Quel est le comportement du consommateur, quand il découvre les applications commerciales du neuromarketing, contraires à sa morale, par les acteurs du secteur alimentaire ?
Thème : Le Neuromarketing
Problématique : Quel est le comportement du consommateur, quand il découvre les applications commerciales du neuromarketing, contraires à sa morale, par les acteurs du secteur alimentaire ?
Hypothèses :
En découvrant les pratiques du neuromarketing :
- Les consommateurs auront des freins à l’achat
- Les gens sont choqués, mais continuent à acheter le produit
- Les gens sont choqués et restent indécis ou cherchent des alternatives aux produits, etc.
Plan
Partie 1. Cadre général : le Neuromarketing
1.2.1 Les neurosciences et le marketing
1.3.2.1 Limites légales et morales
1.3.2.1.1 Législation contraignante
1.3.2.1.2 Risques liés aux recherches neurobiologiques
1.3.2.2 Neuromarketing : considéré comme atteinte à la moralité
Partie 2. Le neuromarketing et le marché français de l’alimentaire
2.2.2 Choix des moyens d’investigation
2.2.4 Echantillonnage et administration du questionnaire
2.2.5 Caractéristiques des enquêtés
2.3 La connaissance du neuromarketing par le public français
2.4 La prise de position du public français face aux débats concernant le neuromarketing
Partie 3. Analyse des résultats
3.1 Les différents types d’individus composant le public français vis-à-vis du neuromarketing
3.1.1 Les « connaisseurs relatifs »
3.1.1.1 Profils des « connaisseurs relatifs »
3.1.2 Les « faux connaisseurs relatifs »
3.1.2.1 Profils des « faux connaisseurs relatifs »
3.1.3 Les « non-connaisseurs relatifs »
3.1.3.1 Profils des « non-connaisseurs relatifs »
3.1.3.2 Réactions des « non-connaisseurs relatifs »
3.2 Récapitulation et recommandations
Introduction
L’engouement en matière de recherche dans le domaine du marketing explique, même en partie, les tendances sur le marché des produits alimentaires. En effet, la forte concurrence devenue de plus en plus frontale reflète la saturation du marché et chaque entreprise cherche tous les moyens pour étendre sa part de marché. Se cantonner dans les techniques marketings les plus traditionnelles n’apparait plus comme une stratégie optimale. Les exigences des consommateurs sont reprises par les entreprises et les opérateurs de la communication commerciale sont contraints de trouver des outils plus innovants et plus efficaces pour convaincre leurs clients (les annonceurs d’une part, et les consommateurs des produits de ces annonceurs d’une autre part). C’est dans ce contexte très bouleversé par la mondialisation qu’apparait le neuromarketing, comme solution pour ces acteurs.
Mais, au-delà des éventuelles efficacités annoncées pour le neuromarketing dans les publicités, il ne faut pas sous-estimer les risques que l’utilisation de celui-ci pourrait affecter les entreprises utilisatrices. Ces risques devraient probablement venir de l’opinion publique sur le sujet, cette dernière pourrait se baser sur des informations objectives mais aussi sur des croyances et des rumeurs. Jusqu’ici, aucune étude réalisée en France n’a été publiée sur les conséquences d’une éventuelle pratique du neuromarketing sur des secteurs de grande consommation, comme celui de l’alimentation.
Ainsi, la question centrale suivante tient toute sa pertinence face à toutes ces informations concernant le neuromarketing : Quel est le comportement du consommateur, quand il découvre les applications commerciales du neuromarketing, contraires à sa morale, par les acteurs du secteur alimentaire ? En d’autres termes, quelles seraient les réactions des consommateurs français lorsqu’ils vont apercevoir la pratique du neuromarketing dans les produits alimentaires qu’ils consomment habituellement. En fait, même si les recherches neuromarketing sont pratiquement banales dans plusieurs pays européens et surtout aux Etats-Unis, le contexte français pourrait constituer des conditions particulières pour ces recherches et pratiques du neuromarketing en tenant compte de l’opinion publique. Ces conditions pourraient ensuite affecter les images et notoriétés (et ainsi les activités) des entreprises qui veulent recourir au neuromarketing pour faire vendre davantage.
Pour répondre à cette question centrale, la présente étude se divise en trois étapes correspondant à trois parties dans ce document :
- La partie 1 est une partie théorique réservée à une revue de la littérature sur le sujet. Cette partie permettra de définir le cadre général de l’étude, et surtout comprendre le concept de neuromarketing et ses composantes. Cette partie théorique se penchera également sur les principaux débats d’ordre moral sur le neuromarketing.
- La partie 2 se focalise sur les investigations qui ont permis de faire la collecte des informations nécessaires pour répondre à la problématique à travers la vérification de quelques hypothèses de travail. Dans cette partie pratique, il est surtout question d’expliquer la méthodologie adoptée. Une aperçue des résultats des investigations donne des idées sur le niveau et la qualité des connaissances générales du public français concernant le neuromarketing, ainsi que les engagements de ce dernier dans les débats d’ordre moral sur le sujet.
- La partie 3 est consacrée aux analyses des résultats en considérant les principaux types d’individus devant constituer les consommateurs français. Quelques recommandations sont également émises dans cette dernière partie à l’endroit des entreprises du secteur alimentaire qui veulent utiliser le neuromarketing.
Partie 1. Cadre général : le Neuromarketing
Cette partie cherche à appréhender l’environnement du neuromarketing à travers la revue de la littérature essentiellement. Il n’est pas question de se vanter pouvoir réaliser un survol complet de tous les aspects qui pourraient intéresser la présente étude. Cependant, il est nécessaire de comprendre (voire avec un certain degré d’approfondissement) des éléments susceptibles d’influencer les connaissances objectives et subjectives de l’individu concernant le neuromarketing.
1.1 Concept de Neuromarketing
Les économistes ont développé le concept de « neuroéconomie » bien avant les gestionnaires : il s’agit d’étudier les mécanismes qui régissent les décisions des individus en se servant des outils de la psychologie cognitive et les approches des neurosciences. Zak (2004) définit ainsi la neuroéconomie comme un « champ interdisciplinaire utilisant les techniques de mesure neuroscientifique pour identifier les substrats neuraux associés avec les décisions économiques » (Zak, 2004, p. 1737). Il est donc possible de faire une translation avec les disciplines qui s’intéressent au marketing, qui trouve ainsi des outils assez remarquables pour combler les éventuelles failles des techniques plutôt traditionnelles.
1.1.1 Définition et méthodes
Sans encore entrer dans les détails des apports des neurosciences dans le marketing, il convient déjà de dire que le neuromarketing est un moyen devant permettre une explication plus objective des comportements du consommateur. Il s’agit alors d’appréhender le processus intervenant au niveau cognitif et dans les intentions du sujet au regard des offres qui se présente à lui. Droulers et Roullet (2007) attribuent ainsi au neuromarketing l’étude des processus mentaux de ces comportements (du consommateur), que ce soit de manière explicite ou non. Les deux auteurs précisent ensuite les champs d’activités du consommateur analysés par le neuromarketing en utilisant les techniques des neurosciences, à savoir : l’évaluation des offres au regard des besoins, le processus de prise de décision, les activités de mémorisation et/ou de consommation proprement dite. Cette définition implique alors le neuromarketing au-delà de la simple utilisation des méthodes et outils des neurosciences pour l’appréciation visuelle et quantitative des phénomènes cognitifs.
Le neuromarketing serait alors en quelque sorte intégré, inclus, dans les neurosciences : une sorte de discipline contextuelle traitant des activités sociales ou individuelles de l’être humain. De manière analogue à la sociologie, en l’occurrence, le neuromarketing participe aux recherches sur les relations entre les organes cérébraux et les comportements de l’individu avec des extrants presque exclusivement dans le domaine des affaires. Désormais, avec une définition large du neuromarketing, d’autres techniques, plus utilisées en psychophysique ou sciences comportementales par exemple, sont appropriées. Ces instruments devraient donc permettre la mesure de certaines fonctions physiologiques, l’étude des déplacements du point fixé par l’œil ou eye-tracking ainsi que la dilatation des pupilles, l’analyse des micro-expressions (dont faciales) (Roullet & Droulers, 2008).
Plus simplement, les recherches/études en neuromarketing consistent à soumettre à un certain nombre de volontaires des expériences devant les conduire à révéler leurs préférences. Les données sur ces dernières sont alors recueillies avec des matériels censés mesurer les activités cérébrales de chaque sujet. En d’autres mots, il s’agit d’appréhender les processus actifs relatifs à une décision d’achat. Le but étant de réaliser des campagnes de communication plus ciblées. Droulers et Roullet (2006) proposent une classification des méthodes utilisées par le neuromarketing en deux catégories :
- Celles qui réalisent des mesures plutôt indirectes des activités cérébrales, dont la tomographie et l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle ;
- Celles qui mesurent de manière directe les activités du cerveau humain : avec l’électro-encéphalographie et la magnétoencéphalographie.
La tomographie par émission de positons (ou TEP) nécessite l’injection de traceurs radioactifs à l’individu sujet de l’expérience (Droulers & Roullet, 2006). Ce procédé souffre ainsi d’un problème d’impossibilité de répétition des observations chez un même sujet, ce qui limite fortement l’utilisation de cette technique dans le cadre commercial. De plus, un cyclotron[1] doit se trouver à proximité du scanner étant donné que les isotopes (qui sont d’ailleurs très coûteuses) ont de durée de vie faible. Mais techniquement, la TEP présenterait une résolution spatiale assez bonne (près de 4 millimètres) contre une résolution temporelle très faible (difficulté pour la détection des points d’activités qui ne durent pas plus de 30 secondes).
L’imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle (ou IRMf) se base sur les signatures magnétiques sous formes liées ou non avec l’oxygène, avec notamment la mesure des variations de la concentration de désoxy-hémoglobine (Blood Oxygen-Level Dependent ou BOLD) (Droulers & Roullet, 2007). A la différence de la TEP, l’IRMf ne requiert pas l’injection de traceur radioactif, ce qui permet la répétition d’observations chez un même sujet. De plus, ce dernier peut être soumis à des stimuli sonores (casque magnétique) ou visuels (miroir) et les réponses en termes de comportements sont relevés avec des boutons de réponse. Si la résolution spatiale est qualifiée comme bonne, la résolution temporelle est par contre relativement faible.
L’électroencéphalographie (EEG) mesure les variations du champ électrique (dans le scalp) provoquées par les activités des neurones (cortex cérébral). Cette méthode présente de nombreux atouts relativement aux autres déjà énoncées, dont notamment le fait qu’elle est invasive, ce qui permet de l’utilisé dans de contextes proches de la réalité. Sa résolution temporelle est excellente, contre une faible performance en terme spatial (Roullet & Droulers, 2008). Aussi, le nombre de matériels disponibles serait beaucoup élevé que concernant les scanners pour l’IRMf, ce qui impacte également au niveau des coûts. Des observateurs estiment ainsi que la méthode d’EEG serait la plus optimale en termes de rapport qualité-coût, d’où son utilisation fréquente pour le design et la publicité[2].
Pour la magnétoencéphalographie (MEG), le principe est de capter les minuscules champs magnétiques émis à travers les activités électriques des cellules du cerveau synchronisées (Droulers & Roullet, 2007). La résolution temporelle est de l’ordre d’une milliseconde tandis que sa résolution spatiale est assez médiocre. Le conditionnement pour les expériences avec la MEG (isolation dans la cage de Faraday) et la rareté du matériel (avec des coûts d’acquisition et d’entretien élevés) limitent fortement son utilisation.
En tout état de cause, il est intéressant de préciser quelques importants avantages de l’utilisation d’une ou de plusieurs de ces méthodes (Droulers & Roullet, 2007) :
- Objectivité et non-contrôle des mesures par le sujet (l’individu soumis à l’expérience) ;
- Suppression des biais cognitifs ;
- Accessibilité aux processus non évocables verbalement ;
- Discernement des phénomènes affectifs, même s’ils sont inhibés/tenus par le sujet ;
- Possibilité d’aborder certains phénomènes implicites.
1.1.2 Origine
D’un point de vue, le neuromarketing peut être qualifié d’appartenir à la psychologie expérimentale, et plus précisément à la psychologie économique sur les fondements théoriques de Gabriel Tarde (1901)[3]. Mais le début de l’histoire attribuée officiellement au neuromarketing serait sans doute les expériences dirigées par le neurologue Read Montague et révélées dans la revue Neuron au début des années 2000. Ces (premières) expériences consistent effectivement à demander à des volontaires de comparer le gout du Pepsi avec celui du Coca-cola :
- Dans un premier temps, les sujets ne savent pas les marques des boissons qu’ils boivent (test en aveugle) : les consommateurs ont alors eu une préférence plus importante pour (le gout de) Pepsi.
- Dans un second temps, ces mêmes sujets ont été informés des marques des boissons qu’ils vont boire : l’effet des marques a quelque peu inversé les résultats, au profit de Coca-cola.
Ces expériences ont été reproduites et cette fois, les résultats ont été comparés avec les données de l’IRM (Mc Clure & al., 2004) :
- Lors des tests en aveugle, les résultats obtenus avec l’IRMf ont montré une activation plus importante du putamen ventral pour Pepsi. Cette zone serait associée aux plaisirs immédiats et instinctifs.
- Quand les consommateurs ont été informés des marques, une autre zone cérébrale connait alors une activation, celle du cortex préfrontal médian. Cette zone s’active généralement lorsqu’un sujet fait un jugement de valeur ou le fait avec raisonnement.
La conclusion de ces expériences a été que les préférences sont décidées sous l’influence de la culture : les mesures objectives insistent alors sur le rôle important du capital marque dans ces préférences (Droulers & Roullet, 2006). En quelque sorte, ces résultats ont jeté explicitement les bases du neuromarketing qui étudie dès lors les réactions cérébrales sous l’influence de la publicité, de la marque et des divers messages associés. A la fin de l’année 2002, un publicitaire se joint à un médecin neurologue et un enseignant des Sciences cognitives pour créer une agence (de neuromarketing) qui a eu pour mission d’appliquer à la publicité les Sciences cognitives.
Il faut toutefois noter que des expériences pouvant être assimilées à des recherches en neuromarketing ont d’ores et déjà existé avant le XXIème siècle. A citer par exemple celles sur la perception subliminale et les traitements implicites de Dehaene et al. (1998).
1.2 Applications
Le neuromarketing est surtout en œuvre dans trois secteurs ou les applications sont les plus manifestes (CEST, 2007) :
- Le marketing idéologique ou tout simplement politique pour la promotion d’idéologie, d’opinions, … de parti politique ou d’une personnalité politique ;
- Le marketing social qui s’intéresse au changement de comportement/mentalité, donc avec un certain consensus au niveau d’une Société donnée (sur le plan écologique, sanitaire, etc.) ;
- Le marketing commercial qui se focalise sur les biens et services de consommation ou d’investissement dans le cadre d’activités lucratives.
D’ailleurs, les recherches en neuromarketing semblent suivre trois grands axes dans le domaine des affaires :
- L’optimisation de la mémorisation des publicités ;
- La maximisation des influences des messages commerciaux ;
- L’accroissement de la préférence aux marques.
Déjà au début des années 2000, des recherches sont menées pour appréhender le mécanisme de la mémorisation des messages publicitaires, dont les méthodes des potentiels évoqués[4] : il en résultait, entre autres, la détection de corrélation entre des activités électriques maximales cérébrales suite aux expositions à des messages publicitaires et la reconnaissance de ces dernières après une semaine. Des études ont également été réalisées sur la personnalité des marques, dont celles de Yoon et al. (2006) qui corrigent les hypothèses selon lesquelles cette personnalité s’identifie à celle de l’être humain (Aaker, 1997)[5] : une marque se rapproche plutôt des représentations mentales d’objets (et non d’être vivant).
