sportive en énonçant que les clauses de nationalité contribuent à réduire l’espace de liberté au sein de la Communauté. Cette option est habile et démontre également la volonté des magistrats du Luxembourg d’examiner de l’intérieur et à partir de la logique sportive les raisons de cette limitation, d’autant que le rapport de l’avocat général Lenz[26], dont la démarche à l’égard du mouvement sportif européen était empreinte d’un esprit pédagogique, avait établi un préalable au raisonnement de la Cour dont la méthode est d’une redoutable efficacité. L’UEFA n’a pas su vraiment apporter une contradiction convaincante. Les arguments avancés par les défendeurs ont manqué de pertinence dans la construction d’une spécificité sportive.
Fondamentalement, il aurait fallu que l’UEFA mette en évidence et avec précision que la pratique du sport n’est pas, par nature, une activité économique, au contraire de l’environnement du jeu sportif, lequel, sans nul doute, constitue un objet de profit.
Certes, la démonstration n’était guère aisée ; mais l’habileté de la défense aurait été de caractériser l’objet même de la pratique sportive en la dissociant avec soin de ses conséquences économiques.
Préserver, en la reconnaissant, l’identité sportive devenait alors chose possible à condition que la réflexion du mouvement sportif soit complète et que l’on expose très clairement la situation. Ce ne fut pas le cas et pourtant les magistrats semblaient vouloir comprendre a priori les particularismes du monde du football.
C’est ainsi que dans les points 76 et 127 de l’arrêt il est fait référence à l’arrêt Dona qui avait tenu compte du fait que le principe de la libre circulation des personnes et des services ne s’opposait pas à des réglementations ou pratiques justifiées par des motifs non économiques, liés au caractère et au cadre spécifiques de certaines rencontres.
Mais cette exception qui tend à réduire le champ d’application du Traité vise les rencontres sportives entre équipes nationales et elle doit rester limitée à son objet propre. Cependant, cette notion reste particulièrement imprécise et son interprétation délicate.
En effet, les joueurs sélectionnés au sein d’une équipe nationale bénéficient d’abord de primes importantes et surtout d’une plus-value au niveau de leur valeur de négociation. Il suffit par exemple qu’un joueur qualifié au sein de son équipe nationale pour un championnat d’Europe des nations ou pour une coupe du monde soit à l’origine d’une grande performance pour que, immédiatement, sa valeur de transfert augmente.
Ainsi, la sélection au sein d’une équipe nationale est susceptible de légitimer une exception et peut avoir néanmoins des conséquences économiques très significatives. L’UEFA se devait donc de prendre en compte ces différents aspects, afin d’élaborer une solide argumentation.
Il n’en reste pas moins vrai que la Cour, dans le point 106, ne manque pas de souligner la spécificité sportive en affirmant que « compte tenu de l’importance sociale considérable que revêtent l’activité sportive et, plus particulièrement, le football dans la Communauté, il convient de reconnaître que les objectifs consistant à assurer le maintien d’un équilibre entre les clubs, en présumant une certaine égalité des chances et l’incertitude des résultats, ainsi qu’à encourager le recrutement et la formation des jeunes joueurs sont légitimes » et donc peuvent a priori justifier des limitations à la libre circulation des travailleurs.
Mais la Cour continue de jouer un rôle de pédagogue en indiquant au mouvement sportif européen qu’il existe d’autres solutions pour maintenir l’équilibre national et l’intérêt des rencontres sportives que de se limiter aux clauses de nationalité. En cela la Cour fait référence au commentaire de l’avocat général Lenz[27].
Et c’est à partir de ce point de la démonstration que la Cour affirme avec force que les clauses de nationalité s’appliquent en réalité à l’ensemble des rencontres officielles entre clubs et qu’ainsi elles couvrent la part d’activité la plus importante des joueurs professionnels de football.
Ainsi l’article 45 du TFUE doit être respecté car, dans le cas contraire, le droit fondamental d’accéder librement à un emploi pour tout travailleur de la Communauté serait contrarié[28].
Le sport est donc victime de ses contradictions. D’un côté il est avant tout un jeu et il est difficile de déroger à ce principe fondamental. De l’autre, il représente une activité économique de première importance, productrice d’une richesse certaine permettant de faire vivre un nombre important de salariés. C’est pourquoi le mouvement sportif aurait dû apprendre à donner des réponses pour tenter de dépasser cette ambiguïté qui lui est propre et, par-là même, de convaincre.
Quelles sont les implications concrètes de ces indemnités de transfert en fin de contrat ?
Si un club acquéreur ne veut pas verser l’indemnité en question, le joueur concerné ne peut se déplacer et offrir ses talents ailleurs. Il y a donc là une véritable entrave à l’accès au marché de l’emploi en violation de l’article 39 T.C.E.
Le sportif est clairement assimilé à une chose, une marchandise dont le club peut disposer à sa convenance, alors même que la relation contractuelle était de facto échue.
Aussi, la structure sportive pouvait difficilement justifier de telles pratiques pour des raisons tenant à l’intérêt public et l’équilibre entre clubs. La formation du joueur, l’investissement réalisé dans cette formation pourrait justifier cette indemnité, pourvu qu’elle soit proportionnelle au temps investi. Comme le précisait l’avocat général dans ses conclusions, il existait certainement des solutions de rechange moins restrictives. Si les clubs avaient convenu d’une mutuelle dépendance pour soutenir une redistribution partielle des indemnités de transfert, cette solidarité sportive aurait éventuellement justifié de telles restrictions. Cependant, les préoccupations sportives étaient trop absentes de ce système critiquable. Il semblait tout à fait justifié que la CJCE condamne cette entrave disproportionnée à la libre circulation.
L’article 45 du TFUE « s’oppose à l’application des règles édictées par les associations sportives selon lesquelles un joueur professionnel de football, ressortissant d’un État membre, à l’expiration du contrat qui le lie à un club, ne peut être employé par un autre club d’un autre État membre que si ce dernier a versé au club d’origine une indemnité de transfert, de formation ou de promotion ».
En conclusion, sur l’application de l’article 45 du TFUE qui constitue le point central de l’arrêt Bosman, la Cour confirme sans aucune équivoque qu’au-delà du traitement spécifique des règlements de l’UEFA, toutes les clauses relatives à la libre circulation dépassaient largement la notion de discrimination.
