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Mutualité et paritarisme dans les groupes de protection sociale

Thème : Mutualité et paritarisme dans les groupes de protection sociale

 

Problématique : Quels sont pour les mutuelles les enjeux, en termes de valeurs d’origine, de leur rapprochement avec les GPS dans une recherche d’efficacité économique et une conformité aux contraintes réglementaires ?

 

Plan

 

Introduction

Partie 1 – La mutualité et le syndicalisme face à l’évolution des contextes économique et réglementaire

Chapitre 1 – Les valeurs fondatrices de la mutualité et du syndicalisme

Section 1 – La solidarité comme valeur fondatrice

A – Mutualité et solidarité

B – Syndicalisme et solidarité

Section 2 – L’altruisme comme une nécessité humaine

A – Mutualité et altruisme

B – Syndicalisme et altruisme

Chapitre 2 – Des contraintes d’efficacité économique et de conformité aux dispositions réglementaires

Section 1 – Economie « standard » vs Economie sociale

A – Remise en question de la rationalité des agents économiques

B – L’individualisme influençant le syndicalisme

C – La concurrence remettant en cause les valeurs fondatrices de la mutualité

Section 2 – Impacts de l’évolution réglementaire sur les valeurs fondatrices de la mutualité et du syndicalisme

Conclusion de la partie 1

Partie 2 – Les enjeux du regroupement dans la mutualité

Chapitre 1 – Les réglementations comme facteurs de regroupement

Section 1 – Solvabilité 2

A – Généralités sur Solvabilité 2

B – Les impacts de Solvabilité 2 en termes de regroupement des mutuelles

Section 2 – Accord National Interprofessionnel de 2013

Chapitre 2 – Partenariats pour faire face aux exigences du marché assuranciel

Section 1 – Partenariat commercial

Section 2 – Partenariat industriel

Section 3 – Partenariat financier

A – La SGAM

B – L’UMG

C – Le GPP

D – La SGAPS

Chapitre 3 – Enjeux du regroupement sur les valeurs mutualistes

Section 1 – Enjeux dans le développement de structures d’assurance

A – Dégager des excédents de gestion

B – Emprunter

C – Rechercher des capitaux

D – Démutualiser

Section 2 – Enjeux dans la gouvernance

Conclusion de la Partie 2

Partie 3 – Rapprochement des Mutuelles vers les GPS

Chapitre 1 – Cadre général de l’étude empirique

Section 1 – Méthodologie

A – Cas étudié : rapprochement entre La Mutuelle Générale et Malakoff Médéric

B – Analyse des entretiens auprès d’experts

Section 2 – Enjeux du rapprochement

A – Les motivations du rapprochement

B – Les avantages attendus de la SGAM

Chapitre 2 – Rapprochement de LMG-MM : un échec d’origine « humaine »

Section 1 – L’échec ne viendrait pas du côté technique/stratégique

Section 2 – « L’égo » comme facteur d’échec

A – Gouvernance de la SGAM

B – L’homme au centre de l’échec

C – Discussion et conclusion : quels ont été les rôles des valeurs dans tout cela ?

Conclusion

 

 

Introduction

 

En cette période de mutations économiques et d’évolutions sociétales particulièrement rapides, il faut savoir analyser et regarder les faits passés car l’Histoire a toujours démontré sa capacité à entrevoir l’avenir. Le patrimoine social est acquis avec des fluctuations idéologiques. Il n’est pas un héritage passivement transmis par une société, mais cette dernière l’a élaboré en identifiant et en valorisant ce qui, dans le passé, intéresse son présent et son futur. La France est faite d’institutions issues de mouvements et de conflits sociaux. Auparavant, peu de choses distinguaient les syndicats et les mouvements coopératifs. Aujourd’hui, avec ces regards, l’histoire du paritarisme syndical et de la mutualité peut être appréhendée.

 

Les mutuelles santé ou « mutuelle 45 »[1] sont rattachées à des organismes régis par le code de la mutualité. Elles « mènent, au moyen des cotisations versées par leurs membres dans l’intérêt de ces derniers et de leurs ayants droit, une action de solidarité, de prévoyance et d’entraide, dans les conditions prévues par leurs statuts, afin de contribuer au développement culturel, moral, intellectuel et physique de leurs membres et à l’amélioration de leurs conditions de vie »[2].

 

Le concept mutualiste consiste à mettre en commun des moyens financiers de chacun afin de faire face aux risques de santé. Cette collecte est indépendante du risque individuel à couvrir même si son équilibre reste primordial. La mission d’une mutuelle est simple : assurer à tous l’accès à des soins santé qualitatifs. Les mutuelles sont des sociétés de personnes et non capitalistiques. Leurs excédents sont utilisés au profit de leurs adhérents. Elles se différencient des sociétés d’assurance et mettent en avant des valeurs fondamentales : Solidarité, liberté, gouvernance démocratique, responsabilité et l’intérêt collectif, non-lucrativité et transparence.

 

Il peut être dénombré en France trois autres formes juridiques bien différenciées du marché de l’assurance :

 

  • Les sociétés anonymes d’assurance (SA) sont des entreprises capitalistiques. Elles ont pour objectif de réaliser des bénéfices et de les redistribuer à des actionnaires. Elles sont rattachées au code des assurances. Ces sociétés proposent des tarifs et garanties différents suivant les risques présentés par un individu, selon son âge, son sexe, son état de santé…On les retrouve souvent sous les noms de : Générali, Axa, etc.

 

  • Les sociétés d’assurance mutuelle et/ou mutuelles d’assurance font parties des sociétés d’assurance. Elles sont très souvent confondues avec les mutuelles et possèdent un statut de société civile sans but lucratif. Elles sont régies également par le Code des assurances. Pour citer quelques exemples : Macif, Matmut, Maaf, etc.

 

  • Les institutions de prévoyance (IP) sont des sociétés de personnes de droit privé et régies par le code de la Sécurité sociale. Elles se discernent des SA et des mutuelles par une gestion paritaire fondée par un accord entre les partenaires sociaux et des branches professionnelles. Une égalité de représentation, au sein des conseils d’administrations, constitués à parts égales de salariés et d’employeurs décident communément de la gestion des risques de leurs collaborateurs (paritarisme). Les IP comme les mutuelles sont des structures à but non lucratif. Elles interviennent, de par leur histoire, dans la couverture santé et prévoyance dans les branches professionnelles.

 

Ces institutions gèrent également les cotisations retraites AGIRC (Association générale des institutions de retraites des cadres) et ARRCO (Association des régimes de retraites complémentaires) des branches professionnelles. A titre d’exemple : Malakoff Médéric, Ag2r-La Mondiale-Réunica, Klésia, etc.

 

A la Libération, le mouvement syndical, bien égratigné par les tentatives de suppression du régime de Vichy, réapparaît plus uni qu’avant et incite les acteurs sociaux à le reconstruire au nom de la démocratie sociale et surtout autour de la protection sociale. En 1945, est fondée la sécurité sociale, les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 l’affirme dans ses fondements. Son principe réside dans : « un mode de gestion socialisée des risques dans lequel les techniques d’assurance concernant la vieillesse, la maladie et le chômage couvrent l’ensemble des risques et des menaces sociales »[3]. Dans ce modèle, les syndicats prennent effectivement leur part à la gestion : « Les prémices du paritarisme contemporain »[4].

 

Le « Petit Robert » mentionne l’entrée de l’adjectif « paritaire » dans le vocabulaire social en 1920 et le paritarisme en 1961. Le décalage entre ces dates montre combien cette problématique constitue une équation entre idéologie et processus historique. En même temps, la dernière ordonnance d’octobre 1945 réécrit les statuts de la mutualité. Les mutuelles deviennent des assurances maladies complémentaires de la sécurité sociale. Il subsiste maintenant un effet moins contrasté entre l’assurance maladie obligatoire et l’assurance maladie complémentaire.

 

Les « trente glorieuses » réaffirment la poussée syndicale par une demande croissante de salariés et obligent les mutuelles à conquérir de nouveaux marchés dans les branches et directement dans les entreprises auprès de ces nombreux salariés. L’édification de la construction européenne et son nouveau marché concurrentiel transforme encore les visions sur l’assurance maladie. Les IP qui deviennent plus tard des groupes paritaires de protection sociale (GPS), les sociétés d’assurance et mêmes les banques apparaissent alors dans ce secteur. Dans les années 1970, des principes de solvabilité « Solvabilité 1 » imposent dans les opérations d’assurances une exigence prudentielle par rapport à la solidité financière des groupes. Elles contraignent ces mutuelles à s’adapter en créant des partenariats, voire des fusions. Vient « solvabilité 2 » en 2002 qui pousse ce monde assurantiel obligatoirement dans le cadre européen pour qu’il soit un vecteur de croissance économique.

 

C’est dans ce contexte que les mutuelles et les IP doivent revoir leurs stratégies de développement. D’un côté, les mutuelles doivent affirmer leurs valeurs fondamentales et de l’autre les IP se voient dans l’obligation de se regrouper suite à l’accord des partenaires sociaux du dix février 2001 en matière de retraites complémentaires[5]. En se regroupant, elles deviennent des groupes de protection sociale (GPS), afin de distribuer des prestations plus compétitives et meilleures pour la retraite. Ceci va permettre également de rentrer dans l’ensemble du marché de la protection sociale complémentaire.

 

Pour évoquer les GPS, il faut revenir à la création en 1947 de l’AGIRC qui devait octroyer une pension de retraite aux seuls cadres. Beaucoup d’institutions ou associations professionnelles patronales existaient à la fin du XIXème siècle par secteur professionnel. Elles avaient été créées dans le but de protéger à l’encontre des accidents du travail et de distribuer une rente en cas d’évènements accidentels survenant dans le temps de travail des ouvriers des entreprises affiliées à ces institutions. A la libération, ces institutions adhérent à l’AGIRC, créée par le patronat et gérée paritairement par des représentants des employeurs et des salariés (syndicats) : Ce dispositif est : « administré paritairement et le paritarisme y est présenté comme un principe fondamental de son organisation »[6]. En 1961, suite à l’accord du 8 décembre, voit la naissance de l’ARRCO pour les non-cadres. Cet accord dicte aux entreprises adhérentes au CNPF (conseil national du patronat français, qui deviendra le MEDEF) d’adhérer à ces mêmes institutions. Et c’est la loi de décembre 1972 que : « la protection conventionnelle à gestion paritaire est reconnue en matière de retraites, par l’obligation faite à tous les salariés de s’affilier à un régime complémentaire, comme faisant partie intégrante de la protection sociale obligatoire. Les efforts patronaux pour retrouver dans le système de protection sociale et l’influence perdue à la libération se confondent avec la promotion du paritarisme »[7].

 

Pendant cette période, la mutualité est restée éloignée de ce mode de gestion paritaire où syndicalistes et représentants des patrons se retrouvent ensemble assis à une même table pour gérer ces institutions ; restant cantonnée à gérer la complémentaire santé individuelle. En 1947 ces IP, qui ajoutent des prestations servies par les régimes obligatoires de sécurité sociale, se multiplient. Ces aides sont fondamentales dans des risques majeurs comme l’invalidité ou le décès où la prestation de la sécurité sociale ne suffit pas pour assurer un niveau de revenu acceptable au salarié et reste de sa famille. L’instauration des régimes de prévoyance dans les entreprises se généralise de plus en plus, poussée par la pression des syndicats, et se matérialise par l’écriture d’une convention collective, d’un accord dans les branches de la métallurgie et du textile et quelque fois par décision motivée du patronat. Ces institutions évoluent et sont devenues des groupes paritaires de protection sociale pilotés par les partenaires sociaux, gérant d’un côté les régimes obligatoires de retraite complémentaire AGIRC et ARRCO et de l’autre, ce que l’on nomme la partie concurrentielle : Les couvertures de protections sociales complémentaires. Cette dernière partie comprend, dans le cadre de contrats collectifs d’entreprise : La prévoyance et l’épargne salariale et depuis 2001, dans le cadre de contrats individuels : La santé ; marché exclusif des mutuelles.

 

Ensuite, un accord signé le 8 juillet 2009 entre les partenaires sociaux impose à chaque GPS l’obligation de comprendre dans son organisation : une association sommitale qui donne les orientations politiques et stratégiques du groupe, au moins une institution de retraite complémentaire obligatoire Agirc, au moins une institution de retraite complémentaire obligatoire Arrco, une ou plusieurs IP (voire de sociétés d’assurances ou de gestion d’épargne salariale et de mutuelles). Depuis 1945, les « paritaires » et les « mutualistes » ont toujours eu des rapports ambigus, mais un objectif identique : la protection de l’individu. Aujourd’hui, peut-on concevoir une collaboration entre ces deux acteurs de la protection sociale ? Déjà en 1901, on envisage que ces deux institutions de même nature pouvaient se réunir[8]. Visionnaire ou pragmatique du diktat économique ? En 1947, Pierre Chevalier est instituteur dans le Cantal et militant syndical. Il est secrétaire national du syndicat des instituteurs et rentre en 1963 au conseil d’administration de la mutuelle générale de l’éducation Nationale (MGEN) pour en devenir le président.

 

Le paritarisme et la mutualité ne sont pas antagonistes mais entreprennent l’un et l’autre une mutation liée à l’évolution économique. Entre les valeurs mutualistes et la gestion paritaire institutionnelle s’entrecroisent les valeurs sociales convergeant vers un point commun : l’évolution économique autour de la protection de l’individu. En examinant les stratégies de regroupement des mutuelles et des GPS, on peut dégager des pistes de réflexion et préconisations sur les questionnements suivants : S’agissant du mouvement de concentration en lui-même : Quelles sont les contraintes européennes dont il faut désormais tenir compte ? Quels sont les incitations et les freins à la concentration ? S’agissant des moyens : Quels sont les outils juridiques présents ? Leurs avantages et inconvénients ? Quelles sont les fusions et rapprochement existants ? S’agissant des valeurs et de l’identité mutualiste : Comment les mutuelles préservent-elles leur fonctionnement identitaire dans les GPS ? Le paritarisme, aujourd’hui dans la protection sociale, continuerait-il sa route à travers la mutualité ? Le modèle mutualiste apparaît-il comme suffisamment viable pour continuer à véhiculer ses valeurs fondatrices ?

 

Au travers de ces différentes perceptions, il est possible de dégager la problématique suivante : comment les mutuelles doivent-elles se rapprocher afin de garantir leur efficacité économique et conserver leurs valeurs d’origine dans les GPS ?

 

Pour aborder cette problématique, il convient d’appréhender dans une première partie à regarder l’évolution de ces deux comportements sociaux depuis 1945, créés autour de la protection de l’individu : De l’importance du facteur économique dicté par la transformation progressive de notre société mais aussi par l’accélération de la concurrence. L’arrivée de la construction de la communauté européenne semble perturber ces deux mouvements où se confrontent économie et social. Dans un deuxième temps, il convient d’identifier les mutations dans les GPS et la mutualité depuis l’arrivée des contraintes européennes et leurs répercussions sur le droit français : Comment et avec quels outils ont-ils déployé des moyens pour entrer dans l’ensemble du marché assurantiel en créant des partenariats techniques et complémentaires pour atteindre les effets de taille recherchés et essayer de maintenir leurs indépendances et valeurs identitaires. L’arrivée de l’accord national interprofessionnel (ANI) de 2013 accéléré encore cette de concurrence. Dans une troisième partie, sera analysée l’entrée des mutuelles dans les GPS, leurs nouvelles formes statutaires et de gouvernance. On argumentera sur la société de gestion d’assurance mutuelle (SGAM) dans ses différents contours pour ensuite regarder le rapprochement de la mutuelle générale (LMG) avec Malakoff Médéric (MM).

 

 

Partie 1 – La mutualité et le syndicalisme face à l’évolution des contextes économique et réglementaire

 

Avant de parler de rapprochement des mutuelles avec les Groupement de Protection Sociale (GPS) et ses impacts sur les valeurs d’origine de celles-ci, il convient de se focaliser sur ces valeurs et leur potentialité de changement ainsi que les facteurs susceptibles d’engendrer de tel changement. Cette première partie cherche alors essentiellement à appréhender les valeurs fondatrices des mouvements syndicalistes et surtout celles des mutualistes (Chapitre 1 – Les valeurs fondatrices de la mutualité et du syndicalisme) : celles-ci sont supposées assez rigides pour prévenir toute dérive que ces mouvements sociaux pourraient avoir tendance d’observer ; mais ces valeurs doivent également être assez souples pour s’intégrer dans les réels besoins de l’homme qu’ils ont vocation à servir, d’autant plus que ces besoins sont en permanence mutation. Désormais, deux facteurs majeurs interdépendants, les contraintes d’efficacité économique et les dispositions réglementaires changeantes (Chapitre 2 – Des contraintes d’efficacité économique et de conformité aux dispositions réglementaires), opèrent des changements profonds au sein de ces organisations sociales, et risquent ainsi d’égratigner ces valeurs fondatrices.

 

 

Chapitre 1 – Les valeurs fondatrices de la mutualité et du syndicalisme

 

Les travaux de Couret (2007) donnent des informations intéressantes sur les valeurs fondatrices des mutualistes et l’évolution qu’ont subie ces valeurs au fil du temps. L’intérêt d’en parler réside dans le fait que les mutuelles peuvent différer les unes des autres à travers leurs activités, leurs structures juridiques et organisationnelles, et qu’il faut un élément pour les réunifier. C’est dans ce sens que les valeurs fondatrices sont avancées comme un élément réunificateur des différentes structures mutualistes éparpillées dans le temps et dans l’espace : « Même les mutuelles les plus récentes sont tributaires des valeurs historiques d’un mouvement qui les a précédées et qui leur a légué une certaine représentation de leur rôle social, de leur position face au secteur marchand, de leurs pratiques de gestion »[9]. Cela sous-entend que les mouvements mutualistes sont sous l’influence de facteurs qui pourraient les écarter de leurs véritables rôles au service des hommes, et les valeurs fondatrices sont conçues comme des balises à des évolutions possibles qui s’opèrent dans ces organisations spécifiques. En d’autres termes, les valeurs fondatrices des organismes sociaux sont en quelque sorte des vecteurs directeurs qui pointent vers les objectifs que devront suivre les différents mouvements concernés.

 

Néanmoins, si les valeurs fondatrices ont pour vocation de maintenir les organisations mutualistes dans une même direction et un même sens dans un environnement changeant, faisant même évoluer ces organisations, qu’en est-il de la possibilité d’évolution de ces mêmes valeurs fondatrices ? Couret (2007) donne déjà des indices pour répondre à cette question en affirmant que les références communes que représentent ces valeurs fondatrices dans l’époque contemporaine sont le résultat d’un long processus de « sédimentation » qui les a façonnées à travers l’histoire. L’auteur mentionne également certains des ingrédients dans la construction de ces valeurs fondatrices, à savoir les évolutions sociales, politiques et économiques qu’ont traversées les mouvements mutualistes dans de différents contextes historiques et culturelles de leur existence. La difficulté d’application de ces éléments de référence commune à certaines époques, au regard de certaines circonstances extérieures et des contraintes de gestion, a nécessité « des compromis, des renoncements ou des évolutions »[10] dans la construction et le renforcement de ces éléments.

 

En parlant de construction, il est difficile d’indiquer des dates précises sur l’origine de la mutualité. « La Mutualité est aussi ancienne que le désir qui pousse spontanément les hommes à s’unir, à se protéger collectivement pour faire face aux difficultés et aux malheurs qui les menacent »[11]. Ainsi, des auteurs citent des signes précurseurs des mouvements mutualistes dans l’Egypte Antique lorsque les tailleurs de pierre s’organisent pour créer des « caisses fraternelles », ou encore dans la bourse des athéniens, voire dans les associations d’ouvriers juifs qui ont bâti le Temple de Salomon[12]. Cependant, il apparait que les formes les plus proches de la mutualité moderne se situent au Moyen-Age dont des exemples qui s’articule sur des aides sociales peuvent être cités : « les ghildes, fondées sur une protection collective contre l’insécurité des temps ; les confréries, marquées par l’influence de l’Eglise, dont l’action sociale a tendance à se rapprocher de la charité ; le compagnonnage, véritable corporation professionnelle dépassant les frontières des villes »[13]. Ces mouvements hétérogènes par leurs aspects de l’époque pré-mutualisme (jusqu’au XVIIIème siècle) laissent déjà apparaitre une notion importante qui traversera ensuite le temps : la solidarité.

 

Cette valeur « pré-mutualiste » est une réponse à un besoin de base en termes de protection contre les risques associés à l’existence qui ne seraient pas couverts par un dispositif uniquement individuel impliquant la nécessité de s’associer. Cette valeur fondatrice pouvant être qualifiée de primitive s’inscrit donc dans une logique d’entraide collective. Il semble alors important d’apprécier les évolutions éventuelles des valeurs fondatrices de la mutualité à travers cet élément primaire (cf. Section 1 – La solidarité comme valeur fondatrice). Dans cette même période, il est senti une certaine volonté des communautés impliquées dans de tel mouvement de préserver leur indépendance, surtout que le pouvoir en place démontrait une méfiance vis-à-vis des associations mutualistes, craignant « de voir sa légitimité concurrencée »[14]. D’ailleurs, la solidarité est une valeur fondatrice que partage la mutualité avec le syndicalisme[15].

 

D’autres valeurs émergeaient ensuite dans le XVIIIème siècle jusqu’à la Révolution française, avec les premières expérimentations d’une organisation mutualiste en propre à travers des Sociétés de secours mutuels. Des valeurs démocratiques avaient été mises au premier plan : « L’affirmation de la liberté et de la responsabilité de l’individu […] ; égalité politique entre les hommes »[16]. Puis, après l’époque de la « Mutualité encadrée » (1852-1870) pendant laquelle l’Etat s’immisçait dans les affaires des mutualistes (Mutualité impériale[17], sous Napoléon III, des valeurs de la mutualité moderne ont été affirmées durant la « Mutualité triomphante » (jusqu’à la première guerre mondiale) : l’indépendance, la liberté d’adhésion des individus, la démocratie dans le sens d’une égalité entre les sociétaires, et la solidarité. D’ailleurs, Walras (1834-1910) insiste clairement sur ces quatre éléments de manière à se distinguer des sociétés commerciales et à respecter des principes de morales sociales[18].

 

Finalement, Couret (2007) établit une liste des valeurs fondatrices de la mutualité contemporaine.

 

Tableau 1 – Les valeurs mutualistes mises en regard des spécificités de structure et de projet mutualistes

Valeur mutualiste Spécificité du modèle mutualiste associée
Démocratie Une transparence de gestion vis-à-vis des sociétaires
Décentralisation du pouvoir qui remonte de la base des sociétaires
Egalité de droit : « un homme, une voix »
Des entreprises « populaires » et méritocratiques
Indépendance Indépendance interne entre sociétés mutualistes ; externe vis-à-vis des mouvements politiques, religieux, syndicaux (ce qui n’exclut pas le dialogue)
La politique de fonds propres comme garantie de l’indépendance financière
Liberté Adhésion et démission volontaires
Non-lucrativité Non appropriation individuelle du capital
Primat de la satisfaction du sociétaire dans la considération de la performance
Une Mutualité qui s’oppose au modèle marchand
Solidarité Dimension collective d’une performance produite par coopération
Egalité relative de traitement entre sociétaires Responsabilité exigée de ceux-ci
Militantisme et bénévolat des représentants des sociétaires

Source : Couret (2007)

 

On se demande déjà de la possibilité de maintenir inchangé ces valeurs, surtout lorsque les mutuelles sont incitées à se regrouper (dans des relations de partenariat : cf. Partie 2 – Chapitre 2 – Partenariats pour faire face aux exigences du marché assuranciel) pour répondre aux exigences de l’environnement, notamment pour des valeurs comme l’indépendance et la liberté (cf. Partie 2 – Chapitre 3 – Enjeux du regroupement sur les valeurs mutualistes).

 

En outre, il ressort des valeurs fondatrices communes à la mutualité et au syndicalisme, comme la solidarité, l’égalité, la démocratie[19], que « l’homme » est au centre des préoccupations de ces deux types d’organisation sociale. Dans ce sens, et en quelque sorte, ces derniers ne devraient pas être indifférents aux besoins fondamentaux de l’homme susceptibles d’influer sur leurs valeurs fondamentales. Néanmoins, il semble que certains de ces besoins de base de l’homme ne sont pas vraiment compatibles aux valeurs fondatrices des structures mutualistes et syndicalistes. Un exemple majeur concerne « l’altruisme »[20], alors qu’il s’agit d’un élément de motivation de l’homme, à côté de l’hédonisme et de l’égoïsme (qui excluent l’altruisme, l’hédonisme lui-même pouvant être inclus dans l’égoïsme) : Terestchenko (2004) démontre d’ailleurs que le pluralisme (de l’altruisme) est beaucoup plus « plausible » que l’hédonisme, en citant Sober et Wilson (1998) que « l’évolution a fait de nous des pluralistes [altruistes] motivationnels, non des égoïstes ou des hédonistes »[21]. Du fait que l’altruisme est un facteur potentiellement influent de manière conséquente sur la mutualité et le syndicalisme, notamment vis-à-vis des valeurs fondatrices des mutualistes, il apparait intéressant également de consacrer une autre section à ce sujet dans ce document, à côté de celle sur la solidarité comme valeur fondatrice.

 

 

Section 1 – La solidarité comme valeur fondatrice

 

Selon le Tableau 1 (Les valeurs mutualistes mises en regard des spécificités de structure et de projet mutualistes), la « solidarité » constitue une valeur fondatrice de la mutualité. Dans une recherche de définition adaptée à la présente étude, il faut d’abord le concevoir comme un sentiment collectif, l’homme évoluant dans une tension entre le groupe et son individualité. La solidarité peut aussi être proposée comme un sentiment qui pousse les hommes à s’accorder une aide mutuelle (Dictionnaire Larousse, Encyclopédie). Elle tisse donc un lien entre les individus ou les groupes et entre des situations vécues par ces individus ou ces groupes. En fait, dans une conception mutualiste et syndicale, Delvienne (2002) explique que la solidarité va plus loin que la notion d’assistance : « la solidarité fait référence à une véritable communauté de destin »[22].

 

Désormais, plusieurs représentations de la solidarité coexistent, dont voici quelques-unes des plus importantes :

 

  • Une approche sociologique classique considère la solidarité comme « un état d’intégration sociale d’un groupe d’individu»[23]. Pour Durkheim, cette solidarité provient de : « la conjugaison entre l’interdépendance qui vient de la spécialisation du travail et des complémentarités entre personnes et une organisation sociale résultant de l’absence de normes communes dans une société. C’est une attitude primitivement sociale et non le résultat de l’action morale individuelle »[24]. L’auteur distingue ainsi la solidarité « organique » qui permet la cohésion de la société concernée.

 

  • Par opposition à cette solidarité « organique », Durkheim(2004) identifie aussi la solidarité « mécanique » : c’est la perspective d’une convergence d’intérêt qui incite un individu à se « solidariser ». En effet, la solidarité mécanique au sens de Durkheim (2004) suppose une société dont les membres se sentent connectés par certains facteurs d’homogénéité tels que le travail, la religion, l’éducation, le mode de vie, etc. Cette forme de solidarité se développe surtout dans les sociétés de taille modeste.

 

  • Une autre approche conçoit la solidarité comme un réel altruisme, c’est-à-dire qu’un individu manifeste sa solidarité uniquement à cause de son souci d’autrui, faisant ainsi abstraction de son propre intérêt[25].

 

Les formes de solidarités diffèrent généralement par les domaines dans lesquels elles s’exercent[26]. Dreyfus (2001) les distingue plus étroitement : « Les mutualistes font face à la maladie, la vieillesse et la mort, les syndicalistes répondent aux situations imposées par la vie professionnelle »[27]. Ces deux mouvements, de par leurs implications sociales autour de ces formes de solidarité, sont des acteurs incontournables du progrès social.

 

 

A – Mutualité et solidarité

 

Le mouvement mutualiste serait né d’une quête de système permettant aux salariés de se solidariser, de se couvrir collectivement contre les risques d’invalidité et de maladie. « La création de mutuelles et de coopératives de production et de consommation doit permettre de lutter contre la pauvreté et la croissance numérique du prolétariat en encourageant les producteurs indépendants et l’entraide »[28]. Par conséquent, les mutuelles sont des entreprises vivant dans le paysage capitaliste, mais présentent des spécificités liées à la volonté de solidarité au service de l’homme. De ce fait, ces entreprises priorisent les prestations réalisées pour les bénéficiaires par rapport au profit que dégagent ces services rendus, en intégrant la dimension sociale dans la vie économique. Ces entreprises revêtent alors le statut juridique de « sociétés de personnes » par opposition aux sociétés de capitaux.

 

En quelque sorte, la valeur fondatrice « solidarité » renforce et affirme également les autres valeurs, comme les suivantes qui sont désormais des principes associés à une société de personne :

 

  • Liberté d’adhésion des individus ;

 

  • Une démocratie égalitaire et participative (un homme, une voie) ;

 

  • La non-lucrativité (ou plutôt la « lucrativité limitée »), c’est-à-dire l’impossibilité pour ces sociétés de s’approprier des bénéfices.

 

Historiquement, comme évoqué plus haut, la solidarité date déjà de la période pré-mutualiste (jusqu’au XVIIIème siècle). A cette époque, la solidarité (pré-mutualiste) se manifestait par une logique exclusive de regroupement d’associations qui pratiquent l’entraide (telles que les corporations professionnelles, les confréries religieuses, etc.), mais aussi par une tendance à l’assistance extra-communautaire (ghildes, compagnonnage). Vers la fin du XIXème siècle jusqu’à la première guerre (« Mutualité triomphante »), la solidarité était caractérisé par deux traits spécifiques :

 

  • Avec le refus des mutualistes concernant le transfert de leur Ministère de tutelle allant de celui de l’Intérieur vers celui du Commerce en 1895, il y a là une volonté de se distinguer des assureurs commerciaux[29]. En d’autres mots, la solidarité mutualiste serait incompatible à des valeurs marchandes : le public avait été sensibilisé à l’éthique non-lucrative de la mutualité[30]. La campagne de sensibilisation argumente surtout dans la presse mutualiste la nécessité du bénévolat des administrateurs.