Désormais, les expériences avec les boissons Pepsi et Coca-cola sont des exemples de recherches d’explication sur les effets des campagnes publicitaires sur les consommateurs. En fait, une nuance s’installe entre les termes « se souvenir » et « acheter » sur ce plan.
1.2.1 Les neurosciences et le marketing
90% des produits nouvellement lancés sur le marché y seraient retirés un an après, démontrant ainsi la relative incapacité des recherches en marketing (traditionnel[6]) à prédire exactement les éléments devant conduire à la réussite (Bridonneau, Mathieu, & Parrique, 2011). Le neuromarketing est alors présenté comme une alternative pour pallier aux limites du marketing traditionnel :
- Problème de précision dans la description des comportements des consommateurs avec les outils du marketing traditionnel tels que le focus group, l’entretien, le sondage, etc. D’un côté, les sujets de l’étude (consommateurs/enquêtés) sont parfois confrontés à des situations où ils sont incapables d’exprimer (notamment verbalement) leurs réelles préférences. D’un autre côté, ce sont les marketers qui ont du mal à interpréter les résultats des études. L’élaboration des outils servant à l’étude même (le questionnaire ou le guide d’entretien) s’expose aux incertitudes provenant des facteurs humains. Dans tous les cas, les méthodes traditionnelles du marketing souffrent d’éléments subjectifs qui pourraient falsifier les décisions prises conséquemment. Le neuromarketing est réputé pouvoir diminuer, voire supprimer ces éléments subjectifs à certains niveaux de l’étude(Georges & Badoc, 2010).
- Problème de biais dans les conditions d’étude : le fait seulement d’être informé qu’un consommateur ou un enquêté se trouve dans une position observée constitue un important facteur susceptible de biaiser une étude. Le neuromarketing devrait permettre d’ignorer ces biais avec des conditions plus optimales : l’étude se concentre sur les résultats plutôt objectifs rendus par les appareils de mesure et non nécessairement sur les propos des sujets.
- Problème de mesure et d’interprétation des éléments non verbaux : les émotions par exemple (et surtout) que les sujets ne peuvent pas souvent exprimer et décrire de manière exacte et objectivement (d’autant plus que l’émotion n’est pas vraiment mesurable). Les méthodes de recherches neuromarketing pourraient donner au moins des indications exploitables qui tendraient vers les réalités objectives.
- Problème d’accès à l’inconscient : 95% des décisions (achat, choix) courantes des consommateurs seraient réalisées sous l’influence de l’inconscient(Zaltman, 2004).
Sur ce dernier point qui est d’une si grande importance car concernant le mécanisme de décision, Cleeremans et David (2007) citent ainsi quelques travaux qui expliquent ce fait, remettant en question certaines connaissances approuvées auparavant. En fait, selon des modèles traditionnels, ce mécanisme se déroule de manière séquentielle en trois étapes strictement organisées et linéairement en série :
- D’abord, l’individu perçoit le stimulus (tel qu’un message publicitaire).
- Ensuite, cet individu va évaluer ce stimulus de manière consciente à travers des processus inférentiels permettant d’imaginer le problème que pose le message. Le stimulus est alors analysé au regard de sa valeur économique ou bien affective.
- La réponse convenable en termes de comportements se situe en dernière étape.
Ces auteurs (Cleeremans & David, 2007) insistent qu’il est ensuite prouvé que le cerveau humain ne réagit pas de manière analogue au fonctionnement de la plupart des ordinateurs, notamment à l’idée que le traitement des informations prend la direction « percevoir » vers « agir ». De plus, il apparait que d’autres facteurs, que le traitement conscient des informations, influencent significativement la décision d’un individu, dont des automatismes et des affects. Les notions de perception subliminale d’apprentissage implicite viennent conforter ces dires[7]. Les apports des outils des neurosciences constituent alors des avantages considérables, bien que les interprétations des résultats soient parfois sujettes de discussion entre les professionnels et les scientifiques.
Le neuromarketing est souvent avancé comme une des meilleures solutions pour atténuer les effets de l’incertitude dans les études de marché.
1.2.2 Perspectives
Les éléments évoqués dans les paragraphes précédents pourraient constituer de sérieuses avancées dans le domaine du marketing. Des voies de recherche s’ouvrent sur des mystères qui planent toujours sur le mécanisme qui conduit à la décision, et plus particulièrement concernant la relation entre mémorisation et décision d’achat. Les opérateurs du marketing espèrent ainsi que les outils des neurosciences vont bientôt pouvoir expliquer les différents phénomènes liés aux comportements des consommateurs : En analysant les conditions auxquelles ces derniers se trouvent et les activités cérébrales sous-jacentes, c’est-à-dire avec l’observation de l’activation différenciée de certaines zones particulières du cerveau.
Droulers et Roullet (2006) laissent ainsi entrevoir quelques perspectives de recherche dans ce sens, dont entre autres :
- L’étude (avec les méthodes des neurosciences) des influences des conditions d’achat, et notamment l’environnement dans les points de vente : les recherches déjà développées par le marketing sensoriel seront ainsi validées et approfondies par l’utilisation des outils des neurosciences. Pour cela, il est important de disposer des matériels encore plus performants (avec l’amélioration des précisions topographiques, par exemple) mais qui seront moins encombrants. A titre d’exemple, des chercheurs ont déjà montré l’existence d’influences non négligeables sur les processus cognitifs ainsi que sur les comportements congruents d’une activité de l’odorat non consciemment perçue par le sujet[8].
- L’étude du rôle de l’émotion dans les préférences et le choix du consommateur : bien que cette hypothèse est largement démontrée théoriquement et prouvée vraisemblablement dans la pratique, l’impossibilité de mesurer l’émotion a conduit à des conclusions assez tautologiques. L’utilisation de l’imagerie fonctionnelle permettrait probablement d’apprécier objectivement le rôle du système limbique dans les mécanismes gérant les émotions ainsi que la contribution (dans la gestion de ces émotions) de l’hémisphère droit du cerveau (pour les émotions négatives, essentiellement).
Les professionnels du marketing se demandent probablement si le neuromarketing constituerait l’avenir de la publicité (Oullier, 2003). Cependant, il faut souligner que malgré l’avancée conséquente des méthodes des neurosciences dans ce domaine, le neuromarketing ne crée ou n’active pas un « bouton achat » dans la tête du consommateur. S’il est possible d’apprécier les activités d’émotions à partir de l’imagerie fonctionnelle, rien ne garantit absolument que telle ou telle publicité serait efficace ou non (Pêtre, 2012).
Sur ce point, Courbet et Benoît (2013) ont désormais mis en garde sur des mythes que les non-connaisseurs risquent d’associer au neuromarketing, entre autres :
- Le mythe selon lequel les technologies utilisées (notamment l’IRMf) seraient magiques et « toutes puissantes » (infaillibles) : à noter que les images rendus par l’IRM est une reconstruction graphique des données obtenues en mesurant les activités cérébrales et non pas des « photos » ;
- L’affirmation que la valeur des recherches et leurs résultats serait nécessairement garantie par les rôles des médecins et les neuroscientifiques qui participeraient aux expériences : ces résultats ne sont pas ceux d’une science exacte également infaillible, d’autant plus que les interprétations des résultats reposent sur des modèles qui sont encore sujets de discussion ;
- L’ambition sur la possibilité de « lire directement » les pensées avec les appareils des neuroscientifiques.
Si bien que le neuromarketing est proposé comme une avancée remarquable dans le domaine du marketing, il faut admettre que son utilisation ne pourrait pas se détacher complètement des autres méthodes (traditionnelles).
1.3 Enjeux du Neuromarketing
Il faut reconnaitre que le neuromarketing apparait comme une importante percée sur ce domaine, au moins sur le plan de recherche. Mais des questions restent en suspens : quels sont les véritables apports des neurosciences en marketing ? Autrement dit, quels seraient les usages qui profitent réellement au management avec ces nouvelles techniques comparées aux bénéfices tirés avec les techniques plutôt traditionnelles ? Par ailleurs, il est important d’apprécier les coûts que le neuromarketing pourrait occasionner, des coûts non seulement au niveau financier, matériel et humain, mais également en termes d’image et de réputation.
1.3.1 Efficacité et Coûts
Pratiquement au lendemain de la publication des tous premiers résultats des recherches en neuromarketing[9], plusieurs sociétés spécialisées dans ce domaine ont été créées pour satisfaire les besoins de grands groupes potentiellement clients. Mais, des observateurs remarquent que le neuromarketing n’apporte pas vraiment d’intérêts nouveaux pour le monde des affaires. Courbet et Benoit (2013) ont d’ailleurs insisté, concernant les résultats des recherches célèbres réalisées sur Pepsi et Coca-cola (Mc Clure & al., 2004), sur ce vide d’utilité supplémentaire pour les hommes du marketing.
Ces auteurs ont argumenté que, bien que ces recherches constituent un progrès intéressant pour les neurosciences, ces expériences ont tout simplement constaté (ex post) les résultats logiques et évidents de la supériorité de la marque Coca-cola par rapport au Pepsi. Les auteurs ont aussi cité en guise d’exemple la recherche de Knutson et al. (2007) qui constate les activités cérébrales différenciées lorsqu’un sujet se trouve face à l’image d’un produit attrayant (d’une part) et lorsqu’il voit par la suite le prix excessif du produit (d’autre part). Ces auteurs concluent alors qu’il suffit de demander à un consommateur (en posant des questions explicites) pour savoir que tel produit l’attire et que tel niveau de prix est excessif sans nécessairement recourir à l’imagerie fonctionnelle couteuse.
En adoptant cette position évoquée, le neuromarketing ne ferait donc que constater et traduire à partir des outils des neurosciences les mécanismes que les comportementalistes savent déjà. Courbet et Benoit (2013) sont des exemples de ceux qui doutent de l’efficacité du neuromarketing à aider réellement les professionnels de la communication. L’IRM montre seulement les corrélats des activités différenciées du cerveau (cognitives, comportementales et affectives) du sujet mais n’interroge pas (directement) ce dernier.
En matière de prédiction des comportements, la psychologie sociale cognitive (selon les travaux de Fazio et Towles-Schwen, 1999) détiendrait des outils bien plus efficients (en termes de validité et de coûts) que le neuromarketing[10]. Deux hypothèses semblent soutenir toutes ces idées de non-efficience du neuromarketing dans les affaires (bien qu’il présente des résultats intéressants pour les neurosciences) :
- Le service des agences proposent et vendent des prestations appuyées par des discours aux apparences scientifiques dont les professionnels n’ont pas vraiment les compétences pour vérifier leur validité ;
- Les éventuelles « réussites » de ces professionnels dans leurs affaires tiendraient peut-être compte des effets d’enrichissement d’image haussant la crédibilité des marques à cause de ces discours neuroscientifique. L’efficacité (obtenue ou attendue) serait vraisemblablement due à l’utilisation symbolique plutôt que pratique/effective de ces techniques du neuromarketing, s’il s’avère réellement et objectivement que ce dernier ne soit pas efficient.
Des aspects moraux, éthiques et déontologiques de ce problème d’efficacité effective ou symbolique du neuromarketing seront encore revus plus loin, dans le contexte des enjeux moraux.
De leur côté, Droulers et Roullet (2006) semblent vouloir promouvoir des idées plutôt optimiste quant aux apports du neuromarketing au management. Ils reconnaissent d’abord (tout comme les auteurs cités plus haut, dont Courbet et Benoit, 2013) que le neuromarketing a des contributions conséquentes en matière de recherches neuroscientifiques. Ils précisent ensuite la position du neuromarketing dans le marketing opérationnel, où ces contributions/apports se trouvent en amont dans le processus d’élaboration des stratégies de communication, voire de production. Les méthodes des neurosciences devraient alors permettre de pré-tester des dispositifs préétablis, c’est-à-dire de valider les axes décidés pour la politique marketing : sans le neuromarketing, ces axes ne seront que des hypothèses que seul le marché pourrait réellement juger l’efficacité et la réussite. Ainsi, les outils des neurosciences pourraient donner des réponses à certains énigmes dont les méthodes traditionnelles n’ont jusqu’alors apporté que des indications floues, partielles, ou contradictoires.
Cleeremans et David (2007) rapportent en effet que la société américaine FKF Applied Research propose des tests d’évaluation des messages publicitaires aux annonceurs avant de les diffuser dans les médias. Pour cela, cette société évaluerait l’efficacité de ces messages avec l’imagerie fonctionnelle, étant données les connaissances déjà prouvées (ou du moins, acceptées généralement) scientifiquement sur les activités cérébrales liées à certaines émotions (par exemple : le cortex préfrontal orbital serait désormais lié au désir tandis que l’amygdale en relation avec la peur ou la menace).
Par ailleurs, le neuromarketing présente quelques limites méthodologiques importantes réduisant ainsi sa popularité auprès des professionnels. Il faut d’abord prendre en considération les protocoles expérimentaux régissant les recherches neuroscientifiques qui sont parfois délicats et complexes (variant d’un pays à un autre selon les législations en vigueur dans ce domaine). Ensuite, les stimuli dans le cadre des recherches neuromarketing doivent être utilisés dans des conditions techniques et matérielles les plus souvent sophistiquées pour permettre la mesurabilité de chaque opération. Droulers & Roullet (2007) expliquent que la programmation et l’application de ces stimuli sont généralement très coûteuses en termes de temps et de ressources, outre leur délicatesse. D’ailleurs, il est nécessaire de récolter un nombre seuil de réponses (une centaine pour seulement une dizaine de sujets volontaires pendant une période de vingt minutes environ) pour que les traitements statistiques, qui s’ensuivront, donnent des résultats proches de la réalité objective.
Il faut également tenir compte des choix méthodologiques et techniques adoptés par ceux qui dirigent les expériences, des facteurs humains qui influencent les résultats obtenus. Ces choix et la performance des appareils utilisés conditionnent alors les rendus des opérations (résolutions, nature du cliché, etc.).
Il ne faut pas non plus oublier les conditions souvent non-agréables auxquelles les sujets de ces expériences se trouvent. Il est peut-être nécessaire d’en citer quelques-unes, bien que les méthodes les plus utilisées soient en principe non invasives (Droulers & Roullet, 2006) :
- Position ou posture non nécessairement confortable (allongée, exigüe, …) suivant les types d’appareils (avec des tunnels assez étroits) ;
- Nécessité d’immobiliser le sujet, suivant toujours les types de matériels (les algorithmes informatiques ne peuvent parfois corriger que les mouvements de l’ordre de quelques millimètres) : des individus sont parfois écartés de l’expérience, dont un peu moins d’une dizaine par exemple pour l’étude faite par Knutson et al. (2007)[11];
- Niveau élevé de la pollution sonore, surtout pour l’IRMf : le sujet sont invité parfois à porter des bouchons acoustiques pour les oreilles ;
- Lieu et contexte assez gênant et stressant : environnement hospitalier qui est généralement en déconnexion de la réalité conditionnant les décisions d’achat[12].
Roullet et Droulers (2008) expliquent toutefois que ces conditions non nécessairement confortables semblent être atténuées par le volontariat des sujets de l’étude (selon des enquêtes menées par Senior et al., 2007). En outre, des modèles atténuant les stress des sujets seraient en promotion (comme l’imagerie en infrarouge ou encore la tractographie ou IRM de diffusion). Aussi, l’EEG se présente comme une alternative intéressante comparée aux méthodes de l’imagerie fonctionnelle : plus de souplesse, procédés indolores (et non seulement invasifs), non forcément stressant (relativement à d’autres techniques), et mobilité autorisée.