Il apparaît nettement que la Cour de justice, en réaffirmant le principe général de libre circulation des travailleurs, tout en dépassant la notion de discrimination, a érigé en principe fondamental l’application de l’article 45.
Sans dérogations possibles autres que celles contenues dans l’alinéa 3 de ce même article, on peut regretter que contrairement à l’avocat général Lenz, la Cour n’ait pas jugé utile d’aborder les questions soulevées par l’application du droit de la concurrence.
En effet, si la réflexion des magistrats avait associé conjointement les articles 39 et 81 et 82 du TCE, des nuances auraient pu être apportées dans l’application de l’article 39 dans la mesure où les clauses concernant les indemnités de transfert font référence au droit de la concurrence. Ce manque d’intérêt de la Cour sur cette question est significatif.
C’est pourquoi et compte tenu de ce constat il nous paraît nécessaire d’analyser la réglementation sportive en examinant les règles de la concurrence.
Section 2. – Possible application de l’article 101 TFUE : difficile adéquation entre la règle de droit commun et la spécificité sportive
Il est important de mentionner, au préalable, que dans le cadre d’observations écrites présentées à la Cour par la Commission, cette structure a considéré que les clauses de transfert devaient être étudiées à la lumière des règles sur la concurrence et non par rapport à l’article 39.
Au cours de la procédure orale, cet argument a été abandonné par la Commission, mais cette volonté première, discutable sur le plan juridique, démontre cependant que la Commission redoutait que les aspects liés au droit de la concurrence ne soient pas évoqués.
Pourtant l’avocat général Lenz consacre un important développement sur l’application de l’article 81 et contribue à jeter les bases d’une réflexion sur l’application du droit de la concurrence au sport.
Le développement des pratiques sportives ainsi que leur « traitement juridique » sont à l’origine de confusions. En effet, sous l’appellation « pratiques sportives de haut niveau » se retrouvent à la fois le meilleur compétiteur d’une pratique sportive inconnue ainsi que le meilleur athlète du sport le plus populaire dont le seul point commun est d’être tous deux les plus performants dans leur discipline en consentant un maximum d’efforts et de temps à leur pratique pour parvenir à ce rang.
Par ailleurs, au sein même d’un club de football, se côtoient joueurs professionnels et joueurs dits amateurs, pour lesquels en principe la pratique sportive ne constitue pas une activité principale, ainsi que tous les autres pratiquants de l’ombre pour lesquels l’activité sportive demeure un loisir.
Dans toutes ces « catégories sportives » au sein d’une même cellule sociale, ces volontaires du sport ont comme caractéristique commune la passion de leur discipline. En effet, se retrouvant sur un terrain, ils se mobilisent autour d’un objectif, celui de fournir l’effort physique individuel et collectif afin d’obtenir le meilleur résultat dans le respect des règles du jeu et en utilisant les combinaisons techniques les plus sophistiquées lorsque la pratique s’apparente à un spectacle.
C’est en cela que l’essence même de la pratique sportive n’est pas de nature économique. De plus, c’est un secteur d’activité considéré comme présentant un caractère d’intérêt général. C’est ainsi qu’en France, en Espagne également, certaines fédérations sportives ont obtenu une véritable délégation de pouvoir. Dotées de prérogatives de puissance publique, ces organisations exercent un pouvoir réglementaire dans le cadre des missions qui leur sont confiées.
Pourtant, l’environnement immédiat du jeu sportif a pris dans certains cas une autre dimension. À partir du moment où l’événement sportif mobilise l’intérêt, il se transforme dès lors en spectacle avec toutes les conséquences économiques afférentes. Se développe alors une véritable logique commerciale avec des investissements concernant la publicité et l’organisation même de la manifestation. Par effet direct de ce glissement, l’athlète devient le salarié d’une entreprise de spectacle sportif puisque tel est devenu son club.
Les fédérations nationales doivent également prendre la mesure de cette dimension commerciale car elles sont sollicitées par de nombreux interlocuteurs du marché (cas en particulier des négociations concernant les droits de retransmissions télévisées). Le monde du sport professionnel et l’univers du sport en général s’interpénètrent et nous assistons désormais à leur interdépendance.
En effet, il faut préparer les futurs champions. C’est pourquoi les équipes de jeunes bénéficient, entre autres, de la masse financière du « sport spectacle ». Au niveau des clubs locaux nous observons un mélange des financements publics et privés. Les collectivités publiques aident la pratique sportive la plus représentative et dans le même temps les sponsors n’hésitent pas à investir dans le sport.
Par ailleurs, on remarque pour les collectivités locales un retour d’investissement par le biais de la taxe prélevée sur le billet d’entrée dans un stade.
Au niveau national on assiste au même phénomène dans la mesure où les fédérations bénéficient d’importantes subventions publiques mais, en retour, les pouvoirs publics par l’intermédiaire de loteries sportives bénéficient aussi d’un retour indirect, véritables transferts de ressources d’une structure à l’autre.
Tous ces éléments indiqués précédemment contribuent à caractériser la spécificité sportive. De fait, il n’est pas simple de dissocier les formes d’activité et de définir avec exactitude le statut de chaque acteur tout en appréciant les conséquences au niveau de son mode de fonctionnement. Une démarche analytique n’est pas possible. C’est pourquoi, lorsque la Cour aborde la notion de joueurs professionnels, elle confirme qu’« il n’est pas nécessaire que l’employeur revête la qualité d’entreprise, le seul élément requis étant l’existence d’une relation de travail ou la volonté d’établir une telle relation[29] ».
Les magistrats adoptent la même démarche globale pour préciser la notion d’activité économiqueappliquée au secteur sportif.
Si la question de l’application des règles de la concurrence au secteur sportif a intéressé ces dernières années la Commission des Communautés européennes, visiblement les magistrats du Luxembourg n’ont pas jugé utile de traiter ce sujet. Les différences d’interprétation mettent clairement en évidence la délimitation entre les champs d’application des articles 39 et 81, et la difficulté de cerner l’ambiguïté de leurs rapports.
L’article 81, paragraphe 1 traite des accords d’entreprises, des décisions prises en vue de leur association et des pratiques concernées. Il apparaît très nettement qu’à la suite de l’analyse précédente, les pratiques sportives développées au sein de clubs, à partir du moment où elles présentent un caractère économique, peuvent autoriser l’application de l’article 81, et ce quelle que soit la forme d’activité sportive considérée, professionnelle ou amateur, individuelle ou collective.