 

  • Le concept de « solidarisme » avait été défini comme axe structurant de la Mutualité en 1896 : « Ce que les révolutionnaires d’alors ont qualifié de collaboration entre classes témoigne surtout d’un mouvement mutualiste dont la valeur de solidarité a vocation à s’étendre dans tout le champ social »[31]. Sur ce ton, le « solidarisme » est un élément caractéristique de la mutualité de cette période puisque s’opposant à la conception syndicaliste de société divisée par une lutte de classe.

 

En ce qui concerne l’époque contemporaine, la solidarité se manifeste plutôt dans la mutualité en explorant des solutions communes pour la prise en charge des maladies. Le valide d’aujourd’hui sera l’invalide de demain. C’est d’ailleurs un de ses principes : « elle associe le refus de la sélection des risques au bénéfice pour tous d’avoir une égalité de traitement tout en pouvant compter tout au long de sa vie d’un système complémentaire de couverture santé »[32]. Le plus bel exemple de solidarité de la mutualité serait probablement de prolonger par une solidarité volontaire les aides en complément de la sécurité sociale. Elle est devenue, grâce à cela, un véritable acteur supplémentaire sur le terrain de la santé.

 

Le Tableau 2 ci-dessous (Les différentes intensités des valeurs mutualistes dans l’histoire du mouvement) laisse apparaitre que les valeurs fondatrices des mutuelles, en l’occurrence la « solidarité » n’ont pas été stables au cours du temps, une non-stabilité relative qui a deux aspects : D’un côté, le sens de la solidarité évolue (le caractère collectif de l’action mutualiste qui s’est opposé au comportement marchand tend à s’estomper lorsque les assureurs commerciaux ont largement investi dans le même secteur que les mutuelles, par exemple) et, d’un autre côté, l’importance de cette valeur au cours de l’histoire du mouvement mutualiste (l’importance de la solidarité comme valeur mutualiste a fortement variée avant le XXème siècle et n’a retrouvé une certaine stabilité relative qu’à partir de la première guerre mondiale).

 

Tableau 2 – Les différentes intensités des valeurs mutualistes dans l’histoire du mouvement

    Le Pré-mutualis­me (jusqu’au XVIIIème siècle) L’héritage des Lumières (XVIIIème siècle) La Mutualité rebelle (1789-1852) La Mutualité encadrée (1852-1870) La Mutualité triomphante (1970-1914) La Mutualité Institution­nelle (1914-1955) La Mutualité face aux défis modernes (1955-2008)
Démocratie Effectivité Forte Forte Faible Forte Moyenne Moyenne
Indépen­dance Effectivité Très forte Très forte Très forte Faible Forte Moyenne Moyenne
Liberté Effectivité Faible Très forte Très forte Faible Très forte Très forte Très forte
Solidarité Effectivité Faible Forte Forte Faible Très forte Forte Forte
Non-lucrativité Effectivité Forte Très forte Forte Forte Forte Forte / localement remise en cause

Source : Couret (2007)

 

En tout cas, dans sa recherche de solution collective pour prendre en charge la maladie et les retraites, la mutualité adopte une démarche qui a une certaine ressemblance avec celle du syndicalisme pour défendre des conditions de travail.

 

 

B – Syndicalisme et solidarité

 

Le syndicalisme se base sur la prise en compte d’une situation de fracture sociale, une division sociale entre le monde ouvrier et le patronat (Rosanvallon, 1999). La solidarité au sein du syndicalisme est alors une solidarité de masse et de classe : celle des ouvriers face à l’Etat et au patronat, d’où une solidarité d’opposition (des ouvriers) avec les autres. Mais, la solidarité syndicale « est également la résultante d’une identité collective où l’individualité de chacun s’efface pour laisser la place à une homogénéité de culture, de destin et de revendication »[33]. Il est possible alors de conclure que la solidarité qui s’opère au niveau du syndicalisme est une solidarité « mécanique », c’est-à-dire dans le sens d’une convergence des intérêts particuliers des membres.

 

« L’individu isolé n’existe pas » affirmait l’homme politique et prix Nobel de la Paix, Léon Bourgeois[34]. L’équilibre passait à ses yeux par le développement de « systèmes de responsabilité » mutuels entre individus ainsi que par un renforcement du rôle de l’État, garant de la solidarité Nationale dans l’éducation et la protection sociale. Il ne faut pas oublier que les syndicats constituent un groupe social et humain situé entre l’individu et l’État, des institutions de l’interaction[35], autour du monde du travail.

 

En somme, en considérant certaines valeurs partagées entre mutualité et syndicalisme, il y a une tendance à dire qu’il s’agit-là d’un élément de rapprochement de ces deux mouvements sociaux. Mais, force est aussi de constater des différences qui ne sont pas à sous-estimer au niveau des caractéristiques propres à chaque organisation (mutualiste ou bien syndicaliste) concernant ces valeurs.

 

Par ailleurs, Leroux et Leroux (2009) conçoivent la solidarité dans le sens d’une fraternité institutionnalisée, cette dernière étant caractérisée par deux axes bimodaux : entre « clos » et « ouvert » d’une part, et entre « libre » et « obligé » d’autre part. Ainsi, la fraternité est dite close lorsque l’identité des individus potentiellement membres de cette fraternité correspond à un groupement humain préalablement défini. A l’inverse, la fraternité est ouverte lorsque le geste fraternel peut émaner de n’importe où vers n’importe qui. Pour le deuxième axe, la fraternité est obligée si l’implication de l’individu dans le geste fraternel ne nécessite pas en dernier ressort l’expression de sa volonté ; la fraternité est libre dans le cas opposé. Dans cette approche, la solidarité est définie comme « une fraternité close et obligée »[36] :

 

  • D’un côté, vis-à-vis de l’individu, la solidarité est vue comme une contrainte : « l’obligation solidaire donne à la personne des droits et lui impose des charges»[37]. Dans cette optique, l’individu bénéficiaire d’une aide fait valoir ses droits plutôt que de demander l’aumône comme c’est le cas pour la charité. Dans l’autre sens, l’individu n’est pas supplié de venir en aide à quelqu’un, mais est obligé de participer au financement du dispositif solidaire à travers des cotisations sociales, par exemple.

 

  • De l’autre côté, la clôture de la fraternité implique un périmètre humain qui exclut les individus pouvant contester l’obligation solidaire et inclut tous ceux qui doivent y soumettre.

 

Dans de telle approche, « la solidarité se situe à l’exact opposé de l’altruisme »[38] puisque celui-ci est alors défini comme « une fraternité à la fois ouverte et libre »[39], souvent désigné par « charity business ». Pour les individus qui y participent, il n’y a ni charges ni droits, uniquement des opportunités de donner et de recevoir. L’altruisme est une fraternité ouverte sur l’humanité toute entière, et libre suivant la décision qui relève du sujet.

 

 

Section 2 – L’altruisme comme une nécessité humaine

 

Dans un sens, étant donné l’opposition faite précédemment entre altruisme et solidarité, dans le cadre d’une fraternité institutionnalisée, cela voudrait-il insinuer que la mutualité et le syndicalisme sont exclusivement égoïstes ? Une conséquence de cette insinuation serait que l’altruisme n’aurait pas de place dans ces deux mouvements sociaux. Or, comme déjà avancé précédemment, l’homme serait aussi altruiste qu’égoïste. Pour comprendre cette affirmation, il convient de se référer aux travaux de Terestchenko (2004) qui se questionne sur ce qui rend mieux compte des conduites humaines entre l’égoïsme et l’altruisme. Dans sa recherche, l’auteur essaie de démontrer la fausseté de l’argument des défenseurs de l’égoïsme psychologique stipulant que « l’altruisme supposé n’est en réalité qu’un moyen de « n’aimer que soi et ne considérer que soi » »[40]. De ce fait, l’égoïsme opte pour une approche moniste des motivations de l’homme, tandis que l’altruisme adopte plutôt une conception pluraliste : un principe de l’égoïsme est que le comportement de l’homme se rapporte toujours à lui-même et n’a d’autre finalité que son propre bien-être ; l’altruisme soutient que l’homme a des désirs envers autrui aussi bien qu’envers lui-même. Autrement dit, l’auteur veut faire entendre non pas nécessairement un altruisme en propre (altruisme pur), mais au moins une pensée bienveillante pour autrui même confondue avec d’autres pensées plus égoïstes.

 

Pour ne pas trop s’étaler sur la démonstration de Terestchenko (2004), ce qui dépasse le cadre de la présente étude, il convient de citer une conclusion de sa recherche : « En tant qu’hypothèse scientifique qui vise à la prédiction et à la compréhension des conduites humaines, l’égoïsme psychologique a été démenti et réfuté par toute une série d’expériences portant sur l’empathie; par conséquent, sa prétention à rendre compte de toutes les conduites humaines, même celles qui sont apparemment désintéressées, généreuses, etc., doit être tenue pour fausse. Telle est la seule conclusion scientifique qui, jusqu’à preuve du contraire, s’impose »[41]. En d’autres mots, il ne faut pas nier l’existence réelle de l’altruisme dans les composantes de la motivation humaine[42].

 

Désormais, Terestchenko (2004) définit l’altruisme comme « la volonté résolue et réfléchie de promouvoir le bien d’autrui »[43]. Perret (2016) précise que « l’altruisme est une forme de motivation qui s’exprime sous la forme d’un comportement »[44]. Pour le philosophe Auguste Comte, c’est « l’élimination des désirs égoïstes et de l’égocentrisme, ainsi que l’accomplissement d’une vie consacrée au bien d’autrui » (ibid., p.3). L’altruisme comprend plusieurs modalités, à savoir : la bonté qui se concrétise en actes suivant les circonstances, la bienveillance qui est une orientation favorable envers l’autre associée à une volonté d’agir, la sollicitude qui est le souci durable pour autrui, le dévouement qui est le fait de se mettre au service d’autrui avec abnégation, la gentillesse qui est une prévenance douce se manifestant dans la manière de se comporter, la fraternité faisant sentir l’appartenance à un groupe humain, et « l’altruité » qui est l’engagement expresse à œuvrer pour la liberté d’autrui. Par ailleurs, l’altruisme doit inclure à la fois la reconnaissance de la valeur de l’autre et la conscience d’être concerné par la cause de ce dernier, sans que cela nécessite forcément un sacrifice[45].

 

Comme un sujet peut en même temps abriter une motivation altruiste pour quelqu’un et manifester un égoïsme envers d’autres, plutôt que de parler de « personne altruiste », il serait plus propre d’entendre « altruisme » tout simplement. Ce dernier peut être qualifié de pur (« véritable » selon une typologie de Pesqueux[46]) ou d’impur, ce dernier cas concerne un individu qui agit pour le bien de l’autre sans se soucier d’un bénéfice à retirer de l’action. En fait, il est possible de se cultiver l’altruisme, il s’apprend par l’entraide et l’habitude[47]. En somme, l’homme est un être potentiellement altruiste, et cet altruisme peut sous-tendre ses motivations et transformer ses comportements. Dans ce sens, cela pourrait influencer directement ou indirectement sur les valeurs fondatrices des mouvements sociaux, surtout qu’il est à vérifier la compatibilité de l’altruisme (bien présent qu’il soit chez l’homme qui est au centre des préoccupations de ces mouvements) et ces valeurs fondatrices.

 

 

A – Mutualité et altruisme

 

Delvienne (2002) remarque que « la philosophie mutualiste est de rassembler les individus pour qu’ils s’entraident dans l’intérêt de tous »[48]. D’ailleurs, la mutualité a comme devise, « un pour tous, tous pour un », exprimant ainsi une prise de conscience de la nécessité d’une solidarité humaine : « Outre la volonté d’entraide, l‘esprit mutualiste repose sur les qualités de prévoyance, d’altruisme et de solidarité afin de mettre en œuvre [cette] devise traditionnelle »[49]. En fait, la mutualité s’est longtemps fixé comme objectif le prolongement de la solidarité obligatoire (garantie par la Sécurité sociale) par une solidarité volontaire. Sur ce point, deux éléments au moins ont conduit Delvienne (2002) à affirmer que « le mouvement mutualiste fait […] preuve d’un réel altruisme »[50] : la logique non lucrative et le refus de sélection des risques mutualisés (et par conséquent la solidarité éthique manifestée dans cette égalité des chances, sans tenir compte la situation personnelle de chacun des membres).

 

Dans un sens, l’altruisme ainsi exprimé peut être vu comme un égoïsme caché, c’est-à-dire un moyen politique et utilitariste destiné uniquement à assurer la pérennité de l’organisation mutualiste. Mais, d’autres éléments peuvent contredire cette représentation[51] :

 

  • D’abord, l’égalité de tous les membres autant dans le paiement des droits (cotisations) pour contribuer au soulagement de la souffrance de chacun ;

 

  • Ensuite le bénévolat des administrateurs ;

 

  • Et enfin la réalisation d’œuvres sociales pour mobiliser les mutualistes.

 

Finalement, il peut être conclu que, certes l’altruisme n’est pas mis comme principe directeur explicite de la mutualité, mais il s’avère qu’il ne se met pas non plus en contradiction des valeurs mutualistes. « La mutualité, en principe, procède de l’altruisme, en tant que résultante des bonnes volontés individuelles. Elle consacre la théorie de l’égoïsme dès qu’elle se place sous la direction de l’Etat, — car l’égoïsme social n’est autre chose que le sentiment qui pousse les individualités à tout exiger de la collectivité »[52]. Si telle est pour la mutualité, est-ce de même pour le syndicalisme ?

 

 

B – Syndicalisme et altruisme

 

Dans le syndicalisme, la solidarité, en tant que valeur suprême, s’impose dans une logique collective : établissement d’une identité collective, recherche et priorisation des solutions collectives et mise en œuvre de ces dernières par l’action collective. Il y a un certain effacement de l’individuel pour laisser place à l’intérêt général. De plus, une part importante des organisations syndicales fixent des objectifs qui vont au-delà des intérêts de leurs seuls membres. D’ailleurs, « il ne faut pas oublier que les syndicats constituent des corps intermédiaires entre les individus et l’Etat qui fournissent une vision globale de l’organisation sociale. Ils ne défendent pas seulement les intérêts de leurs adhérents mais ceux de l’ensemble d’une catégorie »[53].

 

Ainsi, il apparait légitime de parler d’un groupement à la fois égoïste et altruiste en ce qui concerne le syndicalisme :

 

  • D’une part, les acteurs sont résolus de défendre les intérêts de leur propre organisation (une manifestation d’égoïsme) ;

 

  • D’autre part, le syndicalisme se donne des objectifs de défense qui dépassent le périmètre de ses adhérents. La solidarité syndicaliste s’exerce aussi bien entre les adhérents qu’avec l’extérieur.

 

Dans le syndicalisme, la fraternité s’exprime autour du militantisme. Le militant, qui par son caractère actif se différencie de l’adhérent, est le lien essentiel entre le syndicat (par ses convictions et sa mobilisation) et les adhérents : c’est lui le maillon essentiel par qui est noué la fraternité. Par ailleurs, il apparait que l’altruisme est une des sept motivations du militant : « le militant fait appel à des valeurs personnelles ; il s’agit pour lui de rendre service aux « copains » en acceptant de prendre en charge certaines responsabilités d’intérêt commun ; cet altruisme se fonde souvent sur une réelle générosité et sur l’intérêt porté aux difficultés de son entourage professionnel »[54]. Mais cette action syndicale de « fraternisation » s’observe de moins en moins jusqu’à même en observer un déclin. Les évolutions comportementales, la  croissance de l’individualisme constituent certaines de ces raisons. Il possible de parler de difficulté du syndicalisme lui-même à s’adapter[55]. Cette fraternité a du mal à s’appliquer aux grandes décisions. Ceci fait que les hommes ne se sentent pas assez responsabilisés dans ce mouvement.

 

En tout cas, il apparait ainsi que le syndicalisme n’est pas non plus étranger à l’altruisme, du point de vue collectif mais aussi individuel.

 

 

En somme, le temps et les circonstances ont créé, forgé et affirmé suivant les besoins de l’homme et du moment les valeurs fondatrices de la mutualité. L’importance de ces dernières n’est plus à démontrer, que ce soit en termes de réunification des mouvements mutualistes à travers l’histoire, mais aussi dans le maintien de la direction et du sens des actions que ceux-ci ont vocation à réaliser. Ceci établit alors une sorte de paradoxe, sur la nécessité de faire pérenniser ces valeurs fondatrices sans subir les influences de l’histoire et de l’environnement d’une part, et la flexibilité indispensable que ces valeurs devraient être caractérisées pour vraiment s’adapter aux besoins des hommes que la mutualité veut servir d’autre part. Non seulement ces valeurs ont substantiellement évolué, au moins depuis l’époque pré-mutualiste (du Moyen-Age jusqu’au XVIIIème siècle), mais leur intensité au sein des mouvements mutualistes ont aussi fortement varié, à l’exemple de la solidarité qui apparait comme un principe primitif pour ce type d’organisation sociale. A travers cette solidarité, il semble que l’essence de chacune des valeurs fondatrices de la mutualité, mêmes celles partagées avec le syndicalisme, revête des caractéristiques propres qui différencient les deux mouvements sociaux. Aussi, à travers l’altruisme, il a été montré qu’il y a des éléments intimement liés à l’homme qui peuvent influencer les valeurs fondatrices de ces organisations. D’ailleurs, il est senti deux facteurs importants qui ont, à première vue, une certaine potentialité de faire évoluer ces valeurs fondatrices : le poids accru de l’économique dans ces mouvements sociaux d’un côté, et les exigences réglementaires de l’autre côté.

 

 

Chapitre 2 – Des contraintes d’efficacité économique et de conformité aux dispositions réglementaires

 

L’environnement du travail évolue vers une nouvelle redistribution européenne, voire internationale ; on évoque même la désindustrialisation du pays. Ce phénomène affecte lourdement les grands équilibres sociaux et économiques de la France[56]. On s’étonnerait si les mouvements sociaux que sont le syndicalisme et la mutualité pourraient échapper à ces mutations économiques. En fait, comme son nom l’indique « l’économie sociale » à laquelle appartiennent ces mouvements sociaux est essentiellement composée d’au moins deux composantes : l’économie et le social. Quels seraient alors les impacts d’une variation éventuelle à la hausse du poids de l’économie au niveau de ces mouvements ? Dans ce cas, une nécessaire conciliation du social et de l’économique s’imposerait. En effet, ce sont deux composantes essentielles pour l’équilibre de la société contemporaine. Il importe d’apprécier comment les deux mouvements sociaux que sont la mutualité et le syndicalisme connaissent les assauts des comportements marchands et l’économie en général.

 

 

Section 1 – Economie « standard » vs Economie sociale

 

Il faut rappeler que les mutuelles sont des entreprises à but non lucratif qui œuvrent dans le secteur de « l’économie sociale et solidaire ». A rappeler aussi certains de leurs principes, tels que la démocratie participative et égalitaire, la lucrativité limitée, l’entraide sociale, et la primauté de l’intérêt collectif sur l’individuel ainsi que la personne sur l’économique. D’ailleurs, il peut être démontré que l’économie sociale ne relève pas du libéralisme économique pur (appelé également économie standard) : ce dernier considère comme néfaste toute intervention de l’Etat dans la sphère économique, d’autant plus que toute création et allocation de richesse doivent toujours passer par le marché. En effet, les défenseurs de l’économie sociale et solidaire « refusent de croire que la pauvreté du prolétariat et la misère constituent des faits inéluctables qui seraient aggravés par l’action volontaire – contrairement aux libéraux qui défendent la thèse inverse – sans vouloir pour autant étendre à l’excès le rôle de l’Etat »[57]. L’économie sociale ne relève pas non plus du socialisme pur qui établit qu’il incombe à l’Etat d’organiser la solidarité nationale et d’apporter des corrections aux inégalités en usant des entreprises nationales, du système de redistribution obligatoire, une économie fortement planifiée, etc. Désormais, la mutualité s’appuie sur le marché (avec des activités marchandes), mais ne doit pas intégrer dans leurs objectifs la constitution de profits.

 

L’objectif des mutuelles est de « de réaliser la rentabilité sociale et pas seulement économique, d’être au service du plus grand nombre, de dégager des bénéfices au profit de tous et non de quelques-uns, de développer la solidarité et la justice sociale pour aider à l’émancipation de l’Homme »[58]. Il faut dire alors que la place de l’économique au sein de l’économie sociale, et de la mutualité en particulier, est complexe. Comme l’homme est au centre des prestations des mouvements sociaux, l’évolution de la place qu’occupe l’économique dans ceux-ci pourrait être mieux appréhendée à travers le concept de « rationalité » de l’agent économique.

 

En outre, cette intensification de l’économique dans les organisations sociales serait probablement l’un des facteurs d’évolution des dispositifs réglementaires qui s’appliquent désormais à celles-ci. En effet, la frontière entre ces organisations et les entreprises commerciales s’estompe de plus en plus, et le législateur y voit une nécessité d’uniformisation des règles et normes applicables à ces structures ressemblantes. Il est attendu que l’application aux organisations mutualistes et syndicales des dispositifs initialement réservés au secteur marchand renforcera et intensifiera davantage l’économique aux seins de celles-ci, un processus qui ne peut que s’auto-renforcer au fil du temps. In fine, quels peuvent être les impacts de tous ces phénomènes sur les valeurs fondatrices de ces mouvements sociaux.

 

 

A – Remise en question de la rationalité des agents économiques

 

Dans cette approche sur la rationalité des agents économiques, sera essentiellement appréciée l’évolution du social et de l’économique chez l’homme. Cela partira nécessairement du concept d’homo œconomicus sous l’influence de divers facteurs, dont l’altruisme au bénéfice de l’économie sociale et solidaire.

 

 

§.1– L’homo œconomicus

 

Selon les néoclassiques standards, l’homo œconomicus est seulement animé de motivation intrinsèque. Ce terme qui « signifie d’abord l’être humain qui s’occupe de la gestion d’une maison »[59] peut désormais se traduire grossièrement par « être humain économique ». De par l’objectif en termes de maximisation de la satisfaction et du profit qui régit l’économie de marché, notamment pour les écoles classiques, des règles rigoureuses ont été établies pour caractériser les phénomènes économiques : les processus économiques sont conçus comme résultant de lois naturelles. La « rationalité humaine » est donnée comme base des interactions entre les agents économiques : ce serait « un effort d’intérêt personnel pour atteindre le plus possible de gain et de jouissance avec le moins de dépense possible »[60].

 

L’hédonisme et l’égoïsme est ainsi les principes directeurs de l’homo œconomicus, et les lois économiques qui se basent sur ce dernier. Dans cette perspective, l’homme cherche avant tout ses intérêts personnels, au détriment souvent de l’intérêt général[61]. Ce serait alors la somme des intérêts personnels qui donne cet intérêt général. Ces données facilitent donc les calculs pour prévoir entre autres les comportements des agents économiques sur le marché, c’est-à-dire que cela suppose un contexte de quasi-certitude.

 

Il est facile de comprendre que, se basant sur les caractéristiques de l’homo œconomicus, les valeurs fondatrices des organismes sociaux auraient pris des caractéristiques particulières. A titre d’exemple, il serait exclusivement question de solidarité égoïste, c’est-à-dire qu’un membre adhère à une mutuelle pour des raisons strictement égoïstes (écartant par-là toute idée d’altruisme). La société et toute organisation sociale fondée sur cette conception de l’homme comme être (totalement) rationnel et uniquement égoïste seraient amorales, la notion d’éthique y est réduite à néant[62]. Cela donne l’image de l’économie standard qui se repose sur « l’hypothèse d’individus égoïstes animés de motivations extrinsèques, amorales et asociales »[63]. Une motivation extrinsèque se trouve dans les conséquences des actes (nécessairement matérielles et financières) et non pas dans les actes eux-mêmes.

 

En reprenant l’exemple de la théorie des droits de propriété[64], ont démontré que les entreprises mutualistes n’auraient pas une raison d’exister, car inefficace du fait qu’elles n’appartiennent à personne : en fait, lorsque les contributions de chaque membre ne sont pas dissociables du travail global et ne sont pas visibles, chacun trouvera plus d’intérêt à faire travailler les autres et à réaliser un effort minimal. Une solution proposée est que, afin de sanctionner l’opportunisme des membres participants et récompenser les efforts fournis, il faut désigner un individu qui aura un droit de propriété sur les bénéfices réalisées, et c’est lui qui va jouer le rôle de surveillant. Cette hypothèse destinée à justifier l’existence de la firme serait alors remise en cause en présence des mutuelles. Arnaud (2011) se questionne ainsi : « comment expliquer l’émergence et l’efficience d’un secteur économique basé sur les valeurs d’entraide, de solidarité, de lucrativité limité, voire de bénévolat ? »[65]. En somme, les théories qui se basent sur l’homo œconomicus ignorent et méprisent des éléments pourtant bien présents dans les préférences de l’homme, tels que la jouissance du travail bien fait, le choix tenant compte des valeurs non nécessairement matérielles ou financières d’un objet, les engagements tenus, etc.

 

Ainsi, les théories se reposant sur la rationalité (parfaite) pouvant être considérée comme défaillante, la « rationalité limitée » devient alors la règle[66] : « la rationalité limitée désigne les limitations cognitives qui pèsent sur la formation des états mentaux et sur la prise de décision des agents »[67]. Désormais, il faut que le calcul intègre les besoins devenant de plus en plus « irrationnels » des agents, dont des besoins relatifs au social. Walras (1834-1910) insistait sur la place de la morale dans ce qu’il appelle homo ethicus pour se substituer au concept dominant de son époque, l’homo œconomicus : « l’homme qui a des besoins, qui produit et qui échange dans la perspective de maximiser sa satisfaction (l’homo oeconomicus) est identique à l’homme doué de sensibilité, de raison, d’aspirations politiques et esthétiques (l’homo ethicus) » (Couret, 2007, p. 27). Walras (1834-1910) identifie ensuite trois principes indispensables pour qu’un tel individu, homo ethicus, puisse vivre dans une relation sociale, des principes qui établissent la création et le développement de la mutualité (« l’association », un tiers secteur, selon Walras) (Couret, 2007) :

 

  • Principe de justice stipulant que tout individu est tenu contractuellement (donc de manière réciproque) avec d’autres à des droits et des obligations légaux.

 

  • Principe d’association selon lequel tout individu est libre de se regrouper avec d’autres et de définir avec eux des devoirs et des droits.

 

  • Principe de fraternité établissant que tout individu agit, non seulement sur l’influence de la justice sociale, mais également suivant une conscience individuelle.

 

Un élément majeur remettant en cause l’homo œconomicus est l’altruisme, conduisant à bouleverser des théorèmes originaux[68]. Cela permet un élargissement du calcul économique en y intégrant la relation apportée par l’individu à son environnement social.

 

 

§.2– Influence de l’altruisme

 

L’altruisme est une composante à intégrer dans le calcul économique de l’homo œconomicus : « La prise en compte de l’altruisme permettra un renouveau 1) de l’analyse macroéconomique par le biais des anticipations rationnelles dans une approche néoclassique et par celui de l’information asymétrique dans une approche néokeynésienne et 2) de l’analyse microéconomique par la réintroduction des anticipations sociales qui remettent en cause les règles de la Pareto-optimalité »[69]. Les néoclassiques écartaient de leurs calculs la sociabilité de l’homme ; or, les gens se communiquent, s’organisent, élaborent des règles et mettent en place des dispositifs pour faire respecter celles-ci. Polanyi (1886-1964) avance même que tous les systèmes économiques se basaient sur des systèmes de réciprocité, d’économie de distribution ou de redistribution ; et c’est ensuite, au cours du moyen-âge et du XIXème siècle que le système marchand a fortement influencé et bouleversé la société moderne. Ce serait ainsi que l’homme devient davantage des « consommateurs »[70].

 

En fait, en partant de l’homme égoïste conçu dans l’homo œconomicus, l’altruisme est « l’internalisation positive du bien-être d’autrui dans une fonction d’utilité de l’individu »[71]. En d’autres termes, l’altruisme arrive comme une complication du calcul de l’homo œconomicus sans que les modalités ou les externalités soit déterminées a priori pour un individu. Désormais, l’hypothèse néoclassique de l’économie standard (sur l’homo œconomicus) « s’éloigne donc d’autant plus de la réalité que l’on se rapproche des entreprises à but non lucratif, puisque ces dernières sont animées par des valeurs morales et normes sociales fortes »[72]. Le cadre conceptuel de l’homme rationnel est alors élargi pour intégrer deux autres types de motivations autres que celle extrinsèque de l’homo œconomicus : les motivations intrinsèques qui portent uniquement sur la réalisation des tâches, et les motivations extrinsèques internalisées qui portent sur les normes et valeurs atteintes ou véhiculées par la réalisation des tâches ou l’adoption d’un comportement. Ces deux types de motivations, dites « autorégulées » sont nécessaires pour satisfaire trois besoins fondamentaux de l’homme, à savoir : le besoin de compétence, d’autonomie, et de relations sociales assises sur la confiance réciproque et le respect mutuel. Les valeurs fondatrices de la mutualité s’inscrivent essentiellement sur ces motivations autorégulées qui ne sont d’autres qu’une manifestation de l’existence de l’altruisme chez l’homme (le bénévolat s’explique ainsi par les motivations extrinsèques internalisées)[73].

 

L’économie sociale, dans laquelle s’inscrit le mouvement mutualiste, est née d’une volonté de trouver une solution alternative au régime libérale (à l’économie standard). Mais, il apparait que le regain d’intérêt pour l’aspect économique n’est pas sans conséquence, dont le rapprochement de la réalité humaine à celle de l’homo œconomicus. En effet, à titre d’exemple, la tendance des mutuelles vers les sociétés de capitaux feraient probablement peser l’économique au détriment du social, et ainsi de l’altruisme chez les membres, puis chez ces organisations mutualistes. Cela augmentera les motivations extrinsèques des individus aux dépens des motivations autorégulées, et la situation se ramène davantage à l’homme égoïste, un retour progressif vers l’homo œconomicus. Une attention devrait alors portée sur les influences de l’économique accru dans les mouvements mutualistes et syndicalistes, surtout vis-à-vis de leurs valeurs fondatrices : d’un côté le syndicalisme fait face à un comportement de plus en plus individualiste des adhérents et, de l’autre côté, la mutualité est soumise à une forte concurrence venant du secteur marchand.