Des appareils permettant aux sujets de se déplacer librement avec une importante liberté de mouvement sont ainsi créés : cela permet de faire des tests in situ (dans les centres commerciaux, par exemple). Finalement, les innovations dans le secteur informatique ont permis le développement de programmes de traitement statistiques plus performants et robustes, tels que l’analyse en composantes indépendantes, l’analyse des schémas multivoxels et l’analyse discriminante multiple (Roullet & Droulers, 2008).
Sur le plan financier, les coûts de ces techniques se présentent comme une des limites majeures du neuromarketing. Droulers et Roullet (2006) estiment que les coûts d’une session durant environ une heure faisant intervenir entre 10 et 12 sujets volontaires peuvent se chiffrer jusqu’à 30 000 euros. Plus précisément, les coûts d’utilisation des techniques des neurosciences sont fonctions des matériels utilisés et des personnels nécessaires pour manipuler ces appareils et interpréter les résultats[13]. Désormais, le recours à l’EEG pourrait n’exiger que la présence d’un biotechnicien et un expérimentateur pour la manipulation des stimuli et la gestion des données. En revanche, une session de recherche utilisant l’imagerie fonctionnelle demanderait en principe la présence d’un médecin et d’un préparateur ou d’un physicien. Une étude impliquant une trentaine de sujet pourrait être facturée à quelque 250 000 USD, selon un cabinet spécialisé en neuromarketing (Roullet & Droulers, 2008).
Les premiers résultats divulgués sur le neuromarketing ont animé les ambitions chez les chercheurs qu’ils n’ont pas hésité à fonder des cabinets spécialisés pour offrir des prestations en la matière aux grandes entreprises. Cependant, ces dernières n’ont pas montré de mouvement aussi enthousiaste, du moins pendant les premières années suivant ces premières divulgations de résultats. Le premier congrès de neuromarketing (en 2004 à Houston, Texas) a même été annulé car le nombre de participants requis n’a pas été atteint (Droulers & Roullet, 2006). Outre ces problèmes de coûts assez élevés, la prudence est également de mise au regard de l’opinion publique sur le sujet qui montrait beaucoup de méfiance.
De ce constat découle l’affirmation que le neuromarketing est un luxe réservé aux grandes firmes disposant de ressources financières suffisantes. Les opposants au neuromarketing soutiennent même que c’est une source d’imperfection pour le marché, biaisant ainsi l’équité et la libre concurrence : les grandes sociétés déjà riches sont donc destinées à l’être davantage au détriment des petites et moyennes entreprises (PME). Mais les tenants de ces méthodes neuroscientifiques argumentent qu’une expérience neuromarketing de cette caractéristique serait plus avantageuse en matière d’informations objectives qu’une dizaine de réunion de groupe utilisant les méthodes traditionnelles du marketing.
Droulers et Roullet (2007) proposent alors une vision opportuniste de l’utilisation des matériels d’imagerie. En fait, l’acquisition de tels appareils couteux par une organisation demande (de la part de cette dernière) une bonne gestion, dont une utilisation optimale pour accroitre la rentabilité. En termes temps d’utilisation, le propriétaire pourrait alors mettre en location un appareil en dehors de ses heures de fonction pour les propres besoins de l’organisation. Des sociétés tierces pourraient même avoir accès à ces matériels à des prix (de location) attractifs. Ces auteurs estiment que ce processus pourrait aboutir à la « démocratisation » de l’utilisation des techniques neuroscientifiques jusqu’à devenir accessible à des entreprises à budget relativement limité.
1.3.2 Enjeux moraux
Lors d’une audition publique ouverte à la presse du 26 mars 2008, organisée par des députés sur le thème « Exploration du cerveau, neurosciences : avancées scientifiques, enjeux éthiques », le neurologue Olivier Ouiller constate ainsi : « Lorsque nous ouvrons les fenêtres de nos laboratoires pour regarder la « vraie vie », nous constatons que tout un business s’est développé autour des sciences du cerveau et que des sommes colossales sont en jeu » (Ouiller, 2008, p. 47). Ce constat qui fait état de réelle ou de semblant d’efficacité du neuromarketing démontre à quel point les problématiques du neuromarketing ont pris d’importantes places dans les discussions morales et éthiques.
Olivier Ouiller (2008) poursuit en faisant toujours les états des lieux sur les différentes réactions et en distinguant le contraste entre celles des professionnels et du monde académique. D’un côté, le monde des affaires ont demandé plus d’informations pour ne pas rater une occasion d’accroitre l’efficacité de leurs campagnes de communication, espérant que le neuromarketing ira dans ce sens. D’un autre côté, les neuroscientifiques auraient presque l’habitude d’écarter tout simplement le neuromarketing, sous-estimant ainsi les problèmes potentiels qu’il est susceptible d’engendrer. Le neurologue pointe du doigt ensuite des pratiques relatives au neuromarketing qui auraient dépassé les limites que la déontologie et la morale scientifique devraient tracer.
Entre autres, Ouiller cite le « coup » mené par des chercheurs de bonne notoriété de l’Université de Californie, Los Angeles : ceux-ci ont publié dans le New-York Times des résultats assez surprenants pour les professionnels du marketing mais plutôt confus aux yeux des scientifiques. L’étude en question se porte sur le fonctionnement cérébral des participants aux primaires des présidentielles américaines, avec des conclusions que le neurologue (Ouiller) qualifie de « hallucinantes » qui furent ensuite dénoncées par la communauté scientifique. L’essence du problème vient surtout de l’exploitation qui pourrait être abusive des connaissances en neurosciences pour parvenir à des fins strictement commerciales.
Parlant au nom du monde académique, Olivier Ouiller voulait probablement alerter les victimes potentielles des phénomènes neuromarketing qui aurait déjà trouvé de la place dans l’hexagone au cours des années 2000 :
- D’une part, il y aurait les dirigeants d’entreprises qui sont amenés à croire en une amélioration significative de leurs techniques de communication avec l’utilisation des outils neuroscientifiques. Ces professionnels seraient parfois une sorte de « vache à lait », séduits par les renommées de l’équipe qui vante l’efficacité de leurs méthodes.
- D’une autre part, il y aurait également le citoyen ordinaire, notamment si ces affirmations d’efficacité seraient exactes.
1.3.2.1 Limites légales et morales
Il est important de faire d’abord les états des lieux au niveau juridique concernant les pratiques et recherches en neurobiologie. En fait et à priori, le législateur ne semble pas vouloir élaborer des règles et normes propres au neuromarketing ; cependant, la substance des dispositions règlementaires appliquées en France tend à dire que le droit français veut jouer la prudence dans ce domaine.
1.3.2.1.1 Législation contraignante
L’article 16-14 du Code civil (chapitre IV relatif à l’utilisation des techniques d’imagerie cérébrale) est plutôt clair est strict en ce qui concerne les recherches neurobiologiques. Cet article s’écrit ainsi : « Les techniques d’imagerie cérébrale ne peuvent être employées qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique, ou dans le cadre d’expertises judiciaires (…) ». Désormais, à l’aune de cet article, le législateur français interdit toute recherche neuromarketing puisque celle-ci vise nécessairement, non pas des objectifs médicaux mais des fins manifestement commerciales. Jusqu’à nouvel ordre, en attendant un contexte offrant plus de marge de manœuvre à ceux qui s’intéressent au neuromarketing, quelques règles juridiques relatives au domaine biomédical régissent toute recherche utilisant les techniques neuroscientifiques.
Ainsi, c’est la loi 88-1138 du 20 décembre 1988 (loi Huriet) relative à la protection des personnes qui se soumettent à des études biomédicales qui se trouve à la base de presque toutes les règles concernant les recherches utilisant les techniques d’imagerie cérébrale. La loi du 6 août 2004 concernant la recherche biomédicale sur les humains vient également compléter la précédente (de 1988). Puis, il ne faut pas non plus oublier la loi du 7 juillet 2011 portant sur la bioéthique.
Il serait intéressant de réaliser un survol des grands principes de ces différentes dispositions concernant les recherches neuroscientifiques. En effet, la France est entourée de pays dont les règles sont beaucoup moins contraignantes sur ce plan, dont la Belgique et l’Angleterre. Une société voulant utiliser les techniques des neurosciences n’aurait alors que franchir la frontière française et demander les prestations des cabinets spécialisés en la matière. Par ailleurs, les principes appliqués à ces genres de recherche dans les pays autorisant l’utilisation les techniques de l’imagerie à des fins non médicales ressemblent beaucoup à ceux (concernant la biomédicale) de la France.
La loi Huriet insiste ainsi sur les droits d’une personne se prêtant à une recherche biomédicale, qui se traduisent d’ailleurs en obligations pour ceux qui commanditent et effectuent une telle expérience :
- L’information : il est impératif de communiquer au sujet une notice d’information contenant, au moins, l’objectif, la méthodologie et la durée de la recherche lorsqu’il s’agit de volontaire sain dont la santé (physique et mentale) n’est pas menacée par l’expérience. La note d’information doit également comprendre les renseignements sur les bénéfices attendus de la recherche, les diverses contraintes dans la réalisation (concernant le sujet, en l’occurrence), et tous les risques auxquels s’expose le sujet[14]. Le sujet doit ensuite avoir à sa disposition une information complète concernant la recherche après l’expérience.
- Le consentement éclairé : ce point suscite souvent des fortes critiques, surtout dans l’usage juridique de l’imagerie fonctionnelle. Le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) dans le domaine de la santé et des sciences de la vie a ainsi évoqué l’existence de recherche clandestine pratiquée souvent sans ce consentement éclairé du sujet de l’expérience(Roullet & Droulers, 2008).
- La participation libre et le droit au retrait du sujet.
- Le traitement des données résultant de l’expérience de manière anonyme : désormais, l’Europe attribue une importance relativement élevée à la protection des données personnelles informatisées que certains pays, dont les Etats-Unis.
Concernant ce dernier point sur la gestion des données, il faut comprendre que celles-ci doivent être incluses dans le dossier médical, régi par la déontologie médicale. La loi Huriet exige au chercheur d’appliquer toutes les obligations légales concernant ces données (conservation, gestion, divulgation).
D’autres procédures sont imposées au promoteur d’une recherche (celle-ci étant généralement financée par des établissements publics, dans une visée médicale ou juridique, sous certaines conditions) par le législateur français. Entre autres :
- Il faut que l’expérience soit supervisée par (au moins) un médecin : celui-ci doit alors pouvoir interpréter les rendus de l’imagerie fonctionnelle. D’ailleurs, il serait presque banal que l’expérience révèle des anomalies chez le sujet sans que celui-ci en soit informé préalablement[15]. Les chercheurs ont ainsi pris la précaution de demander aux sujets volontaires de déclarer par écrit explicitement leur choix : révéler ou non l’existence d’anomalie si éventuellement détectée au cours de l’expérience.
- Il faut obtenir l’aval d’un comité éthique, dont le Comité de Protection des Personnes ou CPP (remplaçant le Comité Consultatif de Protection des Personnes dans la Recherche Biomédicale)[16]. Le sujet volontaire d’une expérience doit être informé des avis de ce comité éthique.
Les accords entre le promoteur de la recherche et le sujet volontaire doivent être matérialisés par écrit et de façon explicite. Des mentions concernant les éventuelles rémunérations au sujet sont souhaitables dans lesdits accords, mais non obligatoires.
1.3.2.1.2 Risques liés aux recherches neurobiologiques
Concernant les risques que pourraient représenter les recherches en neurobiologie, le Professeur Didier Sicard qui est Président d’honneur du CCNE n’a pas caché ses inquiétudes : il serait ainsi « frappé par la rapidité avec laquelle les neurosciences surgissent (…) dans la vie quotidienne. Cette rapidité de transfert est totalement décalée par rapport à la prudence des neuroscientifiques eux-mêmes » (Sicard, 2008). Cela soulève certains points d’interrogation quant au respect des règles devant minimiser les risques par les chercheurs et les organismes qui financent de telles recherches.
Roullet et Droulers (2008) établissent une liste non-exhaustive des principaux risques encourus notamment par les individus sujets de ces recherches :
- Risques relatifs aux champs magnétiques qui sont d’ailleurs assez intenses : si de tels risque sont tolérés jusqu’à un certain degré pour les recherches médicales au regard des bénéfices d’intérêt général attendus, cette tolérance devrait tendre vers zéro pour des études commerciales qui profitent à une poignée d’entreprises[17].
- Risques relatifs au champ magnétique statique (mouvement d’objets métalliques) qui peut provoquer (et a déjà provoqué) des accidents mortels[18].
- Risques inhérents à la radiofréquence, dont la concentration du champ magnétique pouvant causer des brulures cutanées.
- Risques biophysiologiques tels que la modification du rythme cardiaque, le vertige, le phosphène, etc. bien que ceux-ci pourraient ne pas constituer d’éléments altérant significativement et de manière permanente la physiologie des organes.
1.3.2.2 Neuromarketing : considéré comme atteinte à la moralité
La moralité est désormais assimilée à la conformité à des normes sociales bien déterminées, donc relative à un certain environnement social, à une culture ou un mode de vie. Bien que le terme « éthique » est utilisé presque unanimement dans l’ensemble de la littérature traitant le neuromarketing, il serait préférable dans le présent document de parler de la « moralité » (cette notion est quasiment non-évoquée, remplacé par « l’éthique »). En fait, même si les deux termes sont généralement pris dans leurs sens équivalents, il faut reconnaitre que l’éthique a une certaine connotation subjective, propre à l’individu, tandis que la morale est plus orientée vers une valeur commune à une société de référence[19].
Sur les questions morales dont le neuromarketing tient un rôle central, internet est riche d’idées pointant du doigt les pratiques que certains dénoncent comme immorales. En revanche, les partisans du développement du neuromarketing présentent également des arguments intéressants pour défendre leur position. Dans la présente étude, même s’il est parfois difficile de s’écarter de ces différentes idées contradictoires, il est principal de tenir une position neutre : il est surtout question de présentation des faits et opinions de la manière la plus objective possible sans prendre partie. L’important est d’essayer de déterminer les points constituant des sujets de discordes, susceptibles d’influencer les avis des consommateurs (mais également des entreprises potentiellement preneuses des techniques neuroscientifiques) : Cela va sans doute avoir des impacts considérables, non seulement sur l’appréciation du neuromarketing par le public, mais surtout sur le comportement des consommateurs et sur l’image des entreprises utilisant ces techniques neuroscientifiques.
Courbet et Benoit (2013) ont identifié huit (8) thèmes, des dimensions à travers lesquelles un individu aurait tendance de soutenir une des deux parties. Ces différents éléments, alimentant les discussions entre « pro » et « contre » l’usage des techniques des neurosciences dans le marketing, tournent généralement autour du grand thème de manipulation et de libre arbitre. Cela laisse déjà entrevoir qu’il s’agit essentiellement de critiques (voire hostilités) lancés par les anti-neuromarketing auxquelles les « pros » répondent. Après tout, il serait intéressant (surtout pour les entreprises voulant s’aventurer dans les neurosciences) d’apprécier les effets potentiels de l’utilisation des pratiques du neuromarketing (à travers ces huit dimensions, en l’occurrence) par les producteurs des biens et services sur leurs consommateurs habituels.
- D’abord, le neuromarketing est dénoncé par ses détracteurs comme un « outil puissant » servant à la manipulation. Sur ce point, ils insistent sur l’éventuelle capacité du neuromarketing à influencer les consommateurs sans que ces derniers en soient conscients (l’image subliminale est ainsi évoquée). De leur côté, les défenseurs du neuromarketing soulignent que les techniques neuroscientifiques servent seulement à mesurer la qualité des messages commerciaux, appuyant les outils déjà utilisés par le marketing traditionnel. Désormais, il n’existerait pas de « bouton achat » dans le cerveau que les producteurs pourront activer pour forcer en quelque sorte la décision d’achat.