La seconde question que l’on peut se poser est de savoir dans quelle mesure la nature des dispositions liées aux règles de transfert et aux clauses de nationalité permettent de penser que le droit communautaire en matière de concurrence est susceptible d’être appliqué.
Si l’on considère le principe généralement admis par la Cour et la Commission depuis plus de vingt ans, les acteurs qui jouent un rôle économique doivent pouvoir disposer d’une complète autonomie pour affronter la compétition économique[30].
Est-ce que, par exemple, les clubs de football identifiés comme des entreprises sportives, dans le cadre du marché où ils interviennent, disposent réellement d’une autonomie nécessaire afin que la concurrence puisse véritablement s’exercer dans les meilleures conditions ? (Offre du meilleur service au prix le plus compétitif dans un souci de renouvellement et d’innovation des propositions faites sur le marché).
On peut considérer qu’ils ne sont pas tout à fait libres de déterminer leur propre stratégie de recrutement tant par rapport au principe même des règles de transfert qui leur sont imposées que par rapport à la période d’intervention sur le marché (les joueurs ne peuvent être « négociables » qu’à un certain moment de la saison sportive).
Ces dispositions réglementaires sont édictées par l’UEFA qui représente au niveau européen la Fédération internationale de football. Il en est de même à propos des clauses de nationalité qui contrarient le principe de la libre concurrence dans la mesure où le nombre de joueurs susceptibles d’être sollicités est limité de manière autoritaire.
La Commission a, de plus, souligné que ces clauses de nationalité provoquaient une « répartition des sources d’approvisionnement » au sens de l’article 101, paragraphe 1. L’avocat général Lenz dans ses conclusions, point 262, souligne sans ambiguïté que le régime du transfert maintient le joueur dans les liens de son ancien club même après l’expiration de son contrat. Enfin, comme le transfert ne peut se concrétiser qu’à partir du moment où le club demandeur règle la somme exigée par le club cédant, la situation concurrentielle n’est pas vraiment modifiée.
Cette obligation de paiement des indemnités réduit donc les règles de concurrence et l’article 101, paragraphe 1 trouve une raison de s’appliquer pour l’avocat général.
Si la Cour avait voulu tenir compte concrètement de la spécificité sportive, elle aurait pu évoquer l’application de l’article 101, paragraphe 3. Mais l’avocat général dans son point 277 écarte la prise en compte des règles de transfert et de clauses de nationalité au titre de l’exemption prévue à l’article 101 paragraphe 3. Sans trop d’explications, il indique à juste titre que seule la Commission, habilitée par le Conseil des ministres, peut délivrer cette exemption. Mais, au-delà de ces décisions de rejet, il apparaît intéressant d’évaluer la pertinence de cette démonstration.
Les raisons qui peuvent légitimer des restrictions de concurrence trouvent leur fondement dans l’amélioration de la production et de la distribution, la promotion du progrès technique ou économique. La Cour de justice et la Commission ont même ajouté le maintien de l’emploi en soulignant en particulier le rôle du livre comme support culturel et élément de l’unité culturelle d’un territoire[31].
On peut ainsi admettre que les mesures prises par le monde du football ont pour objectif un certain équilibre lorsqu’elles permettent des progrès techniques par l’intermédiaire des centres de formation et des progrès économiques par le maintien des moyens financiers de chaque acteur de la compétition sportive, ce qui entraîne globalement une amélioration générale des prestations proposées aux consommateurs.
Mais pour convaincre l’avocat général sur ce point, il aurait fallu que l’UEFA démontre concrètement que les moyens financiers obtenus ont bien fait l’objet d’une réelle répartition entre les différents clubs sportifs participant à un même championnat.
Sur le point concernant la diminution de la concurrence, l’article 101, paragraphe 3b souligne qu’une entente ne saurait être exemptée que si elle offre « la possibilité pour une partie substantielle des produits en cause d’éliminer la concurrence ».
En somme, il est nécessaire qu’une forme de concurrence subsiste, car malgré les ententes initiales, les clubs continuent de s’opposer dans le cadre du jeu sportif et rivalisent en ce qui concerne le nombre de spectateurs présents, faisant monter les enchères lors des périodes de recrutement des joueurs.
Généralement, les ententes ne sont pas prises en considération dans la mesure où elles « présentent des avantages objectifs sensibles, de nature à compenser les inconvénients que comporte l’accord sur le plan de la concurrence[32] ».
Dans l’affaire Bosman il apparaît nettement que les mesures réglementaires du mouvement sportif européen transgressent les règles communautaires contenues dans l’article 45 du TFUE. De plus, elles sont disproportionnées par rapport aux objectifs recherchés. L’avocat général Lenz ne manque pas de souligner dans ses conclusions[33] que les clauses de nationalité et les règles de transfert n’ont pas été utilisées pour atteindre un meilleur fonctionnement du secteur sportif, compte tenu de ses particularismes.
Il aurait fallu que l’UEFA impose à l’ensemble des clubs une réelle répartition des moyens financiers à partir de critères bien définis afin de permettre aux clubs de financer et de développer des centres de formation pour les jeunes joueurs de football.
Enfin, la notion d’exemption contenue à l’article 101, paragraphe 3, et évoquée par l’UEFA, aurait été difficilement recevable par la Commission dans la mesure où les dispositions sportives remettent en cause le principe de la libre circulation des travailleurs. Il s’agit là d’une raison suffisante.
PARTIE II. – L’EXCEPTION SPORTIVE, SEULE ALTERNATIVE AUX EFFETS DE L’ARRET BOSMAN
Il s’avère que l’exception sportive constitue la seule alternative face aux effets de l’arrêt Bosman. Dans cette optique, les clauses de nationalité concernent le premier point d’une exemption possible à l’article 45 du TFUE. La préservation du monopole sportif dévolu à la structure sportive officielle fait l’objet d’une seconde possibilité. Une telle exemption doit, quelles que soient les conditions de sa mise en forme (modification des Traités, Directive…) être accompagnées de mesures indispensables. En l’espèce, l’égalité des chances entre clubs et l’incertitude sportive seront hypothétiques si elles ne sont pas accompagnées de mesures d’harmonisation fiscale et de contrôle de gestion des clubs.