 

L’individualisme peut être défini comme « une conception philosophique, politique, sociale et morale qui tend à s’affirmer indépendamment des autres, à ne pas faire corps avec un groupe »[74]. Cela semble insinuer que l’individualisme pourrait être défavorable à l’action collective.

 

B – L’individualisme influençant le syndicalisme

 

Andolfatto présente une conception plutôt positive de l’individualisme vis-à-vis du syndicalisme, tout en critiquant le fait d’associer trop hâtivement le processus d’individuation aux problèmes de crise de l’emploi, de la remise en cause de l’action collective et de la redéfinition des identités au travail. D’abord, il avance que le regain de l’individualisme permet une régénération de l’engagement au sein des mouvements syndicaux du fait que cela offre un cadre pour le développement de la coopération librement consentie très recherché dans les relations sociales. Ensuite, il met en garde contre l’idée de considérer la corrélation entre l’individualisme, la crise identitaire collective et le déclin syndical comme une fatalité car la motivation des salariés à cette organisation sociale ne dépend pas nécessairement de la qualité de l’environnement social. Enfin, attribuer le déclin de l’action collective au seul facteur de l’individualisme serait une thèse réductrice, l’auteur citant des exemples de facteurs dans ce sens : « la segmentation sociale et la reconfiguration du marché de l’emploi, l’élévation générale du niveau de formation, la concurrence entre organisations syndicales […] »[75].

 

Néanmoins, il n’empêche que la tendance au retour à l’homo œconomicus à travers l’individualisme a une certaine influence plutôt négative sur le mouvement syndical. En effet, Ce dernier enregistre un repli dans ses adhésions : Les syndicats français ont perdu près de deux tiers de leurs adhérents depuis le milieu des années 1970[76]. Ils rencontrent de plus en plus d’obstacles devant les salariés pour être reconnu comme de véritables défenseurs de leurs intérêts. La vision du syndicalisme évolue et il est possible de penser que ces mouvements sont désormais défenseurs d’une minorité de salariés.

 

Concernant la résignation des salariés, Hubert Landier, Vice-Président de l’institut international de l’audit social explique : « Ce qui est frappant dans la situation actuelle, c’est le niveau de résignation dont font preuve les Français dans leur comportement face à celle-ci. Ainsi, seuls se révoltent ceux qui sont bénéficiaires de statuts ou de rentes de situation qu’ils ont peur de perdre, et d’autres part, il y a ceux qui n’ont rien à perdre et qui ont déjà perdu leurs emplois et qui ont peur, bien souvent à juste titre, de ne jamais en retrouver. Entre les deux, il y a de la résignation qui ne débouche pas à une action collective et les syndicats sont donc paralysés par ce phénomène. Il y a donc un désengagement croissant des employés, une sorte de « chacun pour soi » qui ne peut pas donner lieu à une action collective qu’elle soit de position »[77]. L’adhérent attend une réponse à son problème personnel, moins une manifestation d’appartenance sociale.

 

Qu’en est-t-il de l’idée que le syndicalisme est « un lieu de sociabilité, d’échange d’idées et de production de vision du monde »[78]. Le rapport entre le syndicalisme et ses membres semble faire l’objet d’un changement profond mais qui s’opère progressivement sous l’influence de l’individualisme qui y gagne davantage de place. Le sentiment de destin commun fait ainsi place à l’utilitarisme dans le sens où le mouvement syndical est uniquement conçu tel un outil au service de ses adhérents pour satisfaire leurs besoins plutôt individuels que collectifs. Ce rapport pouvant être qualifié d’utilitariste apparait plus instrumental : le syndicat apparait simplement comme un « outil technique pour tirer les tracts, fournir des salles de réunion et des lignes de téléphone, outil organisationnel pour mener une négociation et transmettre des demandes »[79].

 

Cette adhésion du type utilitariste se manifeste lorsque l’individu, animé de leur besoin d’information et de défense pour ses intérêts propres, s’adresse au syndicat et y adhère en contrepartie de l’aide proposée par celui-ci. « La recherche d’un collectif, d’une communauté n’est plus le motif d’adhésion par excellence »[80]. Le concept d’adhérent tend à se faire substituer par celui de « client » dans l’idée que le recours au mouvement syndical se fait surtout dans une perspective marchande. Cela montre en quelque sorte que ce recours n’implique plus une volonté de participer à des actions de défense collective mais plutôt la recherche de défense de la situation personnelle, dans une logique d’échange individualisé, personnalisé.

 

Certes, l’idéal de solidarité n’a pas disparu complètement, mais il est concurrencé par la recherche de profit personnel et la recherche d’efficacité individuelle. Ce que recherche un individu dans son adhésion concerne essentiellement des solutions à ses problèmes particuliers et moins une manifestation d’appartenance sociale[81]. Que cette tendance soit le fruit du regain d’individualisme, un retour vers l’homo œconomicus, ou encore une faible capacité d’adaptation du syndicalisme aux nouvelles réalités de la société moderne, il faut admettre que la dimension économique, le domaine marchand ne cesse de se faire une place encore plus importante au sein de ce type d’organisation sociale.

 

Un vent semblable souffle, mais apparemment avec plus de virulence, chez les mutualistes qui sont quelque peu contraints d’épouser des comportements marchands dans un environnement devenant de plus en plus concurrentiel. Non seulement cela vient d’une cohabitation un peu forcée des mutuelles et des assureurs dans un même secteur, mais également du fait du changement de comportement des adhérents. En fait, ces derniers manifestent un comportement assez paradoxal vis-à-vis de la mutualité : d’un côté, ils adoptent une attitude de plus en plus exigeante, égoïste et consumériste incitant les organisations mutualistes à tendre vers une logique marchande et, de l’autre côté, ils louent les valeurs mises au premier plan par ces organisations, telles que la solidarité et la non-lucrativité.

 

Si telle est la situation du côté des syndicalistes du fait de l’importance accrue de la place accordée à l’économique dans ces mouvements sociaux, qu’en est-il du côté des mutualistes qui connaissent désormais (quant à eux) les assauts de la concurrence frontale de la part des assureurs commerciaux notamment.

 

C – La concurrence remettant en cause les valeurs fondatrices de la mutualité

 

Il faut reconnaitre que le marché relatif aux activités de prévoyance est considérable, ce qui constitue un champ attrayant pour les opérateurs commerciaux voisins. Une approche historique du rapprochement entre les deux domaines, celui des mutuelles et celui des assurances, révèle l’ampleur de la concurrence que subit la mutualité :

 

  • En 1965, les entreprises sont contraintes de s’adresser à des organisations mutualistes différentes en ce qui concerne la protection de leurs salariés, ceci pour l’obtention de la couverture du ticket modérateur. Les compagnies d’assurances commencent alors à entrer dans les entreprises.

 

  • A compter de 1967, lorsque le Syndicat national de l’industrie pharmaceutique (SNIP) sollicite un accord global de prévoyance, les mutualistes n’ont pas eu la capacité permettant la prise en charge d’autant de salariés. Le SNIP se tourne ainsi vers les compagnies d’assurance.

 

  • Entre 1967 et 1975, la mutualité riposte en créant par exemple le Mutex (Mutualité expansion) en tant que label commercial, puis en 1978, en signant des accords avec les instances syndicales visant à soustraire la prévoyance au secteur marchand.

 

Du fait que la prévoyance est appréciée comme n’appartenant pas au secteur de la santé, elle est associée à celui de l’assurance, ce qui conduit la mutualité à se retrouver en concurrence avec les compagnies d’assurance, mais également avec diverses institutions financières dont les banques. Ces concurrents n’ont pas ménagés leurs efforts pour proposer des offres plus compétitives que celles des mutuelles, obligeant ces derniers à se centraliser et, en conséquence, à entrer davantage dans une logique commerciale. Il arrive même que les mutuelles s’engagent dans une sorte de dérives pour mieux asseoir leur position dans cette lutte concurrentielle. En voici quelques exemples illustratifs :

 

  • Les mutuelles professionnelles ont déployé de véritables stratégies marketing et de démarchage, employant ainsi des techniques familières des compagnies d’assurances[82].

 

  • Certaines mutuelles ont opté pour des limites d’âge concernant l’adhésion, tandis que d’autres ont fait prolonger les délais de stage nécessaire avant la prise en charge définitive. D’autres encore ont fixé des tarifs différents suivant l’âge des adhérents. Il y a aussi ceux qui ont procédé à des versements injustifiés aux administrateurs[83].

 

  • La « débauche concurrentielle » que se livrerait les mutuelles étudiantes depuis l’inscription obligatoire des étudiantes au régime de Sécurité sociale : « Certaines mutuelles ont décrété que la santé n’était pas un argument porteur pour la catégorie estudiantine, et la lutte pour gagner des parts de marché les a amené à proposer des offres de services ayant un rapport plus ou moins lointain avec le mutualisme […] mais assurant la promotion de sociétés commerciales»[84].

 

Une conséquence possible du fait de s’éloigner trop de ses valeurs fondatrices, en s’introduisant de plus en plus dans le secteur marchand, est le risque d’être affaibli sur son propre terrain. Néanmoins, cela ne devrait pas tout de même signifier qu’il n’existe pas de point d’entente entre le social et l’économique au sein de ces mouvements sociaux. Il est possible de citer l’exemple de la protection de la santé, une vocation de la mutualité qui fait face à un vaste marché couvert par des régimes de base correspondant à un besoin de solidarité obligatoire. Mais, du fait de l’insuffisance de ces régimes de base pour servir une demande croissante, les mutualistes ont fait également appel au régime de la solidarité volontaire qui est aussi du domaine des compagnies d’assurance. Lorsque la mission sociale relative à cet exemple est dûment accomplie, il importe peu que les moyens pour y parvenir soient de nature purement sociale ou bien de nature économique. « L’accomplissement d’une mission sociale n’est donc pas exclusive de la mise en œuvre de techniques commerciales »[85]. D’ailleurs, l’économie sociale et solidaire, dans laquelle est intégré le mutualisme, n’exclut pas la rentabilité dès que cela ne constitue pas l’objectif principal de l’organisation sociale ; l’important est de démocratiser et de socialiser l’économie. Plus simplement, la mutualité n’est pas absolument antinomique à l’économie de marché. Delvienne (2002) préconise de « cesser de voir le social comme le seul moyen de privilégier le bienêtre de l’homme et comprendre que l’économie peut revêtir plusieurs visages dont celui de l’économie sociale »[86].

 

Toutefois, cette conciliation de l’économique avec le social comporte un risque réel : celui de faire du social un simple faire-valoir de l’économie, c’est-à-dire que celui-ci soit submergé dans le dynamisme économique. Certes, ce dynamisme est en quelque sorte un garant de la pérennité pour le mouvement mutualiste, mais cela pourrait aussi minimiser la mission sociale que la mutualité se doit d’accomplir prioritairement. De plus, la conception française de la mutualité n’est pas la même que celle de l’Europe, alors que le poids de cette dernière se fait de plus en plus senti dans le pays, notamment au niveau réglementaire.

 

 

Section 2 – Impacts de l’évolution réglementaire sur les valeurs fondatrices de la mutualité et du syndicalisme : une intrusion du commercial ?

 

Même si les mutualistes françaises ne veulent pas reconnaitre que la santé constitue un marché, les autorités européennes constatent le haut niveau de rentabilité qui s’en dégage et y voient une nécessité d’instauration d’un mode de gestion inspiré fortement des techniques assurantielles, celles des acteurs commerciaux. Par l’occasion, le domaine jusqu’alors réservé aux mutualistes est désormais ouvert à des grands groupes financiers du secteur de la complémentarité. Les premières directives européennes n’ont pas alors tardé à émerger, à commencer par celles sur l’assurance non-vie[87]. L’objectif de ces dispositions serait « d’absorber l’économie sociale dans l’économie de marché faisant ainsi des acteurs de la première des entreprises commerciales ordinaires »[88]. Ces directives offraient également aux assureurs une opportunité de prendre la forme des mutuelles.

 

Les mutualistes s’opposent à ces textes en affirmant l’inopposabilité pour elles de ces directives qui leur désormais sont étrangères. D’autres ont soutenu l’indissociabilité des activités sociales avec les activités de complémentarité santé, tandis que d’autres encore parle d’une procédure de démutualisation à travers ces directives européennes[89]. Dès lors que les autorités françaises manifestaient trop peu d’empressement à la transposition de ces directives, sous l’influence de la FNMF qui veut faire reconnaitre la spécificité mutualiste, la France est condamnée pour manquement à ses obligations par la Cour de justice de la Communauté Européenne, en 1999. La transposition a alors eu lieu deux ans plus tard.

 

En effet, l’ordonnance du 19 avril 2001, relative au code de la mutualité contraint les « mutuelles 45 » à entrer dans ce processus de transposition européenne tout en essayant de garder ses spécificités et surtout la valeur de solidarité. Elles sont donc assimilées à des entreprises d’assurances vie et non –vie et se retrouvent en concurrence avec les Institutions de prévoyances (IP). Elles doivent donc réorganiser leurs offres, statuts, partenariats, instances, se soumettre aux règles de prudence et séparer leurs activités d’assurances (Livre II) de leurs œuvres sanitaires et sociales (Livre III) au nom du fameux principe de spécialisation.

 

Ainsi en 2002, le code de la mutualité accentue les règles de gestion des structures, les contrôles financiers et l’obtention d’un agrément. Mais pour l’obtenir, elles devront constituer des provisions techniques qui recouvrent l’ensemble des charges à prévoir pour faire face à une sinistralité prévisible mais non déclarée des contrats d’assurance en cours[90] et disposer d’une marge de solvabilité représentant, au-delà des provisions techniques qui sont la source principale de solvabilité d’une entreprise d’assurance, le matelas de sécurité contre l’aléa dans la réalisation des divers risques qui peuvent affecter le passif ou l’actif d’une société d’assurance. Les limites, bien déterminées entre les mutuelles, les compagnies d’assurances et les IP, s’estompent. Le mouvement mutualiste essaie de garder une éthique solidariste mais entre dans un contexte où le facteur économique et l’arrivée de la communauté européenne se présentent comme les chefs d’orchestres de tous ces changements.

 

Par ailleurs, il apparait que la dimension sociale n’a point constitué une priorité dans la construction européenne, du moins dans le passage vers le XXIème siècle. Le social serait tout simplement le résultat des « effets positifs enregistrés par l’économie des différents Etats membres grâce au marché commun »[91]. Même si le discours européen commençait tout de même à tendre vers la priorisation du social, des auteurs (Charvin & Antipolis, 1996) y voient une simple recherche du consensus social qui devrait contribuer au renforcement de la performance des entreprises. « Dès lors, une question se pose : l’économique est-il un moyen de faire du social ou, au contraire, le social n’est-il qu’un moyen au service de l’économie ? »[92].

 

Pour ce qui concerne plus explicitement les valeurs fondatrices, les impacts des directives européennes ne peuvent être classés de négligeables. Le concept de la mutualité se regroupait autour et pour la sécurité collective. Des déviances apparaissent pendant cette période de forte concurrence ; les mutuelles veulent s’affirmer dans leurs domaines. Les principes de solidarité, de gouvernance et de non-lucrativité sont directement touchés. L’obligation, avec l’Europe, de constituer des réserves de plus en plus importantes éloigne de plus en plus les mutuelles du principe de non-lucrativité, les sociétaires comme les actionnaires basent leur jugement sur les performances économiques[93]. Les mutuelles, n’ayant pas de capital social, sont incapables de recourir à des augmentations de capital ; seuls leurs excédents peuvent les financer. Des transformations juridiques et statutaires en ont découlé ; la gouvernance est ainsi écornée, à l’exemple du cas du SNIP lorsque la mutualité a imposé sa marque sur le terrain de la prévoyance par la création de l’union nationale de la prévoyance de la mutualité Française (UNPMF), sous la marque Mutex. Des structures capitalistiques apparaissent mêmes dans les années 1990. Ces exemples montrent les mutations de la mutualité dans ses valeurs et son fonctionnement. Ces spécificités et cette concurrence effrénée sont renforcées par l’application du droit communautaire.

 

 

Conclusion de la partie 1

 

La mutualité et le syndicalisme sont deux grands mouvements sociaux faits autour de l’homme avec des valeurs identitaires pour chacun d’entre eux. Le facteur économique s’est imposé dans la sphère sociale et y tient une place essentielle et directive. Cette augmentation de l’intensité de l’économique au niveau des mouvements sociaux s’est surtout manifestée par le regain de l’individualisme chez les paritaires et une intensification et extensification de la concurrence chez les mutualistes. Cela n’est pas sans conséquence sur les valeurs de base de ces mouvements, dont sur la solidarité, la gouvernance et la non-lucrativité.

 

Le renforcement de la construction Européenne et de ses contraintes prudentielles ont amené une concurrence entre tous les acteurs de la protection sociale notamment dans la mutualité et les Groupes de protection sociale (GPS). En conséquence, l’édition de règles communes en ce qui concerne les éléments financiers conduit obligatoirement à métamorphoser ces mouvements. Les valeurs tant portées au pinacle sont-elles en danger ? Pour les préserver, doit-on associer économie et valeurs sociales pour servir ces enjeux économiques pour une économie sociale ? Depuis la loi de 2001, des mutuelles s’intègrent à l’intérieur des GPS. En effet, les mutations ont déjà démarré. Ces règles européenne comme « Solvency 1 » (Solvabilité 1) ont contraint les GPS d’un côté et les mutuelles de l’autre à effectuer des regroupements afin de les appliquer. Plus encore, à la date du 10 juillet 2007, ces règles avec « Solvency 2 » se sont accentuées, avec comme conséquences, des exigences financières renforcées, un contrôle prudentiel exigeant et une communication financière plus transparente. Pour cela, il faut observer les facteurs de regroupements induits par les directives européennes dans les GPS et les mutuelles. A cause de ces contraintes, des adaptations ont été nécessaires dans les moyens et ainsi dans le but de concilier nécessité et partenariats économiques, le tout conjugué à un esprit social.

 

 

Partie 2 – Les enjeux du regroupement dans la mutualité

 

Cette deuxième partie étudie les enjeux sur les valeurs fondatrices des mutuelles du rapprochement de ces dernières avec les GPS, ce rapprochement étant un cas particulier de regroupement que ces mutuelles sont contraintes de faire face pour répondre aux exigences économiques et réglementaires imposées par l’environnement en évolution. Ainsi, dans un premier temps, il convient d’apprécier les réglementations du secteur (dans lequel se trouve les mutuelles) dans leur rôle comme facteurs de regroupement des mutuelles. Ensuite, il faut tenir compte des stratégies de partenariat pouvant être adoptées par ces mouvements sociaux au regard de ces contraintes réglementaires (et économiques). Enfin, il y a lieu d’apprécier les impacts (réels et/ou potentiels) du regroupement sur les valeurs fondatrices de la mutualité.

 

Chapitre 1 – Les réglementations comme facteurs de regroupement

 

Les directives Européennes viennent augmenter les exigences financières, comptables, et prudentielles dans le secteur des assurances. Pour obtenir l’agrément des autorités de contrôles comme l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et le Groupement d’intérêt économique (GIE) AGIRC-ARCCO-CETIP, elles doivent parvenir à des niveaux de solvabilité exigée pour chacune de leurs activités. Ces marges sont dictées par des directives de 2002[94]. Les décrets d’application, pris en 2004, donnent aux mutuelles jusqu’en mars 2007 pour se conformer aux nouvelles règles, avec un fond de garantie minimale multiplié par six en non-vie, et par 3.75 fois en vie. Il en résulte un premier mouvement de concentration des Mutuelles 45, réduisant leur nombre de plus de 50% entre 1999 et 2006. Nous observons également un phénomène de substitution dans les mutuelles ; les plus petites se trouvant contraintes de transférer leurs risques auprès d’IP ou de mutuelles plus solides et plus grosses ou d’unions.

 

L’environnement fiscal en est fortement perturbé et entraine de nouvelles charges. Dès 2001, la Commission Européenne souligne que « le caractère non lucratif d’un établissement n’est pas un critère pertinent »[95] pour le soustraire aux règles de la concurrence. La conséquence directe à cette consigne est l’abrogation de l’exemption de la taxe sur les conventions d’assurance (TCA) dont bénéficient les mutuelles et les IP. Toujours dans les mêmes principes d’application, la loi de 2006 prévoit l’entrée des mutuelles et des IP dans le régime fiscal de droit commun. Mais l’entrée en vigueur du dispositif est repoussée jusqu’en janvier 2011 après que la commission Européenne réitère sa position5.

 

La loi de finances pour 2011 met en place une taxe forfaitaire de 10% sur la réserve de capitalisation. Communément appelée « exit tax » et applicable à tous les organismes assureurs quels qu’ils soient, cette réserve de capitalisation représente 800 millions d’euros issue des fonds propres de tous les assureurs[96] et joue un rôle de régulateur prudentiel important. Elle est approvisionnée par les plus-values de cession sur obligations ; les assureurs l’agrémentent quand les taux baissent et ont la possibilité de venir y puiser lorsque les taux remontent. En amortissant les répercussions des taux d’intérêts, la réserve de capitalisation permet donc de sécuriser les bilans.

 

Les fruits de cette taxe sont affectés au redressement de la dette publique française. En 2013. L’article 17 du projet de loi de finances 2013 est adopté le 19 octobre de cette même année. Il prévoit une taxe exceptionnelle de 7% sur cette même réserve de capitalisation des compagnies d’assurance s’ajoutant à cette « exit tax ». Des dispositifs de référencement font leurs apparitions en 2007[97]. Imposés aux mutuelles de la fonction publique, ils permettent aux employeurs de la fonction publique d’état de contribuer à la protection sociale complémentaire de leurs agents, en versant directement à l’organisme référencé une participation financière. Comme exemple, depuis le 1er juillet 2009, la Mutuelle générale de l’éducation Nationale (MGEN) était le seul organisme référencé pour la complémentaire santé et la prévoyance des agents de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, de la jeunesse et des sports, de la culture et de la communication.

 

Ce dispositif impose à l’Etat de participer au financement de la protection sociale complémentaire des agents de la fonction publique. Plus large encore, c’est donc une obligation à ce que chaque corps d’Etat lance des appels d’offres concurrentiels vers les mutuelles, les IP et les compagnies d’assurance. C’est un « accélérateur » dans ces regroupements à venir ; sans compter l’arrivée de l’ANI de 2013.

 

Comme exposé plus haut (cf. Partie 1 –Chapitre 2 –Section 2), la construction Européenne et les directives d’applications sur le droit Français sont des vecteurs économiques dans la sphère sociale. Mais, sans rentrer dans des explications comptables et analytiques, c’est la directive de Solvabilité 2 qui est au cœur des regroupements dans le secteur des mutuelles et des IP.

 

 

Section 1 – Solvabilité 2

 

Dans un premier temps, il convient de parler des généralités sur les directives « Solvabilité 2 » qui émanent des organes européens pour réguler le secteur de l’assurance. Cela devrait par la suite permettre à l’appréhension des influences de Solvabilité 2 sur les mutualités en termes de regroupement.

 

A – Généralités sur Solvabilité 2

 

Les normes internationales régissant le secteur de l’assurance ont été élaborées au niveau européen pour la première fois dans les années 1970, appelées communément « Solvabilité » (Solvency). Cette réglementation venait s’intégrer aux directives exigeant la constitution d’un minimum de fonds propres pour les assureurs dans le but de prévenir l’incertitude relative à leurs activités : régulations de l’assurance-vie en 1973 et de l’assurance non-vie en 1979.

 

En quelques mots, ces normes ont pour principal objectif d’assurer pour une durée d’un an la solvabilité d’une société d’assurance si cette dernière subirait une perte substantielle, et cela grâce aux réserves et capitaux propres qu’elle devrait ainsi détenir. Une marge de solvabilité a donc été instaurée dans une approche forfaitaire, a minima, des risques encourus par la société d’assurance : cette marge était de 4% des contrats en euros et 1% pour ceux en unité de compte. De telle approche, qui n’a connu une modification qu’en 2002, ne tient pas ainsi compte de manière actuarielle les risques qu’encourent réellement l’entreprise d’assurance : une même marge de solvabilité est requise pour des produits d’assurance bénéficiant des taux de garantie sensiblement différents. Par ailleurs, cette première version de Solvabilité (appelée tout simplement « Solvabilité 1 ») ne considère pas explicitement les risques d’actifs dans le calcul des fonds propres. Solvabilité 1 apparait seulement comme une solution provisoire en vue de la sécurisation des assurés, dans l’attente d’une meilleure approche.

 

Le projet pour une deuxième version de Solvabilité, « Solvabilité 2 » est lancé en 2001, avant même la fin du projet « Solvabilité 1 ». Il s’applique aux assureurs, aux réassureurs, aux IP et mêmes aux mutuelles[98]. Il doit adapter un système de solvabilité aux véritables risques d’une entreprise d’assurances en prenant en compte notamment l’évolution du marché, la comparabilité et la transparence. Mais son but principal se doit de protéger les preneurs d’assurance en fournissant une garantie infaillible contre la faillite. Prévue pour 2010, l’application de Solvabilité 2 n’a été effective qu’en 2016, suite à de longue préparation et des corrections prenant en compte les résultats de quelques études d’impacts.

 

Sans trop se noyer dans des explications techniques sur Solvabilité 2, il importe tout de même de survoler ses trois piliers :

 

  • Le premier définit les principes quantitatifs, déterminant les outils de référence pour les niveaux des provisions techniques requises. Entre autres dispositifs, deux grandeurs sont ainsi mises en place :

 

  • Le Capital minimum requis ou MCR (minimum capital requirement) dont le calcul est relativement simple et identique pour toute société d’assurance. C’est un premier niveau d’alerte : au-dessous de ce seuil minimum, l’intervention des autorités de régulation est automatique pour l’augmentation de fonds propres.

 

  • Le Capital de solvabilité requis ou SCR (solvency capital requirement) qui impose aux assureurs de choisir entre un modèle standard (dont la formule utilise des facteurs et des modules de risques) et modèle interne (dont la formule est axée essentiellement sur la traçabilité des situations propres de la société d’assurance). Le SCR a au moins un double objectif : servir de référence pour absorber les pertes imprévues conséquentes et garantir aux assurer la capacité de la société d’assurance à honorer ses engagements.

 

  • Le deuxième définit des principes qualitatifs, dictant le processus de contrôle et permet de définir des exigences de capital sur mesure pour les entreprises qui présentent des profils de risques plus élevés. Il renforce l’harmonisation des standards et méthodes de contrôles et encourage le partage des meilleures pratiques entre organismes de contrôles. La gouvernance fait également l’objet d’un regard plus renforcé. C’est ainsi que les informations sur le système de gouvernance mis en place, la répartition des responsabilités, l’indépendance et les compétences du management doivent être soumises à l’ACPR. Cette autorité est à même à s’initier dans la gestion opérationnelle des assureurs.

 

  • Le troisième définit des principes en termes d’information, fixant des exigences en matière de transparence et définit les procédures de communications financières à destination des autorités de contrôles, des marchés et du public.

 

Une remarque intéressante (pour la présente étude) devrait être mentionnée à propos des partenaires sociaux qui ont défini ce qu’est un GPS dans l’accord de 8 juillet 2009. En fait, pour l’autorité de contrôle, ces GPS ne peuvent pas répondre d’office à la notion du groupe prudentiel au sens de Solvabilité 2, un vrai choc des cultures[99]. Avec la transposition de Solvabilité 2, l’ACPR ne veut plus voir qu’une seule tête. Dès qu’il existe des liens de solidarité financière et d’influence dominante, les groupes devront se doter d’une structure ad hoc. Cette adéquation, par la création de Société de groupe d’assurance mutuelle (SGAM), va peut-être répondre à une de nos pistes de réflexions. En tout cas, les exigences relativement élevées de Solvabilité 2 (du moins par rapport à Solvabilité 1) ont eu des impacts plus ou moins importants sur les mutuelles, un élément moteur pour le regroupement de celles-ci et/ou leur rapprochement avec d’autres structures pour former des organisations plus aptes à satisfaire à ces exigences.

 

B – Solvabilité 2 obligent les mutuelles à se regrouper

 

Ces directives ont des conséquences sur les capitaux des mutuelles et des IP. La mutualité s’insurge contre ces mesures, trop fortes et excessives. Le niveau demandé des provisions exigées par Solvabilité 2 va conduire à des hausses de cotisations et la proportion de fonds propres nécessaires à la couverture du risque santé va doubler[100]. « Certains organismes ne seraient plus solvables » et les autres « devraient reporter ce surcoût en augmentant fortement les prix des complémentaires santé, ce qui se traduirait pour les assurés français par une hausse des cotisations d’au moins 17% »[101].

 

§.1– Le regroupement : un moyen pour se conformer à Solvabilité 2

 

Tous les acteurs sont donc dans l’obligation de réévaluer leurs besoins en fonds propres. « Les fonds propres de la SGAM Ag2r La Mondiale atteignent trois milliards sept cent million d’euros et ont doublé en cinq ans »[102]. Effectivement, « de par leurs activités, les instituts de prévoyance et les mutuelles sont historiquement exposés aux risques longs (activités de dépendance et d’épargne retraite notamment). Ces derniers, qui nécessitent une mobilisation importante de fonds propres réglementaires sont les plus impactés par la directive Solvabilité 2. Les tests de modèle standard effectués en 2008 dans le cadre des études d’impact ont mis en exergue une augmentation pouvant aller jusqu’à dix fois la consommation actuelle de capital »[103].