- Concernant la santé publique, le neuromarketing est critiqué comme un facteur susceptible de favoriser certaines « épidémies » dont le marketing est déjà désigné comme coupable : obésité, diabète, ainsi que les différentes addictions dues à l’alcool, le tabac et les jeux d’argent. Les partisans du neuromarketing répliquent que ce sont le capitalisme et la société de consommation qui devraient être pris d’assaut par ces critiques. Ces partisans veulent alors nuancer sur l’outil (qui est le neuromarketing) et la finalité des utilisations de ces outils.
- Les anti-neuromarketing arguent également que les médecins qui réalisent des recherches dans des objectifs non médicaux sont en train de passer outre le serment d’Hippocrate[20], alors qu’ils auraient dû promouvoir l’aide à la société et l’individu(Bridonneau, Mathieu, & Parrique, 2011). Les défenseurs du neuromarketing répondent que ces médecins (et le neuromarketing) ne font généralement pas de mauvaise action à l’égard de l’humanité : il ne faudrait pas confondre avec l’utilisation du neuromarketing dans son ensemble les dérapages ponctuels réalisés clandestinement. Ceux qui soutiennent le neuromarketing proposent ainsi l’élaboration et l’application de normes sévères sur ce domaine ; ceci devrait être appuyé par une consultation stricte d’un comité d’éthique.
- Les attaques contre le neuromarketing insistent sur la manipulation faite à l’égard des personnes qui n’ont pas encore de défense cognitive développée, dont les enfants. En guise de réponse, les « pros » avancent que le neuromarketing offre une opportunité d’adaptation des messages publicitaires au système cérébral des enfants afin de les respecter davantage.
- Les opposants au neuromarketing s’inquiètent aussi de la contribution des techniques neuroscientifiques aux achats inutiles, des dépenses effectuées pour des biens et services que les acheteurs n’auraient même pas vraiment besoin. De leur côté, les partisans pensent que l’intégration dans des groupes sociaux fait partie des besoins essentiels d’un individu, un besoin identitaire satisfait généralement par des achats.
- Le silence et la discrétion des sociétés qui recourent au neuromarketing sont très souvent dénoncés comme manque de transparence : les consommateurs mériteraient d’être informés. Les adeptes du neuromarketing défendent que c’est surtout à cause des hostilités lancées contre les utilisateurs (des techniques neuroscientifiques) que ces entreprises se mettent en discrétion.
- Ceux qui sont contre le neuromarketing craignent des dérives graves et appellent à la réglementation de la recherche et de l’usage, non seulement pour le cas de la France mais également à l’échelle régionale et internationale. Leurs antagonistes réfutent cette idée car, selon eux, la profession s’auto-réglementera surtout à l’égard de ses propres règles de déontologie. Il faut se confier à la bonne foi et à la responsabilité des gens qui pratiquent le neuromarketing.
- Finalement, le neuromarketing est souvent assimilé (par ses adversaires) à des pratiques anti-démocratiques, contre le libre arbitre et le libre choix, donc entravant la liberté des individus. Les « pros » protestent en insistant que chaque agent économique aurait toujours le choix, une décision qu’il pourrait remettre en question lorsque se présente les mêmes alternatives.
En somme, les avis que peuvent adopter un individu dépendent essentiellement des informations qu’il détient sur deux niveaux :
- Les connaissances objectives sur le neuromarketing : l’essence du neuromarketing, ce qu’il est capable de faire (distinction avec les méthodes du marketing traditionnel) et les fausses idées le concernant, les éventuels effets (surtout non conscients) sur les décisions et sur le comportement, possibilité de réglementation/contrôle des recherches et des pratiques.
- Les connaissances sur les critiques (et réponses à ces critiques) à l’endroit du neuromarketing : l’essor des techniques d’information et de communication (TIC) aurait favorisé la promotion des différentes idées.
Partie 2. Le neuromarketing et le marché français de l’alimentaire
Cette partie est consacrée aux investigations réalisées sur le terrain pour la collecte d’informations utiles à l’étude. A rappeler que cette dernière consiste à répondre à la problématique initialement posée sur les comportements des consommateurs français lorsqu’ils vont découvrir que les produits qu’ils consomment habituellement ont fait l’objet de pratique neuromarketing. Pour cela, il y a lieu de bien définir le contexte en prenant le cas du marché français de l’alimentaire. Il convient ensuite d’expliquer la méthodologie suivie dans la présente recherche, dont la formulation des hypothèses de travail, les outils et les méthodes de travail utilisés. Il est aussi important de décrire, à travers les résultats des investigations, les états des lieux concernant la connaissance du neuromarketing par le public français, d’une part, et les opinions de ce dernier dans les principaux débats concernant le neuromarketing, d’autre part.
2.1 Contextes
2.1.1 Contexte international
Un peu plus d’une décennie après ses premières apparitions officielles sur la scène publique, le phénomène « neuromarketing » n’a pas encore connu son déclin. Bien au contraire, ce sujet devient de plus en plus d’actualité sur le contexte international. Il faut dire que les affaires (business) relatives au neuromarketing connaissent un développement notable pour intéresser de grands investisseurs. Ainsi, le leader mondial sur le domaine des études et informations marketing, Nielsen, a décidé d’acquérir la société spécialiste en neuromarketing Innerscope Research, dans les premiers mois de l’année 2015. La société Innerscope (utilisant entre autres l’IRM et l’EEG) a été fondée par des neuroscientifiques (Dr Carl Marci, Brian Levine) en 2006. Cette acquisition n’est d’ailleurs pas la première en ce qui concerne Nielsen puisque ce géant a déjà absorbé NeuroFocus en 2011 (devenant alors Consumer Neuroscience) (Crupi, 2015).
Il apparait aussi que la question de neuromarketing n’entraine plus une vague de forte critique comme ce fut le cas une décennie auparavant. Désormais, les opérateurs en la matière ne cachent plus leurs ambitions d’utiliser les techniques des neurosciences de manière comparable aux autres techniques plus traditionnelles du marketing. Par exemple, le président de Nielsen Consumer Neuroscience, Joe Willke, a annoncé publiquement que le Groupe va alors examiner les comportements de consommateurs ainsi que les éventuelles relations entre les plateformes médias et les contenus des messages publicitaires (Neuroscience marketing, 2015). Il faut également parler du « forum mondial sur le neuromarketing » qui est un évènement de Neuromarketing Science & Business Association : la préparation de la cinquième édition qui se tiendra à Dubai en 2016 est en pleine effervescence.
Il est aussi possible de dire que la frontière entre le business et la recherche académique s’estompe davantage, surtout aux Etats-Unis. En effet, l’université du Nebraska à Omaha a établi, en octobre 2014, un partenariat avec la société iMotions, spécialiste des capteurs biométriques et de l’eye-tracking : il s’agit d’un projet sur un centre de recherche sur le neuromarketing pour l’étude des réactions humaines face aux publicités (iMotions, 2014). Du côté de l’Europe occidentale, le neuromarketing semble également gagner du terrain, avec des pratiques presque banales pour certains pays comme la Belgique et le Royaume-Uni. A citer par exemple, le recours d’Albert Heijn, le géant du supermarché néerlandais, aux techniques des neurosciences pour entretenir ses magasins. Il a même été déclaré que la chaîne de supermarchés a utilisé le neuromarketing « de manière intensive » depuis 2012 (Nieuwenhuizen, 2014). De plus, révéler ces informations ne semble point gêner les entreprises qui utilisent le neuromarketing, une situation qui est en fort contraste avec celle de la France.
2.1.2 Contexte français
Il est à rappeler que la législation française ne permet pas (« encore ») l’utilisation des techniques neuroscientifiques pour des recherches en dehors du domaine médical. Olivier Droulers a tout de même répertorié deux cabinets neuromarketing qui opèreraient en France dans son article de 2006 (Droulers & Roullet, 2006) : il s’agirait de SalesBrain dirigé par Patrick Renvoisé ayant son siège à Paris (et également à San Francisco) ainsi que Comao de Jean-Paul Catherine siégeant à Sartrouville. Droulers (2006) rapporte aussi la création de l’agence Impact Mémoire en 2002 par un publicitaire, un professeur en Sciences cognitives et un médecin neurologue, en France. Quelques années plus tard, Olivier Ouiller a confirmé, lors d’une audition publique ouverte à la presse réalisée à l’assemblée nationale en 2008, la présence de « plus de dix cabinets [qui] proposent l’utilisation directe ou non des techniques de neurosciences pour amplifier les campagnes publicitaires » (Ouiller, 2008, p. 48) à Paris. Outre cette controverse d’informations, il faut aussi admettre que la réalisation d’une recherche neuromarketing, pour le compte d’une entreprise française, qui ne devrait pas être réalisée en France peut facilement s’effectuer dans ses pays voisins. Il suffit ensuite d’appliquer les résultats des recherches sur le sol français : il n’y a pas d’interdiction légale concernant l’utilisation en France de ces résultats.
Sur ce dernier point, et sur le plan purement technique, il apparait que le recours au neuromarketing ne devrait pas poser trop de problème pour les entreprises françaises disposant les ressources financières suffisantes pour financer les recherches. Les informations concernant l’implication des entreprises françaises dans le neuromarketing sont très rares. En revanche, il a été révélé, par exemple, que le site Voyage-SNCF.com a fait appel à un prestataire belge, spécialiste en neuromarketing dans le développement de son site (Neuroscience Marketing, 2013). La timidité des entreprises françaises à révéler de telles informations les concernant est probablement expliquée par les manifestations massives d’idées à l’encontre de l’utilisation des techniques neuroscientifiques pour la publicité.
Désormais, l’environnement français semble être hostile au neuromarketing, si l’on se réfère à ces manifestations d’idées. La question d’éthique ou de moralité est presque systématiquement abordée lorsque des débats concernant le marketing sont organisés (à citer par exemple celui de France Inter dans son émission « La tête au carré », le 23 septembre 2014). Les critiques émanent de personnalités très diverses, allant des philosophes (tels que Bernard Stiegler (Mangematin, 2012)) jusqu’à des scientifiques (comme le Pr Michel Badoc (France-Antille, 2013)).
Le contexte français est alors caractérisé par :
- Une méconnaissance de la position dominante concernant l’appréciation de l’utilisation du neuromarketing par les entreprises française : les fortes hostilités (surtout sur le web) contre cette utilisation ne signifient pas forcément que l’opinion publique épouse aussi cette position ;
- L’impossibilité de déterminer a priori les influences qu’auront ces avis contradictoires (sur cette utilisation du neuromarketing) sur les comportements des consommateurs. Par exemple : il n’est pas encore possible de prédire que tous ceux qui n’approuvent pas la pratique du neuromarketing en France refuseront de consommer les produits faisant l’objet de telle pratique (et même si cette supposition est vérifiée, il est difficile d’admettre que l’inverse soit toujours vrai).
En fait, une attitude hostile vis-à-vis de la pratique du neuromarketing en France peut être issue de raisons diverses. Par exemple, de telle attitude pourrait prendre racine dans une prise de conscience du sous-équipement de la France en IRM dans les établissements hospitaliers (Ouiller, 2008, p. 49). Ce problème a été déploré par certains scientifiques au milieu des années 2000 : en moyenne, la France ne disposait que 4.7 IRM sur un million d’habitants, alors que les Etats-Unis (où la pratique du neuromarketing ne semble pas poser de problème) en disposaient 27 par million d’habitants (à titre de comparaison, le Japon possédait presque dix fois de plus que la France) (Roullet & Droulers, 2008, p. 7). De plus, il a été constaté que, en Europe, un scanner IRM sur quatre seulement a été configuré pour pouvoir être utilisé dans l’imagerie fonctionnelle à cette époque. Le Figaro a rapporté les résultats des études menées par l’association Imagerie Santé Avenir (ISA) : « Alors qu’il fallait attendre 29 jours en 2012 pour obtenir une IRM « en urgence » et 30,5 jours en 2013, le temps d’attente moyen s’établit aujourd’hui à 37,7 jours, soit en termes d’aggravation, la « pire année depuis onze ans » » (Le Figaro, 2014)[21]. Si un toutes ces informations constituent l’unique raison qui conduit un consommateur à s’opposer fermement à la pratique du neuromarketing en France, ce ne serait pas alors la pratique qui est pointée du doigt mais le contexte dans lequel elle est réalisée (un tel consommateur ne s’opposera donc pas à cette pratique si la recherche est réalisée dans d’autres pays mais les résultats sont ensuite appliquée en France).
Il est clair que ce sont les opinions négatives à l’égard de la pratique du neuromarketing en France qui constitue la base de la problématique de la présente étude. Il est alors attendu que le comportement d’un consommateur soit conditionné par les raisons qui le conduisent à s’opposer éventuellement à de telle pratique.
2.2 Méthodologie
Pour répondre à la question centrale de l’étude, il convient d’abord de formuler quelques hypothèses de travail. Ensuite, le choix des méthodes de travail, l’élaboration du questionnaire, et les questions relatives à l’échantillonnage seront expliqués successivement.
2.2.1 Les hypothèses
Comme il est question de déterminer le comportement d’un consommateur lorsqu’il découvre les applications commerciales du neuromarketing, il est important de définir quelques hypothèses de recherche pour répondre à la problématique de la présente étude. En fait, trois hypothèses contradictoires sont formulées à partir des principales réactions possibles du consommateur lorsqu’il découvre la pratique du neuromarketing sur les produits qu’il devrait acheter.
Hypothèse 1 : Lorsque les consommateurs français découvrent les pratiques du neuromarketing effectuées sur les produits qu’ils devraient acheter, cette découverte provoque généralement un frein à l’acte d’achat.
Avant la découverte du neuromarketing, il est d’abord supposé que le public français (en général) n’a pas a priori une connaissance suffisante du neuromarketing, une connaissance devant permettre une appréciation objective de ce dernier. Désormais, les connaissances d’un individu peuvent être décomposées en connaissances objectives et connaissances subjectives (Brucks, 1986). Les premières désignent les informations contenues dans la mémoire du sujet qui correspond à la réalité objective observée : ce sont alors des informations nécessairement exactes. Par exemple : « le neuromarketing ne permet pas de lire directement à partir de l’IRM les pensées d’une personne ». En revanche, les deuxièmes (les connaissances subjectives) correspondent à ce que le sujet pense savoir : il s’agit alors de perception relative à un objet, ainsi qu’à la quantité et à l’exactitude des informations qu’il pense posséder sur cet objet.
Ainsi, et plus précisément, avant la découverte de la réalité sur le neuromarketing, l’essentiel des connaissances d’un individu est composé essentiellement de connaissances subjectives. Un ensemble de connaissances peut engendrer des freins ou non à l’achat suivant la confiance de l’individu concerné à ses propres connaissances (Alba et Hutchinson parlent de « calibrage de la connaissance » (Alba & Hutchinson, 2000)) :
- Le consommateur a confiance dans ses connaissances qui sont d’ailleurs objectivement exactes ou bien il a faiblement confiance dans ses connaissances qui sont d’ailleurs inexactes. Dans le premier cas, si un consommateur détient un élément d’information négatif vis-à-vis de la pratique du neuromarketing en France, cela pourrait constituer un frein à l’achat des produits ayant fait l’objet d’une telle pratique. Dans le deuxième cas, même si un consommateur détient un tel élément négatif concernant le neuromarketing, il est prudent quant à l’utilisation de cet élément pour prendre une décision d’achat : C’est dans le deuxième cas que la découverte d’informations objectivement exactes sur le neuromarketing pourrait être déterminante de l’acte d’achat.
- Le consommateur n’a pas confiance à ses propres connaissances qui sont pourtant objectivement exactes ou bien il a confiance à ses connaissances qui sont pourtant inexactes. Dans le premier cas, le consommateur a besoin d’autres éléments d’informations venant d’autrui pour valider ses connaissances et prendre une décision conséquemment. Dans le deuxième cas, une nouvelle découverte (même si celle-ci est objectivement exacte) sur le neuromarketing a peu de chance de changer l’attitude du consommateur. C’est dans le premier cas alors que la découverte d’informations sur le neuromarketing pourrait constituer un frein à l’achat.