CHAPITRE I. – LES EFFETS DE LA LIBERALISATION PROVOQUEE PAR L’ARRET BOSMAN
Ce sont les conséquences dues à l’arrêt Bosman qui ont servi d’arguments pour conforter la position du mouvement sportif européen, afin de dénoncer les effets pervers de l’ouverture du marché sportif au point d’élaborer un marché unique européen du football. Plusieurs phénomènes ont pu être constatés de manière concrète.
Section 1. – Augmentation du volume financier dans le cadre des salaires et des transactions entre clubs
Le marché des transferts s’est libéralisé ; on a pu enregistrer en conséquence une augmentation des salaires des joueurs ce qui a, de manière inévitable, provoqué une envolée du montant des transferts (entre la saison sportive 95-96 et la saison 2001-2002, une augmentation de plus de 197 % a été enregistrée au niveau de la masse salariale).
Cette inflation non contrôlée, conséquence d’une décision de justice, est visiblement en contradiction avec un nécessaire aménagement à trouver alors que, dans le même temps, plus la masse financière en circulation augmente et plus la mise en place d’une réglementation adaptée et conforme à l’arrêt Bosman devient complexe à élaborer.
Section 2. – Une plus grande mobilité des joueurs
Avant l’arrêt Bosman, seuls les meilleurs joueurs évoluant au plus haut niveau étaient sollicités par d’autres clubs appartenant à un pays membre de la communauté.
Par la suite, les joueurs faisant partie du marché dit « secondaire, tertiaire et quaternaire » ont été sollicités et ont bénéficié d’offres intéressantes tant sur le plan sportif que sur le plan financier, permettant ainsi à de jeunes joueurs moins connus de débuter une carrière dans de bonnes conditions économiques.
De même, on a constaté une augmentation significative du nombre de transferts entre les différents clubs au cours d’une même année.
Le marché des transferts, intitulé « mercato », a été le théâtre d’une multiplication d’opérations financières, certaines relatées par la grande presse qui n’a pas manqué de souligner le caractère spectaculaire du montant de certains d’entre eux. Ces différentes tendances ont façonné d’autres habitudes chez les joueurs qui ont alors compris qu’il était souvent de leur intérêt, du moins en début de carrière, de multiplier les expériences dans les clubs, pendant une période relativement limitée dans le temps.
Section 3. – Un déséquilibre au sein des clubs à l’origine de stratégie d’ajustement et de contournement
Au niveau européen, quatre grandes nations du football (Allemagne, Angleterre, Espagne, Italie) ont su profiter des effets de l’arrêt Bosman pour attirer les meilleurs joueurs en adoptant une stratégie agressive d’achats au point de limiter les phénomènes de concurrence. Cette politique est bien sûr rendue possible car, dans ces pays, les recettes liées au spectacle sportif (droits de télévision, billetterie et marchandising) sont beaucoup plus élevées que dans les autres pays. De plus, le régime social et fiscal du travailleur sportif est géré par un cadre juridique plus souple et les facilités consenties aux joueurs par certains clubs confirment la différence par rapport à un pays comme la France.
On assiste alors à une véritable contradiction. La libéralisation des échanges au sein du monde européen du football a certes supprimé les blocages dus aux transferts mais, de manière concomitante, a provoqué une concentration des moyens au profit des clubs les plus riches dans le cadre des pays les plus libéraux et au détriment des clubs les plus pauvres dans le cadre de pays aux réglementations sociales et fiscales plus contraignantes. Ce phénomène provoque donc indirectement un déséquilibre dans le traitement des joueurs qui peuvent, bien évidemment, exercer leur libre arbitre mais sont néanmoins tributaires d’un marché plus tendu au sein duquel la trajectoire d’un joueur moyen est complexe et aléatoire.
Enfin, les clubs qui disposent de moyens limités sont obligés d’avoir recours à la formule des prêts. L’intérêt pour le club qui en bénéficie est de n’avoir à acquitter que le salaire du joueur. Le prêt peut être accompagné dans le contrat d’une option d’achat et être assorti parfois d’une clause imposant un coût à payer, au profit du club « prêteur ». Les clubs peuvent aussi échanger des joueurs et prévoir également une évaluation financière de l’échange.
Ces procédés sont de plus en plus fréquents car le club prêteur a la possibilité d’optimiser l’investissement consenti pour un joueur qui, souvent, n’est pas retenu dans la sélection du club et le club emprunteur, bénéficiant de conditions financières, est affranchi du montant des indemnités de transfert qu’il n’a pas souvent les moyens de mobiliser.
En revanche et afin de limiter les conséquences liées à l’interdiction des règles de nationalité, certains clubs incitent des joueurs étrangers (en provenance d’Amérique du sud, d’Afrique) à acquérir la double nationalité, la seconde nationalité étant celle d’un des pays membres (portugaise pour un brésilien, italienne pour un argentin ou un espagnol, les joueurs africains obtenant assez facilement la nationalité française, belge ou anglaise). Certaines dérives concernant l’établissement de faux passeports ont été révélées, la pratique consistant à présenter de faux membres de la famille du joueur, ayant eux-mêmes une nationalité relevant d’un pays membre de la communauté.
Face à ces différentes conséquences, le mouvement sportif européen et plus particulièrement les milieux du football ont développé des stratégies de nature différente en fonction des objectifs et solutions envisagées.
CHAPITRE II. – L’EXCEPTION SPORTIVE COMME MOYEN DE REMISE EN CAUSE DE L’ARRET BOSMAN
Si la FIFA et plus particulièrement l’UEFA n’ont pas vraiment su anticiper l’arrêt Bosman, ces deux organisations ont, en revanche, exercé une pression forte sur les institutions communautaires et plus particulièrement sur la commission au point, dans un premier temps, d’être en mesure de convaincre certains gouvernements de l’opportunité de remettre en cause l’arrêt Bosman et ensuite d’établir un rapport de force afin de négocier les conditions d’application de l’arrêt.
Section 1. – L’exception sportive pour sauvegarder le patrimoine sportif
Deux gouvernements, de Belgique et d’Italie, ont demandé que le sport et surtout le football, fasse l’objet d’une exception sportive afin de sauvegarder le patrimoine sportif, cette démarche étant partagée également par l’Allemagne et la France. Les présidents des Comités Olympiques ont demandé aussi l’intégration du sport au Traité, comme ce fut le cas pour la culture.