 

Afin d’optimiser leur niveau de fonds propres, elles ont donc intérêt à se regrouper pour répondre aux exigences de solvabilité 2. Bruno Gabellieri, Directeur des relations extérieures et des affaires Européennes chez Humanis déclarait : « Les opérateurs sont conscients qu’ils ne peuvent plus compter seulement sur ces produits financiers pour augmenter leurs réserves et leurs fonds propre. Pour survivre, il faut donc s’allier » (Carlat, 2010). En effet, les IP et mutuelles doivent faire valider leurs historiques comptables et statistiques devant les autorités de contrôle. Pour Jean-Claude Barboul, « Solvabilité 2 est le rouleau compresseur au titre de ces rapprochements, si je ne suis pas solvable au titre de Solvency 2, je ne peux pas faire ; cela veut dire que j’ai des capacités d’avoir des fonds propres sinon il y a obligation de rapprochement vers un partenaire. C’est la première coercition extérieure »[104]. Cet exercice est très difficile pour les plus petites structures surtout dans la mutualité. Il faut investir dans les coûts humains, techniques et informatiques (reporting, données comptables, etc.). L’instauration de ces nouvelles règles de gouvernance et des fonctions de pilotage amène des couts supplémentaires en actuaires et auditeurs. Certain groupes de protection sociale étaient très justes en termes de fonds propres et constituer des équipes dédiées à ce projet coûte cher. Ils ont donc tout intérêt à mutualiser.

 

Mais certain acteur souligne les dangers d’un gigantisme. Bernard Daeschler, Président du CTIP et chef de file de la CGT dans le GPS Malakoff Médéric, insiste sur le fait que « grossir n’est pas grandir et que la différence dans ces mots est importante, des groupes ont suffisamment de fonds propres pour répondre aux contraintes de solvabilité 2 et par rapport à celle-ci, des alternatives peuvent être trouvées »[105]. Une chose est certaine et tous les partenaires sont unanimes : il faut repositionner les systèmes de protection sociale autour de l’intérêt général et mettre en avant la notion de client. Enfin, l’ACPR peut ne pas valider le modèle présenté lorsque les résultats escomptés, par rapport aux directives de solvabilités 2 ne sont pas tenues.

 

Solvabilité 2 va diminuer chez les acteurs ayant déjà de grosses structures dans la modélisation des données, leurs besoins en capital et, par contre, va l’augmenter chez les plus petits qui ne pourront pas s’adapter au modèle préconisé. Entre 1996 et 2015, le nombre de GPS est passé de cinquante-cinq à dix-sept, selon les données de l’Agirc-Arrco[106]. « Les fédérations Agirc-Arrco ont engagé un mouvement de concentration entre les IP dans les années 2000 et elles l’ont remis au titre des instituts de retraites complémentaires (IRC). Cela influence fortement la partie retraite vers les IP et vers les Mutuelles 45 qui y sont attachées »[107]. Certains acteurs de la protection sociale prédisent d’ailleurs que le nombre de GPS pourrait même évoluer vers trois ou cinq au cours des prochaines années[108]. Solvabilité 2 est donc le vecteur principal de concentration des mutuelles entre elles, des IP entre elles, et des mutuelles dans les GPS. Cette exigence concurrentielle va également être un moyen pour accroitre la compétitivité des GPS, par leur effet de taille et la diversité des produits assurantiels proposés face aux compagnies d’assurances.

 

§.2– Une exigence concurrentielle et de concentration

 

Dans la mutualité, les annonces se suivent et se ressemblent dans leurs mouvements de rapprochement. Mais le cadre dans lequel se déroule cet évènement est semble-t-il la taille critique : « Les modalités des accords prennent des formes diverses et variées mais, en toile de fond, les objectifs poursuivis par ces organismes sont d’atteindre une taille qui leur permettra d’investir dans des systèmes d’information performants, d’automatiser la gestion des sinistres pour baisser les coûts, de proposer des services en ligne ou encore de constituer des réseaux de soins avec des professionnels de santé »[109].

 

C’est un des arguments les plus pointé pour réaliser des partenariats et regroupements. Au même titre, les IP, et d’ailleurs tous les acteurs du monde assuranciel, cherchent et participent à cet objectif. Pour être compétitive, une entreprise doit baisser le coût unitaire d’un produit en accroissant la quantité de sa production. Sans rentrer dans un débat de chiffre et de perception de cette taille critique et d’effets de taille, il importe de porter un regard plus intéressé sur les incitations et les freins à ces concentrations.

 

a) Les incitations au regroupement

 

D’abord, la mutualisation des systèmes informatiques est une des principales sources d’économie. On parle de solutions et services mutualisés. Ces systèmes sont devenus des outils de gestion de masse. La dématérialisation s’accroit d’années en années. Les nombres de dossiers traités sont de l’ordre de 750 000, rien que pour une plateforme comme Viamedis[110]. La course à la performance informatique avec des outils proactifs est en permanence repensée et adaptée aux évolutions législatives. A titre de comparaison, les mutuelles se caractérisent également par des frais d’administration moyens plus élevés que les autres types d’organismes. Les charges de gestion (somme des frais de gestion des sinistres, des frais d’acquisition et des frais d’administration) sont plus faibles pour les IP (13% des primes en 2013) que pour les mutuelles (18%) et les sociétés d’assurance (23%). En 2013, pour les mutuelles, les charges de gestion représentent en moyenne 23% des prestations versées (85 euros par personne couverte), contre 30% pour les sociétés d’assurance (133 euros) et 15% pour les IP (55 euros)[111]. Ces chiffres démontrent les économies possibles à réaliser dans l’industrialisation de ces systèmes d’information (SI). « Il est certain que le cout de la construction informatique est fort ; les gros sont seuls à pouvoir tarifer les demandes clients, donc de rester et ainsi faire bénéficier d’économies et de meilleures prestations à nos clients »[112].

 

En matière de ressources humaines, il faut dire que les besoins induits en compétences et en professionnalisme par Solvabilité 2 doivent répondre par une nécessité de performance. Une mise en commun des effectifs salariés pour les SI et des achats dans leur mutualisation sont des éléments d’économies parlants. An niveau des compétences humaines et particulièrement des administrateurs, Jean-Claude Barboul affirme que ces regroupements permettent : « d’avoir une meilleure agilité dans nos relations, ils sont mieux formés et plus porteur de nos idées et valeurs »[113].

 

A propos de gestion financière, il est possible de parler d’axes de progrès dans les économies d’échelles à réaliser dans la gestion commune des moyens financiers. L’exemple de Mutex est parlant : Né d’une alliance entre l’UNPMF, ses 150 mutuelles adhérentes et les principales mutuelles interprofessionnelles adhérentes à la mutualité Française, il est l’un des premiers assureurs mutualistes de produits de prévoyance, épargne, retraite à destination des particuliers et des entreprises. Il a totalisé dès 2011 près d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires et gère plus de six milliards d’euros d’actifs[114]. Tous s’accordent que ces concentrations, ces rapprochements visent à mettre en commun les moyens financiers qui permettront d’investir et ainsi contractualiser même avec les médecins et ainsi influer sur l’offre des soins, toujours dans l’objectif de diminuer le reste à charge. Guillaume Sarkozy rajoute un impératif d’une valeur ajoutée accrue : « Les complémentaires santé exerçaient un métier à faible valeur ajoutée économique mais à forte valeur ajoutée sociale. Rembourser après la Sécu ne suppose pas un savoir-faire très élaboré. Beaucoup d’opérateurs peuvent le faire. C’est si vrai que l’on s’est retrouvé il y a une vingtaine d’années avec près de dix milles mutuelles exerçant ce métier. Mais la baisse des taux de remboursement, l’évolution de la réglementation et le montant des investissements nécessaires renforce la nécessité de la concentration. Le groupe Malakoff Médéric, avec le renfort de la Mutuelle générale, représentera 10 % du marché de l’assurance collective (santé et prévoyance). Ce qui est une taille significative mais pas encore suffisante. Nous sommes en mesure de nous doter des vrais outils industriels pour élargir nos missions, car il importe d’augmenter notre valeur ajoutée dans le domaine de l’offre de soins. Ce mouvement est crucial car dans le monde vers lequel nous allons, les intermédiaires qui ne pourront justifier d’une valeur ajoutée sont voués à disparaître »[115].

 

En termes de création de réseaux, sur le plan terrain, ces concentrations ont accentué des conventionnements entre différents assureurs, compagnies d’assurance, mutuelles, GPS, etc. Sur la santé, il s’agit d’opticiens, d’audioprothésistes, de dentistes et maintenant d’hôpitaux. Le concept de ces réseaux de conventionnement est de maitriser les dépenses du côté « assureurs » et « assurés ». Le recours à un réseau entraine une diminution du reste à charge, inclus généralement un tiers payant sur l’optique et la santé et permet avec l’effet de masse d’avoir des prix négociés et ainsi maitriser les dépenses de santé. Sur le plan technique, Etienne Caniard indique : « Non seulement les réseaux se développent mais le recours aux réseaux de la part des adhérents se développe aussi. Entre 2012 et 2014, la part des Français ayant accès à un réseau de soins a progressé de 34%. Une majorité des adhérents mutualistes (55%) a également pu bénéficier d’un réseau optique l’an passé. Cette proportion est identique pour l’audioprothèse et elle est de 29% pour le secteur dentaire. Tous les patients bénéficient de produits de qualité à des coûts moindres, ce qui permet de réduire leur reste à charge »[116]. Sur le plan financier, il rajoute : « Ces données encourageantes ont amené la mutualité Française à réaliser des projections sur un accès généralisé : si tous les concitoyens pouvaient bénéficier d’un réseau de soins, qu’il soit dentaire, d’optique ou d’audioprothèse, avec une diminution des prix de 15%, « une économie potentielle de 1,9 milliard d’euros serait réalisée par les ménages » »[117].

 

Mais de ces réseaux surgissent des interrogations et des incompatibilités. Une déstructuration dans la relation médecin-patient fondée sur la liberté (choix, prescriptions, installation) et la responsabilité professionnelle se posent[118]. La généralisation des réseaux entraîne mécaniquement une médecine à trois vitesses : la médecine d’assistance publique pour les plus défavorisés (sans complémentaire ou avec des contrats de mauvaise qualité), la médecine de sous-qualité pour la majorité des adhérents et la médecine de haute qualité pour les plus favorisés[119]. Il est certain que les ambitions de regroupement vont continuer avec l’arrivée de nouveaux marchés comme la dépendance, aidées par la diversification des prestations, la concurrence et législation Européenne.

 

En matière de diversification, les Mutuelles 45 sont vues comme des acteurs ne proposant que des produits santé. Poussées par la demande des leurs sociétaires et un marché santé en perte de croissance[120], ces mutuelles ont donc misé sur la diversification. En posant le regard, des produits autres que la santé existent déjà comme la retraite, l’épargne et la prévoyance mais à petite échelle ; un essai méritant peut-être d’être transformé. On retrouve ces prestations principalement vers la prévoyance. Une vocation à se rassembler ? Oui : « On note des similitudes entre les hommes et les femmes issues du monde mutualiste et des IP, de part déjà leur attachement au code de la mutualité et au code de la sécurité sociale pour ces derniers »[121]. Créée en 2002 par la mise en œuvre de Solvabilité 2, l’UNPMF va de manière offensive, centraliser l’offre prévoyance et retraite des mutuelles 45 en se tournant vers le marché des branches et des grands comptes des grandes entreprises privées. C’est le cas également de la mutuelle de la fonction publique (MFP), qui, le 18 octobre 2010, a fédéré dix-sept mutuelles et unions de mutuelles de fonctionnaires des trois fonctions publiques d’État, territoriale et hospitalière : le développement de la prévoyance collective est devenu son objectif croissant. Les 21 et 22 janvier 2015, la mutuelle générale (LMG), troisième mutuelle santé Française et le deuxième groupe de protection sociale Malakoff Médéric viennent d’entériner un protocole de rapprochement qui donnera naissance à une société de groupe d’assurance mutuelle (SGAM). Cette forme juridique a été choisi parce qu’il permet une représentation neutre et équilibrée entre les acteurs paritaires et mutualistes[122].

 

Cette diversification devait passer par l’Europe et l’élargissement de la barrière Franco-française. En 2014, Le projet de statut de mutuelle Européenne (SME) vient de connaître une étape décisive. Pascal Lelievre déclarait : « C’est également un outil qui contribuera à la diversification des activités des organismes mutualistes. Ils pourront ainsi plus aisément faire face à des défis liés aux nouvelles règles européennes comme Solvabilité 2 »[123]. Mais c’est sans compter les réticences tenaces de l’Allemagne. Arnaud Chneiweiss, Secrétaire général du Groupement des entreprises mutuelles d’assurance (GEMA) déplore : « Nos partenaires allemands restent hostiles à l’harmonisation des règles de gouvernance, tout en souhaitant que le modèle mutualiste soit reconnu par les institutions européennes. Anticipant un échec sur l’obtention d’un consensus, la Commission Européenne a préféré ne pas défendre le SME »[124]. Le SME est abandonné. La diversification est en ordre de marche. La course à la taille critique s’opère dans le monde de la mutualité et dans les IP. D’un côté, les mutuelles se dirigent vers la prévoyance collective et de l’autre, les IP, spécialisées dans ce domaine, se concentrent et fusionnent vers de nouvelles formes juridiques afin de « complémentariser » ses offres assurantielles, d’augmenter leur taille critique et se retrouver dans une gouvernance paritaire mutualiste.

 

Concernant l’image et la réputation, dans cette course à la taille critique et aux économies, la notoriété de ces mutuelles doit être affirmée. Les grands groupes mutualistes peuvent travailler le renforcement de ce critère par des campagnes de publicités, partenariats sportifs, solidaires et culturels[125]. Nous pouvons imaginer les moyens financiers colossaux supportés dans de telles campagnes pour de petites et moyennes mutuelles mêmes si des retombées commerciales peuvent être perçues. Même au niveau des GPS et du rapprochement avec LMG, une renommée s’acquiert avec 15% de part de marché et à un prix à payer. Grossir n’est pas grandir, mais lorsqu’on est petit, on ne peut rien faire[126].

 

Finalement, en termes de facilité, dans la mutualité ou plutôt dans les sociétés de personnes, il n’y a pas d’argent à mettre sur la table pour se rapprocher et surtout aucune attente de rémunération actionnariale. « Demain, je voudrais acheter AXA, ce sont des dizaines de millions d’euros à donner. Dans notre cas, nous nous voyons entres les membres des Conseils d’Administration et prenons les décisions les plus justes pour le groupe et les clients. La non-lucrativité, pertinemment vérifiée, l’emporte dans nos principes sur la rémunération d’actionnaires. Un certain domaine affinitaire, plus important et puissant que les intérêts capitalistiques, se doit de nous réunir »[127]. Mêmes réflexions de part Guillaume Sarkozy : « Nous sommes dans une société de personne et la cohabitation des hommes est importante. De tels rapprochements ne peuvent être réalisés que par les valeurs personnelles entres les individus. Un rapprochement commun comme nous réalisons avec LMG serait impossible sans une certaine sensibilité entres les hommes »[128]. La clé de voute de ces rapprochements est donc la cohabitation des hommes. La réussite dépendra donc d’eux et de leurs nouvelles places dans ce nouvel ensemble structurant.

 

b) Les freins au regroupement

 

Des mouvements créés autour de l’indépendance, de taille humaine et de fidélités aux valeurs mutualistes sont apparus dans les petites et moyennes structures avec Solvabilité 2. Des associations comme « l’association diversité proximité mutualiste » (ADPM) en est un exemple. Elle a été créée en 2006 pour défendre les petites et moyennes Mutuelles 45 de moins de 1 000 à 40 000 adhérents. Elle revendique la proximité, les vraies valeurs mutualistes et le refus de les abandonner par la dénonciation de la directive Européenne Solvabilité 2, fragilisant les petites mutuelles[129]. La fédération Nationale indépendante des mutuelles (FNIM) va plus loin. Elle s’est illustrée dans le combat mené pour le retrait de Solvabilité 2 pour les Mutuelles 45 jusqu’au conseil d’Etat[130]. Mais leur requête a été rejetée. En effet, par principe tous les organismes d’assurance sont soumis au régime prudentiel solvabilité 2. Ainsi, le article R. 352-2 du Code des assurances en vigueur au 1er janvier 2016 prévoit expressément le calcul du capital de solvabilité requis (SCR) pour « le risque de souscription en santé », sauf pour les petites entités lorsque leur encaissement de primes brutes ne dépasse pas 5 millions d’euros. La fin des petites structures mutualistes ?

 

Mais de cette forme de résistance ressort l’égocentrisme, un frein majeur à l’intelligence collaborative, et ses notions de sociocratie[131]. Lorsque l’on demande à de nombreux acteurs de la protection sociale quels sont les freins à la concentration : « Beaucoup de problèmes d’hommes, d’égo et de jeux de pouvoirs deviennent des freins aux directions intuitives et institutionnelles »[132]. Comme dans les GPS, rajoute François Puyaubreau, les freins aux regroupements se sont faits autour « d’individualisme collectif » même si dans le paritarisme les choix sont plus évidents. Philippe Pihet rajoute : « Pour faire de la protection sociale, les valeurs ne suffisent plus toujours, même dans le non lucratif, Solvabilité 2 a un rôle central »[133]. Sur un même plan, les dirigeants mutualistes considéraient leurs mutuelles comme leur patrimoine, leur « fonds de commerce » contrairement aux différents dirigeants d’IP où une facilité substantielle pouvait être trouvée lors d’un regroupement ou une fusion.

 

A côté de Solvabilité 2, un autre dispositif réglementaire bouleverse également le secteur mutualiste : l’Accord National Interprofessionnel de 2013.

 

Section 2 – Accord National Interprofessionnel de 2013

 

C’est une évolution, dans le monde de la protection sociale, de l’année 2013. En effet, le 11 janvier, l’accord national interprofessionnel (ANI) généralise la complémentaire santé à tous les salariés du privé à compter du 1er janvier 2016. Pour simplifier, cet accord impose à toutes les entreprises de proposer une complémentaire collective à leurs salariés. Cet accord met « en appétit » les spécialistes des contrats collectifs que sont principalement les IP. « On évoque souvent le chiffre de 4 millions de personnes ne relevant pas d’un régime collectif. Mais c’est sans compter les ayants droit, à savoir leurs conjoints et leurs enfants. Dans ce cas-là, ce sont environ dix millions de bénéficiaires qui pourraient quitter l’individuel pour rejoindre un contrat collectif », observe Laurent Ouazana, Directeur général de Ciprés vie[134]. Une étude réalisée par ACTUARIS[135], 60% de la population est couverte par un contrat individuel contre 36 % à titre du collectif. L’ANI devrait, toujours d’après cette étude, inverser dès 2016 avec 54 % de contrats collectifs contre 43 % à titre individuels[136]. Mais aujourd’hui, rares sont les mutuelles qui sont vraiment seules. Selon Marie-Laure Dreyfuss, Directeur de mission, responsable du pôle Gouvernance chez Actuaris, « L’ANI accélère les regroupements, mais il y en avait déjà beaucoup. Il existe plusieurs formes de regroupements, de la fusion avec les transferts de portefeuilles ou du simple GIE permettant une mutualisation de moyens. Les mutuelles ont su se servir de ces supports juridiques qui favorisent l’échange et le rapprochement »[137]. Plus expressif et catégoriel, Olivier Arroua, associé du cabinet Selenis déclare : « Les mutuelles affolées par l’ANI ont cherché à s’abriter derrière des partenaires sociaux pour pouvoir récupérer les miettes et assurer leur survie. Certaines n’essayaient pas de combattre. Pour des raisons qui ne sont pas toujours objectivées, on a tendance à penser dans le business que « big is beautiful » »[138].

 

Dans le cadre de la négociation d’un régime de protection sociale santé, prévoyance complémentaire, les partenaires sociaux pouvaient désigner l’organisme assureur pour toute la branche d’activité. Mais entre-temps, le conseil Constitutionnel a déclaré que : « les clauses de désignation portaient à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi de mutualisation des risques »[139]. Le 13 juin 2013, le conseil Constitutionnel décide d’abroger les clauses de désignation en clause de recommandation dans le cadre de sa saisine sur la loi relative à la sécurisation de l’emploi. La migration obligatoire de toutes les entreprises d’une branche vers un seul organisme est proscrite. Un coup dur pour les IP, championnes des accords de branche[140]. Une satisfaction pour les autres acteurs de la complémentaire, jusqu’ici plutôt mis à l’écart. Certains saluent cette décision : « Elle est limpide et il y a un champ des possibles qui s’élargit considérablement », se réjouit Édouard Héry, Directeur des assurances de personnes chez Verlingue.

 

Il est possible, suite à cette décision, de penser que cette panique allait se calmer et donc que certaines repenseraient à leur stratégie de rapprochement. Mais, au tournant de 2015-2016, le mouvement de regroupement des mutuelles a pris une autre allure avec l’annonce du rapprochement de harmonie mutuelle et de la MGEN, de LMG avec le groupe paritaire Malakoff Médéric, ainsi que de trois grandes mutuelles interprofessionnelles, ADREA, APREVA et EOVI-MCD. A ce phénomène s’ajoutent la généralisation de la complémentaire santé à tous les salariés au 1er janvier 2016, les réformes des contrats responsables et de l’aide à la complémentaire santé, ainsi que la généralisation du tiers payant prévue à l’horizon 2017 par le projet loi de santé. Tous ces événements sont autant de chocs non seulement pour les mutuelles mais aussi pour leur principale fédération, la Mutualité française (FNMF)[141].

 

Sur l’aspect technique, le temps et les moyens sont des freins à ces regroupements. Parler d’économies d’échelle dans de petites structures d’une dizaine de salariés ne se présente pas. Lorsqu’il faut investir pour développer dans des SI, s’actualiser par rapport à un nouveau marché, être pro-réactif à l’évolution des demandes et surtout répondre aux sollicitations des autorités de contrôle demandés par Solvabilité 2, ces mutuelles ne peuvent investir encore suffisamment financièrement.

 

 

Pour conclure, dans la course à la taille critique, à l’exigence de solvabilité et aux économies d’échelles à réaliser, des outils de regroupement sont mis en place par les mutuelles suivant des combinaisons tactiques et techniques. Ces concentrations sont dénoncées par certains mouvements, totalement discordantes avec les valeurs mutualistes. Pertes d’identités ou défense de valeurs ? Le facteur économique renvoie l’autonomie et l’idée d’indépendance des mutuelles vers les voies de regroupements. Dans cette boite à outils, il est possible de sortir celui des partenariats. Ils peuvent revêtir plusieurs formes, du partenariat commercial qui permet aux mutuelles de compléter leurs offres sans compromettre leur autonomie, techniques permettant d’acquérir en commun les moyens nécessaires à une meilleure compétitivité et pour finir les partenariats financiers lorsque les deux précédents ne suffisent pas à répondre aux contraintes énumérées.

 

 

Chapitre 2 – Partenariats pour faire face aux exigences du marché assuranciel

 

Une question se pose sur la possibilité d’un partenariat entre les mouvements sociaux, notamment entre le syndicalisme et la mutualité. En fait, ceux-ci interviennent dans des domaines sensiblement différents : le syndicalisme intervenant pour les intérêts des travailleurs d’une part, et la mutualité en charge essentiellement de la complémentarité santé. Au-delà de cette différence, plusieurs éléments motivent le rapprochement de ces deux structures différentes dont voici quelques-uns :

 

  • Ces deux mouvements ont des valeurs (fondatrices) communes, dont en particulier la solidarité.

 

  • Dans la majorité des cas, les salariés mutualistes sont également syndicalisés et, de ce fait, réalisent sur leur environnement professionnel une activité militante faisant intervenir les deux aspects.

 

  • La négociation de la prévoyance et de la complémentarité se fait essentiellement au niveau de l’entreprise et en présence des partenaires sociaux.

 

Concrètement, les premiers signes de partenariat entre le syndicalisme et la mutualité se développent notamment autour de la prévoyance. En effet, divers accords dans ce sens ont déjà été signés par les deux structures, dont le premier d’entre eux date de 1971 entre la FNMF et la CGT avec comme objectif le soutien de la Société nationale de prévoyance, cette dernière étant créée par la fédération mutualiste. Il faut aussi citer de nombreuses déclarations communes entre diverses organisations syndicales et la FNMF, telles qu’en 1978, dans le cadre du grand accord relatif à la prévoyance signé par la CFDT, la CGT et la CFTC d’une part, et la FNMF et la FNMI (fédération nationale de la mutualité interprofessionnelle) d’autre part. Désormais, cet accord vient déterminer le rôle des IP et permet à la mutualité la couverture complémentaire des prestations en nature, et cela de manière exclusive[142].

 

Outre le partenariat en termes de déclaration, il existe aussi un partenariat dans l’action entre la FNMF, la FO, la CFDT, la CGPME et la CFTC. Ces organisations se sont réunies au sein d’une Commission de prévoyance collective complémentaire afin d’œuvrer pour favoriser le choix de la mutualité.

 

Il est possible ainsi de parler une possibilité de partenariat entre le syndicalisme et la mutualité, sans que ces deux mouvements ne perdent leur indépendance respective et leur vocation spécifique. De tel partenariat peut revêtir différentes formes selon les dimensions privilégiées de la relation établie : commercial, industriel, et financier.

 

Section 1 – Partenariat commercial

 

C’est un des outils permettant de conceptualiser les offres assuranciels et garder une totale autonomie. Avec Solvabilité 2, la diversification s’accélère. Prévoyance[143], dépendance, épargne, assurance de prêt, IARD (incendie, accidents et risques divers), etc. La prévoyance est une des voies privilégiées que l’ANI de 2013 n’a fait que précipiter ; une bonne partie des contrats individuels étant transférés vers le collectif[144]. Des experts se positionnent mais « la prévoyance » ressort en force de leurs analyses. Maurice Ronat, Président de la FNMI avait déclaré avant qu’elle ne soit dissoute le 11 juin 2014[145] : « Cela fait quinze ans maintenant que je dis que les mutuelles ne peuvent pas rester sur le créneau mono-produit. A mon sens, en ce qui concerne la diversification métier, il faut évidemment se placer sur la prévoyance et ne pas délaisser les opportunités de collaboration sur l’IARD ». Céline Blattner, actuaire associée chez Actuaris et responsable du pôle prévoyance et santé déclare : « La diversification produit va dépendre de la stratégie adoptée par les mutuelles »[146]. En effet, si certaines décident de se rapprocher de plus gros groupes, elles pourront rester uniquement sur le créneau de la santé. Elle rajoute : « Pour celles qui veulent rester autonomes, il y aura un besoin de diversification, à moins qu’elles soient sur une niche et qu’elles pensent que leur portefeuille puisse continuer à croître. Elles vont sûrement s’orienter vers de la prévoyance, de la dépendance ou d’autres produits. Ensuite, il y a le cas des mutuelles qui décident de se rapprocher d’un groupe paritaire ou mutualiste. Elles peuvent rester sur leur cœur de métier et se concentrer sur les populations qui ne rentrent pas dans l’ANI »[147].

 

Les mutuelles regardent dans un premier temps vers leurs consœurs de mêmes familles ; les Mutuelles 45 allant vers les Mutuelles 45 ainsi que vers les mutuelles d’assurances. Ces partenariats « défensifs » s’orientent vers une logique de distribution de produits plus large dans un objectif de fidélisation de l’assuré plutôt que la prise de nouveaux marchés[148]. La vente croisée apparaît dans cette même logique. Elle désigne une technique commerciale permettant de proposer au client intéressé par un produit, un ensemble d’autres produits complémentaires. A citer comme exemple dans ce sens le partenariat MATMUT et les mutuelles 45 de la FNMF, se partageant les mêmes agences de distribution pour des produits assuranciels complémentaires et celui de La mutuelle des étudiants (LMDE) et Intériale.

 

Cette forme de partenariat revêt désormais un autre nom : Le Cross-selling. C’est le même principe des ventes croisées avec internet. Les exemples ne manquent pas : Le lynx, Assurand.com. Ces sites sous forme de moteur de recherche opèrent un rôle de courtage et proposent des offres assurantielles diversifiées de santé, d’IARD, prévoyance, etc. Mais cette forme de « e-commerce patine », représentant à peine 5% des ventes de produits d’assurance.

 

Dans ces partenariats commerciaux, le marché du collectif représente une perspective plus large d’ouverture vers un autre marché. En effet, on peut voir que les mutuelles santé ont une position faible en terme de contrat, de par leur histoire, dans le collectif par rapport aux IP. C’est une source importante de diversification et de complémentarité. Néanmoins, après avoir regardé le côté avantageux de ces partenariats commerciaux, ils peuvent néanmoins présenter quelques risques. En effet, l’équilibre du partenariat, le savoir-faire et surtout le degré de dépendance doivent être appréhendés plus objectivement. Ces partenariats sont, pour la plupart du temps, des prémices à d’autres formes de regroupement plus stratégiques et rapides dont l’ANI de 2013 ne fait qu’accélérer.

 

Section 2 – Partenariat industriel

 

Les unions de Mutuelles 45 sont prévues au « livre I » du Code de la mutualité[149]. Elles permettent de mutualiser les moyens techniques et conserver leur indépendance. Bien plus qu’un partenariat commercial, cette union dote de moyens opérationnels communs sa structure commune. Au niveau de son fonctionnement, la nouvelle union ainsi constituée forme sa propre assemblée générale (AG) qui est constituée des délégués des mutuelles adhérentes.

 

Dans le regroupement des moyens opérationnels, on retrouve le développement d’offres communes, la veille juridique et concurrentielle, la communication, les plateformes communes comme les SI, etc. Ces unions techniques ont toutes également un même but : coopter de nouveaux membres et ainsi mutualiser les moyens au maximum pour en réduire les coûts. Effectivement, une union composée de très peu d’entités et se partageant les mêmes marchés ne peut présenter aucun intérêt à ne pas les fusionner. C’est le cas de MUTEX. A l’inverse, une union où se regroupent beaucoup d’entités devrait peut-être se positionner sous une autre forme juridique comme une union de groupe mutualiste (UGM) ou le groupement d’intérêt économique (GIE). Le GIE permet de rassembler des mutuelles indépendantes et déjà constituées, qui peuvent être concurrentes, autour d’un projet commun. Cela permet la mise en commun de moyens tout en respectant les idées de chacun des membres. Il a un statut juridique original permettant à des entreprises de se grouper tout en conservant leur individualité et leur autonomie. Nous retrouvons ce genre d’union dans des idées de partage ou de plateforme communes pouvant rassembler plusieurs acteurs dans un même projet. L’exemple du moment est l’idée de création d’un GIE autour de la généralisation du tiers payants chez les professionnels de santé. Le GIE du groupe hospitalier de la mutualité française (GHMF) et générations mutualistes rassemble seize groupements mutualistes gestionnaires plusieurs structures sanitaires, sociales et médico-sociales afin de mener la négociation d’accords commerciaux et tarifaires pour les structures adhérentes[150].