Deux indicateurs sont alors mis en évidence : l’exactitude des informations constituant les connaissances d’un individu, d’une part, et la confiance du consommateur à ses propres connaissances.
En outre, il est intéressant d’avoir une idée sur les éléments d’informations qui pourrait vraiment constituer un frein à l’achat. En effet, un élément constituant une découverte sur un objet (donc, de nouvel élément de connaissance sur cet objet) pour un individu pourrait ne pas être significatif de manière à influencer la décision de cet individu. Par ailleurs, il faut admettre que l’appréciation d’un élément par un individu peut être sensiblement différente de celle d’un autre individu ; il pourrait tout de même y avoir une tendance sur la perception du neuromarketing en tenant compte des nouveaux éléments de connaissance pour un échantillon d’individus enquêtés.
Hypothèse 2 : Lorsque les consommateurs français découvrent que les produits qu’ils ont l’habitude d’acheter a fait l’objet d’une expérience neuromarketing, ils sont alors choqués mais continuent à acheter ces produits.
La réalité française concernant le concept de neuromarketing peut être illustrée par le propos du Pr Badoc lorsqu’il a donné une conférence sur le thème « Le neuromarketing en action : parler et vendre au cerveau », en Martinique : « Rien que le mot neuromarketing choque » (HEC Paris, 2013). Ainsi, le scientifique semble vouloir insister sur le fait que c’est le « mot » qui est surtout responsable de la blessure, de la provocation, du choc et non pas nécessairement la réalité en elle-même. A souligner alors le rôle crucial tenu par les connaissances subjectives d’un individu sur son comportement.
Lorsqu’un individu est en face de nouveaux éléments de connaissance, il est amené à réaliser une analyse comparative de ces éléments avec ses propres connaissances (objectives et subjectives, confondues). Il est attendu que les réactions de cet individu dépendent de l’écart qu’il perçoit entre ce qu’il connait déjà avec ce qu’il vient de découvrir. Bien entendu, cette perception est essentiellement subjective, d’autant plus qu’elle est surtout fonction de ses connaissances subjectives (ses croyances, ses convictions, sa confiance en ses connaissances, etc.). La conséquence d’une découverte de nouveaux éléments de connaissances est alors une question de représentation, d’interprétation, de perception.
Il importe alors de déterminer les repères que l’individu peut utiliser pour réaliser l’analyse comparative (entre ses connaissances et les nouvelles). Pour cela, il convient de se tourner essentiellement sur les éléments qui pourraient influencer significativement la construction de la connaissance d’un individu : sa « culture »[22]. En effet, Dreyfus-Alphandéry et Bord-Cebron affirment que la culture est « un ensemble de codes, de croyances, de représentations autour desquels se retrouvent un certain nombre de personnes » (Dreyfus-Alphandéry & Bord-Cebron, 2014, p. 39). Aussi, ces auteurs expliquent que les codes sociaux sont constitués de règles (principes et normes) qui conditionnent les comportements des membres d’un groupe, d’une communauté ou d’une société (Dreyfus-Alphandéry & Bord-Cebron, 2014, p. 18). Les réactions d’un individu lorsqu’il compare ses connaissances avec une nouvelle découverte dépendent alors (même en partie) :
- De la représentation individuelle qu’il se fait de l’objet des connaissances (le neuromarketing dans la présente étude) : il s’agit alors d’une question d’éthique. Lorsque le principe du neuromarketing est « trop éloigné » (en contradiction, impossible à concilier avec) des principes personnels de l’individu, celui-ci pourrait être choqué lorsqu’il découvre que les produits qu’il devrait acheter a fait l’objet de pratique neuromarketing.
- De la représentation collective que la communauté à laquelle l’individu est membre, et donc des principes et normes de cette communauté : il s’agit donc d’une question de moralité. De manière analogue à la représentation individuelle, l’individu est choqué de la pratique du neuromarketing sur ces produits s’il découvre des composantes du neuromarketing qui sont en contradiction avec les règles et les valeurs morales de la société où il vit.
Cependant, il faut admettre « qu’être choqué » est généralement associé à un état passager, quelle que soit l’ampleur du « choc » sur l’individu. En principe, la décision de continuer ou non à acheter un produit (ayant fait l’objet des pratiques neuromarketing) devrait aussi tenir compte de plusieurs facteurs dont la plupart pourraient être propre à l’individu en question (par exemple, un consommateur peut continuer à acheter le produit si ce dernier lui coûte moins cher et qu’il est contraint par son budget). En somme, le « choc » engendré par la découverte du neuromarketing sur un produit n’est qu’un facteur parmi d’autres qui peuvent influencer la décision d’achat d’un individu. Lorsque ce facteur « choc » est moins pesant pour l’individu par rapport aux autres facteurs favorables à l’achat du produit, il pourrait décider de continuer à l’acheter.
Hypothèse 3 : Lorsque les consommateurs découvrent que les produits qu’ils consomment habituellement ont fait l’objet de pratiques neuromarketing, ils sont choqués et cherchent des alternatives à ces produits.
Chercher des alternatives à ces produits implique alors un changement de comportement. En fait, ce contexte peut être assimilé à une expérience de l’appel à la peur par des messages persuasifs qui incitent un individu à changer de comportement. Les nouveaux éléments de connaissance sur le neuromarketing constituent alors des messages indiquant à l’individu qu’il est « menacé » : cette menace peut alors être appréhendée différemment d’un individu à un autre suivant les contenus de leurs connaissances (menace pour leur liberté de choix, menace d’acheter des produits qui ne leur sont pourtant pas utiles, etc.). Comme dans le Modèle étendu des processus parallèles (Extended-Parallel Process Model) de Wite (1992, 1998) l’individu évalue d’abord la menace apportée par le neuromarketing. Une seconde évaluation aurait ensuite lieu si l’individu « croit » qu’il est potentiellement en danger ; le processus s’arrête dans le cas contraire et le changement de comportement n’aurait pas lieu (le consommateur continue à consommer le produit ayant fait l’objet de pratique neuromarketing). C’est dans la première évaluation que l’individu pourrait être « choqué », à la suite de la découverte de la menace.
Dans la seconde évaluation, l’individu analyse la crédibilité et la pertinence de la menace, et donc de son exposition au danger. A l’issue de cette analyse, l’individu peut rejeter les messages s’il perçoit que la menace est improbable ou insignifiante ; sinon, il est effrayé (la peur). Pour réduire cette peur, l’individu effectue une autre évaluation à deux niveaux :
- Il évalue son auto-efficacité, c’est-à-dire sa capacité à suivre les recommandations contenues dans les messages : « est-ce qu’il est capable de changer ses habitudes de consommations ? » ;
- Il évalue également l’efficacité des recommandations pour lui permettre d’éviter la menace : « changer ses habitudes de consommation lui permettra-t-il d’être réellement à l’abri de la menace ? ».
Lorsque l’individu croit qu’il peut suivre les recommandations (de changer de comportement), il cherchera alors des alternatives pour les produits ayant fait l’objet de pratiques neuromarketing. Autrement, il cherche plutôt à contrôler sa peur (puisqu’il pense qu’il serait vain de vouloir contrôler le danger) : pour cela, il peut choisir de refuser catégoriquement la menace ou d’éviter tout simplement d’aborder le sujet, par exemple. En conséquence, il continuera à consommer ces produits.
2.2.2 Choix des moyens d’investigation
Pour la vérification/validation des hypothèses de travail (formulées dans la sous-section précédente, il convient de réaliser une étude quantitative. En effet, il s’agit surtout de confirmer ou d’infirmer des suppositions (sur les réactions des consommateurs face aux pratiques du neuromarketing) plutôt que de récolter des informations nouvelles :
- D’un côté, l’essentiel des investigations consiste à déterminer les comportements des consommateurs lorsqu’ils sont en train de découvrir que les producteurs ou les distributeurs des produits qu’ils ont l’habitude d’acheter et/ou de consommer ont eu recours aux pratiques neuromarketing (dans la promotion et la commercialisation de ces produits).
- D’un autre côté, l’étude théorique dans la première partie ont permis de constituer les éléments pouvant correspondre principalement aux réponses comportementales des consommateurs de ces produits lors de la découverte des pratiques neuromarketing effectuées par ces producteurs/distributeurs.
Une étude qualitative (ou étude de motivation) pourrait probablement apporter des informations supplémentaires pour enrichir l’ensemble de la recherche. En revanche, de telle étude (qualitative) n’apparait pas nécessaire pour répondre à la question centrale du présent travail de recherche. Il faut dire aussi que les moyens utilisées pour mener ce travail sont assez limités, aussi bien au niveau financier que temporel. Il semble alors optimal de se limiter à la seule étude quantitative pour vérifier les trois hypothèses de travail.
2.2.3 Le questionnaire
Dans l’élaboration du questionnaire, quatre types d’informations méritent une attention particulière :
- Des informations générales concernant les enquêtés qui pourrait éventuellement avoir de l’influence ou être influencées par les éléments relatifs aux connaissances du neuromarketing : sexe, âge, profession, réalisation d’achats de produits alimentaires de façon régulière (quotidiennement, hebdomadairement, bimensuellement, etc.). A ces informations plutôt standards s’ajoute une question demandant s’il arrive que le sujet enquêté regarde volontairement les publicités (à la télévision).
- Le niveau des enquêtés en matière de connaissance du neuromarketing notamment pour déterminer s’il s’agit pour eux d’une découverte (du neuromarketing) ou non. Les éléments de connaissance concernent entre autres l’exactitude de leurs connaissances, leurs croyances, leurs éventuelles confiances en leurs connaissances. Ces éléments de connaissance pourraient avoir des interactions avec la position de chaque enquêté vis-à-vis des principaux sujets de débats concernant les pratiques du neuromarketing en général. Ces éléments de connaissance pourraient également avoir des influences sur leurs réactions comportementales à la « rencontre » avec le neuromarketing dans les produits alimentaires qu’ils achètent et/ou ils consomment habituellement. Les questions relatives à ce type d’informations cherchent surtout à déterminer les composantes de la connaissance de chaque enquêté concernant :
- la définition du neuromarketing,
- les célèbres expériences avec les boissons Pepsi et Coca-cola (connaissance de ces expériences et de leurs résultats),
- les compétences du neuromarketing : ce que celui-ci peut réaliser et ce qu’il est incapable de faire,
- les méthodes utilisées dans les recherches neuromarketing (les outils principalement utilisés),
- l’efficacité du neuromarketing,
- et les conditions de réalisation des expériences neuromarketing quant aux personnes qui se portent volontaires pour être sujet de ces expériences (existence de risque et/ou de souffrance).
- La prise de position sur les questions d’ordre moral concernant le neuromarketing : il s’agit alors de déterminer les positions prises par les enquêtés vis-à-vis des principaux sujets de débats. Ces sujets sont :
- Le neuromarketing en tant que « outil de manipulation » ;
- Le rôle (la responsabilité) du neuromarketing dans le développement de certaines épidémies (obésité, diabète, etc.) et de certaines addictions (alcool, drogue, jeu de hasard) ;
- La « violation du serment d’Hippocrate » par les médecins que participent à des recherches neuromarketing ;
- La « manipulation publicitaire » effectuée par le neuromarketing à l’endroit des personnes aux faibles défenses cognitives telles que les enfants ;
- La contribution du neuromarketing dans la favorisation des achats inutiles (ne répondant pas aux besoins réels des individus) ;
- La transparence dans le recours au neuromarketing, c’est-à-dire la nécessité de publication des noms des entreprises qui utilisent les techniques neuromarketing ;
- La nécessité de « réglementer » les recherches et les pratiques du neuromarketing ;
- Le neuromarketing et le « libre arbitre », la « démocratie ».
- Les opinions des enquêtés vis-à-vis des recherches et pratiques éventuellement réalisées par des entreprises françaises du secteur alimentaire.
2.2.4 Echantillonnage et administration du questionnaire
Comme il s’agit d’appréhender les avis des consommateurs de produits relatifs à un secteur très vaste, aucune restriction n’a été imposée quant aux caractéristiques de la population-cible de l’enquête. En fait, il ne s’agit pas simplement d’apprécier les avis des acheteurs de produits alimentaires mais également et surtout des opinions des prescripteurs de ces produits. Il est supposé que tous les consommateurs de tels produits sont généralement prescripteurs sur ce domaine, ce qui implique que tout individu résidant en France peut faire partie de l’échantillon de l’étude. Néanmoins, cela n’a pas empêché d’intégrer dans le questionnaire des questions demandant certaines caractéristiques de l’enquêté (âge, profession, habitude et fréquence d’achat, etc.) pour des analyses post-enquêtes.
L’enquête nécessaire pour la vérification de ces hypothèses a été réalisée durant environ six (6) semaines, de mi-juin jusqu’à la fin du mois de juillet. L’administration du questionnaire a été effectuée via deux grandes méthodes :
- L’auto-administration, c’est-à-dire que les enquêtés répondent aux questions sans l’intervention directe d’un enquêteur : Une part importante des enquêtés ont été abordés par internet :
- Soit par courrier électronique en utilisant des bases de données personnelle et professionnelle de l’enquêteur (l’impétrant réalisant le présent travail de recherche ;
- Soit via les réseaux sociaux, essentiellement sur Facebook : les enquêtés sont surtout les amis (de l’enquêteur), les amis des amis. Mais le questionnaire a également été affiché sur certaines pages très visitées par des français.
- L’administration sur certains points de vente : comme il s’agit d’apprécier les comportements des consommateurs des produits agroalimentaires, plusieurs enquêtés ont alors été appréhendés devant des magasins de ce secteur tels que Monoprix, Carrefour, Simply, etc. L’enquête sur ces points de vente a donc été effectuée :
- Soit en auto-administration : les enquêtés ont répondu aux questions en inscrivant eux-mêmes les réponses dans les questionnaires imprimés (les enquêtés se faisant aidé quelquefois par l’enquêteur sur des éventuelles incompréhensions) ;
- Soit en répondant directement et verbalement à des questions formulées par l’enquêteur : ce dernier inscrit ainsi les réponses dans les questionnaires imprimés.
Quelques difficultés majeures ont été rencontrées dans la réalisation des investigations pour la réalisation de la présente étude :
- Le questionnaire s’est montré assez compliqué à répondre pour certains enquêtés, nécessairement pour l’auto-administration. Cela est essentiellement dû :
- à la quantité d’informations relativement importante : au total, le questionnaire comporte plus de 35 questions (6 pour les informations générales, une douzaine pour la connaissance en neuromarketing, 8 pour les prises de positions dans les débats d’ordre moral concernant le neuromarketing, et 9 concernant les opinions sur les pratiques éventuelles du neuromarketing par les entreprises en France). En revanche, il faut souligner que la quasi-totalité des questions ne devraient pas présenter de sérieux problèmes pour les répondants puisque ces questions ont été formulées sous formes de question à choix unique (QCU) ou de question à choix multiples (QCM).
La question qui demandait de réel effort plus ou moins important de la part des enquêtés dans la formulation des réponses est celle concernant la définition du neuromarketing.
- à une certaine forme de répétition à cause de la similarité/analogie entre des questions. Par exemple, une question demande selon la connaissance de l’enquêté si les « recherches neuromarketing » sont autorisées en France (Q.3.1), et une autre demande (toujours selon la connaissance de l’enquêté) si les résultats des recherches neuromarketing obtenus dans d’autres pays sont applicables en France (Q.3.2). Des efforts ont alors été réalisés dans la reformulation de certaines questions afin d’insister sur les différences entre ces questions.