Toutefois, la réaction de la commission a été catégorique n’ayant pas supposé possible une remise en cause de la liberté de circulation pour les sportifs, un des principes fondamentaux de la communauté européenne, nécessaire au maintien et à l’équilibre de l’édifice européen.
Cette première tentative ayant échoué, les différents ministres des Sports des pays les plus convaincus de l’exception sportive, représentés par une troïka composée des ministres français, finlandais et portugais du sport ont échangé avec la FIFA, début 2000 ; l’objectif de ce groupe a été d’étudier les conditions juridiques de mise en oeuvre d’une spécificité sportive donnant la possibilité d’appliquer un régime adapté au regard du principe de la libre circulation des travailleurs. L’une des mesures modificatives proposées concerne la réintroduction des quotas de nationalité se traduisant par un système 6+5 qui exigerait au moins six joueurs nationaux dans toutes équipes de clubs.
Il est envisagé également l’interdiction de toute rupture de contrat de travail par un joueur. En contrepartie, Mme Buffet suggère qu’un organisme de gestion européen, chargé de contrôler les clubs par rapport à leurs finances et leur coefficient d’endettement, soit créé.
Ces différents dispositifs sont présentés par les dirigeants de la FIFA et de l’UEFA devant le parlement européen qui espèrent sans doute convaincre à terme de l’intérêt d’une modification du TCE. Mais à nouveau la commission, par l’intermédiaire de Mme Viviane Reding, Commissaire à l’éducation et la culture, réaffirme sa volonté de ne pas revenir sur les dispositions essentielles de l’arrêt Bosman et de plus, déclare que la reconnaissance d’une exception sportive n’est pas de sa compétence mais de celle des gouvernements. Dans ce cas, c’est l’unanimité des membres qui est requise pour obtenir une modification du Traité. Sur ce dernier point, des pays comme le Danemark et les Pays Bas, ne sont pas d’accord avec la démarche pilotée par Mme Buffet et d’autres pays comme la Grande Bretagne et l’Espagne font preuve d’incertitudes. Dans ce contexte, on peut comprendre que, malgré, la farouche détermination de certains gouvernements, les chances d’aboutir sur le terrain de l’exception étaient compromises.
Néanmoins, cette pression forte exercée a joué, sans doute, un rôle pour préparer des négociations qui ont été engagées avec la commission.
Section 2. – Les accords FIFA-UEFA-Commission (5 mars 2001) et le livre blanc sur le sport de la Commission
Devant les difficultés accumulées et constatées depuis l’arrêt Bosman, les deux principales organisations sportives les plus influentes du monde, à savoir FIFA et UEFA ont utilisé également une stratégie de contournement fondée sur de la sémantique (« spécificité sportive » au lieu de « exception sportive) et un mode d’interprétation des questions Traitées par l’arrêt Bosman et portant sur les indemnités de transfert.
On peut constater en premier lieu que l’UEFA a gagné du temps car, entre décembre 1995 et mars 2001, plus de cinq années se sont écoulées au cours desquelles différentes solutions ont été ébauchées sans succès mais avec des pratiques diverses et variées, souvent éloignées de la règle communautaire.
L’argument exploité par l’autorité sportive européenne pour justifier le fait qu’elle continue d’appliquer ses règles propres, appliquées en matière de transferts internationaux est le suivant : même si on considère que la cour a condamné les indemnités de transfert en justifiant sa position par rapport à l’article 39 du TCE, l’arrêt ne traite pas de manière spécifique et dans le détail, le problème des indemnités dues par chacune des parties à la transaction lorsque celle-ci se déroule à l’intérieur d’un état membre de l’union européenne entre deux clubs d’un même pays. Par ailleurs, un joueur de football, toujours dépendant de son club d’origine, en raison de la durée du contrat en cours, ne pourra le quitter qu’à la suite du versement d’indemnités liées à une rupture anticipée.
Enfin, le dernier problème semble viser le régime des indemnités dues à l’occasion de transferts internationaux qui concernent des joueurs n’appartenant pas à la communauté européenne ou à l’espace économique européen (EEE).
Il est vrai que ces différentes conditions d’application, n’ayant pas été envisagées dans le détail par la Cour dont le rôle premier est de faire respecter les principes communautaires, font que des interrogations subsistent dès lors que les transferts se déroulent à l’intérieur même d’un pays.
Toutefois, à partir du moment où il y a rupture, s’applique bien sûr le régime juridique du contrat de travail adopté par le pays, et, de fait, l’indemnité sera calculée à partir des règles propres imposées par ce régime juridique.
Mais, compte tenu de la disparité des règles applicables dans chacun des pays membres, il est apparu nécessaire d’unifier les pratiques.
Après une phase d’opposition entre la FIFA, l’UEFA et la commission, une volonté commune d’aboutir à une solution négociée a semblé la seule possible à la suite d’une longue période d’observation au cours de laquelle le mouvement sportif a manifestement essayé de gagner du temps.
C’est Mme Reding, la Commissaire chargée du dossier qui a assez bien résumé l’objectif commun des deux structures : « comment garantir à la fois la liberté de circulation des personnes, la stabilité des équipes et l’intégrité des compétitions ».
La première question traitée, qui est un préalable, concerne la légitimité des transferts alors que la cour de justice n’en a pas accepté le principe. À partir du moment où l’exception sportive n’a pas été admise, peut-on faire du problème des indemnités de transfert une spécificité ou bien est-il opportun d’habiller ou de travestir le transfert en adoptant des mesures de contournement ?
La négociation qui a duré deux ans (décembre 1998-mars 2001) a abouti sur onze principes intégrés dans l’accord regroupés dans cinq grands thèmes :
- la protection des mineurs ;
- une meilleure rémunération de la formation ;
- la stabilité des contrats ;
- un mécanisme de solidarité ;
- une instance spécifique de gestion des litiges.
Il semble qu’implicitement la commission accepte l’idée du transfert quand elle prend la mesure des autofinancements du football européen par ce moyen, ce qui implique une logique économique à l’origine d’un équilibre qui reste fragile.