 

Ces partenariats techniques peuvent prêter confusion dans leurs utilisations mais poursuivent les mêmes objectifs : rationaliser les couts par des mises en communs de moyens souvent informatiques. On ne parle absolument pas de combinaison de comptes ou de notion d’intégrations financières. Ces formes de partenariats, lorsqu’ils commencent à être assez conséquents en nombre et moyens, sont le déclanchement vers de nouvelles formes plus dimensionnées et plus politiques comme l’union de groupe mutualiste (UGM).

 

L’UGM est une forme juridique qui organise des regroupements entre toutes les familles d’assureurs opérant en Europe. Cette structure est une personne morale de droit privé à but non lucratif. Son objectif principal est d’inciter le développement de ses membres qui demeurent chacun directement responsables de la garantie de leurs engagements. En effet, les entreprises faisant partie d’un groupe sont contrôlées par les autorités françaises au niveau de leur entreprise et au niveau du groupe. Une UGM peut être constituée par des acteurs du non lucratif et donc par des mutuelles d’assurances ou de santé, des coopératives et mêmes des IP, mais non par des SA. Elle ne peut pas faire d’opérations d’assurance, mais a simplement pour objet de faciliter, en les coordonnant, les activités de ses membres dont chacun reste responsable de ses engagements.

 

Les principaux avantages de l’UGM sont de permettre aux mutuelles membres de développer une stratégie concertée en matière de communication et ainsi d’exploiter sa marque propre en proposant une plateforme d’outils techniques comme les centres d’appels et les agences de distribution, juridiques, financiers et de moyens humains. Cette meilleure visibilité n’est pas moins un avantage que celui apporté politiquement par cette structure. Elle a plus de poids en termes de négociations communes avec les pouvoirs publics, les professionnels de santé et les partenaires mutualistes ; dans le but de développer et de défendre les intérêts communs des adhérents.

 

UMANENS est une UGM formée avec la mutuelle familiale, Identités Mutuelles, le groupe Entis Mutuelles et Mutualia pour se doter d’outils et services communs ainsi que pour apporter une réponse aux évolutions du marché liée à l’ANI et correspond à une vision de l’indépendance et de l’autonomie des mutuelles[151]. Elles sont issues à la base et avant tout de partenariats techniques ou GIE.

 

Outre ces aspects, on ne parle pas d’intégration financière dans cette structure malgré que l’UGM présume aider ses membres en difficulté financière, notamment par la souscription de titres subordonnés et/ou la réassurance de soutien par d’autres membres de l’union. L’entraide financière est cependant secondaire, l’idée étant d’éviter d’y recourir. Il est certain que cette forme d’union permet aux mutuelles de rester dans une position rassurante en envisageant une certaine pérennité, ceci sans renoncer à leur indépendance et leur diversité. C’est une solution alternative à la logique de fusions et d’absorptions qui prévaut désormais sur le marché.

 

Un autre partenariat « technico-financier » exploité par les mutuelles est celui de la réassurance. C’est une solution qui leur permet de garder leur indépendance et d’éviter ainsi l’idée d’une éventuelle fusion. C’est un contrat entre un réassureur (le cessionnaire) et un organisme assureur (la cédante) où l’organisme assureur cède au réassureur tout ou une partie des risques qu’il a lui-même souscrit[152]. Elle est utilisée pour se prémunir des risques de pointes, à ses fins de développement et vers de nouvelles activités mais surtout pour gérer les exigences de Solvabilité 2.

 

Mais dans la course à la dimension d’échelle et à la compétitivité, ces formes de partenariats commerciaux et techniques peuvent prendre encore une dimension plus grande en y intégrant l’aspect financier. Comme démontré plus haut, Solvabilité 2 et l’ANI de 2013 ont bouleversé l’environnement concurrentiel des assureurs complémentaires. Les multiples regroupements peuvent donner naissance à un groupe. Les directives de Solvabilité 2 définissent deux caractérisations possibles d’un groupe. Il peut être fondé sur un modèle avec des liens capitalistiques (mais qui ne sera pas abordé dans cette recherche car dépassant le cadre du présent mémoire) ou un groupe fondé sur des liens de solidités financières fortes et durables, couplés à une coordination centralisée, des pouvoirs de décisions financière et un contrôle ad hoc de l’ACPR. Ces regroupements se réalisent au sein de sociétés de groupe d’assurance mutuelle (SGAM), d’union mutualiste de groupe (UMG), de groupe paritaire de prévoyance (GPP) et le tout dernier, dans les structures de groupe assurantiel de protection sociale (SGAPS).

 

Section 3 – Partenariat financier

 

SGAM, UMG, GPP, SGAPS ; ces formes permettent de nouer des liens de solidarité financière avec des organismes dépourvus de capital social. Elles ont les mêmes objectifs : la solidarité financière. En effet, ces structures visent bien à garantir la solvabilité de l’un des partenaires en cas de défaillances même si la notion « capitalistique » est absente dans la mutualité. A noter quelques différences notamment quant à leurs existences :

 

A – La SGAM

 

La SGAM dépend du code des assurances. Cette forme statutaire permet un rapprochement entre des acteurs de mêmes inspirations (Mutuelles 45, IP, etc.). Elle est constituée donc sans capital mais présente un fond social. Une mutuelle (45 ou d’assurance) doit faire partie obligatoirement de cette structure pour la constitution de cette forme juridique où simplement deux entités suffisent à sa création. Des conventions d’affiliations définissent les relations entre la SGAM et les membres qui la constituent. C’est un outil qui permet aux mutualistes et institutions de prévoyance de constituer un ensemble sans liens capitalistiques, et de conserver ainsi les spécificités de leur modèle. Avec un avantage de taille : chaque membre conserve sa culture et son identité. Cette forme semble séduire : La mutuelle du corps sanitaire Français en 2007, Ag2r la Mondiale en 2008, Klesia en novembre 2014, MM et LMG au 01 janvier 2016, etc.

 

B – L’UMG

 

Cette structure existait depuis 2008. L’UMG dépend elle du code de la mutualité depuis sa réforme du 1er mars 2010. Les objectifs sont similaires à la SGAM : la solidarité financière et les fonds propres. Ses statuts sont similaires à la SGAM mais il faut noter deux différenciations :

 

  • Elle est constituée sans capital mais présente un fond social. Une Mutuelle 45 ou une entité issue du code de la mutualité doit faire partie de cette structure pour la constitution de cette forme juridique où simplement deux entités suffisent à sa création.

 

  • Les Mutuelles 45 doivent posséder au moins la moitié des sièges à l’Assemblée générale (AG).

 

De ces fondements statutaires, il est évident que les GPS recevant des Mutuelles 45 vont plutôt vers des SGAM plutôt que des UMG ; cette dernière ayant une vocation à rassembler en général seulement les mutuelles. Pouvant être notée la création de l’UMG entre la MGEN et HM pour début 2016 ainsi que le projet d’UMG de Adrea, Apreva et Eovi MCD. Le futur ensemble devait alors constituer la deuxième structure mutualiste en complémentaire santé après la première citée.

 

C – Le GPP

 

Le groupement paritaire de prévoyance est à destination des IP. Il est le sosie des UGM mais pour les IP. Il peut être ouvert à des sociétés anonymes à gestion paritaire.

 

D – La SGAPS

 

La SGAPS dépend du code de la sécurité sociale. Cette création dans le cadre de l’ordonnance de transposition de Solvabilité 2 en avril 2015 « instaure, dans le code de la sécurité sociale, un outil équivalent à ceux existants dans le code des Assurances et celui

de la Mutualité », estime le CTIP, qui fait respectivement allusion aux SGAM et UMG[153]. Trop récente dans sa création, nous n’en dénombrons aucune. Elle doit apporter aux groupes de protection sociale « les moyens de se développer de façon solide tout en nouant des partenariats avec les autres acteurs du marché »[154]. Pouvant être imaginés, sous cette forme, les GPS, des Mutuelles 45, mutuelles d’assurance, IP et même la CNAV sous un même toit, etc.

 

 

En somme, les facteurs de regroupement dans la mutualité sont nombreux mais actionnés par la législation Européenne et particulièrement Solvabilité 2. L’ANI de janvier 2013 ne les a fait qu’accélérer. La course à la taille critique et aux économies d’échelles sont des vecteurs de concentrations pour répondre aux exigences concurrentielles. Des outils ont été créés pour ainsi pouvoir rentrer dans l’ensemble de ce marché et imposer des règles prudentielles. De ces outils, des formes juridiques permettent une intégration financière des mutuelles dans les GPS. La SGAM est juridiquement l’outil privilégié permettant à des structures du secteur mutualiste et paritaire d’élaborer des stratégies de groupe. Mais permet-elle de conserver leur identité commune ? Peut-il y avoir maintiens des valeurs mutualiste ou créations de valeurs ?

 

 

Chapitre 3 – Enjeux du regroupement sur les valeurs mutualistes

 

Le concept mutualiste consiste en la mise en commun des moyens financiers de chacun dans le but de faire face aux aléas de santé. Les hommes se sont organisés ensemble afin de garantir collectivement leur protection. Sa mission : garantir à tous l’accès à des soins de qualité. Elles avancent des valeurs fondatrices : solidarité, liberté, gouvernance démocratique, responsabilité et l’intérêt collectif, non-lucrativité et transparence. Mais face à ces concentrations quasi industrielles, ont-elles encore leurs places ? Solvabilité 2, par l’obligation de constitution de réserves importantes pour le financement des fonds propres, peut égratigner la valeur de non-lucrativité et le « concentrationnisme » une redéfinition de la gouvernance. Pour certains acteurs, les excédents sont tellement importants que les limites du cadre fondateur peuvent être franchies. Les différentes formes d’intégration dans des structures assurantielles plus vastes peuvent poser des interrogations sur la vie démocratique et le collectif face aux exigences de rentabilité et peut-être, démutualiser ces mutuelles

 

Un risque majeur associé au rapprochement des mouvements sociaux est la banalisation de ces mouvements. Du côté mutualiste, cela provient essentiellement de la mise en concurrence de diverses prestations, celle-ci étant un facteur d’accélération du regroupement des mutuelles, surtout les petites structures qui doivent leur existence même à des alliances avec d’autres mutuelles, voire avec des IP. Ces mutuelles tendent ainsi à adopter les comportements des assureurs privés, délaissant le social pour aller chercher le profit. Il faut admettre que le rapprochement de ces mutualistes avec des sociétés de capitaux vient rompre le lien qui unit ceux-ci à leurs adhérents. « Perdre ses principes gouverneurs reviendrait pour le mutualisme à être considéré comme un acteur comparable aux autres, offrant les mêmes prestations et employant les mêmes techniques commerciales »[155].

 

Section 1 – Enjeux dans le développement de structures d’assurance

 

L’apparition de ces structures peut avoir différents objectifs. Le financement des exigences de croissance et des fonds propres en sont les principaux. Effectivement, les mutuelles n’ayant pas de capital social et donc aucun moyen d’augmenter le capital, seuls les excédents peuvent financer les besoins. Présenter comme un avantage dans cette présentation où les critères de rentabilité n’étaient pas mis en avant, il peut vite devenir un inconvénient voir un handicap dans le financement de ses fonds propres. Il existe différentes manière d’assumer financièrement ces impératifs :

 

A – Dégager des excédents de gestion

 

Pour être autonome financièrement, les mutuelles doivent dégager chaque année des ressources suffisantes (les excédents) pour couvrir leurs besoins en investissements, projets, réserves prudentielles et de trésoreries pour continuer à exister. A défaut d’en dégager l’association doit limiter ses besoins ou bien piocher dans ses réserves, s’il y a. La plupart de ces excédents sont imposables, les autres nourrissant les provisions techniques afin de garantir les placements obligataires en cas de variation de leurs taux. C’est donc un maigre moyen d’alimenter ses fonds propres.

 

B – Emprunter

 

Les emprunts ne peuvent être utilisés que pour leurs croissances ou renforcer leur marge de solvabilité. L’AG est souveraine quant à l’utilisation de cette possibilité, mais pour la plupart des membres, elle peut être synonyme de crainte et d’inefficacité.

 

C – Rechercher des capitaux

 

Il peut être constaté que les solutions afin d’alimenter en fond propres sont contraignantes pour les mutuelles. Leur statut juridique les emprisonnent et les empêchent d’avoir une « bonne » vision dans leur stratégie de croissance et de gains de parts de marchés. Mutex SA a été ainsi créé en 2011 afin de répondre à ces deux questions. Cette SA, au tour de table et à la gouvernance purement mutualistes, lui permettra d’augmenter ses fonds propres pour atteindre 630 millions d’euros et ainsi les doter pour satisfaire à Solvabilité 2 et financer sa croissance[156].

 

Mais au-delà des fonds propres et des exigences des normes européennes, le financement de la croissance porte le regard des mutualistes vers d’autres formes juridiques et donc des structures d’assurances. L’exemple de Mutex est révélateur, l’UNPMF, en apportant son propre portefeuille recevait des titres de la SA pour un tiers de son capital, les six autres mutuelles partenaires[157], actionnaires référencés, apportaient ainsi deux tiers des fonds restant et leurs portefeuille de contrats prévoyance. Un capital tenu par des mutualistes et lié autour d’une convention actionnariale. Le chiffre d’affaire de l’UNPMF a progressé et la croissance a été financée rapidement.

 

MGEN et MAIF, en créant des filiales communes, ont procédé autrement. Elles permettent d’accroitre des parts de marchés vers une clientèle où historiquement elles ne sont pas présentes. Ces deux filiales, MGEN-Filia et MAIF-Filia, créées en SA, sont dirigées par les deux mutuelles et disposent de leur capital social. Les assurés à ces filiales peuvent ainsi « profiter » des tarifs et services des grandes entités mutualiste mère, mais ne peuvent prétendre au statut de sociétaire. Il s’agit là d’une égratignure au principe un homme/une voix et à l’esprit démocratique de la mutualité.

 

LMG avec la Banque Postale (BP) est un autre exemple de partenariat mais extérieur à celui du monde mutualiste, d’un côté, la BP assurance santé, détenue à 65 % par la filiale de La Poste et d’un autre côté à 35 % par LMG. Cette filiation sous forme SA et de joint-venture ne permettent donc plus aux nouveaux assurés d’être un sociétaire ; les sociétaires de LMG ne contrôlant la filiale à hauteur de leur participation dans la SA. Il convient de se poser légitimement la question sur la gouvernance et particulièrement sur sa forme « démocratique ».

 

D – Démutualiser

 

La démutualisation désigne le processus par lequel une mutuelle change de statut juridique pour se transformer en société cotée, une définition importante retirant l’idée que faire partie d’un GPS démutualise la mutualité et ses valeurs. Ce processus est apparu dans différents pays et principalement aux Royaume-Uni. Il trouve son origine dans les grosses mutuelles mais d’assurances vie ayant des fonds propres couvrant très largement leur besoin de solvabilité. Les motivations économiques sont liées à l’euphorie des marchés, le rapprochement des métiers de la banque et de l’assurance et surtout dans les rapprochements économique où le but affiché était d’atteindre la taille critique et de réaliser des économies d’échelles. Au-delà du débat économique et juridique qu’elle peut déclencher, elle peut susciter, pour les mutualistes, la question de la défense de leurs valeurs fondatrices. Effectivement, il peut être tentant de démutualiser et ainsi faire profiter aux dirigeants et sociétaire un gain financier. Le droit français ne permet pas une telle « démutualisation à l’anglaise ». En effet, les excédents sont donnés à une autre mutuelle ou un fond National de solidarité, retirant ainsi l’intérêt pour les deux parties de démutualiser.

 

De manière générale, l’intégration dans une structure d’assurance est une issue pertinente, voire quasi-obligatoire pour ces mutuelles afin de répondre à leurs exigences de croissance, de concurrence, de taille critique et leurs quêtes de fonds propres. Elle peut s’exprimer comme un dérapage quant aux valeurs fondatrices de la mutualité. Les exemples dépeints n’ont cité que des cas de mutuelles vers une SA, la forme juridique synonyme d’actionnariat. Les SGAM et UMG sont des formes de structures d’assurance. Ne sont-elles pas des moyens existants et facilitateurs pour compenser toutes les exigences et satisfaire les tentations rendues obligatoires par le facteur économique ? Adrea, Aprena et Eovi MCD, membre de la SA Mutex créé une UMG, qui sera rejoint à son tour par une autre UMG Solimut. « Umg-mania », entre mutualistes et « Sgam-mania » entre paritaires et mutualistes dans les GPS ? Quant à la démutualisation, bien qu’interdite en France, il convient d’en porter un regard plus attentif dans la dimension Européenne que trace Solvabilité 2 surtout sur les notions de non-lucrativité et sur ces nouvelles valeurs de solidarité financières. Il appartient aux mutualistes d’écrire clairement les règles de gouvernance de ces sociétés d’assurance en indiquant statutairement et par conventions comment les sociétaires et les assurés doivent véhiculer ces valeurs aux seins des GPS.

 

Section 2 – Enjeux dans la gouvernance

 

Le facteur économique a réuni les différents acteurs autour de la protection de l’homme. La gouvernance dans les GPS est régie par l’accord sur la gouvernance signé le 8 juillet 2009 qui prévoit une association sommitale définissant les orientations politiques et stratégiques du groupe. Coté mutuelles, l’AG est souveraine en terme de décisions mais les administrateurs, comme dans les GPS, siègent dans des conseils et participent aux décisions de leurs instances. L’arrivée des SGAM dans les GPS réordonnance la gouvernance et impose une frontière entre les activités de la retraite et l’assurantiel. Effectivement, où l’on admet un principe de solidarité financière dans la SGAM, il ne peut y avoir cette solidarité entre les retraites complémentaire et l’assuranciel. On ne peut pas imaginer qu’une mutuelle affichant des pertes financières dans une SGAM serait au titre de la solidarité financière, renflouée par les retraites complémentaires des salariés du GPS. Avec l’arrivée de ces grosses concentrations et donc de grand groupe, les mutualistes cherchent en interne un équilibre harmonieux afin de préserver leurs valeurs dans cet univers de rentabilité et de concurrence ; toujours sous couvert des autorités de contrôle Agirc-Arrco-Ctip pour la retraite complémentaire et l’ACPR pour l’assuranciel. Il est vrai que nombre des missions de la sommitale sont plutôt éloignées des préoccupations des dirigeants mutualistes expliquait Frédéric Rousseau, Directeur du pôle mutualiste chez Humanis : « on ne paritarise pas les mutualistes et on ne mutualise pas les paritaires »[158] et inversement comme l’exemple cité par Pierre Steff, viceprésident (CFDT) de l’association sommitale d’Humanis en 2012 : « Prenons l’exemple, fictif, d’une mutuelle qui, ayant constaté que la majorité de ses adhérents possède un chat ou un chien, déciderait de leur proposer en option une assurance pour leurs compagnons à quatre pattes. La sommitale ne s’y intéressera pas, car un tel projet ne risque guère de menacer les équilibres techniques de la mutuelle, ou de porter atteinte aux « intérêts matériels et moraux de la retraite complémentaire » »[159].

 

A l’intérieur des grands groupes paritaires, le mode d’efficience de la gouvernance doit être redessinée afin d’optimiser les capacités des acteurs (sociétaires, paritaires et dirigeants) à faire fonctionner leur GPS et veiller à ne pas se distancer de leurs bases adhérentes. Cette intégration peut se réaliser par l’exercice de mandats croisés. Philippe Dabat, Dg délégué à cette époque d’Ag2r-La Mondiale : « Il n’y a aucune interdiction à être administrateur de mutuelle et à siéger de plein droit à l’association sommitale d’un groupe paritaire ». Jean-Pierre Pol, Président de MM Mutuelle est membre à part entière de l’association sommitale du même groupe[160]. Ils existent bien des exemples d’administrateurs exerçant des responsabilités simultanées dans le monde paritaire et mutualiste. En voici quelques-uns d’illustratifs : D’abord, Pierre-Marie Hébert, Président de la Mutuelle Humanis Familiale (MHF), qui siégeait en tant que représentant du Medef à l’Association sommitale du groupe Humanis ; ensuite, Jacques Berruet, Administrateur UPA à l’association sommitale Humanis, qui siège au Conseil d’administration de la FNMF ; aussi, Guy Herry, ex Président de HM a longtemps siégé à l’association sommitale du groupe Malakoff-Médéric avec un mandat patronal (Medef) au titre de ses fonctions à la CPM, la Caisse de retraite du personnel des organismes sociaux et de mutualité, un organisme Arrco créé par la mutualité.

 

De part ces exemples, c’est encore une fois la réalité économique et la recherche d’efficience qui l’emporte. Patrick Saigon déclarait qu’il y a : « un principe de réalité qui s’impose. Dans ce type de partenariat, l’essentiel est de trouver ensemble une stratégie de croissance, de bénéficier d’un effet de levier, par exemple en hébergeant notre activité dans une structure détenue en commun »[161]. C’est donc à la gouvernance de s’adapter au schéma directeur du projet.

 

Du côté des sociétaires, les effets de concentrations des mutuelles n’ont fait que grandir l’espace entre l’administrateur et eux. La base est au sommet et le sommet est culminant. Le principe du « un homme une voix » peut poser la question de la représentativité. Comment un million de sociétaires peuvent d’ils s‘exprimer ? Selon sa taille, cette fameuse démocratie n’est plus possible. Mais ce n’est pas pour autant que l’expression ne circule pas. Des mutuelles comme MM mutuelle ont créé des comités régionaux et permettent ainsi de véhiculer les informations aux délégués des sociétaires. La MAIF compte 750 délégués soit un pour 7 100 sociétaires en imposant un minimum de représentant issus de ces territoires. Ces délégués de sociétaires élisent ensuite un Conseil d’administration composé de 21 membres et 3 élus parmi les représentants des salariés issus des organisations syndicales représentatives. Les taux de participation à ces élections varient suivant les mutuelles, mais il est difficile de trouver une participation supérieure à 40%. Mais lorsque l’on compare ces chiffres avec les élections politiques du pays, le débat n’est pas là mais plutôt dans le militantisme décroissant. « Les sociétaires se déplacent moins, autrefois ils venaient à nous, aujourd’hui, c’est à nous d’aller à eux », déclare Roger Belot Dg de SEFREN[162].

 

Comme le syndicalisme, le militantisme s’est ordonné autour de la fraternité. Le lien avec les sociétaires doit se renforcer afin de les impliquer dans cette vie démocratique. MM Mutuelle a mis en place « la lettre des administrateurs ». Des informations en région sont réalisées par les dirigeants de mutuelle aux délégués des sociétaires. Ces solutions doivent conduire à réfléchir sur les rôles de chacun dans la vie de leur mutuelle

 

Conclusion de la Partie 2

 

Il faut reconnaitre que le regroupement propulsé par les exigences réglementaires n’est pas sans conséquence sur certaines valeurs mutualistes. La valeur « indépendance » (interne et externe) par exemple est bouleversée avec ces différents accords de partenariat, des mutuelles entre elles, ou bien entre elles et des structures d’un autre type ; il en est de même aussi de la liberté (d’adhésion et de démission) avec des changements dans les règles au niveau des mutuelles pour faire face à une forte concurrence, surtout venue d’ailleurs (qui peut se traduire aussi par l’ouverture de leur secteur aux assureurs). Certes, le discours mutualiste peut toujours brandir ces valeurs, mais il faut dire que les composantes de celles-ci ne sont plus les mêmes qu’auparavant, d’autant plus que leurs intensités ont quelque peu diminué.

 

On ne peut pas dire qu’il y a des problèmes de gouvernance entre mutualistes et paritaires. Dans les GPS, les élus conservent une identité mutualiste assez forte et continuent de s’investir dans la vie mutualiste. La plupart ont une étiquette syndicale car ils ont été ou sont pour la plupart des salariés Les cultures sont les mêmes et il n’est pas ou plus fait de différences entre mutualistes et paritaires. Le cœur bat des deux côtés. Même si de temps en temps, ces élus se retrouvent entre sympathisants syndicaux de la même organisation et une fois les égos levés, le principe de réalité s’applique au service du client et des hommes. Le mode de gouvernance et de rapprochement des mutuelles par l’intermédiaire d’une SGAM plait et semble gagner en notoriété. Les GPS ayant intégrés des mutuelles par leur biais ont changés leur appellation pour devenir des groupes de protection sociale paritaire et mutualiste. Les mutuelles arrivent donc à protéger leur modèle dans les GPS et éviter une forme de banalité. Le rapprochement des mutuelles dans les GPS est alimenté par les idées de complémentarité et valeurs communes. Il est certain que Solvabilité 2 dans ses principes de compétitivité est la pierre angulaire à ces regroupements. Certaines valeurs mutualistes ont peut-être été égratignées comme la non-lucrativité et la gouvernance démocratique. Le choix de la SGAM dans les GPS est un bon compromis pour préserver les valeurs mutualistes. Elle permet de gérer, par des conventions d’affiliations et de gouvernances, le monde paritaire et mutualiste de manière équilibré. Afin d’illustrer ces propos, la dernière partie du mémoire étudiera le cas du rapprochement entre Malakoff Médéric et La Mutuelle Générale.

 

 

Partie 3 – Rapprochement des Mutuelles vers les GPS

 

Cette dernière partie se focalise sur le rapprochement des mutualistes vers les paritaires poussés essentiellement par les contraintes réglementaires (et économiques). C’est à travers une étude de cas (celui du rapprochement de La Mutuelle Générale et de Malakoff Médéric) que sera appréhendée la place des valeurs d’origine des mutualistes ainsi que les impacts sur celles-ci d’un tel rapprochement et les paramètres du processus de négociation dans ce contexte.

 

Chapitre 1 – Cadre général de l’étude empirique

 

Cette étude empirique consiste en une étude de cas réel de rapprochement des mutualistes avec des paritaires. C’est une occasion d’apprécier la place des valeurs fondatrices mutualistes dans de tel rapprochement. Ce chapitre est dédié à l’analyse descriptive du cadre général de l’étude empirique, c’est-à-dire de présenter la méthodologie adoptée ainsi que les enjeux de ce type de regroupement (en général, mais aussi concernant le cas étudié en particulier).

 

Section 1 – Méthodologie

 

Il convient dans un premier temps de définir la méthodologie adoptée pour mener cette étude empirique qui consiste en une étude de cas de rapprochement. En fait, deux principales méthodes (complémentaires) ont été utilisées pour recueillir les informations nécessaires à cette partie de l’étude :

 

  • D’un côté, il y a l’étude documentaire : recueillir les informations pertinentes à travers diverses sources, dont principalement des documents officiels émanant d’instances publiques (comme celui de l’ACPR[163], par exemple), des documents officiels émanant des entités concernées dans le rapprochement en question, ainsi que des articles de presses (généralistes et/ou spécialisées) ; certains des articles publiés par des presses spécialisés présentent des interviews exclusifs intéressants auprès des personnalités plus ou moins impliqués directement au sein de ces entités concernées ;

 

  • D’un autre côté, une étude qualitative a été réalisée pour recueillir les avis d’experts œuvrant dans les domaines de l’économie sociale, plus particulièrement des grands acteurs dans les deux types de mouvements sociaux impliqués dans le rapprochement étudiés (mutualité et paritarisme).

 

En ce qui concerne cette deuxième méthode, des entretiens ont été réalisés auprès de grands acteurs syndicalistes (Secrétaire Général de la CFDT et Président de l’association somitale AG2R La Mondiale, Secrétaire confédéral CFTC à la protection sociale, Secrétaire confédéral FO à la protection sociale, etc.) et mutualistes (Président de LMG, Président de la FNMF). Les entretiens ont tournés autour de quatre principaux thèmes (les bases du guide d’entretien) :

 

  • Les motivations qui réunissent les mouvements mutualistes et les mouvements paritaires ;

 

  • Les principaux freins au regroupement de ces deux mouvements sociaux ;

 

  • L’appréciation de la SGAM comme structure de base pour le regroupement impliquant ces deux mouvements ;

 

  • Et l’avenir de la Mutualité dans les GPS.

 

Mais, avant d’analyser les opinions découlant de ces entretiens (cf. B – Entretiens auprès d’experts), il importe de faire une analyse descriptive du cas de rapprochement étudié (cf. A – Cas étudié : rapprochement entre La Mutuelle Générale et Malakoff Médéric)

 

A – Cas étudié : rapprochement entre La Mutuelle Générale et Malakoff Médéric

 

La Mutuelle Générale (LMG) a été créée en 1947 sous le nom de La Mutuelle Générale PTT. Depuis 2013, il s’agit de la troisième mutuelle française et le deuxième assureur français avec 1.4 millions de personnes protégées et environ 6 000 bénéficiaires d’allocations d’Action sociale. Elle est également le gestionnaire du régime obligatoire des fonctionnaires de la Poste ainsi que d’Orange[164]. En fin 2015, le nombre de personnes protégées avoisine 1.5 millions. Elle est présente sur le marché des particuliers (dans une stratégie de développement accéléré entamée depuis 2008 avec l’offre de complémentaire santé « monchoix.santé ») et des entreprises (assurance collective, notamment à travers le courtage). Dans un communiqué de presse, elle décrit : « Au-delà du simple remboursement des frais médicaux, elle privilégie en particulier l’accompagnement personnalisé de ses adhérents par des services innovants s’appuyant sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication, notamment dans le domaine de la prévention en santé »[165]. Depuis 2008, LMG a réalisée de transformations profondes sur les plans organisationnel et technologique en vue d’une meilleure professionnalisation et une amélioration de la qualité. Désormais, en 2015, elle dispose de près de 107 points d’accueil animés par 2 100 collaborateurs.