- à l’incompréhension du concept de neuromarketing même : ainsi, les enquêtés ignorant ce concept risquent d’être découragés de répondre aux questions concernant la connaissance du neuromarketing. Pour limiter ce risque, l’option « Ne pas savoir » est plusieurs fois proposée ; ces questions sont surtout formulées sous forme de QCU et/ou QCM afin de réduire aussi le risque que les enquêtés ne répondent pas systématiquement avec « Ne pas savoir » à toutes les questions non-faciles.
- Il aurait été beaucoup plus profitable d’enrichir les résultats de la présente étude avec des entretiens réalisés auprès des entreprises françaises : cela aurait permis de faire des analyses comparatives entre les entreprises qui pratiquent le neuromarketing et celles qui ont choisi de ne point recourir à cette technique marketing. Mais, la question du neuromarketing reste encore un sujet tabou en France, ce qui rend probablement méfiantes et discrètes les entreprises qui auraient déjà fait appel aux techniques des neurosciences dans leurs démarches marketing. Ce manque de transparence ainsi que le refus des entreprises concernées de s’exprimer sur le sujet ont alors empêché de réaliser ces entretiens. Il faut également évoquer le manque de temps et de financement pour la réalisation de cette étude qualitative auprès des entreprises françaises.
- De manière analogue, il n’a pas été possible d’effectuer un benchmarking entre des entreprises françaises et étrangères pratiquant le neuromarketing : le domaine de ce dernier est encore obscur en France.
2.2.5 Caractéristiques des enquêtés
Plus exhaustivement, et compte tenu du résultat des investigations, les enquêtés ayant répondu effectivement au questionnaire ont les caractéristiques principales ci-après :
- Leur effectif (la taille de l’échantillon) est de 89 : cet effectif est (largement) suffisant pour pouvoir effectuer des éventuels traitements statistiques plus robustes[23].
- Ce sont surtout des jeunes âgés entre 18 et 35 ans : cette tranche d’âges représente près de la moitié des enquêtés. L’intérêt au phénomène du neuromarketing ne semble pas être linéaire par rapport à l’âge, puisque les plus de 50 ans sont plus nombreux parmi les enquêtés (26%) que ceux qui appartiennent à la tranche d’âges [35 ; 50[ (20%) ;
Tranche d’âges | Homme | Femme | Total | |
Moins de 18 ans | 3 | 2 | 5 | 6% |
De 18 à 35 ans | 24 | 19 | 43 | 48% |
De 35 à 50 ans | 9 | 9 | 18 | 20% |
Plus de 50 | 12 | 11 | 23 | 26% |
Total | 48 | 41 | 89 |
Tableau 1 – Tranches d’âges et sexes des enquêtés
- Les hommes (54%) et les femmes sont représentés de manière sensiblement égale : aucun des deux sexes n’est vraisemblablement pas indifférent par rapport à l’autre (sexe) quant au phénomène du neuromarketing ;
- Ce sont des individus travaillant principalement dans le secteur tertiaire (42% des enquêtés), même si les étudiants ont aussi une proportion relativement importante (21%) ;
Etudiant | Secteur primaire | Secteur secondaire | Secteur Tertiaire | Ne travaille pas | |
Total | 19 | 13 | 12 | 37 | 8 |
% | 21% | 15% | 13% | 42% | 9% |
Tableau 2 – Professions des enquêtés
- Environ 89% des enquêtés effectuent régulièrement des achats de produits alimentaires, dont 98% des femmes et 81% des hommes. A rappeler que même si un individu n’effectue pas d’achat régulier de produit alimentaire, il se peut que cet individu soit un prescripteur, c’est-à-dire que c’est lui qui « ordonne » les achats qu’un autre individu va effectuer pour lui (pour ce prescripteur). Néanmoins, il est à supposer que la décision finale (d’achat) appartient à celui qui réalise effectivement et directement l’acte d’achat.
Effectif | Proportion selon le sexe | ||||||
Achat régulier | Homme | Femme | Total | Homme | Femme | Total | |
N’achètent pas régulièrement | 9 | 1 | 10 | 19% | 2% | 11% | |
Achètent régulièrement | 39 | 40 | 79 | 81% | 98% | 89% | |
Total | 48 | 41 | 89 | 100% | 100% | 100% |
Tableau 3 – Effectif et proportion des enquêtés suivant qu’ils effectuent ou non d’achat régulier de produits alimentaires
Quant aux fréquences des achats de produits alimentaires, les individus de l’échantillon d’enquêtés réalisent surtout des achats hebdomadaires (50%). Les hommes ont tendance à effectuer des achats moins fréquemment par rapport aux femmes : 57% des hommes réalisent des achats tous les deux semaines contre seulement 36% pour des achats quotidiens.
Effectif | Proportion selon les fréquences | ||||||
Fréquence Achat | Homme | Femme | Total | Homme | Femme | Total | |
Bimensuelle | 4 | 3 | 7 | 57% | 43% | 100% | |
Hebdomadaire | 27 | 23 | 50 | 54% | 46% | 100% | |
Journalière | 8 | 14 | 22 | 36% | 64% | 100% | |
Aucun (Non) | 9 | 1 | 10 | 90% | 10% | 100% | |
Total | 48 | 41 | 89 |
Tableau 4 – Fréquences d’achats de produits alimentaires effectués par les enquêtés
- Finalement, outre ceux qui sont âgés de moins de 18 ans, les enquêtés en général ne semblent pas vouloir regarder volontairement les publicités qui passent à la télévision.
Tranche d’âge des enquêtés | ||||||
]– ;18[ | [18 ; 35[ | [35 ; 50[ | [50 ; +[ | Total | ||
Voir la pub volontairement | Ne pas voir | 1 | 36 | 10 | 14 | 61 |
Voir | 4 | 7 | 8 | 9 | 28 | |
Total | 5 | 43 | 18 | 23 | 89 |
Tableau 5 – Répartition selon l’âge des enquêtés qui décident de voir délibérément ou non la publicité à la télévision
Il est possible de dire que l’échantillon est constitué d’individus dont les caractéristiques sont assez variées, un échantillon qui pourrait représenter d’une certaine manière la société française. D’ailleurs, avant d’entamer la vérification des hypothèses de travail pour répondre à la question centrale de la présente étude, il est important d’avoir une bonne appréhension de la qualité et du niveau de connaissance du neuromarketing par le public français, ainsi que les positions de ce dernier dans les divers sujets de débats concernant le neuromarketing.
2.3 La connaissance du neuromarketing par le public français
Tout d’abord, il est intéressant d’apprécier la connaissance du neuromarketing par le public français, étant supposé que cette connaissance pourrait influencer la prise de position d’un individu par rapport à certains débats d’ordre moral sur le neuromarketing, d’une part, et influencer les réactions de cet individu lorsqu’il découvre ensuite l’application de cette technique marketing sur les produits qu’ils consomment habituellement. Pour mieux appréhender le niveau et la qualité de la connaissance des enquêtés, plusieurs questions leur ont été posées.
Premièrement, chaque enquêté a été invité de formuler sa propre définition du neuromarketing. Ensuite, une note a été attribuée à chaque réponse suivant que la définition donnée permet ou non de bien décrire le phénomène (neuromarketing) :
- Seule une partie minoritaire des enquêtés ont donné des définitions plus ou moins acceptables du neuromarketing. En effet, 17 individus (sur 89), soit 19% des enquêtés seulement ont donné des définitions correctes (note de 10), 4 autres ont formulé des définitions proches de celle attendue (note de 8), et 12 autres ont donné des définitions renfermant les notions essentielles caractérisant le neuromarketing (sans nécessairement donné une définition satisfaisante : note de 7) : tous ces individus (33, soit un peu plus du tiers des enquêtés) ont alors au moins une notion essentielle du neuromarketing.
- De temps en temps, les définitions formulées par les enquêtés montrent qu’ils confondent le neuromarketing avec d’autres techniques du marketing « traditionnel » (telles que le marketing sensoriel, par exemple). Plusieurs fois, il est constaté même que les répondants n’arrivent pas à distinguer le neuromarketing du marketing traditionnel. Pour une bonne part des individus de l’échantillon (56, soit 63% des enquêtés), le neuromarketing reste encore un phénomène à découvrir, en ne tenant compte que des définitions formulées.
- Il apparait que ceux qui ont formulé des définitions acceptables (du neuromarketing) n’ont pas forcément trouvé systématiquement les bonnes réponses aux autres questions relatives à la connaissance du neuromarketing. C’est par exemple le cas de 6 individus sur les 17 (35%) ayant obtenu une note maximale dans la formulation de définition du neuromarketing : ces 6 personnes n’ont pas su si ce dernier peut appréhender ou non les mécanismes inconscients qui guident les choix des consommateurs. Etant donné que la plupart des enquêtés ont répondu au questionnaire en ligne, essentiellement en auto-administration, il est possible que certains individus ont juste cherché la signification du « neuromarketing » sur internet avant ou pendant qu’ils ont rempli le formulaire d’enquête. A l’inverse, plusieurs de ceux qui n’ont pas pu donner des définitions acceptables ont répondu correctement à d’autres questions (voire à celles considérées comme relativement plus difficiles).
Tout cela montre que la connaissance du neuromarketing par un individu résidant en France n’est généralement pas encore complète : chacun des enquêtés n’ont que de connaissance partielle de la réalité sur le sujet. Ainsi, parmi ceux n’ayant pas donné de définition satisfaisante du neuromarketing (avec des notes inférieures à 7), plus de 50% ont vraisemblablement connu la fameuse expérience neuromarketing des boissons Pepsi et Coca-cola du début des années 2000 (cf. Tableau 6). A remarquer qu’il faut à la fois avoir trouvé « Pepsi » comme réponse à la première partie et « Coca-cola » à la deuxième partie de l’expérience pour connaitre vraiment cette célèbre expérience du neuromarketing. Ceux qui ont déclaré connaitre cette expérience mais ayant obtenu de note inférieure à 7 dans la définition du neuromarketing ont « tous » (100%) répondu juste à la partie 2 (de l’expérience).
Réponses pour la partie 1 de l’expérience (*) | Réponses pour la partie 2 de l’expérience (*) | |||||
Note de la définition | Mauvaise | Bonne (“Pepsi”) | Total | Mauvaise | Bonne (“Coca”) | Total |
0 | 100% | 100% | 100% | 100% | ||
3 | 100% | 100% | 100% | 100% | ||
4 | 33% | 67% | 100% | 100% | 100% | |
6 | 50% | 50% | 100% | 100% | 100% | |
7 | 25% | 75% | 100% | 25% | 75% | 100% |
8 | 100% | 100% | 100% | 100% | ||
10 | 22% | 78% | 100% | 100% | 100% |
Tableau 6 – Proportions des enquêtés suivant les notes obtenues pour la définition du neuromarketing, et suivant les réponses pour les expériences célèbres (Pepsi/Coca)
(*) Partie 1 : expérience en aveugle (les participants à l’expérience ne connaissaient pas les marques des boissons qu’ils ont goutées) ; Partie 2 : expérience avec révélation des marques.
Par ailleurs, il est possible de dire que beaucoup d’enquêtés font confiance à leur propre connaissance bien que l’exactitude de celle-ci n’ait pas été manifestement prouvée. Parmi les 25 enquêtés qui ont affirmé avoir connu la célèbre expérience neuromarketing avec les boissons Pepsi et Coca-cola, au moins 6 (soit près d’un quart) ont manifestement failli dans les questions de vérification (relatives à la partie 1 et partie 2 de l’expérience). Autrement dit, une part importante du public français ferait confiance à des connaissances subjectives (des croyances, des suppositions, des rumeurs, etc.) concernant le neuromarketing sans avoir préalablement vérifié leur exactitude.
Il est également possible de conclure que les niveaux de connaissances du public français concernant le neuromarketing sont encore faibles. En considérant 5 questions considérées comme assez faciles, 14 enquêtés (moins de 16%) seulement ont répondu correctement à l’ensemble de ces questions et 27 (30%) ont trouvé 4 bonnes réponses (cf. Tableau 7). Les réponses à ces dernières (questions à choix unique) étant, pour la Q.1.5 « le neuromarketing peut appréhender les mécanismes inconscients guidant les choix », pour la Q.1.6 « le neuromarketing peut appréhender l’émotion », pour la Q.1.7 « le conscient et surtout l’inconscient influence les décisions d’achat », pour la Q.1.9 « le neuromarketing ne peut pas lire directement la pensée », et pour la Q.1.12 « les personnes volontaires à une recherche neuromarketing ne souffrent pas pendant l’expérience » (cf. Annexe). La plupart des enquêtés ont surtout des connaissances sur la compétence du neuromarketing dans l’appréhension de « l’inconscient » (Q.1.5) et de « l’émotion » (Q.1.6). En revanche, ils ont encore de sérieuses difficultés sur les trois autres questions.
Nombre de bonnes réponses | 5 | 4 | 3 | 2 | 1 | 0 |
Répondu correcte | 14 | 27 | 21 | 13 | 9 | 5 |
Failli surtout sur les questions | Q.1.7 et Q.1.9
10 individus |
Q.1.9 et Q.1.12
10 individus |
Q.1.7
12 individus |
Q.1.9 et Q.1.12
9 individus |
||
Répondu surtout les questions | Q.1.5 et Q.1.6
26 individus |
Q.1.5
16 individus |
Q.1.6
10 individus |
Q.1.7
9 individus |
Tableau 7 – Effectif des enquêtés ayant trouvé les bonnes réponses à 5 questions relativement faciles
Du côté de la « croyance » en l’efficacité du neuromarketing, il est demandé aux enquêtés d’indiquer cette efficacité en attribuant une note entre 0 et 10. Seulement 6 individus croiraient en l’efficacité de cette technique du marketing (notes supérieures ou égales à 7), 54 douteraient de cette efficacité (notes entre 4 et 7) et 29 n’y croiraient pas. Aucun de ceux qui ont attribué une note de 7 ou plus n’ont répondu correctement à l’ensemble des questions sur la connaissance du neuromarketing : tout au plus, un individu accordant une note de 9 a répondu aux 4 des 5 questions faciles. Aussi, parmi ces 6 individus qui croiraient au neuromarketing, aucun n’a connu l’expérience célèbre sur les boissons Pepsi et Coca-cola, et aucun n’a su si une personne qui se porte volontaire pour être sujet d’une expérience neuromarketing est exposé ou non à un risque d’une certaine ampleur (question Q.1.11, cf. Annexe) : ceux qui ont une quasi-certitude de l’efficacité du neuromarketing (attribuant une note de 9) pensent que de tel volontaire est en danger pendant l’expérience[24].
Finalement, en attribuant une note à chaque réponse de chaque individu enquêté (1 points si bonne et 0 sinon) sur les 10 principales questions relatives à la connaissance du neuromarketing, 43% des enquêtés seulement ont eu une note supérieure ou égale à la moyenne (5/10). La personne ayant eu la note la plus élevée a pu répondre à 9 questions, et il reste encore 9 personnes n’ayant pu répondre qu’à une question au plus (avec 4 qui ont failli à toutes les questions). A priori donc, le niveau de connaissance du public français concernant le neuromarketing peut être considérée comme non-suffisante (trop moyen : cf. Figure 1) pour servir de base à des prises de position sur les débats d’ordre moral sur le sujet, et encore moins pour s’assurer des décisions optimales que les consommateurs français vont prendre face à l’utilisation du neuromarketing sur les produits alimentaires qu’ils consomment habituellement.