Toutefois cette prise de position de la commission a été facilitée par un examen approfondi de certaines plaintes qui avaient été déposées devant l’organe communautaire et fondées sur la violation en matière de concurrence. Comme la cour de justice n’a pas axé son argumentation sur l’article 81-1 du TCE et ce, malgré la demande explicite de la juridiction nationale, il était plus aisé pour la commission de faire preuve de souplesse par rapport aux indemnités de transfert et de s’engager sur un compromis. Une attitude identique de compréhension a été adoptée dès que les questions propres au mouvement sportif ont été abordées (périodes de transferts, stabilité des équipes, formation et transferts de jeunes joueurs, équilibre des compétitions).
C’est dans ces conditions que s’est formalisé l’accord du 5 mars 2001, intitulé « règles révisées de la FIFA en matière de transferts internationaux de joueurs de football », concrétisé par un échange de lettres entre le président de la FIFA et le commissaire européen Monti.
Ces règles, adoptées d’un commun accord, ont été prises par rapport au droit communautaire et la question de leur compatibilité avec les règles nationales reste posée. Par ailleurs, les parties à la négociation représentant largement le milieu du football n’avaient pas jugé opportun d’inviter à la négociation la FIF-Pro, le syndicat international des joueurs de football dont la position a été jugée non constructive. Pourtant, les revendications des joueurs sont essentiellement motivées par le respect du droit commun du travail, c’est-à-dire l’application de la liberté contractuelle et le paiement des salaires sur la base des sommes restant dues pour justifier les indemnités de transfert et, en particulier, lorsque les contrats sont à durée déterminée.
En revanche, les représentants des joueurs sont opposés à l’indemnité de formation considérée comme masquant des pratiques d’une autre nature et dont le montant souvent très élevé est fixé en fonction du marché et non des coûts réellement engagés par le centre qui est en droit de les revendiquer.
Sur ce point les chiffres confirment la position du syndicat ; en effet, globalement, 45 % des sommes engagées dans les transferts sont acquittées par des clubs dont le budget dépasse 22,5 millions d’euros alors que 32 % des indemnités sont versées par un club au gros budget en faveur d’un club au petit budget, lequel présente souvent la particularité de disposer d’un centre de formation efficace et d’une « pépinière » de futurs jeunes champions.
Enfin 22 % des indemnités sont versées par un club à petit budget à un club au budget élevé.
Par ailleurs, le syndicat des joueurs ne peut pas accepter le principe et le système de sanctions sportives dans le cadre d’une rupture unilatérale d’un contrat. C’est donc dans ce contexte que cet accord du 5 mars 2001 a été conclu sans l’aval du syndicat des joueurs, ce qui peut constituer un handicap pour les conditions de son application alors que, par ailleurs, ce texte n’a pas de valeur juridique contraignante.
En conclusion, sur ce développement consacré aux relations commission mouvement sportif européen, on constate que les deux parties ont appris à mieux se connaître, l’UEFA et la FIFA prenant conscience de la logique communautaire et la commission, le temps de comprendre la spécificité sportive.
Les efforts destinés à reconnaître les spécificités du sport, menés par les États membres et les autorités politiques communautaires, ont été poursuivis postérieurement à la déclaration de Nice. Divers documents reconnaissent cette spécificité : la conception qui en est retenue varie cependant dans un sens plus ou moins restrictif selon les cas. La spécificité est par ailleurs
consacrée dans le traité de Lisbonne qui reconnaît pour la première fois des compétences à
l’Union dans le domaine du sport.
En juillet 2007, la Commission des Communautés européennes a publié un livre blanc sur le sport, dont l’« objectif général » est de « donner une orientation stratégique concernant le rôle du sport en Europe, de stimuler le débat sur des problèmes spécifiques, de renforcer la prise en considération du sport dans le processus décisionnel de l’Union européenne […] », ainsi que d’« attirer l’attention sur des questions aussi importantes que l’application du droit communautaire dans le domaine du sport […][34] ». Le Livre blanc insiste sur le « rôle sociétal
du sport » en Europe, sa dimension économique, son organisation. Il présente des initiatives concrètes que la Commission se propose de conduire dans le domaine du sport et prévoit un mécanisme de suivi « par un dialogue structuré avec les parties prenantes du monde du sport, la coopération avec les États membres et l’action en faveur du dialogue social dans le secteur du sport[35] ».
Le Livre blanc consacre un paragraphe à la « spécificité du sport[36] », dans lequel la Commission commence par rappeler la soumission de principe du sport au droit communautaire, pour ensuite relever la spécificité des activités sportives et des règles qui s’y appliquent (exemple : organisation de compétitions distinctes pour les hommes et les femmes ; nécessité d’assurer l’incertitude des résultats sportifs et de préserver l’équilibre compétitif entre les clubs participant à une même compétition), ainsi que la spécificité des structures sportives (organisation pyramidale ; solidarité entre les différents niveaux de la pyramide ; principe d’une fédération unique par sport).
Cette spécificité ne permet pas une « dérogation générale à l’application du droit communautaire » au sport. La Commission prend acte du fait que la Cour, dans l’arrêt Meca-Medina[37], « a rejeté la notion de « règle purement sportive » comme n’étant pas pertinente eu égard à la question de l’applicabilité du droit communautaire de la concurrence au sport[38] ». En creux, la Commission va cependant plus loin en ce qu’elle semble étendre la « non-pertinence » de la notion de « règle purement sportive » au champ des libertés de circulation – ce que, au demeurant, l’arrêt de la Cour n’exclut pas. Ainsi, des règles qui, dans la jurisprudence de la Cour, revêtaient jusqu’à présent un caractère purement sportif et échappaient de ce fait à l’application du droit communautaire, se trouvent, dans le Livre blanc, happées par le principe de liberté de circulation, auquel seules des « restrictions limitées et proportionnées[39] » sont tolérées. Ainsi en va-t-il du « droit de sélectionner des athlètes nationaux pour les compétitions entre équipes nationales » ou de la « nécessité de limiter le nombre de participants à une compétition » qui, par un système de vases communicants, semblent passer du régime d’« immunité » à celui de la dérogation au nom des spécificités du sport. La Commission demeure toutefois prudente, dans la mesure où elle ne mentionne pas le sort qui doit être réservé aux règles antidopage ou aux « règles de jeu ». Néanmoins, c’est bien l’esquisse d’un tableau dans lequel l’ensemble du sport serait saisi par le droit communautaire qu’elle dessine. Autant dire que la conception de la « spécificité sportive » que donne la Commission est plus étroite que celle retenue par le Rapport Arnaut[40] ou par la résolution du Parlement européen sur l’avenir du football professionnel[41].