 

Le Groupe LMG est désormais constitué des entités suivantes : LMG, MG Union, Mutaris Caution, MG Services, et Taores.

 

Le Groupe Malakoff Médéric (MM) est aussi un acteur majeur de l’économie sociale, travaillant principalement du côté de la protection sociale complémentaire. C’est un groupe paritaire, mais aussi mutualiste, et à but non-lucratif. MM est présent sur deux marchés[166] :

 

  • D’un côté, l’assurance de personnes (prévoyance, santé, et épargne-retraite) qui lui procurait en 2013 3.5 milliards d’euros de chiffre d’affaires (3.6 milliards en 2014), 3.8 milliards d’euros de fonds propres (3.9 milliards en 2014) et une grande marge de solvabilité (soit 5.2 fois celle de l’exigence réglementaire, 5.3 fois en 2014). MM assurait la santé et la prévoyance de près de 200 000 entreprises en 2014[167].

 

  • D’un autre côté, la gestion de retraite complémentaire dans une mission effectuée pour le compte de l’AGIRC-ARRCO totalisant en 2013 10 milliards d’euros de cotisations encaissées.

 

Les deux groupes ont décidé d’entrer en négociations exclusives en vue de la constitution du premier groupe non-lucratif français en santé-prévoyance qui s’appuierait sur deux pôles équilibrés, l’un mutualiste et l’autre paritaire. Au regard des données de 2013, cette nouvelle structure devait totaliser un chiffre d’affaires de 4.6 milliards d’euros (dont près de la moitié en santé), 4.5 milliards de fonds propres, pour servir 6 millions d’assurés[168]. Après la réunion des conseils d’administration des deux groupes en janvier 2015, un protocole de rapprochement a été adopté pour la naissance d’une Société de Groupe d’Assurance Mutuelle (SGAM). La création effective de cette dernière a été prévue pour la fin de l’année 2015. Aux termes de ce protocole de rapprochement[169], les activités de la SGAM devaient être réorganisées autour de deux pôles : une Union de Groupe Mutualiste (UGM) d’un côté, et un Groupement Paritaire de Prévoyance (GPP) d’un autre côté. En principe, la complexité de cette nouvelle création se reflète dans la diversité des formes juridiques qui composent la SGAM : mutuelles, institutions de prévoyance, sociétés d’assurance, sociétés d’assurance mutuelle, ainsi que des structures de regroupement telles que GPP, UGM, association de moyens, etc., sans parler des prises de participation et de réassurance.

 

« La création de la SGAM, ainsi que les réorganisations envisagées, établiront des liens de solidarité financière et de combinaison entre le Groupe La Mutuelle Générale et le Groupe Malakoff Médéric »[170]. Ainsi, la SGAM devait être en charge de définir la stratégie du groupe nouvellement formé en matière d’assurance, de services et d’actions sociales. Dans le protocole, il a été également prévu la combinaison des comptes des sociétés affiliées et un système de solidarité financière (d’abord au niveau du mécanisme de prévention, et ensuite au niveau du mécanisme d’aide) au bénéfice de ces sociétés. Enfin, il a été aussi décidé la mise en commun au niveau d’une structure unifiée des moyens commerciaux, humains et de gestion, des systèmes d’information et des fonctions support des parties contractantes. Le budget de cette nouvelle structure devait être placé sous le contrôle du DG de la SGAM. En fait, cette dernière devait être gouvernée par un Conseil d’administration dont les détails de la composition n’ont pas été révélés publiquement. Certaines sources ont toutefois révélé que le Conseil d’administration devait « accueillir dix représentants de La Mutuelle Générale et vingt de Malakoff Médéric, bien évidemment à parité syndicats-patronat »[171].

 

« Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, la constitution de la SGAM s’analyse comme la réunion d’activités d’entreprises antérieurement indépendantes au sein d’un seul et même ensemble économique, doté d’un pouvoir de gestion économique unique et durable, et qui sera contrôlé, de manière exclusive, par le groupe Malakoff Médéric. En conséquence, la présente opération constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce »[172].

 

Ce rapprochement entre LMG et MM s’inscrit désormais dans un mouvement de regroupement qui anime même l’ensemble des secteurs concernés. A citer par exemple le rapprochement envisagé de la Mutuelle Générale de l’Education Nationale (MEGN) et Harmonie Mutuelle (dans une lettre d’intention signée le 12 janvier 2015) qui représente 4.3 milliards d’euros de cotisations, et aussi l’annonce de la création d’une Union Mutualiste de Groupe (UMG) entre Apreva, Adrea et EoviMCD qui devrait totaliser 1.7 milliards d’euros pour environs 3 millions de personnes protégées[173]. Le rapprochement LMG-MM est alors un cas particulier dans un grand mouvement d’ensemble qui tend en quelque sorte vers une concentration des marchés de l’assurance de personnes qui restent toutefois assez atomisés jusqu’alors : 305 sociétés d’assurance, 582 mutuelles ou unions mutuelles, et 43 institutions de prévoyance recensés en 2014[174].

 

Sur chacun des marchés de l’assurance impliqués par cette opération de rapprochement de LMG avec MM, la nouvelle structure ne devrait pas disposer de part de marché excédant [10 à 20]% (cf. Tableau 3 – Parts de marché estimées de la SGAM dans le rapprochement LMG-MM). « Sur ces marchés la nouvelle entité demeurera confrontée à la concurrence exercée par de nombreux groupes tels qu’Axa, AG2R La Mondiale ou encore Groupama »[175].

 

Tableau 3 – Parts de marché estimées de la SGAM dans le rapprochement LMG-MM

  MM LMG Nouvelle entité
Prévoyance individuelle [0-5] % [0-5] % [0-5] %
Prévoyance collective [10-20] % [0-5] % [10-20] %
Assurance complémentaire santé individuelle [0-5] % [0-5] % [0-5] %
Assurance complémentaire santé collective [5-10] % [0-5] % [10-20] %
Distribution de produits d’assurance pour compte de tiers [0-5] % [0-5] % [0-5] %

Source : Autorité de la Concurrence (2015)

 

Suite à des assemblées générales qui se sont tenues en juin 2015, le Président de LMG, Patrick Sagon, a été nommé vice-président de MM, et le Président de MM a intégré LMG comme administrateur.

 

Néanmoins, après environ 18 mois de négociation pour la création de la SGAM, un communiqué officiel émanant du GPS annonçait en mai 2016 que les partenaires sociaux ont renoncé au rapprochement : « Le Conseil d’administration de Malakoff Médéric a estimé que la réalisation de ces conditions n’était pas compatible avec le calendrier imposé par la mise en œuvre des exigences de Solvabilité 2, en particulier des dispositions relatives à la gouvernance des groupes d’assurance. Il a donc considéré que cette difficulté ne permettait pas d’engager le processus de rapprochement tel qu’il avait été initialement prévu »[176]. Malgré que les promoteurs du projet aient obtenu une rallonge de six mois supplémentaire de la part de l’ACPR pour finaliser ce rapprochement (qui était prévu pour le 1er janvier 2016), ce dernier n’aura plus lieu (du moins, jusqu’à la rédaction du présent mémoire).

 

« L’échec du rapprochement pourrait toutefois laisser place à un partenariat commerciale entre la mutuelle et le groupe de protection sociale, ainsi qu’avec La Banque postale, acteur essentiel dans l’économie du projet initial »[177].

 

De nombreux acteurs de ce rapprochement en particulier, et d’autres experts sur le sujet étudié ont été interrogés sur ce projet de regroupement et ont accordé leurs points de vue à ce propos.

 

B – Analyse des entretiens auprès d’experts

 

Pratiquement tous les experts ont désormais souligné le rôle central joué par Solvabilité 2 dans ces mouvements de rapprochement (des mutuelles entre elles ou avec d’autres mouvements sociaux, dont les GPS). Plus particulièrement, l’ANI est considéré comme « un accélérateur » dans cette tendance au regroupement des acteurs de l’économie sociale :

 

  • « Solvabilité 2 a précipité ce genre de rapprochement. Il doit y avoir une prise de conscience décisionnelle de tous les acteurs. L’ANI de 2013 également» [Patrick Sagon, Président de LMG].

 

  • « Solvabilité 2 et dernièrement l’ANI de 2013 contraignent ou font que nous devons nous rapprocher» [François Puyaubreau, Président de l’association de moyens et de la caisse ARRCO, Malakoff Médéric].

 

Certains interviewés ont même pointé l’ANI comme le principal acteur de la mutation du secteur des mutualistes dans une logique de regroupement généralisé pour une forte concentration de ce secteur : « L’ANI de 2013 va faire le ménage et retirer du marché des petites mutuelles et va repositionner les règles » [Patrick Poizat, secrétaire confédéral CFTC à la protection sociale] ; « L’ANI de 2013 pointe en lui la disparition des mutuelles 45. C’est le basculement de l’individualisme vers les contrats collectifs et donc vers les IP » [Philippe Pihet, secrétaire confédéral FO à la protection sociale].

 

Les experts interrogés sont également d’accord sur l’existence de nombreux facteurs communs qui favorisent le rapprochement des mouvements mutualistes avec ceux paritaires. Principalement, « la protection de l’Homme » est au centre des préoccupations de ces deux mouvements sociaux : « Un mutualiste et un paritaire a un seul but : la protection de l’homme. Le mutualiste par sa santé, le paritaire par sa retraite » [Jean Claude Barboul, Secrétaire général de la CFDT Cadres, Président de l’association sommitale AG2R La mondiale Réunica et du GIE AGIRC-ARRCO]. Philippe Pihet (et bien d’autres aussi) insiste également sur la valeur de « non-lucrativité » que partagent les mutualistes et les paritaires. Aussi, il évoque aussi que « recherches de fonds propres, tailles critiques, économies d’échelle et exemplarité doivent être les vecteurs de ces rapprochement contraints mais nécessaires ».

 

Quant aux freins pour de tel regroupement, l’ensemble des experts ayant participé aux entretiens semblent vouloir insister sur deux catégories d’éléments :

 

  • D’un côté, il y a des freins en termes de coûts et de rentabilité : « Les GPS ont des couts de gestion plus faibles que dans la mutualité. Les freins seront toujours, [hormis] le coté économique et de rentabilité […]» [Jean Claude Barboul].

 

  • D’un autre côté, il y a surtout (les experts sont quelque peu unanimes sur ce point) les problèmes relatifs à la gouvernance de la nouvelle structure.

 

Dans cette deuxième catégorie de freins, les experts illustrent leurs propos de différentes manières mais se focalisent sur des concepts-clés :

 

  • La compatibilité de gestion entre deux modèles relativement éloignés : « Le paritarisme est un système pour et géré par les partenaires sociaux. La mutualité (1 homme / 1 voix) n’ouvre pas ces possibilités de modèle» [Patrick Poizat].

 

  • Problème de représentativité : « Un mutualiste n’a pas la même dimension ou vision qu’un paritaire par sa représentativité (1 homme une voix), surtout la sienne…» [François Puyaubreau Président de l’association de moyens et de la caisse ARRCO, Malakoff Médéric] ; « Nous pouvons nous poser la question sur la représentativité des paritaires par rapport à la loi sur la représentativité de 2008 et les mutualistes quant à leur forme de gouvernance (1 homme 1 voix) » [François Xavier Selleret Directeur général du GIE AGIRC-ARRCO] ; « La mutualité a un schéma vieillissant. Exemple : 1 homme représente une voix. Les AG des mutuelles sont la plupart vides et donc mal représentées. La FNMF est-elle représentative de toutes les mutuelles ? » [Jean Claude Barboul].

 

  • L’égo, l’individualisme, les affinités entre les hommes, le partage de pouvoirs et la défiance : « Attention aux égos entre les hommes synonymes de croissance mais d’échec» [Patrick Poizat] ; « Quant aux freins, ce sont les égos et l’individualisme. Il faut penser au groupe et non qu’à soi » [François Puyaubreau] ; « Les facteurs de concentration seront les affinités entre les hommes. Les freins viendront également d’eux, de leurs envies de pouvoirs et de leurs égos » [Bernard Daeschler, Président du CTIP et chef de file de la CGT dans le GPS Malakoff Médéric]. « Les représentants des sociétaires qui deviennent des administrateurs, sont plus impliqués et plus libres d’expression, donc la mutualité, doivent augmenter encore leurs compétences. Un rapprochement met en exergue ‘une fragilité du jeu environnemental’, les hommes, l’humilité, les égos font que les hommes se rassemblent ou pas » [Patrick Sagon] ; « Il y a une défiance dans ces mariages mixtes ; les hommes ne sont que des hommes » [François Xavier Selleret].

 

En tout cas, les interviewés ont tous loué la pertinence du choix de la SGAM comme support pour ce rapprochement entre mutualiste et paritaire :

 

  • Facilitation du rapprochement : « Beaucoup de formes juridiques existent mais la SGAM a été créée pour faciliter le rapprochement des mutuelles dans les GPS. C’est son essence même […] C’est un harmonieux mélange entre des sociétaires mutualistes et des militants paritaires. La gouvernance ne peut être que facilitée» [Jean Claude Barboul] ;

 

  • Efficacité et efficience : « La SGAM amène une solidarité financière importante et donc une mutualisation de ces moyens et donc une meilleure rentabilité» [Patrick Poizat] ; « La SGAM a été créé pour gérer les paritaires et les mutualiste avec une dose d’efficience dans la gouvernance. D’autres outils existent mais c’est pour moi le mieux adapté. Cette forme juridique permet un droit de regard de l’AGIRC-ARRCO, l’ACPR et le CTIP. Un harmonieux mélange de genres » [Philippe Pihet] ;

 

  • Conservation des valeurs fondatrices : « aux acteurs de la [la SGAM] construire avec ses spécificités et leur histoire commune » [Jean Claude Barboul] ; « Un groupe paritaire et mutualiste, oui par une SGAM qui est un artifice de construction mais toujours en laissant les acteurs de se la construire et l’adapter avec leur différente histoire » [Bernard Daeschler] ;

 

  • Dans le respect des prérogatives des uns et des autres : « La SGAM est un outil qui permet de respecter les prérogatives des uns et des autres. 2 philosophies de base y seront présentes [les organisations syndicales qui sont en concertation permanente d’un côté, et les mutualistes où l’individu peut décider seul]» [Pierre Roger, délégué national à la protection sociale CFE-CGC, Président de l’association sommitale du groupe Malakoff Médéric] ; « La SGAM permet de donner une « vision entreprise » avec des outils adaptés et une gouvernance qui garantit l’expression des différentes composites » [François Puyaubreau] ;

 

Jean Claude Barboul argumente même en citant leur exemple de réussite (la création de la SGAM dans le rapprochement AG2R-La Mondiale).

 

Pour ce qui concerne l’avenir de la mutualité dans les GPS, les opinions des experts sont diverses sur la préservation des valeurs fondatrices, à l’exemple de celle sur la « non-lucrativité » :

 

  • Nombreux pensent à la préservation au moins de la valeur « non-lucrativité » dans ce rapprochement : « La non lucrativité doit toujours nous guider» [Philippe Pihet] ; « Dans ce genre de construction, il faut toujours garder que notre raison d’être, coté mutualistes et paritaires, c’est la non lucrativité » [Bernard Daeschler] ;

 

  • D’autres sont plus pessimistes sur la possibilité de soutenir cette « non-lucrativité » : « La valeur de non lucrativité : à prouver ! L’action sociale issue de cette valeur se fait moindre. Les grands groupes capitalistiques (AXA, GENARALI…) financent aussi des projets sociaux, les mutuelles aussi. Les excédents capitalistiques sont versés aux actionnaires, croyez-vous que dans les GPS ils sont versés dans les œuvres sociales… Quid de la mutualité» [Patrick Sagon] ; « La mutualité et le paritarisme sont deux blocs autour et pour la protection des hommes. Leurs avenirs est incertain de par leur valeurs qui ne trouvent plus d’assises sociétales. La concurrence va s’accroitre par la digitalisation et « l’ubérisation ». La non lucrativité ne l’emportera pas » [Pierre Roger] ;

 

  • D’autres encore suggèrent une remise en question de ces valeurs (dont celle sur la « non-lucrativité ») : « Avenir de la mutualité dans les GPS ? Le principe de la mutualisation dans la santé s’estompe avec l’évolution sociétale. Les jeunes paient pour les vieux. Un superbe concept mais est-il accepté par cette jeune génération ?» [Jean Claude Barboul] ; « L’avenir de la mutualité : Elle doit se réformer et vivre dans son temps » [Philippe Pihet] ; « Redessiner la frontière entre le lucratif et le non lucratif. Ne pas penser à la santé capitalistique. Le futur et l’Europe en sont malheureusement des acteurs. La mutualité va et doit changer. Les rapprochements, avec solvabilité 2 et maintenant l’ANI de 2013, sont impératifs, imposés et obligatoires. Ils doivent demeurés naturels entre les acteurs […] Il faut reformer le code de la mutualité et de la sécurité sociale dans le sens des rapprochements » [Etienne Caniard, Président de la FNMF].

 

Mais, quels sont véritablement les éléments qui sont censés être les motivations de ce projet de rapprochement ?

 

Section 2 – Enjeux du rapprochement

 

Appréhender ces enjeux revient à identifier surtout les avantages que devraient procurer ce rapprochement (et en particulier le choix de la structure SGAM) pour les acteurs en présence. Cela devrait déjà donner des idées sur les éléments moteurs « objectifs » de ce projet de telle sorte que l’échec de celui-ci ne peut que venir d’éléments essentiellement « subjectifs ».

 

A – Les motivations du rapprochement

 

LMG a connu une progression annuelle de 2.4% de son chiffre d’affaires en 2013 pour atteindre 1.076 milliards d’euros. Plus particulièrement, son activité sur les assurances collectives a progressé de 29%. LMG s’engage alors dans une « bonne pente » dans le cadre de la généralisation de la couverture santé collective, propulsée par l’ANI. Patrick Sagon, Président de LMG, a ainsi expliqué les raisons qui poussent la troisième mutuelle française à rechercher un partenariat : « Nous n’avons pas besoin d’un partenariat financier ou technique » ; son ambition étant « de constituer un groupe de tout premier plan tant sur le marché de l’assurance collective que sur celui de l’assurance individuelle »[178]. Il est clair que LMG se prépare à la généralisation de la complémentaire santé d’entreprise qui devrait se faire à tous les salariés du secteur privé : 40% de son chiffre d’affaires de 2012 s’inscrit déjà dans la santé collective. Il est alors question de bâtir une stratégie de partenariat structurant. Le Président a donc annoncé en juin 2013 l’objet de la recherche : « Le Conseil d’administration a demandé au directoire d’identifier un nombre limité d’acteurs parmi les mutuelles 45 et les groupes de protection sociale pour entrer en négociations exclusives »[179]. Il a ajouté : « L’ANI va mettre les marges techniques sous pression avec le déplacement du centre de gravité du marché de l’individuel vers le collectif. Il bouscule aussi le monde paritaire des institutions de prévoyance, avec la fin des clauses de désignation dont elles étaient les premières bénéficiaires. Pour aller démarcher les milliers d’entreprises à équiper, il faudra donc un réseau direct »[180]. L’alliance est vue par le Groupe comme la seule stratégie répondant positivement à cette problématique complexe engendrée par l’ANI qui devrait être effectif à compter du début 2016.

 

LMG avait alors à choisir entre deux options. La première est une alliance avec Humanis qui a réussi à attirer la Mutuelle de l’Industrie du Pétrole dans son UGM en 2012, tandis que la seconde est un rapprochement avec MM qui vient de créer une UGM avec UMC en 2013. Si MM présente des fonds propres nettement notables par rapport à Humanis (respectivement de 3.8 milliards et de 1.3 milliards d’euros) et un résultat net largement positif (Humanis venait seulement de retrouver ses bénéfices en 2014), Humanis dispose d’un pôle mutualiste beaucoup plus étoffé que MM. Finalement, c’est la seconde option qui a été retenue car jugée comme attribuant une forte synergie entre les deux groupes (LMG et MM). « Le tempo de l’ANI qui exige une rapidité dans la mise en œuvre. Il faudra être opérationnel très tôt, au plus tard en septembre 2015. Sur ce plan-là, Malakoff Médéric n’est pas engagé dans un processus de réorganisation. C’est un groupe solide qui est aussi capable de résister aux chocs techniques qui ne vont pas manquer de survenir, notamment sur les risques prévoyance »[181]. En effet, MM est le premier groupe français à but non lucratif c’est-à-dire qu’il s’agit d’un partenaire de taille. De plus, MM possède déjà deux pôles équilibrés (paritaire et mutualiste), d’autant plus qu’elle dispose d’expérience conséquente dans les contrats de groupes.

 

En termes de synergie, MM devrait transmettre à LMG tous ses adhérents individuels (de même que les sorties de contrats de groupes) : MM pourrait alors recommander LMG auprès de ses clients. Cela devrait permettre au groupe mutualiste de bénéficier d’un taux de transformation élevé (de 30%, voire jusqu’à 50%, selon Patrick Sagon[182]). Les deux groupes visent ainsi une distribution de proximité de produits et services adaptés. Ce rapprochement devait revêtir de forts enjeux pour LMG qui n’a pas réussi au moins trois tentatives de rapprochement successif : avec le GPS Mornay en 2010 qui a préféré bâtir Klesia avec D&0, avec l’IP Apqis qui a décidé de s’associer avec Covea, mais aussi avec La Banque Postale (LBP, en 2011) qui partage déjà avec LMG (qui en détient 35%) La Banque Postale Assurance Santé. Vraisemblablement, LMG manifeste toujours sa volonté de s’allier avec un groupe paritaire plutôt qu’avec les mutualistes : elle rechercherait un partenaire qui pourrait lui fournir des flux qualifiés dans le contexte de l’augmentation des coûts d’acquisition, les groupes paritaires exploitent faiblement encore les sorties de contrats collectifs. LMG pense également que c’est une opportunité de diversification sur la prévoyance et sur l’épargne.

 

De son côté, MM se présente comme un groupe stable, mais était dans une possibilité de regroupement avec Klesia (dans un schéma 3 + 1 : AG2R La mondiale, Humanis, et MM + Pro BTP). Un éventuel rapprochement avec un autre groupe n’est pas considéré par MM comme une urgence mais plutôt comme une opportunité comme le déclare Guillaume Sarkozy, délégué général : « Nos résultats doivent nous permettre de participer de manière active à des regroupements, car le marché s’oriente vers une consolidation importante […] Du côté des mutuelles, nous n’avons pas de politique proactive en matière de rapprochement, mais nous sommes ouverts à des regroupements »[183]. Néanmoins, MM affichait comme objectif d’un éventuel rapprochement la constitution d’un nouveau groupe muni d’un double pilier (paritaire et mutualiste) qui aurait une forte influence sur les politiques de santé.

 

Par ailleurs, LMG devait offrir à MM une couverture nationale ainsi qu’un réseau d’une centaine d’agences. De plus, MM cherche dans le rapprochement avec LMG une « grande complémentarité entre l’assurance santé et la prévoyance collective ainsi que des conventions collectives nationales qui sont autant de domaines sur lesquels excelle MM d’une part, et le marché de l’assurance individuelle sur lequel LMG dispose d’un réseau de proximité très étendu d’autre part.

 

En somme, ce projet de rapprochement devait aboutir à la nouvelle structure créée qui occupera une place dans le trio de tête de l’assurance de personnes (avec Istya – les mutuelles de la fonction publique – et Harmonie Mutuelle), et plus particulièrement sur le segment de la prévoyance et de la complémentaire santé. La SGAM devait alors totaliser près de la moitié du chiffre d’affaires de la structure AG2R-La Mondiale (8.4 milliards d’euros en 2014)[184]. En fait, le rapprochement LMG-MM est censé réunir toutes les activités concurrentielles des deux groupes, sans la retraite complémentaire.

 

A entendre les propos du Directeur général délégué de LMG, Stanislas Bressange, les valeurs respectives des deux groupes auraient joué le rôle de catalyseur dans ce rapprochement : « Le respect de nos valeurs respectives, mutualistes et paritaires, nous a permis de signer ce protocole fin janvier [2016] dans un très bon état d’esprit »[185]. Ce serait l’occasion de réunir de puissants groupes ayant la vocation de la non-lucrativité, une occasion donc de réaffirmer et renforcer entre autres cette valeur parmi d’autres.

 

B – Les avantages attendus de la SGAM

 

A rappeler que la SGAM devait être composée d’un pôle mutualiste  et d’un autre paritaire. L’UGM pilote le pôle mutualiste regroupant MM mutuelle ainsi que LMG, LMG Union, MUTUARIS Caution et MG services. Le GPP pilote le pôle paritaire regroupant MM Prévoyance, l’Institut National de Prévoyance des Représentants (INPR), la Compagnie Mutuelle d’Assurance (CMAV) et l’Institution de Prévoyance du groupe Valourec et de ses filiales (CAPREVAL). L’UGM sera représenté par un collège mutualiste au Conseil d’administration de la SGAM, aux côtés de deux collèges paritaires (salariés et employeurs). Ce nouveau groupe respecte les dispositions réglementaires et recommandations des organismes de tutelle et contrôle (ACPR, AGIRC-ARRCO…). L’association sommitale pilote donc les activités du GPP au sens de l’accord sur la gouvernance des GPS du 08 juillet 2009 et garantie la cohérence d’ensemble du GPS.

 

 

Figure 1 – Cartographie du groupe paritaire et mutualiste

 

Quelques avantages majeurs de cette structure peuvent être cités d’une manière générale :

 

§.1– Un regroupement de sociétés de l’économie sociale

 

Ces sociétés peuvent être des mutuelles 45, des IP, des sociétés d’assurance mutuelle ou à forme mutuelle ou coopérative ou à gestion paritaire. Cela permet à ces structures affiliées d’élaborer des stratégies de groupe en respectant l’identité de chacune tout en tissant entre elle des liens de solidarité financière. C’est une convention qui définit le degré de coopération et d’engagement financier souhaité. Aucun capital n’est requis pour s’affilier à cette structure. Le contrat et non l’apport financier est la base sur laquelle repose les relations entre affiliées. La convention d’affiliation bipartie et soumise aux autorités de contrôle détermine : la participation aux coûts de fonctionnement, la participation au fonds d’établissement, les pouvoirs de contrôle prudentiel, les mécanismes de solidarité financière, les sanctions, les conditions de sortie d’une affiliée.

 

Le code des assurances demande à la SGAM de décrire : « les liens, les obligations, les engagements et les modalités de partage des coûts ou de toute autre forme de coopération entre une société de groupe d’assurance et l’entreprise affiliée »[186].

 

Ces conventions d‘affiliations sont différentes suivant les affiliés. Il y a autant de conventions que de membres à l’intérieur d’une SGAM. Ce sont ces conventions qui déterminent le degré de souveraineté de l’affilié vers la SGAM. C’est donc de manière conventionnelle et non par le poids capitalistique de chaque affilié que la délégation du pouvoir de gestion est donnée. Un avantage pragmatique et astucieux pour les mutualistes. Ce mélange subtil des affiliés dans les processus de gestion commune amène une confiance intégrale entre les membres dans la distribution des pouvoirs entre eux. C’est donc dans une grande souplesse que les entités dessinent ces conventions d’affiliations et l’intégration  qu’elles souhaitent où rien n’est imposée. Elles conservent donc leurs autonomies tant politiques que financières.

 

§.2– L’établissement d’une structure mutualiste

 

La SGAM n’a aucun lien capitalistique avec ses affiliés. C’est donc en empruntant les règles de fonctionnement et de gouvernance de ses membres qu’elle fonctionne. Elle n’existe qu’autour et pour leur solidarité financière. Sur un plan stratégique, cela permet la création d’alliance entre acteurs mutualistes sans renoncer à leur culture et identité et même de pouvoir surpasser ses concurrents. Elles sont libres de déterminer ensemble la hauteur de leur coopération commune et peuvent ainsi garder leur marque, leurs réseaux, leurs dirigeants, etc. « La SGAM est génétiquement formatée pour préserver l’identité mutualiste »[187] souligne Daniel Havis, PDG de MATMUT. Elle permet d’ouvrir les partenariats facilement et les partenaires, quel qu’ils soient, savent se mouvoir assez aisément à l’intérieur de cette entité[188].

 

Sur le plan de la gouvernance, ce sont les statuts de la SGAM qui coordonnent son fonctionnement par rapport aux entités affiliées. Elles sont représentées à l’AG par leurs administrateurs ou dirigeants ou des délégués nommées par l’assemblée générale de l’entreprise affiliée ; une possibilité très appréciée notamment des mutualistes. Sur le plan prudentiel, elle est reconnue comme « tète de groupe » par les autorités de contrôle et comme une structure qui permet de nouer et gérer des liens financiers et durables ; toujours dictés par les conventions d’affiliations et sous contrôle de l’ACPR. Pour ce qui est de la fiscalité, elle est une société mère et à part entière un groupe fiscal permettant de combiner les comptes des entreprises affiliées.

 

Comme dans la mutualité, l’Assemblée générale de la SGAM est souveraine. Elle délibère sur la modification des statuts, autorise sa fusion avec une autre société de groupe d’assurance mutuelle, conclue, modifie ou résilie une convention d’affiliation, adhésion ou exclusion d’une entreprise affiliée et dissolution de la SGAM si pertes financières constatées. Nous pouvons ne dénombrer que des avantages à l’intégration des mutuelles dans une SGAM, structure souple qui permet rapidement l’insertion de nouvelles entités. Les inconvénients ne se sont pas illustrés dans nos recherches. Décrit comme un avantage, la possibilité de sortie d’une entreprise affiliée peut devenir un inconvénient car elle doit être soumise à l’ACPR ; un constat pouvant être considéré comme un échec de part et d’autres.