Figure 1 – Effectif des enquêtés selon leurs notes concernant la connaissance du neuromarketing
En somme, les connaissances du public français concernant le neuromarketing sont essentiellement constituées de connaissances objectives très incomplètes, d’une part, et de connaissances subjectives (les croyances non nécessairement exactes) très développées. Il est alors difficile d’établir exactement les conséquences de la rencontre de ce public avec le neuromarketing (la révélation de l’utilisation effective du neuromarketing sur les produits que les français consomment habituellement). Mais, au moins, toutes ces informations (sur la connaissance du neuromarketing) pourraient servir à estimer et à expliquer les réactions des français lors de cette rencontre (puisque des observateurs et chercheurs ont déjà révélé que des entreprises œuvrant en France pratiquent déjà le neuromarketing).
2.4 La prise de position du public français face aux débats concernant le neuromarketing
Sur les huit (8) principaux sujets de débat d’ordre moral relatif au neuromarketing, chaque enquêté a choisi de se prononcer comme partisan dans au moins un de ces sujets. Sur ce point, il est possible de dire que les français ne sont pas indifférents sur la question concernant le neuromarketing, quel que soit leur niveau de connaissance vis-à-vis de ce dernier :
- Généralement, 5 sujets de débats d’ordre moral ont séduit plus de la moitié des enquêtés (qui se sont alors prononcés « contre » certaines pratiques du neuromarketing pour au moins un de ces sujets). 83 individus sur 89 (93%) se sont déclarés partisans dans au moins un de ces 5 plus importants sujets retenant l’attention des enquêtés. Les 3 autres sujets qui retiennent moins de partisans concernent la question du libre arbitre (29 partisans : 33%), celle de la violation du serment d’Hippocrate (34 partisans : 38%) et celle sur la transparence concernant la liste des entreprises pratiquant le neuromarketing (42 partisans : 47%).
Figure 2 – Effectifs des enquêtés partisans aux principaux sujets de débat d’ordre moral sur le neuromarketing
- Il est constaté que l’effectif des enquêtés ayant pris position dans un sujet supplémentaire (dit effectif marginal) est quasiment constant (un peu moins de 10 en moyenne). Autrement dit, pour le 2ème, 3ème, … 8ème sujet de débat supplémentaire, celui-ci peut attirer environ 10 partisans de plus, soit près du 1/8 du nombre d’enquêtés (il reste à la fin 10 individus qui ont épousé tous les 8 sujets à la fois). Il est alors probable de prévoir que pour un nouveau sujet de débat qui apparait concernant le neuromarketing (constituant alors le 9ème débat), il est possible que ce sujet puisse attirer au moins 1/9 du public français.
Figure 3 – Effectif et pourcentage cumulé des enquêtés partisans pour un certain nombre de sujets de débat
- Le constat précédent est toutefois nuancé par le fait que pour ceux qui se sont prononcés partisans dans au moins 4 sujets, certains sujets sont beaucoup plus prisés que d’autres. En effet, le nombre des partisans du sujet « manipulation des faibles » devient nettement plus important par rapport à ceux d’autres sujets, tels que « affaiblir le libre-arbitre » et « violation du serment d’Hippocrate ». Cela pourrait s’expliquer de la manière suivante :
- Les moins sensibles à la discussion sur le neuromarketing sont plus occasionnels et opportunistes, c’est-à-dire qu’ils ne se considèrent pas comme vraiment partisans (ou « contres ») dans un sujet ou un autre : ces individus seront seulement partisans (ou « contres ») lorsqu’ils sont contraints de le faire ou bien si cela leur permet de profiter d’un bénéfice réel.
- Ceux qui sont vraiment sensible aux questions du neuromarketing sont évidemment ceux qui se sentent concernés et prennent position dans plusieurs sujets à la fois. Il est à supposer que ceux qui sont « contres » les affirmations annoncés dans ces 8 sujets de débats d’ordre moral sont relativement moins nombreux (mais leur nombre n’est toutefois pas insignifiants) que ceux qui sont « partisans » de ces affirmations. Au regard des informations disponibles, il est donc possible d’associer les véritables animateurs de ces débats à ceux qui se prononcent « partisans » dans au moins 4 sujets à la fois.
- Il est remarqué que la moyenne des notes des individus qui se sont engagés davantage dans les débats d’ordre moral sur le neuromarketing (partisans dans au moins 4 sujets de ces débats) est plus élevée par rapport à celle du reste de l’échantillon. En effet, la moyenne des notes de ces individus est égale à 4.58 contre 3.53 pour la moyenne des notes du reste de l’échantillon, soit plus d’un point d’écart. Il est à conclure alors qu’il existe une certaine relation fonctionnelle entre deux variables : la connaissance sur le neuromarketing d’une part, et la prise de position dans les débats d’ordre moral concernant cette branche du marketing, d’autre part. Même s’il est encore difficile de préciser la nature et le sens de cette liaison fonctionnelle, il est probable que la prise de position dans les débats d’ordre moral est conditionnée par la connaissance sur le neuromarketing. Mais, cela n’écarte pas non plus le fait que c’est suite à une telle prise de position qu’un individu cherche davantage à développer sa connaissance sur le neuromarketing (pour vérifier/légitimer et asseoir cette prise de position). Il est tout à fait possible également qu’il existe un effet auto-renforçant entre ces deux variables, c’est-à-dire qu’il est probable que les effets vont dans les deux sens à la fois.
Pour apprécier davantage la relation entre ces deux variables, le tableau ci-après apporte des informations intéressantes :
Note moyenne des | Nombre de partisans dans au moins 4 sujets | |||
Sujet de débat moral | Partisans | Non-Partisans | Ecart | |
Manipulation de masse | 4,3 | 3,9 | 0,5 | 44 |
Responsable d’épidémie | 4,5 | 3,7 | 0,8 | 44 |
Serment d’Hippocrate | 4,4 | 4,0 | 0,4 | 27 |
Manipulation des faibles | 4,4 | 3,6 | 0,7 | 50 |
Achat inutile | 4,3 | 3,8 | 0,6 | 47 |
Transparence des pratiquants | 4,5 | 3,8 | 0,7 | 34 |
Réglementation d’utilisation | 4,3 | 3,9 | 0,4 | 42 |
Affaiblir le libre arbitre | 4,2 | 4,1 | 0,2 | 26 |
Tableau 8 – Notes moyennes des partisans et non-partisans (connaissance du neuromarketing) et effectif des partisans dans au moins 4 sujets de débat moral
- Les notes moyennes (relatives à la connaissance du neuromarketing) obtenues par les partisans pour chaque sujet de débat moral sur le neuromarketing sont toutes supérieures à celles obtenues par les non-partisans.
- Les écarts entre les notes moyennes des partisans et celles des non-partisans dans des sujets de débat suivent à peu près, faiblement et par endroits, la même allure que les nombres de ces partisans dans chaque sujet (même si cela n’est pas toujours systématique). Les imperfections pourraient être dues (en partie) au fait que certains enquêtés peuvent être « contres » les affirmations dans certains sujets de débats, donc avec tout de même une plus ou moins forte prise de position, mais l’enquête n’a pris en considération que ceux qui sont « partisans » de ces affirmations.
Figure 4 – Nombre des partisans dans les sujets de débats et écart entre les notes des partisans et celles des non-partisans à ces sujets
En somme, les deux variables, connaissance du neuromarketing par les individus et la prise de position de ces derniers dans les principaux sujets de débat moral sur le neuromarketing, sont alors à surveiller dans l’étude des réactions des consommateurs français à la rencontre du neuromarketing dans leur vie quotidienne.
Partie 3. Analyse des résultats
Cette dernière partie cherche à vérifier les hypothèses de travail en tenant compte des différents types d’individus identifiés parmi les enquêtés. Quelques recommandations seront émises à l’issue des analyses effectuées sur ces types d’individus.
Tout d’abord, il faut admettre que les éléments de connaissances concernant la réalité de l’application/pratique effective du neuromarketing en France est d’une importance particulière, par rapport aux autres éléments de connaissance sur la généralité du neuromarketing. En d’autres mots, le fait de savoir (ou la prétention de connaitre) la réalité « actuelle » sur la recherche et la pratique du neuromarketing en France devrait donner des informations spécifiques sur les caractéristiques des individus dans ce domaine. En effet, cela devrait avoir un effet plus ou moins direct sur les décisions que vont prendre les individus lorsqu’ils seront informés que les produits qu’ils consomment habituellement ont fait l’objet d’une pratique neuromarketing. Plus concrètement, deux importantes questions devraient permettre de déterminer si un individu est en mesure de tenir vraiment ou non les décisions qu’il prend « actuellement » (c’est-à-dire avant qu’il ne découvre que les produits qu’il a l’habitude d’acheter a fait l’objet d’une pratique neuromarketing) :
- Est-ce que l’individu sait que la recherche neuromarketing est (encore) interdite sur le territoire français ? (Question Q.3.1 du questionnaire d’enquête)
- Est-ce que cet individu sait également que, même si la recherche y est interdite, la pratique[25] est en revanche autorisée en France ? (Question Q.3.2 du questionnaire) En d’autres termes, est-il autorisé d’utiliser sur le territoire français des résultats de recherche neuromarketing réalisée en dehors de la France ?
Ces deux questions sont posées aux enquêtés sous formes de QCU (question à choix unique). Parmi les réponses proposées que chaque enquêté a la possibilité de choisir figure l’option « Ne pas savoir ». De cette manière, l’enquêté n’est pas contraint de choisir au hasard une réponse ; il est invité à répondre s’il est « persuadé » d’avoir la bonne réponse. Deux principaux cas peuvent alors apparaitre à l’issue de ces questions :
- Si les éléments de connaissance dont un individu dispose ou dont celui-ci pense être « vrais » sont ensuite prouvés comme étant « exacts », il est fort probable que cet individu ne changera pas d’avis lorsqu’il rencontrera ensuite le neuromarketing dans les produits qu’il a l’habitude de consommer. En d’autres termes, les attitudes de cet individu vis-à-vis du neuromarketing seront maintenues et ce qu’il projette de faire lors de cette rencontre avec le neuromarketing dans ses habitudes d’achat seront probablement réalisé de manière effective.
- Si par contre, il est démontré que les croyances d’un individu (composantes de ses connaissances subjectives) concernant l’utilisation du neuromarketing en France sont inexactes ou incomplètes, deux autres cas peuvent être étudiés.
- D’un côté, il y a des individus qui ont confiance en leurs croyances inexactes : lorsque de tels individus découvriront les « erreurs » sur leurs « croyances » relatives au neuromarketing, ils pourraient décider de remettre en cause d’autres éléments de connaissance qu’il dispose déjà avant la rencontre avec le neuromarketing dans les produits qu’il consomme habituellement.
- D’un autre côté, il y a ceux qui se méfient de la crédibilité de leurs croyances : ils établissent leurs stratégies (les décisions qu’ils projettent de prendre à la rencontre avec le neuromarketing dans les produits qu’ils consomment habituellement) avec les informations qu’ils disposent et dont ils pensent être fiables. En même temps, ils éprouvent un besoin d’informations crédibles supplémentaires pour prendre une décision optimale : alors, leurs stratégies sont seulement temporaires jusqu’à l’obtention d’autres éléments d’informations et suivant les circonstances que les décisions doivent être prises.
3.1 Les différents types d’individus composant le public français vis-à-vis du neuromarketing
Ainsi, trois types d’individus peuvent être identifiés suivant les réponses des enquêtés aux deux questions filtres énoncées plus haut. Les comportements des enquêtés, en termes de consommation des produits ayant fait l’objet de pratique neuromarketing, seront alors analysés à travers ces trois types d’individus :
- Ceux qui ont répondu correctement à ces deux questions seront appelés « connaisseurs relatifs » ;
- Ceux qui ont répondu mais de manière incorrecte à ces questions seront appelés « faux-connaisseurs relatifs » : ils se considèrent comme des connaisseurs et font confiance à ses connaissances dont certaines ne sont pas exactes ;
- Ceux qui ont répondu à une ou aux deux questions par « Ne pas savoir » seront appelés « non-connaisseurs relatifs » : ils n’ont pas vraiment confiance à leurs connaissances, surtout lorsqu’ils ne sont pas sûrs que celles-ci soient exactes (prouvées comme étant exactes).
3.1.1 Les « connaisseurs relatifs »
Sont appelés « connaisseurs relatifs » les individus qui disposent ou qui croient à des informations exactes concernant l’utilisation (recherche et/ou application des résultats d’une recherche) du neuromarketing en France.
3.1.1.1 Profils des « connaisseurs relatifs »
Ainsi, il est à supposer que ces « connaisseurs relatifs » renforceront tout simplement leurs positions « actuelles » (les attitudes qu’ils ont) lorsqu’ils découvriront par la suite que certains des produits alimentaires qu’ils consomment habituellement ont fait l’objet de pratique neuromarketing. En fait, il est question pour ce type d’individus de « rencontre » plutôt que de « découverte » du neuromarketing, et ils peuvent alors se considérés comme de véritables connaisseurs concernant le neuromarketing, c’est-à-dire qu’ils seront amenés à faire davantage confiance à leurs propres connaissances dans ce domaine.
Ils sont seulement 21 (soit 24% des enquêtés) qui ont répondu correctement que la recherche neuromarketing n’est pas (encore) autorisée en France. Seule la moitié de ceux-ci (10 individus, soit 11% des enquêtés) ont su/cru que la pratique (utilisation des résultats de recherche) neuromarketing est en revanche autorisée. Manifestement, les « connaisseurs relatifs » sont très peu nombreux par rapport à ceux qui affirment des informations inexactes (ceux qui ont répondu faussement) et ceux qui ont avoué « ne pas savoir ».
« La recherche est autorisée en France » | |||||
Oui | Non | Ne pas savoir | Total | ||
« La pratique est autorisée en France » | Oui | 23 | 10 | 8 | 41 |
Non | 4 | 10 | 5 | 19 | |
Ne pas savoir | 3 | 1 | 25 | 29 | |
Total | 30 | 21 | 38 | 89 |
Tableau 9 – Effectif des enquêtés qui pensent que la recherche/pratique neuromarketing est autorisée en France
En considérant les deux questions filtres sur la recherche et la pratique du neuromarketing en France, le profil suivant est attribué aux connaisseurs relatifs :
- Ces individus ont une note moyenne égale à 5 sur 10 (donc, égale à la moyenne) dans la connaissance sur la généralité du neuromarketing. Principalement, les composantes de leurs connaissances objectives semblent être fondamentales puisque, d’une manière générale :
- Ces individus connaissent ce que c’est le « neuromarketing » : 70% d’entre ces individus ont trouvé une définition correcte du neuromarketing ;
- 80% d’entre eux savent que le neuromarketing est incapable de lire directement la pensée d’une personne : ces individus échappent alors à une utopie qui fausse fondamentalement l’appréciation d’une grande partie du public concernant le neuromarketing ;
- Concernant toujours les compétences du neuromarketing, 70% de ces connaisseurs relatifs ont pu trouver que celui-ci peut appréhender les mécanismes inconscients et l’émotion qui peuvent influencer les décisions d’achat d’une personne.
- 80% de ces individus savent également que les personnes qui se portent volontaires pour être sujets à une recherche neuromarketing ne souffrent pas pendant l’expérience.
- La majorité de ces connaisseurs relatifs ont pris parti dans plusieurs sujets de débat moral sur le neuromarketing. 60% de ces individus sont partisans dans au moins quatre de ces sujets, et 40% sont partisans dans les 8 principaux sujets. Ces 40% ont d’ailleurs obtenues d’assez bonnes notes dans les questions de connaissance générale sur le neuromarketing (avec une moyenne de 5.75). Ceux qui se sont engagés dans au moins 4 des sujets de débat pensent surtout que :
- Le neuromarketing favorise les achats inutiles (des dépenses ne correspondant pas aux besoins effectifs des individus) ;
- Le neuromarketing doit faire l’objet d’une réglementation spéciale (juridiquement parlant) ;
- La liste des entreprises qui recourent aux techniques neuromarketing doit être connue du public, au nom de la transparence.