Bien que toute conclusion soit périlleuse et nécessairement partiale, quelques remarques peuvent être faites au terme de tout ce qui vient de précéder.
Le droit du sport s’est construit, pour partie, en marge de l’influence des législations nationales et communautaire, en raison justement d’une certaine spécificité liée à la nature de l’activité sportive. La déclaration de 1992 reconnaissait « l’importance sociale du sport, et en particulier son rôle de ferment de l’identité et de trait d’union entre les hommes ». De là, les Etats membres de l’Union en tirent comme conséquence la nécessité de la consultation des organisations sportives par les institutions communautaires dès l’instant où « des questions relatives au sport étaient en cause[42] ».
Cette approche révèle, évidemment, le caractère particulier du domaine. Ainsi, la lutte contre le dopage en constitue une de ses manifestations trouvant son fondement dans la sincérité[43] de la compétition, notion totalement ignorée du droit communautaire. C’est pourquoi le Conseil européen de Feira sollicite la Commission afin qu’elle prenne « en compte les caractères spécifiques du sport européen[44] ». De même, lors du sommet de Nice, les Etats adoptèrent une déclaration relative aux caractères spécifiques du sport et à ses fonctions sociales en Europe[45].
Sur le plan strictement juridique, cette spécificité du sport s’exprimait par la règle dite « purement sportive ». Le déverrouillage de ce cadenas par la Cour de justice des Communautés européennes via l’arrêt Meca-Medina conduit-il pour autant à retirer son caractère spécifique au sport ? En d’autres termes, la soumission au droit communautaire de la règle considérée comme purement sportive gomme-t-elle la dimension particulière du sport ? Tout dépend, ici, sous quel angle cette spécificité est envisagée. Est-ce la spécificité dans son processus d’élaboration, dans son contenu ou, encore, dans sa mise en œuvre ? Une certitude, toutefois, le contour de la spécificité sportive, depuis cette décision, est conditionné par une pluralité d’organismes relevant, d’une part, des autorités du sport et, d’autre part, des institutions communautaires.
Aujourd’hui, nul doute que les autorités sportives demeurent compétentes pour l’édiction des normes intéressant uniquement le sport, mais, lors de leur élaboration, elles devront tenir compte du droit communautaire. En effet, une saisine du juge reste toujours possible et son contrôle du caractère légitime de la règle ouvre une place à l’interprétation.
La difficulté réside, ici, à apprécier pour l’instance du sport si l’atteinte éventuelle aux libertés admises par le traité n’est pas disproportionnée au but recherché par la norme sportive. Cette obligation pesant sur les institutions du sport aboutit nécessairement à une réduction de leur autonomie, elles ne peuvent plus seules déterminer le contenu des règles purement sportives. Mais cette forme d’amputation de compétence se traduit-elle par une remise en cause de la spécificité sportive ? En 1999, le commissaire chargé du sport estimait le droit communautaire comme « permettant de tenir compte de la spécificité du sport[46] ». D’ailleurs, la Cour de justice des Communautés européennes n’affirme-t-elle pas à l’occasion de sa décision Meca-Medina que « la limitation [de la concurrence] est inhérente à l’organisation et au bon déroulement de la compétition sportive et vise précisément à assurer une saine émulation entre les athlètes[47] ». Ainsi, cette inclusion de la norme purement sportive dans le champ du droit communautaire ne nie pas toute spécificité à la matière. En réalité, cette décision oblige l’ensemble des intéressés à se rencontrer, à trouver des terrains d’entente, bref, à coopérer.
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OUVRAGES ET THESES
Bournazel E. et Karaguillo J.-P., Le sportif et la communauté européenne : Dalloz, 1993 ;
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ARTICLES
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Les conditions de résolution d’un contentieux sportif national à la lumière de la jurisprudence communautaire : l’affaire Malaja : RTDE 2000, note p. 389 ;
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PARTIE I. – L’APPLICATION DU PRINCIPE DE LA LIBRE CIRCULATION AU SECTEUR SPORTIF EUROPEEN.. 7
Section 1. –. Notion d’activité économique et critères de son application au mouvement sportif 9
Section 2. – Ambiguïté des accords entre la Commission des Communautés et l’UEFA 11
CHAPITRE II. –. EFFETS DE L’ACTIVITE ECONOMIQUE SUR LE SPORT : ARRET BOSMAN.. 13
- 1. – Les faits et procédures. 14
- 2. – Complexité de la réglementation sportive. 15
- 3. – Article 45 du TFUE (ex-article 39 du TCE) et respect des clauses de nationalité 17
- 4. – Article 45 du TFUE et règles liées aux indemnités de transfert 19
- 1. – Caractéristiques du marché sportif. 20
- 2. – Application des règles de la concurrence aux pratiques sportives. 21
- 3. – Application de l’article 101 et notion d’exemption. 22
PARTIE II. – L’EXCEPTION SPORTIVE, SEULE ALTERNATIVE AUX EFFETS DE L’ARRET BOSMAN.. 25
CHAPITRE I. – LES EFFETS DE LA LIBERALISATION PROVOQUEE PAR L’ARRET BOSMAN.. 26
Section 2. – Une plus grande mobilité des joueurs. 26
CHAPITRE II. –. L’EXCEPTION SPORTIVE COMME MOYEN DE REMISE EN CAUSE DE L’ARRET BOSMAN.. 28
Section 1. – L’exception sportive pour sauvegarder le patrimoine sportif. 28
- 1. – Généralités. 29
- 2. – Unification des pratiques. 30
- 3. – Le livre blanc sur le sport de la Commission. 31
[1] Nonobstant certains cas de dopages ou de changements de nationalité : sur ce point, v. Monnin E., L’olympisme à l’école ?, Pôle éditorial de l’université de technologie de Belfort-Montbéliard, 2008.
[2] Les Échos, 2 mars 1999, « Football : le business envahit le terrain », p. 62 et 63. L’Expansion, n° 591 du 18 février 1999, « Le nouvel âge d’or du foot business », dossier spécial p. 36 à 50.