 

Notons toutefois un précédent mais dans le secteur des mutuelles d’assurances. L’application de Solvabilité 2 en 2016 a durci ces intégrations. Roger Belot, Président de la MAIF argumente : « Nous avons discuté avec l’ACPR. Elle considère la SGAM comme un groupe qui impose davantage d’intégration : gouvernance, stratégie, comptes… Ce que nous ne voulons pas. Nous ne faisons que rester fidèles à notre orientation initiale. Nous voulions une SGAM fédératrice avec des sociétariats bien distincts et une gouvernance spécifique. C’est ce que nous avions dit, c’est ce que nous avons fait pendant ces cinq ans. Solvabilité 2 nous oblige à bouger »[189]. Il y avait plutôt une logique de coopération plus qu’une d’intégration dans l’esprit de son dirigeant. La MAIF est sortie de la SGAM[190].

 

§.3– Une opportuniste complémentarité

 

Les GPS sont des acteurs importants sur le marché du collectif. L’ANI va faire basculer le marché des contrats individuels des mutuelles vers le collectif. Le choix du partenaire reste un choix stratégique ; diversification et complémentarité semblant être les principaux arguments mis en avant entre deux prétendants. Pour la plupart des acteurs, ces projets répondent à des enjeux clés :

 

  • Pour un GPS, ils doivent consolider leur secteur mutualiste et faire de l’ANI une opportunité en accélérant le développement commercial, permettre d’accéder au réseau des mutuelles (agences) et à de nouveaux secteurs.

 

  • Pour le mutualiste, ils lui permettent d’accéder à l’expertise sur le segment du collectif. Opportunité, complémentarité et création d’un groupe financièrement solide répondant aux exigences de Solvabilité 2[191].

 

Le rapprochement de l’AG2R et de la Mondiale en 2008 a été dicté sur le thème de la complémentarité ; retraite et prévoyance d’un côté, épargne et santé de l’autre. La Mondiale faisait profiter de sa crédibilité sur le marché de la retraite supplémentaire et de sa place autour des TPE. L’Ag2r étant un GPS présent dans les branches, pouvant prendre en charge « naturellement » l’assurance de ces nouveaux salariés. L’Ag2r La Mondiale apportait ainsi une réponse globale cotés salariés et employeurs sur l’offre assurantielle. Cette intégration a permis, de faire des économies d’échelle structuraux.

 

Même philosophie chez MM sur son rapprochement avec LMG. Guillaume Sarkozy décrit dans une Assemblée générale extraordinaire du 15 janvier 2015 : « le rapprochement avec LMG, 3ème mutuelle santé du marché, constitue dans ce contexte une opportunité à ne pas manquer. Il existe de fortes complémentarités entre nous »[192]. Ces complémentarités devraient s’accélérer. C’est d’ailleurs un objectif, certes moins perçu de solvabilité 2, que de donner au client tout ce qu’il a besoin. « C’est une des grandes forces d’un opérateur comme AXA. Il propose une complémentaire santé, une prévoyance, une assistance, une assurance pour le chien et la maison. Demain, ce même client vient chez Malakoff Médéric ou à l’Ag2r-la Mondiale, il n’y trouvera pas les mêmes prestations »[193]. Nous pouvons pressentir que l’acte deux des GPS dans leur politique de rapprochement se dessine vers les assurances mutuelles et ainsi proposer une panoplie complète de protection sociale et assurancielle.

 

§.4– Un lien dans les valeurs communes

 

C’est aussi autour de valeurs communes que les acteurs entament leurs relations. Christian Schmidt de la Brélie, DG de Klésia : « Nous avons les mêmes valeurs de solidarité, d’humanisme, de proximité et de non-lucrativité »[194]. Concept partagé par André Renaudin, DG d’Ag2r-La Mondiale : « J’ai tout mis en œuvre pour dépasser l’écart de cultures car je pensais qu’il s’agissait d’un beau projet et j’étais convaincu qu’il existait un socle de valeurs communes aux deux groupes, hérité des pères fondateurs »[195]. Jean-Claude Barboul va dans ce sens : « que nos cultures de militants et nos valeurs communes ne peuvent que nous rapprocher. Les codes de la Mutualité et de la Sécurité sociale ont des racines communes, les hommes aussi »[196]. Patrick Poizat également : « Tout nous rapproche, seuls les problèmes d’egos font obstacles aux rapprochements »[197]. Philipe Pihet rebondit sur ce thème : « Il faut revoir et repenser à la notion de la non-lucrativité dans le contexte Européen »[198].

 

François-Xavier Selleret quant à lui exprime la valeur sur les fondements de 1947 (Création de L’AGIRC) et remet le contexte à la notion de client. « Un groupe paritaire doit répondre à la demande de ses clients, notion que l’on retrouve dans les mutuelles par leur proximité et l’histoire »[199].

 

Au-delà des enjeux économiques, ces rapprochements se profilent autour de cultures communes et idéologiques, de complémentarité et d’opportunité. Lorsque nous appréhendons la gouvernance dans les GPS et la mutualité, il n’est pas rare d’avoir une combinaison des trois, constituant un facteur indéniable de rapprochement également entre les hommes.

 

Au vu de ces différents avantages pour les différentes parties prenantes, on se demande d’où provient vraiment l’échec : du côté technique stratégique ou bien ailleurs ?

 

Chapitre 2 – Rapprochement de LMG-MM : un échec d’origine « humaine »

 

Deux grands facteurs pourraient être avancés comme ayant causé la rupture des négociations exclusives entre LMG et MM : d’un côté, des difficultés qualifiées « d’opérationnelles » ou encore « stratégiques » qui sont a priori des éléments fortement « objectifs » et, d’autre côté, le facteur humain animé par l’égo des hommes.

 

Section 1 – L’échec ne viendrait pas du côté technique/stratégique

 

Dans un communiqué de presse suite au Conseil d’administration de l’Association sommitale de MM du 15 décembre 2015, les deux groupes en négociation exclusive pour le rapprochement réaffirment leur volonté de poursuivre dans cette voie. C’est aussi à cette occasion qu’ils ont annoncé que « Des difficultés opérationnelles sont toutefois apparues au cours des dernières semaines et nécessitent du temps afin d’adapter le fonctionnement du futur ensemble. Les gouvernances politiques des deux Groupes ont donc décidé d’approfondir, dans les prochaines semaines, plusieurs sujets qui conditionnent le succès de ce rapprochement »[200]. Le communiqué en question n’a pas donné de détail sur ce qu’il entend par « difficultés opérationnelles », mais il faut reconnaitre que cela doit être substantiel pour être annoncé de la sorte. L’on se demande s’il devait s’agir de problèmes relatifs à la « mise en commun de moyens techniques »[201], et si ces problèmes étaient à l’origine de l’échec qu’a connu plus tard le rapprochement.

 

Sans prétendre établir des liens exacts (mais il semble que le nouveau Directeur général délégué de MM par interim, Y Charron, l’ai confirmé plus tard, même de manière implicite), cette annonce sur ces difficultés opérationnelles pourrait avoir de relation avec les différends concernant le système d’information et gestion de la future SGAM. Cela aurait même conduit les partenaires sociaux de MM à vouloir se séparer de l’ancien délégué général, Guillaume Sarkozy. Mais, lorsque l’on se penche de plus près sur ce dossier, il apparait que ces difficultés annoncées ne sont pas vraiment de nature « opérationnelle » telles qu’elles sont évoquées officiellement. On n’ose même pas parler de problème stratégique : il est probablement plus propre d’entendre une querelle dans la gouvernance du GPS. En effet, il est notamment reproché à Guillaume Sarkozy de « ne pas suffisamment déléguer ainsi qu’un turn-over élevé parmi les cadres dirigeants, tout particulièrement à la direction des systèmes d’information. Mais la décision prise par le délégué général, à l’été, de se séparer de Dominique Trébuchet, directeur général assurance et services financiers, avait pour le moins surpris les partenaires sociaux. Un départ qui serait d’ailleurs lié à une divergence de vue sur ce fameux dossier informatique »[202].

 

En tout cas, il a été décidé par les partenaires sociaux de demander des compléments d’expertise sur les scénarios envisagés concernant l’informatique et le système d’information de la SGAM[203]. D’ailleurs, Yann Charron a reconnu les mésaventures avec ces dossiers sur l’informatique, tout en faisant entendre que les problèmes en question ont été déjà résolus : « Le choix de l’outil informatique a pu susciter des blocages mais ceux-ci sont derrière nous »[204]. Ainsi, annoncer des difficultés opérationnelles comme principale cause de l’échec de ce rapprochement semble illustrer seulement un prétexte pour dissimuler des faits bien plus profonds.

 

En fait, le Communiqué de presse émanant de MM expliquant la raison de cet échec a fait croire que l’origine de ce dernier serait une incompatibilité des conditions de réalisation avec le calendrier par la mise en œuvre des exigences réglementaires. Mais l’absence de suite à ce projet laisse penser que les vraies explications devraient résider dans la « volonté » des hommes, et non pas à ces éléments souvent qualifiés d’opérationnels ou de stratégique. Les informations ci-après devraient suffire pour se convaincre que ce rapprochement est vraiment bénéfique pour les deux parties en négociation, une motivation pour elles de poursuivre la recherche de solution en vue du rapprochement (ce qui n’est pas le cas) :

 

Selon des sources internes, la progression en chiffre d’affaires de la nouvelle structure a été évaluée à plus de 30 % entre 2013 et 2018. Les synergies de développement sont identifiées à 178 millions de gain en chiffre d’affaires et de quarante millions d’euros d’économies sur les moyens (système d’information, achats, gestion). Le futur ensemble mutualiste (UGM) devrait être doté de 1.1 milliards d’euros de fonds propres. Avec la solidarité financière de la future SGAM, cela représenterait 4.6 milliards d’euros de fonds propres. Cela pourrait être un effet de levier pour ses nouvelles ambitions d’investissements concurrentiels. LMG et MM devraient voir dans ce contexte une réelle opportunité dans la consolidation de leurs secteurs mutualistes. MM devrait pouvoir accéder au réseau LMG et accélérer son développement commercial et LMG avoir l’expertise de MM dans le marché du collectif (CCN, branches, grands groupes…). Il y aurait donc des complémentarités évidentes ; cette opération permettrait la création d’un groupe financier répondant aux exigences de Solvabilité 2. Le partenariat tripartite entre LMG, MM et La Banque Postale devrait encore accroitre la chance de réussir.

 

Dans ce rapprochement entre MM et LMG, La banque postale (BP) devient le partenaire afin de proposer une offre adaptée aux TPE et PME dans la perspective de la généralisation de la complémentaire santé au 1er janvier 2016. La BP, filiale du groupe La Poste, est présente sur les marchés de la banque, de l’assurance et de la gestion d’actifs. La BP est une banque de proximité et de service public. Ses agences et sa présence nationale par le réseau des guichets de poste (au nombre de 17 000), fait d’elle le principal réseau bancaire de France et permet ainsi de faire bénéficier d’une large base de clients potentiels via les entreprises et les particuliers. Parallèlement à ce partenariat, MM et LMG vont aussi rapprocher leurs filiales de gestion d’actifs. Ces rapprochements verront naitre le quatrième acteur du marché des institutionnels. Avec Fédéris Gestion d’Actifs, la BP asset management renforcerait sa place actuelle de cinquième acteur français, puisque la nouvelle structure gagnerait un rang, avec plus de 170 milliards d’euros d’actifs sous gestion[205].

 

Figure 2 – Cartographie des entités dans le rapprochement LMG-MM en partenariat avec LBP

 

Lors de l’annonce de l’échec du rapprochement LMG-MM, il a été évoqué (du moins par MM) que ce partenariat avec LBP devrait subsister. En tout cas, il faudrait rechercher le véritable frein causant cet échec dans un autre facteur : « l’égo » comme la plupart des experts interrogés l’ont souvent évoqué.

 

Section 2 –  « L’égo » comme facteur d’échec

 

Sans donner plus d’explication, le communiqué de presse qui annonce l’échec du rapprochement LMG-MM mentionne également un problème dans les décisions concernant la gouvernance de la SGAM. Il convient alors dans un premier temps de survoler les principaux éléments de cette gouvernance (des informations qui restent jusqu’alors confidentielles).

 

A – Gouvernance de la SGAM

 

§.1– Gouvernance de l’UGM

 

L’UGM pilote et anime le pôle mutualiste tant dans sa représentation au sein de la SGAM que dans les instances mutualistes. En outre, elle mène toutes initiatives de croissance de son pôle. Son principe de gouvernance est le suivant :

 

  • 45 sièges de délégués issus des deux précédentes Assemblées générales, dont 16 délégués pour MM Mutuelle et 29 pour le groupe LMG.

 

  • 3 règles de majorité sont définies

 

  • MM Mutuelle doit conserver à minima 34% du nombre de délégués
  • La Mutuelle Générale doit être majoritaire à l’AG
  • Le Groupe La Mutuelle Générale doit représenter au moins 60% du nombre de délégués

 

  • 20 administrateurs siègent au Conseil d’administration dont : 8 administrateurs MM Mutuelle et 12 administrateurs pour LMG.

 

  • Les décisions doit être prises à la majorité simple.

 

  • Le Président de l’UGM est élu parmi les membres du Conseil d’administration. Pour le premier mandat sera attribué au Président de MM Mutuelle, la durée étant identique à celle du 1er mandat du Président de la SGAM (4 ans) ; pour la suite, ce sera une présidence tournante tous les deux ans ;

 

  • La Direction générale sera attribuée à la même personne que le Directeur général de la SGAM

 

  • Le Bureau sera composé de 9 membres dont 4 parmi les délégués de MM Mutuelle et 5 parmi les délégués de LMG.

 

On peut constater que les règles de proportionnalité n’ont pas fait l’objet d’une application par rapport aux nombres de membres et d’administrateurs, laissant aux acteurs le soin de les définir. A la question de savoir si des administrateurs et membres de l’Assemblée générale appartenaient à une organisation syndicale, la réponse est : « certainement, le débat n’a pu lieu d’être dans ce type de structure, les valeurs de l’intérêt collectif sont conservées »[206]

 

§.2– Gouvernance du GPP/GAPS

 

Le GPP suit le développement des activités collectives du GPS notamment vis-à-vis des branches. Il veille à leurs applications par chacun de leurs membres notamment dans les domaines suivants : fixation des tarifs, politique de développement, gestion financière, principes directeurs communs en matière de cessions et d’acceptations en réassurance, gestion du personnel et action sociale. Son principe de gouvernance est le suivant :

 

  • 24 à 30 administrateurs du GPP : 20 pour MM prévoyance (soit 10 par collège), 2 pour INPR (soit 1 par collège), 1 pour CMAV (adhérent) et 1 autre pour CAPREVAL (participant) ;

 

  • La suppression de la combinaison des comptes du groupe MM et toute référence à l’organisation d’une solidarité financière entre les membres de MM GPP sera acté ;

 

  • Le GPP a également pour objet de permettre à ses membres de se concerter préalablement au choix des personnes candidates aux fonctions d’administrateur de la SGAM MM–LMG.

 

§.3– Gouvernance de la SGAM

 

Elle constitue donc la « tête de Groupe » au sens de la réglementation Solvabilité 2 et vis-à-vis de l’ACPR. Elle définit la stratégie du groupe d’assurance de personnes en matière d’assurance, d’action sociale et de services. Elle noue et gère des relations financières fortes et durables dans les conditions prévues par les conventions d’affiliation conclues avec ses entreprises affiliées et veille à ce qu’elles soient en mesure de respecter leurs obligations légales et réglementaires, principalement en matière de solvabilité. Elle combine les comptes sur son périmètre et coordonne les décisions des entreprises affiliées.

 

Figure 3 – Organisation de la SGAM LMG-MM

 

Son principe de gouvernance est le suivant :

 

  • Elle est composée de 3 collèges de 10 administrateurs : mutualistes, employeurs, salariés qui seront élus par un scrutin de liste pour un mandat de 6 ans.

 

  • Les décisions seront adoptées à la majorité simple, sauf pour une liste restreinte de décisions importantes, adoptées par la majorité des administrateurs et par la majorité des membres au sein de chaque collège.

 

  • 4 représentants mutualistes (33% des droits de vote), 4 représentants paritaires (67%) :

 

  • 1 représentant par entité : MMM, LMG, MG Union, Mutaris Caution (mutualistes), MMP, INPR, CMAV, CAPREVAL (paritaires) ;

 

  • Droits de vote définis en fonction de la contribution au fonds d’établissement de la SGAM (5M€) : MMM (10%), La Mutuelle Générale (22.5%), MG Union (0.4%), Mutaris Caution (0.1%), MMP (59%), INPR (5%), CMAV (2%), CAPREVAL (1%) ;

 

  • Décisions adoptées à la majorité simple en nombre et en voix, sauf pour une liste restreinte de décisions relevant de l’Assemblée générale extraordinaire : 4/5 en nombre et en voix.

 

Cette gouvernance tripartite fait suite à de nombreuses réflexions entres les différents acteurs paritaires et mutualistes. La mise en place d’un droit de véto, que dispose chaque collège (employeur, salarié et mutualiste) sur les décisions importantes, s’est imposée pour des décisions importantes, comme l’entrée d’un nouveau membre par exemple. Il est également utilisé si un « ressenti » dans des choix d’orientation stratégiques viennent égratigner des valeurs institutionnelles ou mutualistes.

 

Figure 4 – Cartographie juridique du groupe paritaire et mutualiste

 

Ces diverses informations relatent des forts enjeux de la gouvernance, du partage des pouvoirs, des défenses d’intérêts des divers acteurs en présence. Tout cela donne des idées sur la complexité des partenariats et le rôle central des hommes dans cette nouvelle structure, et bien entendu avant même la naissance de celle-ci, c’est-à-dire dans la désignation des décideurs. Dans la SGAM AG2R-La Mondiale par exemple, les rênes sont aux seules mains d’André Renaudin. Serait-il possible d’imaginer par exemple que Patrick Sagon laisserait toute la direction au DG de MM ? En effet, dans les schémas de gouvernance ci-dessus, Guillaume Sarkozy (de son temps) est déjà donné gagnant : « Sur le papier, la constitution d’une SGAM offre aux représentants mutualistes une meilleure représentation que l’adhésion à une association sommitale, le cas de figure le plus fréquent dans les groupes de protection sociale (GPS), qui n’accorde qu’une voix consultative aux mutualistes »[207]. Désormais, à la différence de la SGAM AG2R-La Mondiale, la nouvelle structure concerne un poids lourd de la mutualité (troisième mutuelle santé française) et non pas de nombreuses petites mutuelles. La décision humaine tient donc un rôle central dans le processus de ce rapprochement étudié.

 

B – L’homme au centre de l’échec

 

Les premiers signes significatifs ayant conduit à cet échec semble être le départ de Guillaume Sarkozy qui quittait son poste vers la fin de l’année 2015. Beaucoup voit dans cet évènement des tensions qui bouleversent le rapprochement LMG-MM qui auraient conduit les partenaires sociaux à vouloir se séparer de leur délégué général. De fait, « la question de la stratégie informatique aurait donné lieu récemment à un « clash » avec les représentants de la mutuelle, qui reprocheraient plus largement au délégué général son attitude lors des discussions »[208]. De temps en temps, celui qui a dirigé MM depuis 2008, et qui est considéré comme l’un des initiateurs du projet de rapprochement avec LMG, serait un obstacle même à ce dernier. Les partenaires sociaux auraient pensé qu’il n’est plus « l’homme de la situation » pour accompagner jusqu’à son terme ce rapprochement en cours. Il a même perdu le soutien du représentant employeur (du côté MEDEF), Bernard Lemée, qui l’avait toujours défendu jusqu’alors (même lors de l’échec du rapprochement avec CNP Assurances, 2012). Cette « méfiance » (une notion évoquée comme constituant un frein majeur au rapprochement selon les experts interrogés), voire « défiance », des partenaires sociaux vis-à-vis d’un de leurs dirigeants serait alors un facteur majeur de l’échec en question.

 

Un tract émanant du CFTC datant du 18 décembre 2015, intitulé « Non à la fusion avec La Mutuelle Générale » donne déjà des idées sur les opinions des partenaires sociaux envers ce rapprochement. Comme arguments de ce refus au rapprochement, le tract cite : « sérieuses incertitudes économiques qui pèsent sur l’avenir de La Mutuelle Générale (…) attitude arrogante de dirigeants de La Mutuelle Générale dans les phases d’approche et à l’appropriation « politique » de postes clés (…) combinaison d’intérêts corporatistes dont on découvre jours après jours qu’elles ont conduit à brader des fonctions régaliennes (informatique, RH, gestion, finance, …) du groupe et des intérêts des salariés »[209].

 

Du côté de la MEDEF, Bernard Lemée a annoncé l’opposition du patronat au nouveau protocole dument négocié dans le cadre du rapprochement. Les cinq organisations syndicales du conseil ont même exprimé leur « incompréhension » à la suite de la rupture annoncée officiellement en mai 2016 : « Nous sommes désormais proches d’un accord avec le projet avenant N°2 élaboré par le groupe Massena et validé par Patrick Sagon à l’exception de la politique commerciale […] les organisations syndicales […] croient toujours au rapprochement, à ses conditions de réussite élaborées en commun et demandent que les discussions et négociations avec LMG se poursuivent »[210].

 

Yann Charron a reconnu les forts enjeux de la position subjective dans la négociation exclusive entre LMG et LM : « Il est vrai que dans les opérations de rapprochement, la question des femmes et des hommes est essentielle. Nous nous trouvions dans une situation de blocage »[211]. Il n’y aurait même pas de vote sur le sujet lors du Conseil d’administration de MM ayant tranché sur cette rupture, du moins, il n’y aurait pas de l’unanimité quant à cette décision d’abandonner le rapprochement. Cette contestation du MEDEF pourrait être due à une crainte de perdre le contrôle du groupe car le patronat n’aurait plus que le tiers des sièges dans la SGAM à construire (comme pour LMG et les organisations syndicales). Il est possible aussi que ce manque d’envie du MEDEF vienne d’une perte de confiance manifeste vis-à-vis des dirigeants mutualistes qui auparavant obtenaient de Guillaume Sarkozy d’importants leviers de commande dans la SGAM (Patrick Sagon conserverait beaucoup de pouvoirs dans l’ensemble de la structure mutualiste), puis acceptaient un poste de président non-exécutif dans le nouveau protocole préparé par Massena.

 

En somme, les véritables blocages du rapprochement sont « les hommes », leurs « égos »

 

C – Discussion et conclusion : quels ont été les rôles des valeurs dans tout cela ?

 

Il faut alors reconnaitre que le regroupement des acteurs de l’économie sociale est quelque peu « imparable » pour survivre dans un environnement devenant de plus en plus exigeant, surtout en matière réglementaire et (conséquemment) économique. Ce serait « indispensable » dans un contexte qui combine « l’ANI et la rénovation des contrats solidaires et responsables », ce serait « nécessaire » dans un climat contraignant « où la normalisation de la complémentaire santé s’accélère bien vite »[212]. En d’autres termes, c’est du moins la meilleure option, mais dans cette voie, le rapprochement d’un mutualiste avec un paritaire reste un choix qui, à côté des raisons objectives qui animent les décideurs, est assorti de subjectivité : c’est aussi un choix politique.

 

La vraie question n’est alors pas pour les mutuelles de se demander s’il est possible de se passer du regroupement pour protéger leurs valeurs fondatrices, mais plutôt de savoir la capacité de résilience de ces mouvements mutualistes en termes de préservation de ces valeurs devant les contraintes que présente le regroupement. Cela voudrait-il dire que ces valeurs sont appelées à évoluer avec la situation comme certains le font entendre ? Bien évidemment, cette question mérite des réponses au cas par cas puisque les différentes valeurs fondatrices des mutuelles ne subissent pas les mêmes influences de par leur nature et leur intensité.

 

Concernant la « démocratie », il apparait que cette valeur reste quasiment intacte, surtout à propos de l’égalité de droit lorsqu’il s’agit du respect du principe « un homme, une voix » au sein des composantes mutualistes (UGM, par exemple) d’une structure de rapprochement telle que la SGAM. Néanmoins, les enjeux du partage de pouvoirs dans la haute hiérarchie suggère que les égos des décideurs (d’en haut) tendent à nuancer l’intensité de cette valeur par rapport à l’idéal identifié à l’origine, ce qui suppose que la « démocratie » est toujours moyennement affirmée chez les mutualistes. C’est à peu près la même chose pour la valeur « indépendance » (en interne, entre les sociétés mutualistes composant l’UGM, mais aussi vis-à-vis des autres mouvements partenaires dans le rapprochement). Cependant, les organismes mutualistes ne font pas toujours le choix d’opter pour de telle association, car nombreux sont ceux qui se sont livrés à créer par exemple des sociétés capitalistes pour satisfaire les exigences en matière de fonds propres : celles-ci sont désormais encadrées par une convention actionnariale (à l’exemple de MUTEX).

 

Quant à la valeur « liberté » (c’est-à-dire une adhésion et démission volontaire), il faut considérer les « débauches concurrentielles » pratiquées par certaines mutuelles qui les font éloigner de cette valeur (cf. Partie 1 –Chapitre 2 –Section 1 –C – La concurrence remettant en cause les valeurs fondatrices de la mutualité). Mais, il y a lieu de nuancer ce fait car il apparait que ces dérives sont souvent les œuvres d’un nombre limité d’organismes, d’autant plus que l’appartenance fédérale de ces derniers reste encore à préciser[213]. Par ailleurs, l’augmentation de l’intensité de la concurrence dans les secteurs des mutualistes laisse croire que cette valeur est toujours maintenue à un degré relativement élevé. En effet, il est attendu que la compétition frontale avec les assureurs va encore accroitre le pouvoir de négociation des adhérents.

 

En outre, il y a lieu de mettre au premier plan un certain retour progressif vers l’Homo œconomicus du fait de l’intensification et l’extensification de la concurrence dans le secteur des mutualistes (c’est-à-dire un regain d’intérêt non seulement des membres mais également des organismes eux-mêmes sur l’aspect économique au détriment parfois du social). Nombreux sont les experts qui mentionnent que le rapprochement des mutualistes avec des paritaires est un facteur de renforcement de leur valeur commune qu’est la « non-lucrativité ». Mais, est-ce suffisant pour préserver cette valeur au regard d’autres alliances des mutualistes qui se rapprochent plutôt des structures capitalistes (les assureurs), faisant ainsi étendre le champ de la lucrativité ? L’avenir est encore difficile à prédire même dans le contexte de concurrence accrue car cela dépend aussi de la stabilité des règles de droit qui régissent cette concurrence.

 

On se demande aussi sur l’influence de « l’égo » et la tendance constatée à « l’individualisme » sur la notion de « solidarité » au sens mutualiste du terme. Il convient de préciser que cet individualisme est surtout présent chez les paritaires, mais cela risque de se répandre rapidement notamment dans des cas de rapprochement de ces mouvements sociaux avec les mutualistes. D’abord : est-ce que l’égoïsme est véritablement contraire à cette notion de solidarité ? Le philosophe André Comte-Sponville répond sans ambiguïté à cette question : « la solidarité n’est pas le contraire de l’égoïsme ; le contraire de l’égoïsme, c’est la générosité (l’altruisme ?). La solidarité est la régulation socialement efficace de l’égoïsme. Il s’agit d’être égoïstes ensemble et intelligemment plutôt que bêtement et les uns contre les autres »[214]. Dans un sens, « l’égo » pourrait même renforcer cette solidarité mutualiste lorsque les acteurs de la mutualité cherche davantage leurs propres intérêts sans trop se soucier ceux des autres en dehors de leurs organisations respectives. Cela ne veut pourtant pas insinuer que la tendance au rapprochement désolidarise les mutuelles ; le contraire est même constaté lors des négociations exclusives de LMG avec MM. Les comportements pouvant être qualifiés « d’individualistes » des dirigeants (aussi bien de LMG que de MM) les ont conduisent à se concentrer davantage sur les intérêts de leurs organismes respectifs. Cela a en quelque sorte constitué le principal frein du rapprochement en question, mais cela peut être considéré comme une manifestation extrême de la défense des intérêts propres des hommes, de leurs égos ; ce qui les amènes incontestablement à privilégier les situations qui avantagent le mieux les entités qui leur procure les plus de bien, c’est-à-dire les organisations auxquelles ils appartiennent respectivement. En d’autres termes, les comportements égoïstes n’est pas incompatibles avec la valeur « solidarité » au sens des mutualistes. L’opposition faite entre « solidarité » et « altruisme » comme formes de fraternité (et non pas dans tous les sens des termes) renforce aussi cette idée quand on privilégie l’opinion selon laquelle « l’altruisme » est une antinomie de « l’égoïsme ».

 

En conclusion, il est faux de dire que le rapprochement des mutualistes avec les paritaires n’a aucun impact sur les valeurs fondatrices de ces mouvements sociaux (cf. Tableau 4 – Intensités de l’affirmation des valeurs mutualistes : proposition pour la période post-2008). Vraisemblablement, le résultat final en termes d’intensité d’affirmation de ces valeurs n’a pratiquement pas changé du côté des mutuelles à la suite d’un tel rapprochement. Mais, au niveau qualitatif, c’est-à-dire des composantes essentielles de ces valeurs, on peut dire que le temps a fait son travail pour les faire évoluer (comme cela l’analyse des principales valeurs réalisée ci-dessus l’a montrée). Néanmoins, dans le fond du sujet, il est encore difficile à ce niveau de l’étude de véritablement affirmer ces dires car le regroupement des mouvements sociaux n’est pas le seul facteur qui agit pour la transformation éventuelle de ces valeurs ; il est presque impossible d’isoler les impacts dus au regroupement du fait de la forte interaction de celui-ci avec les autres facteurs qui font évoluer le secteur mutualiste (Solvabilité 2, ANI, entre autres).