[3] Diversification de l’offre télévisuelle à l’origine de l’augmentation des droits T.V. sur le sport (réseau hertzien, crypté, paiement à la séance (pay per view), sponsoring sportif, entrée en bourse des clubs sportifs, droits dérivés
(merchandising), internet plus récemment…
[4] Dopage révélé dans l’athlétisme (depuis l’affaire Ben Johnson aux Jeux Olympiques de Séoul en 1988), puis plus récemment dans le cyclisme (Tour de France 1998) ; Affaire récente du trafic des faux passeports dans le football français révélée en janvier 2001.
[5] NFL : Ligue de football américain ; NHL : Ligue de hockey sur glace ; NBA* : Ligue de Basket-ball ; MLB : Major League Baseball.
[6] CJCE, 12 décembre 1974, Walrave et Koch contre Union Cycliste Internationale, aff. 36/74, R. 1974, p. 1405.
[7] Article 2 du Traité CE modifié : « La Communauté a pour mission, pour l’établissement du Marché Commun… ».
[8] TCE : Traité instituant la Communauté Européenne, modifié par le Traité d’Amsterdam signé le 2 octobre 1997 et entré en vigueur le 1 mai 1999.
[9] Articles 2 et 3 du TCE., fixant les grands objectifs du Marché Commun ; Articles 39 à 60, contenant des dispositions spécifiques à la Libre Circulation des Personnes (39 à 42), des Services (43 à 55), des Capitaux et Paiements (56 à 60) et à la libre circulation des marchandises (23 à 31).
[10] CJCE, 15 décembre 1995, Jean-Marc Bosman et Commission européenne contre UEFA, aff. 415/93, R. 1995, p. 5040.
[11] Capital, n° 79, avril 1998, « La fièvre du foot business », Dossier de 28 pages (La jungle des sponsors, la guerre des télés, salaires des joueurs, coulisses de la Coupe du Monde 1998).
[12] Les indemnités de transferts sont prohibées à l’issue du contrat du joueur, mais peuvent être maintenues au cours de celui-ci. La durée des contrats fut donc allongée à compter de 1996 (5 à 6 ans en moyenne), permettant ainsi de détourner judicieusement les règles Bosman au profit des clubs.
[13] L’État espagnol ferme les yeux sur le déficit chronique du Real de Madrid.
[14] CJCE, 11 avril 2000, Christelle Deliège contre A.S.B.L. Ligue francophone de judo et disciplines associées et a., aff. jointes C51/96 et C191/97.
[15] C.J.C.E., 13 avril 2000, Jyri Lehtonen et a. contre Fédération Royale belge des sociétés de Basket-ball ASBL, aff. C176/96.
[16] CJCE, 3 juill. 1986, aff. 66/85, Lawrie-Blum : Rec. CJCE 1986, p. 2121.
[17] CJCE, 23 mars 1982, aff. 53/81, Levin : Rec. CJCE 1982, p. 1035.
[18] CJCE, 12 déc. 1974, aff. 36/74, Walrave et Koch c/ Union cycliste internationale : Rec. CJCE 1974, p. 1405.
[19] CJCE, 14 juill. 1976, aff. 13/76, Dona : Rec. CJCE 1976, p. 1333.
[20] CJCE, 15 déc. 1995, aff. C-415/93, Bosman c/ UEFA e.a. : Rec. CJCE 1995, I, p. 4921.
[21] Aff. C-340/90 radiée du registre de la Cour par Ord., 19 janv. 1991.
[22] Ord. de la Cour, 4 oct. 1991, aff. C-117/91, Bosman c/ Commission : Rec. CJCE 1991, I, p. 4838.
[23] Aff. C-269/92-C1/187/16 : Journal Officiel des communautés européennes 24 Juillet 1992.
[24] CE, 23 juin 1989, Bunoz : Rec. CE 1989, p. 194.
[25] V. supra aff. Walrave et Dona.
[26] Concl. 20 sept. 1995 : Rec. CJCE 1995, I, p. 4930.
[28] Sur ce dernier point, cf. CJCE, 15 oct. 1987, aff. 222/86, Heylens : Rec. CJCE 1987, p. 4112, pt 14.
[29] Arrêt Bosman, préc., pt 74.
[30] CJCE, 16 déc. 1975, aff. 40/73, Suiker Unie, e.a. c/ Commission : Rec. CJCE 1975, p. 1663.
[31] Comm. CE, déc. n° IV/428, VBBB/VBVB, 25 nov. 1981 : JOCE n° L 54, 25 févr. 1982, p. 36 ; CJCE, 10 janv. 1985, aff. 229/83, Association des centres distributeurs Leclerc e.a. c/ SARL « Au blé vert » : Rec. CJCE 1985, p. 1.
[32] CJCE, 13 juill. 1966, aff. jtes 56 et 58/64, Grundig c/ Commission : Rec. CJCE 1966, p. 429.
[33] Concl. préc., pts 269 et 270.
[34] Livre blanc sur le sport, 11 juill. 2007, COM (2007) 391 final, p. 2. V° M. Fonteneau, Le livre blanc européen sur le sport : l’amorce d’une politique européenne du sport : RJES 2007, n° 84, p. 7-21 ; A. Husting, Le livre blanc de la Commission sur le sport – Un document « timoré et indécis » ou le point de départ d’une politique européenne du sport ? : RMCUE 2007, p. 513-517.
[37] CJCE 18 juill. 2006, Meca-Medina.
[40] Rapport en ligne à l’adresse www.independentfootballreview.com
[41] Résolution du Parlement européen du 29 mars 2007 sur l’avenir du football professionnel en Europe, P6_TA(2007)0100.
[42] Déclaration du Conseil du 15 mai 1992.
[43] TAS 22 avr. 1996, JDI 2001. 282, note Simon.
[44] Conseil européen, 19 et 20 juin 2000, concl., pt 50.
[45] Pt 52 des conclusions de la présidence et pt 2 de l’annexe IV.
[46] Intervention de Oreja, Bull. quot. Europe 5 juin 1999. 9, n° 7479.
[47] CJCE 18 juill. 2006, Meca-Medina, préc., pt 45, in fine.
Mémoire de fin d’études de 57 pages.
€24.90