 

Tableau 4 – Intensités de l’affirmation des valeurs mutualistes : proposition pour la période post-2008

    Le Pré-mutualis­me (jusqu’au XVIIIème siècle) L’héritage des Lumières (XVIIIème siècle) La Mutualité rebelle (1789-1852) La Mutualité encadrée (1852-1870) La Mutualité triomphante (1970-1914) La Mutualité Institution­nelle (1914-1955) La Mutualité face aux défis modernes (1955-2008) La Mutualité dans le regroupement (à partir de 2008)
Démocratie Effectivité Forte Forte Faible Forte Moyenne Moyenne Moyenne
Indépen­dance Effectivité Très forte Très forte Très forte Faible Forte Moyenne Moyenne Moyenne
Liberté Effectivité Faible Très forte Très forte Faible Très forte Très forte Très forte Très forte
Solidarité Effectivité Faible Forte Forte Faible Très forte Forte Forte Forte
Non-lucrativité Effectivité Forte Très forte Forte Forte Forte Forte / localement remise en cause Forte (mais pour combien de temps ?)

 

 

Conclusion

 

Les concepts du syndicalisme et de la mutualité représentent des acteurs fondamentaux dans la protection sociale conçus par et pour les hommes. Certes, ils présentent toujours une histoire et des origines distinctes, mais leurs fondements communs et le facteur économique ne font que les rapprocher. Le paritarisme et la mutualité se révèlent en prise avec une crise identitaire. La rencontre permanente du social et du facteur économique traduit les difficultés que relèvent la mutualité et cette forme de dialogue social qui est le paritarisme pour se situer dans notre société d’aujourd’hui. L’avenir de ces deux mouvements doit être synonyme de changements et d’adaptation dans une société très évolutive.

 

La gestion paritaire, issue de l’histoire des institutions de prévoyance et le concept de gestion autour des valeurs mutualistes, démontrent que ce sont des femmes et des hommes présents dans la gouvernance de ces entités qui possèdent les leviers d’orientation liés aux évolutions de la réglementation Européenne. La construction de l’Europe et l’arrivée du facteur économique agitent fortement ces deux mondes de la protection sociale. Les exigences de solvabilité, la quête pour rassembler des fonds propres et les économies d’échelle incitent profondément les mutuelles et les GPS à se rassembler. Des outils juridiques, adaptés aux modifications des normes Européenne, permettent ainsi aux mutuelles et aux GPS d’évoluer dans le monde concurrentiel d’aujourd’hui. Ces mouvements de concentration des mutuelles vers les GPS permettent de constituer des grands groupes et de soutenir une énergie partisane autour de l’économiquement puissant, socialement généreux et surtout du non lucratif. La SGAM ouvre la possibilité d’une collaboration adéquate entre les mutualistes et les paritaires. Ce modèle permet un astucieux échange à la fois ascendant par les affiliés tenant l’assemblée générale de la SGAM et descendant à travers son pouvoir de contrôle. Elle définit les règles de vie commune par l’écriture de standards applicatifs comme les conventions d’affiliation et de gouvernance. Ainsi dessinés, un certain nombre de principes mutualistes peuvent être remis en cause comme l’accueil dans la SGAM d’entités à capital social ou la gouvernance démocratique mais la valeur essentielle au concept mutualiste qui est la non- lucrativité est respectée. Le monde mutualiste, voit dans ce modèle de collaboration une solution où ses valeurs fondatrices pourraient perdurer tout en garantissant une efficacité économique. Le mélange du sociétariat et de l’actionnariat va obligatoirement s’accroitre avec les évolutions des normes de solvabilité 2 et la concurrence issue de l’ANI de 2013.

 

Nous allons assister de plus en plus à des rapprochements qui permettront de faire évoluer voir remettre en cause des formes institutionnelles qui n’ont pas évolué avec leur temps ou peut être à temps. Le paritarisme peut ainsi véhiculer dans cette structure son image de gestion partagée et collaborative. Mêmes si tous les acteurs rencontrés qu’ils soient paritaires ou mutualistes s’entendent à valoriser ce modèle, chacun avec franchise et détermination ont montré une attache forte mais pour certain résignée sur les valeurs du paritarisme et du mutualisme. A l’heure de l’amélioration de l’efficience du système de santé, de grands débats de fond peuvent se poser sur ces rapprochements. Même si grossir n’est pas grandir, ces énormes structures vont aller vers des dimensions européennes voir mondiale. A la lecture des préconisations idéologiques des acteurs de la protection sociale, les mutations sont en pleins déploiements. A l’heure d’internet, des réseaux sociaux et de l’exploitation des informations stratégiques qui en ressortent, la mutualité et les GPS devront s’adapter à ces changements car demain d’autres acteurs comme Amazon, Apple, Google apparaitront dans cette sphère de la protection sociale et feront oublier, pour des raisons économiques et d’évolutions sociétales, ces deux grands concepts que sont le paritarisme et la mutualité.

 

L’égo et l’individualisme ont certainement été les facteurs majeurs de l’échec du rapprochement LMG-MM. Mais, il semble que ces éléments n’ont pas véritablement modifié de manière significative les valeurs mutualistes. Dans un sens, les égos des hommes ont même permis de plus fort engagement des adhérents à défendre davantage les intérêts des organismes auxquels ils appartiennent. Il faut reconnaitre la difficulté d’isoler les impacts du rapprochement par rapport à d’autres facteurs qui agissent ensemble sur les valeurs fondatrices des mouvements sociaux. Il apparait que c’est surtout l’interaction de nombreux facteurs qui fait évoluer le contexte, contraignant en quelque sorte les mutuelles à recourir à des pratiques susceptibles d’égratigner leurs valeurs d’origine.

 

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Résumé

 

Notre ambition par cette étude est de rappeler que le syndicalisme et la mutualité, à travers leurs évolutions culturelles, incarnent dans la sphère sociale et depuis leur origine des valeurs fondatrices autour et pour la protection de l’homme. L’arrivée de la construction Européenne, de sa réglementation comme Solvabilité 2 et le dernier accord national interprofessionnel (ANI) de 2013 recomposent le marché des mutuelles. Ces contraintes, projettent au devant de la scène et face de ces valeurs, un nouvel acteur : Le facteur économique. Ce mémoire retrace le positionnement pris par les mutuelles afin de s’adapter à ces évolutions réglementaires et met en avant les outils et stratégies déployées pour ainsi subsister et se développer dans ce nouveau marché assuranciel. Nous mettons en exergue dans ces stratégies, le rapprochement des mutuelles dans les groupes de protection sociale (GPS), qui présente une solution intéressante pour garantir à ces deux acteurs le respect de leurs valeurs d’origine. Il s’effectue par la participation de tous les acteurs mutualistes et paritaires à l’intérieur d’une société de groupe d’assurance mutuelle (SGAM) comme le cas du rapprochement en cours de La Mutuelle Générale avec Malakoff Médéric.

 

Abstract

 

Our aim with this study is to remind that syndicalism and mutuality through their cultural evolutions incarnate in the social sphere and since their origin, the founder values around and for the human’s protection. The arrival of the European construction, its rules such as « Solvency 2 » and the last national interprofesional agreement (ANI) of 2013 reset the complementary health insurance market. Those constraint, project a new player in the spotlights and face to those values: the Economic factor. This thesis traces the positions taken by the mutual insurance companies to adapt to those regulation changes.  It shows the strategic tools used to subsist and to develop itself in this new insurance market. We highlight there the reconciliations between complementary insurance companies and the social protection groups, which bring an interesting solution to guarantee to those two players the respect of their original values. It is done by the participation of all the mutual and joint stakeholders on within a mutual group insurance society (SGAM), such as the ongoing reconciliation between La Mutuelle Generale and Malakoff Médéric.

 

Mots clés : ANI, économies d’échelle, groupe de protection sociale, hommes, mutualité, paritarisme, protection, SGAM, rapprochement, solvabilité 2, valeurs.

 

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[13]  Couret, 2007, Op.Cit., p.41.

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[17] La direction des sociétés de secours mutuels devait inclure des membres dits « bienfaiteurs » qui versaient des cotisations sans contreparties, dont la plupart étaient des notables ; par contre, les sociétaires n’avaient pas accès aux responsabilités (Dreyfus, 2005).

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[31] Couret, A. (2007). Op.cit., p.52.

[32] Articles L112-1 à L112-4 du Code de la mutualité, Chapitre II : Principes mutualistes.

[33] Delvienne, A. (2002). Op.Cit., p.24.

[34] Delalande, N. (2008, janvier 30). Le solidarisme de Léon Bourgeois, un socialisme libéral ? Récupéré sur La vie des idées: http://www.laviedesidees.fr/Le-solidarisme-de-Leon-Bourgeois.html.

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[37] Ibid.

[38] Ibid.

[39] Ibid., p.4.

[40] Terestchenko, M. (2004). Op.Cit., p.314.

[41] Ibid., p.333.

[42] Des études appuieraient même l’idée que l’altruisme est bien plus le propre de l’homme que l’égoïsme : menées par l’Université de Kansas, de Madison, de Virginie. Ensemble(s). (2013, novembre/décembre). Etre altruiste est bon pour la santé. Ensemble(s). Le magazine de Ma Nouvelle Mutuelle, p. 14.

[43] Terestchenko, M. (2004). Op.Cit., p.313.

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[47] Perret, C. (2016). Op.Cit.

[48] Delvienne, A. (2002). Op.Cit., p.25.

[49] Brassier, E. (1995, avril). La mutualité française. après—demain(173), p.7.

[50] Delvienne, A. (2002). Op.Cit.

[51] Ibid.

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[57] Arnaud, S. (2011). Op.Cit., p.4.

[58] Ibid., p.13.

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[60] Ibid.

[61] Dans la théorie des droits de propriété, par exemple, Alchian & Demsetz (1972), cités par Arnaud (2011).

[62] Lehmann, K. C. (2008). Op.Cit.

[63] Arnaud, S. (2011). Op.Cit., p.8.

[64] Alchian & Demsetz (1972), cités par Arnaud (2011).

[65] Arnaud, S. (2011). Op.Cit., p.8.

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[67] Cozic, M. (2008). La rationalité limitée. Centre pour la communication scientifique directe. Récupéré sur hdl:10670/1.3umpie, p.1.

[68] D’où l’émergence de théorèmes tels que l’équivalence Ricardienne (Robert Barro, 1974), le Rotten kid (Gary Becker, 1974), etc.

[69] Perret, C. (2016). Op.Cit., p.7.

[70] Bollier, D. (2014). La Renaissance des communs. Pour une société de coopération et de partage. Editions Charles Léopold Mayer.

[71] Perret, C. (2016). Op.Cit., pp.6-7.

[72] Arnaud, S. (2011). Op.Cit., p.3

[73] Ibid.

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[77] Landier, H. (2003). Op.Cit.

[78] Bode, I. (1997). Op.Cit., p.261.

[79] Rosanvallon, P. (1999). Op.Cit., p.35.

[80] Delvienne, A. (2002). Op.Cit., p.42.

[81] Rosanvallon, P. (1999). Op.Cit.

[82] Mauroy, H. (1996). La mutualité en mutation, la politique solidariste en question. Paris: L’Harmattan.

[83] Ibid.

[84] Toucas-Truyen, P. (2001). Op.Cit., p.181.

[85] Delvienne, A. (2002). Op.Cit., p.51.

[86] Ibid., p.52.

[87] Directive « non-vie » n°92.49 CEE du 18 juin 1992, JOCE n°L228 du 11 août 1992, pp.0001-0023, et Directive « vie » n°92.96 CEE du 10 novembre 1992, JOCE n°l360 du 9 décembre 1992, pp.0001-0027.

[88] Delvienne, A. (2002). Op.Cit., p.46.

[89] Charvin, R., & Antipolis, S. (1996). Le mouvement mutualiste français face aux directives « assurances » européennes. Droit ouvrier, p.357.

[90] Planchet, F., & Winter, J. (2006). Les provisions techniques des contrats de prévoyance collective – détermination et pilotage. Paris: Économica.

[91] Charvin, R., & Antipolis, S. (1996). Op.Cit.

[92] Delvienne, A. (2002). Op.Cit., p.51.

[93] Azema, J. (2002). Le statut mutualiste est il un frein à la croissance ? : interview. (A. d. financière, Éd.) Revue d’économie financière, 67(3), 239-247. doi:10.3406/ecofi.2002.3585.

[94] Directive 2002/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 novembre 2002 concernant l’assurance directe sur la vie.

[95] Commission Européenne, communiqué de presse du 26 janvier 201-Référencé IP/11/69.

[96] Rapport annuel 2012 de la fédération Française des sociétés d’assurance.

[97] Décret n°2007-1373 du 19 septembre 2007 relatif à la participation de l’Etat et de ses établissements publics au financement de la protection sociale complémentaire de leurs personnels.

[98] Mathouillet, P. (2015, avril). Solvabilité II : Logique économique et modèles internes. Récupéré sur Fédération Française des Sociétés d’assurances: https://www.ffsa.fr/webffsa/risques.nsf/html/Risques_066_0019.htm/%24file/Risques_066_0019.htm.

[99] Viel, L. (2015, juin 25). Dossier groupes de protection sociale : le paritarisme est-il soluble dans Solvabilité 2 ? Récupéré sur Argus de l’Assurance: http://www.argusdelassurance.com/solva-2/dossier-groupes-de-protection-sociale-le-paritarisme-est-il-soluble-dans-solvabilite-2.95064.

[100] ACP. (2011). Analyses et synthèses, Principaux enseignements de la 5ème étude quantitative d’impact (QIS5). Autorité de Contrôle Prudentiel (ACP). Récupéré sur https://acpr.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/acp/publications/documents/201103-ACP-solvabilite-2-enseignements-de-QIS5.pdf.

[101] Lavignette, F. (2010, avril 14). Solvabilité 2 : la riposte. Récupéré sur La Mutualité française, revue de presse: https://www.mutualite.fr/actualites/Solvabilite-2-la-riposte.

[102] AG2R La Mondiale. (2014). AG2R La Mondiale : Des résultats solides en 2013, un avenir qui se dessine. Communiqué de Presse du 17 avril 2014. AG2R La Mondiale. Récupéré sur http://www.ag2rlamondiale.fr/files-ig/sousHomeGroupe/actualite/RESULTATS-2013-CP.pdf.

[103] SIA. (2010, juillet). Solvency II, danger ou opportunité pour les instituts de prévoyance et les mutuelles ? Récupéré sur SIA Partners: http://finance.sia-partners.com/20100727/solvency-ii-danger-ou-opportunite-pour-les-instituts-de-prevoyance-et-les-mutuelles-2.

[104] Interview de Jean-Claude Barboul, Secrétaire général de la CFDT Cadres,  Président de l’association sommitale AG2R La mondiale Réunica et du GIE AGIRC-ARRCO ; entretien réalisé dans le cadre de la présente étude (cf. Annexe).

[105] Interview de Bernard Daeschler réalisé dans le cadre de la présente étude (cf. Annexe).

[106] Site internet de l’Agirc-Arrco, Juin 2015.

[107] Jean-Claude Barboul lors de son interview, dans le cadre de la présente étude (cf. Annexe).

[108] Patrick Poizat, Secrétaire confédéral CFTC à la protection sociale : entretien dans le cadre de la présente étude (cf. Annexe).

[109] Chevrier, C. (2015, avril 28). Protection sociale : faut-il avoir peur du regroupement des mutuelles ? Récupéré sur La gazette.fr: http://www.lagazettedescommunes.com/354055/protection-sociale-faut-il-avoir-peur-du-regroupement-des-mutuelles.

[110] Viamedis est une société de gestion du tiers payant, de la régulation et de la gestion des flux santé.

[111] Site internet de Viamédis Santé, Organismes complémentaires : état des lieux, rapport de la Drees, 24

juin 2015.

[112] Jean-Claude Barboul lors de son interview dans le cadre de la présente étude (cf. Annexe).

[113] Ibid.

[114] Site internet de Mutex, Gestion financière de Mutex, consulté le 10 juillet 2015.

[115] Plassart, P. (2015, septembre 15). Un ‘Uber’ peut très bien émerger dans la santé du jour au lendemain. Je suis obnubilé par ce risque. Récupéré sur Le nouvel économiste: https://www.lenouveleconomiste.fr/guillaume-sarkozy-malakoff-mederic-un-uber-peut-tres-bien-emerger-dans-la-sante-du-jour-au-lendemain-je-suis-obnubile-par-ce-risque-27998.

[116] Ferreira, P. (2015, février 2). Les réseaux de soins se développent au bénéfice des patients. Récupéré sur La Mutualité Française: http://www.mutualite.fr/actualites/les-reseaux-de-soins-se-developpent-au-benefice-des-patients.

[117] Ibid.

[118] Bizard, F. (2012, novembre 28). Le poison inégalitaire et liberticide des réseaux de soins conventionnés. Récupéré sur Le Huffington Post: http://www.huffingtonpost.fr/frederic-bizard/reseaux-de-soins-conventionnes_b_2204867.html.

[119] Ibid.

[120] Ibid.

[121] Jean-Claude Barboul lors de son interview dans le cadre de la présente étude.

[122] Viel, L. (2015, juin 25). Op.Cit.

[123] Lelièvre, P. (2014, janvier 16). Nouveau départ pour le statut de mutuelle européenne. Récupéré sur La Mutualité Française: https://www.mutualite.fr/actualites/Nouveau-depart-pour-le-statut-de-mutuelle-europeenne.

[124] Ibid.

[125] Harmonie Mutuelle. (2014). Renforcer la notoriété et la capacité d’influence d’Harmonie Mutuelle. Rapport Annuel 2014. Récupéré sur Harmonie Mutuelle: https://www.harmonie-mutuelle.fr/web/harmonie-mutuelle/renforcer-la-notoriete-et-la-capacite-influence-harmonie-mutuelle.

[126] Guillaume Sarkozy, lors de son interview dans le cadre de la présente étude (cf., Annexe).

[127] Jean-Claude Barboul, lors de son interview dans le cadre de la présente étude (cf. Annexe).

[128] Guillaume Sarkozy, Op.cit.

[129] « Le mot du Président », Sur le site internet de l’ADPM, lien : http://www.adpm-mutuelle.com/siteadpm/index.php?option=com_content&view=article&id=111&Itemid=112.

[130] Viel, L. (2015, juin 25). Op.Cit.

[131] Pascual, S. (2012, avril). L’égo, frein majeur à l’intelligence collaborative. Récupéré sur ithaquecoaching: http://www.ithaquecoaching.com/articles/ego-intelligence-collaborative-3489.html.

[132] Jean-Claude Barboul, Patrick Poizat et Pierre Roger lors de leur interview, dans le cadre de la présente étude.

[133] Philippe Phihet, lors de son interview, dans le cadre de la présente étude (cf. Annexe).

[134] Thouet, N. (2013, octobre 11). Merci l’ANI. Récupéré sur L’argus de l’assurance: https://www.argusdelassurance.com/acteurs/merci-l-ani.65788.

[135] Conseil en actuariat pour les organismes d’assurance.

[136] Angelini, D. (2013, septembre 23). Mutuelles 45 : les restructurations s’accélèrent. Récupéré sur Institut des actuaires: http://www.institutdesactuaires.com/gene/main.php?base=081&revue=67&article=631.

[137] Vogel, M. (2013, juin 4). Les mutuelles doivent-elles nécessairement aller vers la diversification métier ? Récupéré sur News assurances: https://www.newsassurancespro.com/artdossiers/dossier-les-mutuelles-doivent-elles-necessairement-aller-vers-la-diversification-metier/0169271585.

[138] Ibid.

[139] Conseil Constitutionnel, Loi relative à la sécurisation de l’emploi, Décision n° 2013-672 DC du 13 juin

2013.

[140] Thouet, N. (2013, octobre 11). Op.Cit.

[141] Limoge, F. (2015, juin 19). La Mutualité française sens dessus dessous. Récupéré sur L’argus de l’assurance: https://www.argusdelassurance.com/acteurs/mutuelles-la-valse-des-rapprochements-et-divorces-continue.95016.

[142] Saint-Jours, Y. (1990). Traité de sécurité sociale Tome V, La mutualité : histoire, droit, sociologie. Paris: LGDJ.

[143] Sollier, S. (2012, août 30). Quel avenir pour les mutuelles santé ? Récupéré sur La Tribune: https://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/industrie-financiere/20120829trib000716791/quel-avenir-pour-les-mutuelles-sante-.html.

[144] Vogel, M. (2013, juin 4). Op.Cit.

[145] Viel, L. (2015, juin 25). Op.Cit.

[146] Vogel, M. (2013, juin 4). Op.Cit.

[147] Ibid.

[148] Defalvard, H., L’Horty, Y., Legendre, F., & Narcy, M. (2013). Les nouvelles frontières de l’économie sociale et solidaire : XXIII journées de l’Association d’économie sociale (éd. Première édition). Louvain: Presses universitaires de Louvain.

[149] Code de la mutualité, Livre I : Règles générales applicables à l’ensemble des mutuelles, Chapitre 1er :

Objet des mutuelles, unions et fédérations.

[150] Viel, L. (2015, juin 25). Op.Cit.

[151] Vogel, M. (2013, juin 4). Op.Cit.

[152] Goubi, T. (2013, septembre 19). Qu’est-ce que la réassurance. Récupéré sur News assurances: https://news-assurances.com/fiche-pratique/autres-assurances/quest-ce-reassurance/016779348.

[153] Viel, L. (2015, avril 8). Solvabilité 2 : le CTip satisfait de l’ordonnance de transposition. Récupéré sur L’argus de l’assurance: https://www.argusdelassurance.com/institutions/solvabilite-2-le-ctip-satisfait-de-l-ordonnance-de-transposition.92041.

[154] Ibid.

[155] Delvienne, A. (2002). Op.Cit.

[156] Viel, L. (2011, juin 30). Feu vert à Mutex SA. Récupéré sur L’argus de l’assurance: https://www.argusdelassurance.com/institutions/feu-vert-a-mutex-sa.50610.

[157] Adrea mutuelle, Apréva, Chorum, Eovi-MCD, Harmonie et Ociane.

[158] Viel, L. (2012, octobre 5). Paritaires et mutualistes : Des forces d’attraction. Récupéré sur L’argus de l’assurance: http://www.argusdelassurance.com/acteurs/mutuelles-de-sante-ip/paritaires-et-mutualistes-des-forces-d-attraction.58823.

[159] Ibid.

[160] Rapport annuel AS2M 2014 Malakoff Médéric.

[161] Viel, L. (2012, octobre 5). Op.Cit.

[162] Interview dans le cadre de la présente étude (cf. Annexe).

[163] Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.

[164] Bressange, S. (2015). Protection sociale. La mutuelle Générale ambitionne de devenir un acteur majeur dans l’assurance de personnes. La Jaune et la Rouge, pp. 42-43.

[165] LMG; MM. (2015). Communiqué de Presse du 15 décembre 2015. LMG – MM.

[166] MM. (2014). Malakoff Médéric entre en négociations exclusives avec La Mutuelle Générale. Communiqué de Presse du 3 septembre 2014. Paris: Malakoff Médéric.

[167] MM. (2015). Communiqué de presse du 15 décembre 2015. Paris: Malakoff Médéric.

[168] Dans le protocole de rapprochement, les chiffres pris en compte sont relatifs à la clôture de l’exercice de 2013 : 1.08 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour LMG et 3.5 milliards d’euros pour MM.

[169] Bruno Lasserre. (2015). Décision n° 15-DCC-16 du 25 février 2015 relative à la création d’une Société de Groupe d’Assurance Mutuelle (« SGAM ») par le Groupe La Mutuelle Générale et le Groupe Malakoff Médéric. Paris: Autorité de la Concurrence.

[170] Ibid., pp. 1-2.

[171] Limoge, F. (2016, février 12). Malakoff Médéric et La Mutuelle générale : l’après Guillaume Sarkozy. Récupéré sur Argus de l’Assurance: http://www.argusdelassurance.com/acteurs/malakoff-mederic-et-la-mutuelle-generale-l-apres-guillaume-sarkozy.103638.

[172] Bruno Lasserre. (2015). Op.cit., p. 2.

[173] Viel, L. (2015, janvier 22). La Mutuelle Générale et Malakoff-Médéric créeront une Sgam. Récupéré sur Argus de l’Assurance: http://www.argusdelassurance.com/acteurs/la-mutuelle-generale-et-malakoff-mederic-creeront-une-sgam.88948.

[174] Bruno Lasserre. (2015). Op.cit., p.5.

[175] Ibid.

[176] MM. (2016). Malakoff Médéric renonce au projet initial de rapprochement avec La Mutuelle Générale. Communiqué de Presse du 10 mai 2016. Paris: Malakoff Médéric.

[177] Limoge, F. (2016, mai 10). Malakoff Médéric – La Mutuelle générale : Medef et CGT bloquent le rapprochement. Récupéré sur Argus de l’Assurance: http://www.argusdelassurance.com/acteurs/malakoff-mederic-la-mutuelle-generale-medef-et-cgt-bloquent-le-rapprochement.106875.

[178] Patrick Sagon in Thévenin, L. (2014, mars 19). La Mutuelle Générale prépare son rapprochement. Récupéré sur Les échos: http://www.lesechos.fr/19/03/2014/LesEchos/21650-121-ECH_la-mutuelle-generale-prepare-son-rapprochement.htm.

[179] Viel, L. (2013, juin 18). La Mutuelle générale en quête de partenaires. Récupéré sur Argus de l’Assurance: http://www.argusdelassurance.com/acteurs/la-mutuelle-generale-en-quete-de-partenaires.63158.

[180] Renaud, N., & Thévenin, L. (2014, septembre 4). Patrick Sagon : « Notre projet de rapprochement va bousculer le marché ». Récupéré sur Les Echox: http://www.lesechos.fr/04/09/2014/LesEchos/21764-122-ECH_patrick-sagon——notre-projet-de-rapprochement-va-bousculer-le-marche–.htm.

[181] Patrick Sagon in Thévenin, L. (2014, mars 19). Op.cit.

[182] Ibid.

[183] Viel, L. (2014, juillet 4). « Nous ne voulons pas rentrer dans la guerre des prix ». Interview de Guillaume Sarkozy, délégué général MM. Récupéré sur Argus de l’Assurance.

[184] Viel, L. (2014, septembre 3). Malakoff Médéric, futur partenaire de la Mutuelle Générale. Récupéré sur Argus de l’Assurance: http://www.argusdelassurance.com/acteurs/malakoff-mederic-futur-partenaire-de-la-mutuelle-generale.81797.

[185] Bressange, S. (2015). Protection sociale. La mutuelle Générale ambitionne de devenir un acteur majeur dans l’assurance de personnes. La Jaune et la Rouge, p. 42.

[186] Article R. 322-166 du Code des assurances.

[187] Chneiweiss, A., & Leblanc, R. (2009, juillet). Risques. Les cahiers de l’assurance.

[188] Jean-Claude Barboul lors de son interview.

[189] Roger, B. (2014, mai 2). Sferen-Maif, les raisons du divorce. Récupéré sur L’argus de l’assurance.

[190] Sébastien, A. (2014, décembre 24). La MAIF sort définitivement de Sferen. Récupéré sur L’argus de l’assurance.

[191] Entretiens avec François Chauveau et Jean- Claude Barboul

[192] Guillaume Sarkozy à l’AGE de Malakoff Médéric, 15 janvier 2015.

[193] Jean-Claude Barboul lors de son interview.

[194] Viel, L. (2012, octobre 5). Op.cit.

[195] Carlat, T. (2010, mai 27). Op.cit.

[196] Jean-Claude Barboul lors de son interview.

[197] Patrick Poizat lors de son interview.

[198] Philippe Pihet, lors de son interview.

[199] François Xavier Selleret lors de son interview.

[200] LMG; MM. (2015). Communiqué de Presse du 15 décembre 2015. Paris: La Mutuelle Générale – Malakoff Médéric.

[201] Guillaume Sarkozy, in Viel, L. (2014, juillet 4). Op.cit.

[202] Limoge, F. (2015, décembre 17). Pourquoi Guillaume Sarkozy a perdu la confiance des partenaires sociaux. Récupéré sur L’Argus de l’Assurance: http://www.argusdelassurance.com/acteurs/pourquoi-guillaume-sarkozy-a-perdu-la-confiance-des-partenaires-sociaux.101745.

[203] Limoge, F. (2016, février 12). Op.cit.

[204] Best, I. (2016, mars 16). « Nous voulons atteindre 15% de parts de marché en santé » (Y Charron, Malakoff Médéric). Récupéré sur La Tribune: http://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/assurance/nous-voulons-atteindre-15-de-parts-de-marche-en-sante-y-charron-malakoff-mederic-556696.html.

[205] Viel, L. (2015, février 2). Malakoff-Médéric, « La Mutuelle générale et La Banque postale partenaires sur la complémentaire santé d’entreprise ». Récupéré sur L’Argus de l’Assurance.

[206] Interview d’un acteur du rapprochement LMG-MM.

[207] Viel, L. (2014, septembre 19). Malakoff-Médéric et La Mutuelle générale : l’égalité, pas la parité. Récupéré sur L’Argus de l’Assurance: http://www.argusdelassurance.com/acteurs/malakoff-mederic-et-la-mutuelle-generale-l-egalite-pas-la-parite.82656.

[208] Limoge, F. (2015, novembre 29). Malakoff-Médéric : le départ de Guillaume Sarkozy. Récupéré sur L’Argus de l’Assurance: http://www.argusdelassurance.com/acteurs/malakoff-mederic-le-depart-de-guillaume-sarkozy.101121.

[209] CFTC. (2015). Non à la fusion avec La Mutuelle Générale. Déclaration au Comité Central du 18-12-2015. CFTC.

[210] Limoge, F. (2016, mai 11). Malakoff Médéric – La Mutuelle générale : une rupture controversée. Récupéré sur L’Argus de l’Assurance: http://www.argusdelassurance.com/acteurs/malakoff-mederic-la-mutuelle-generale-une-rupture-controversee.106929.

[211] Yann Charron in Best, I. (2016, mars 16). Op.cit.

[212] Bressange, S. (2015). Op.cit., p. 43.

[213] Delvienne, A. (2002). Op.cit., pp. 44-45.

[214] Comte-Sponville, A. (2010). La solidarité : outil pour l’intérêt général appliqué à la protection sociale. Groupes paritaires de protection sociale et mutualité : Vers une reconnaissance de leur mission d’intérêt général. Foliocollection – 8e colloque professionnel (pp. 13-18). Paris: IPSE, p. 15.

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