Il est à souligner tout de même que les connaisseurs relatifs ne sont pas tous des partisans des affirmations relatées dans les principaux sujets de débat moral concernant le neuromarketing. En effet, 30% ne sont partisans qu’à au plus 2 de ces sujets. Cela dit, le fait d’être connaisseur ne signifie pas systématiquement « contre » le neuromarketing.
3.1.1.2 Réactions des « connaisseurs relatifs » face à la pratique du neuromarketing dans l’industrie alimentaire en France
Un seul des 10 connaisseurs relatifs penche pour la libéralisation de la recherche et la pratique du neuromarketing dans le secteur de l’alimentation en France. Les autres de ces individus veulent que la pratique du neuromarketing fasse l’objet d’une réglementation particulière (selon 50% des connaisseurs relatifs) ou bien à proscrire tout simplement (selon 40% d’entre eux). Cela laisse penser qu’une assez bonne connaissance sur le neuromarketing incite essentiellement un individu à prendre position dans les discussions morales sur le neuromarketing.
Deux questions ont été posées demandant aux enquêtés d’indiquer explicitement leurs réactions en face de deux situations correspondant à deux niveaux différents auxquels la pratique du neuromarketing peut intervenir :
- D’un côté, il est supposé que la « marque » d’un produit alimentaire (une marque d’yaourt vendu sous un certain conditionnement, par exemple) consommé habituellement par l’enquêté est celle d’une entreprise qui pratique le neuromarketing. L’enquêté devrait choisir principalement entre trois options : arrêter de consommer le produit concerné, continuer de le consommer, ou continuer de le consommer tout en diminuant la quantité achetée.
- D’un autre côté, ce n’est pas une seule marque de produit qui est concernée mais « toutes » les entreprises qui fabriquent un type particulier de produits (tel que toutes les marques d’yaourt vendu sous un certain conditionnement, par exemple). Il est à supposer ainsi que ce type de produit (il ne s’agit pas d’un produit particulier, mais un « type » particulier de produits) faisant l’objet de pratique neuromarketing est habituellement consommé par l’enquêté. Ce dernier aurait alors à choisir entre quatre principales options concernant ce type de produit : Cesser de consommer ce « type » de produit, se tourner vers des produits de substitution d’un autre type (de l’yaourt sous un autre forme de conditionnement, par exemple), diminuer la consommation de ce type de produit, ou continuer à consommer le type de produit.
Le changement de comportement dans la deuxième situation serait alors beaucoup plus difficile et demandant plus d’effort de la part de l’individu en question. Il est possible que ce dernier adopte une même stratégie dans ces deux situations, mais il n’est pas non plus impossible qu’il opte pour des stratégies totalement différentes en face de ces deux situations distinctes. Mais pour les connaisseurs relatifs, il semble qu’il y ait une forme de cohérence entre les stratégies adoptées : en effet, ils sont relativement « fermes » dans leurs décisions, étant donné qu’ils disposent déjà d’informations « crédibles » relatives à ces situations. Ils savent que tôt ou tard, ils feront face à l’une et/ou à l’autre de ces deux situations ; du coup, ils ont une sorte de capacité d’anticipation beaucoup plus développée par rapport à ceux qui n’ont que des idées (au moins partiellement) fausses de la réalité sur la pratique du neuromarketing en France, « actuellement ».
Pratique neuromarketing sur un « type » de produit | ||||
Pratique neuromarketing sur une marque de produit | Cesser de consommer | Continuer à consommer | Diminuer la consommation | Total |
Cesser de consommer | 40% | 0% | 0% | 40% |
Continuer à consommer | 0% | 10% | 20% | 30% |
Diminuer la consommation | 0% | 20% | 10% | 30% |
Total | 40% | 30% | 30% | 100% |
Tableau 10 – Réactions des « connaisseurs relatifs » face à la pratique neuromarketing sur un type et/ou une marque de produit qu’ils consomment habituellement
Le tableau ci-dessus (Tableau 10) montre une liaison très forte entre les réactions des connaisseurs relatifs dans les deux situations décrites plus haut : une parfaite cohérence entre les stratégies adoptées puisque le tableau peut être associé à une matrice carrée symétrique. Autrement dit, ce type d’individus ne fera aucune distinction dans leurs stratégies que le neuromarketing s’applique à une des marques dont ils sont clients ou bien à un type (à toutes les marques) de produits qu’ils ont l’habitude de consommer. En conséquence :
- 40% de ces individus cesseront de consommer une marque ou un type de produit ;
- L’autre part (60%) continuera à consommer, mais les 2/3 de celle-ci décideront de diminuer leur consommation.
En d’autres mots, la découverte de pratique neuromarketing sur des produits alimentaires risquent de freiner la consommation de 60% des connaisseurs relatifs sur ces produits : 40% abandonneront complètement ces produits tandis que 20% en achèteront une quantité relativement moindre.
Il est intéressant de voir que, parmi les connaisseurs relatifs, tous ceux qui vont cesser la consommation des produits concernés vont probablement chercher à proscrire la pratique du neuromarketing dans le secteur de l’alimentation en France. En revanche, ceux qui vont décider de continuer à consommer ces produits pencheront davantage pour la réglementation de la pratique du neuromarketing sur ce secteur.
Le neuromarketing est à | ||||
Réactions | Libéraliser | Proscrire | Réglementer | Total |
Cesser de consommer | 0% | 40% | 0% | 40% |
Continuer à consommer | 10% | 0% | 20% | 30% |
Diminuer la consommation | 0% | 0% | 30% | 30% |
Total | 10% | 40% | 50% | 100% |
Tableau 11 – Les avis des « connaisseurs relatifs » sur la pratique du neuromarketing suivant leurs réactions en termes de consommation
En plus de cette double pénalisation de la part de ceux qui vont cesser de consommer les produits concernés (attrition et influence pour la proscription de la pratique du neuromarketing), ces individus vont aussi chercher à recommander l’évitement de ces produits. Ce comportement est vraiment à craindre pour les entreprises qui vont recourir à des pratiques neuromarketing puisque ces individus pourront avoir une crédibilité relativement élevée du fait de leur qualité de connaisseurs relatifs. Entretemps, les 2/3 de ceux qui vont diminuer leur consommation vis-à-vis de ces produits risquent également de jouer en défaveur de ces entreprises.
Réactions en termes de consommation des produits concernés | ||||
Réactions si une entreprise du secteur alimentaire pratique le neuromarketing | Cesser de consommer | Continuer à consommer | Diminuer la consommation | Total |
Conseiller d’éviter ses produits | 40% | 0% | 20% | 60% |
Ne pas conseiller cet évitement | 0% | 30% | 10% | 40% |
Total | 40% | 30% | 30% | 100% |
Tableau 12 – Réactions des « connaisseurs relatifs » face à une entreprise pratiquant le neuromarketing dans le secteur de l’alimentaire, par rapport à leurs réactions en termes de consommation
Concernant toujours les connaisseurs relatifs, il y aurait au moins un facteur commun qui explique le comportement de ceux qui veulent conseiller l’évitement des produits concernés par la pratique neuromarketing. Ces individus sont tous partisans de l’affirmation « le neuromarketing est un outil de manipulation de masse ». Le fondement sur lequel ces individus s’appuient serait probablement le moyen utilisé par le neuromarketing (et peut-être aussi, par le marketing en général) pour faire « consommer davantage ». Bien qu’ils n’optent pas systématiquement pour une manifestation explicite contre la pratique du neuromarketing sur le secteur de l’alimentation en France, leurs réactions peuvent être associées à une volonté de contrer/neutraliser autant que possible les actions du neuromarketing : il ne s’agit pas seulement de boycotter la pratique du neuromarketing, mais aussi d’influencer les clients des entreprises impliquées dans de telle pratique pour provoquer l’attrition d’une part, et d’effectuer un lobby auprès des entités compétentes si possible pour proscrire cette pratique.
En outre, il y a probablement des enjeux financiers concernant ceux qui veulent continuer à consommer les produits ayant fait l’objet de pratique neuromarketing mais avec de quantité moindre. En effet, ces individus seraient prêts à être participer en tant que sujet à une expérience neuromarketing moyennant une certaine somme d’argent relativement raisonnable (par rapport à d’autres individus qui veulent faire entendre leur refus implicite en affichant des sommes trop importantes). Ainsi, il est possible que ces individus soient capables de changer plus facilement de comportement en fonction de leurs contraintes budgétaires : ils vont arbitrer en fonction des avantages financiers attribués par les différentes alternatives qui se présentent à eux. Si une entreprise pratiquant le neuromarketing en France décide de convaincre les connaisseurs relatifs de ne pas abandonner ses produits, c’est à cette catégorie dont la décision dépend des avantages financiers que cette entreprise devrait surtout investir.
Par ailleurs, la qualité des informations semble être d’une grande importance pour les connaisseurs relatifs. Lorsqu’ils sont informés qu’une certaine entreprise dans le secteur alimentaire en France pratique le neuromarketing, 70% de ces individus préfèrent mener d’abord une recherche plus profonde pour vérifier la fiabilité de ces informations (avant d’agir). Même ceux qui prévoient de continuer à consommer les produits concernés par la pratique du neuromarketing optent pour cette vérification de l’exactitude de l’information. Cela démontre que, généralement, les connaisseurs relatifs sont des individus assez prudents et avertis, au moins concernant le neuromarketing. Désormais, ces individus veulent peut-être maintenir leur qualité de « connaisseurs » relatifs en la matière.
Mener ou non une recherche pour vérifier l’exactitude de l’information | |||
Réactions | Vérifier | Ne pas vérifier | Total |
Cesser de consommer | 30% | 10% | 40% |
Continuer à consommer | 30% | 0% | 30% |
Diminuer la consommation | 10% | 20% | 30% |
Total | 70% | 30% | 100% |
Tableau 13 – Réactions des « connaisseurs relatifs » face à une entreprise du secteur alimentaire qui pratique le neuromarketing en France
Finalement, ce sont généralement ceux qui vont cesser de consommer les produits concernés qui iront voter « contre » le neuromarketing si un référendum serait organisé pour décider du sort de la pratique de neuromarketing en France. Presque tous ces individus vont également participer à une campagne relative à de tel référendum pour faire voter contre la pratique du neuromarketing en France. Apparemment, ceux qui continueront de consommer ces produits mais d’une quantité moindre ne sont pas intéressé à de tel référendum (et encore moins à d’éventuelle participation à une campagne relative à ce vote) : ils semblent être indifférents que la pratique du neuromarketing soit autorisée en France ou non. Pour eux, une régularisation de cette pratique devrait suffire.
Participation à un référendum concernant la pratique du neuromarketing | ||||
Réactions en termes de consommation | Voter « contre » | Ne pas voter | Voter « pour » | Total |
Cesser de consommer | 30% | 10% | 0% | 40% |
Continuer à consommer | 10% | 10% | 10% | 30% |
Diminuer la consommation | 0% | 30% | 0% | 30% |
Total | 40% | 50% | 10% | 100% |
Tableau 14 – Réactions des « connaisseurs relatifs » en cas de référendum sur la pratique du neuromarketing en France
3.1.2 Les « faux connaisseurs relatifs »
Ces « faux connaisseurs relatifs » croient en leurs connaissances subjectives alors qu’au moins une partie de celles-ci n’étant pas exacte.
3.1.2.1 Profils des « faux connaisseurs relatifs »
Les individus qui appartiennent à cette catégorie ont un niveau de connaissance objective moins élevé par rapport aux connaisseurs relatifs : les premiers ont obtenu une note moyenne de 4.67 (soit en dessous de la moyenne, sur 10) tandis que les seconds ont eu 5. Cela ne signifie pas nécessairement que ces faux connaisseurs relatifs ont une faible connaissance objective : c’est plutôt la confiance qu’ils font à leurs connaissances subjectives pourtant inexactes qui caractérise ainsi ces individus. En effet, parmi les enquêtés, plus de la moitié des faux connaisseurs relatifs, soit 24 sur 45 (53%) ont obtenu une note supérieure à la moyenne (5/10) ; aussi, 2/3 de ces individus ont trouvé une part de vérité dont ils prétendent connaitre. La quasi-totalité des enquêtés appartenant à cette catégorie ont répondu à certaines vérités fondamentales sur le neuromarketing (l’appréhension par le neuromarketing des mécanismes inconscients et de l’émotion qui influencent la décision d’achat : Q.1.5 et Q.1.6 – cf. Annexe). En revanche, un peu moins de la moitié de ces individus ont affirmé que le neuromarketing peut lire directement la pensée à l’aide de certains appareils (question Q.1.9).
Il est à remarquer que pour les trois questions mentionnées ci-dessus (Q.15, Q.1.6 et Q.1.9), le répondant avait également la possibilité de choisir comme réponse l’option « Ne pas savoir ». Le fait de répondre peut alors être considéré comme preuve de la confiance du répondant à ses propres connaissances. Désormais, la majorité des enquêtés (45/89, soit juste un peu plus de la moitié) sont des faux connaisseurs relatifs.
La plupart des faux connaisseurs relatifs sont très engagés dans les débats moraux concernant le neuromarketing, car plus des 2/3 de ces individus sont partisans dans au moins 4 sujets de ces débats. Parmi ces partisans engagés (dans plus de 3 sujets), presque la totalité soutient les affirmations suivantes :
- « Le neuromarketing contribue à la manipulation publicitaire des personnes qui ont de faibles défenses cognitives, dont les enfants » ;
- « Le neuromarketing est un outil puissant de manipulation ».
- « Le neuromarketing favorise les achats inutiles »
Les faux connaisseurs relatifs pourraient donc être sensibles à des questions/sujets plus populaires déjà débattus concernant le marketing en général : ces reproches étaient déjà attribués au marketing bien avant l’émergence du neuromarketing. Les questions fondamentales et caractéristiques au neuromarketing (le besoin de réglementation du neuromarketing, la transparence pour les entreprises pratiquantes, la violation du serment d’Hippocrate par les médecins chercheurs, etc.) ne sont essentiellement soutenues que par les plus engagés, probablement par des militants sur ce domaine. Il est attendu que ces faux connaisseurs fondent au moins une partie de leur conviction, et ainsi de leur décision, sur des éléments tels que des croyances, des rumeurs, des suppositions, des conseils/avis d’autrui, etc. En d’autres termes, ces éléments ont une influence non négligeable dans la prise de décision de ces faux connaisseurs relatifs. Pour une entreprise pratiquant le neuromarketing qui tente de convaincre cette catégorie d’individus de continuer à consommer ses produits, ces différents éléments devraient être considérés comme facteurs importants à ne point négliger.
3.1.2.2 Réactions des « faux connaisseurs relatifs » face à la pratique du neuromarketing dans le secteur alimentaire en France
Principalement, les « croyances » des faux connaisseurs relatifs en l’efficacité des techniques des neurosciences dans les publicités semblent être un facteur important influençant les réactions de ceux-ci lorsqu’ils auraient découvert que les produits qu’ils consomment habituellement auraient fait l’objet de pratique neuromarketing. En effet :
- La plus grande majorité (67%) de ceux qui croient en l’efficacité des techniques neuromarketing (pour faire vendre davantage) ont décidé de ne plus continuer à consommer ces produits (cf. Tableau 15). Aussi, la plus importante proportion de ceux qui ne croient pas en cette efficacité pense qu’ils vont continuer à consommer ces produits (47%). La moitié de ceux qui hésitent (doutent sans vraiment admettre que le neuromarketing est inefficace) voudraient seulement diminuer leur consommation vis-à-vis de ces produits.
Croyances des enquêtés en l’efficacité du neuromarketing | ||||
Réactions en termes de consommation | < 4 | [5 ; 6] | > 7 | Total |
Ne pas continuer à consommer | 16% | 20% | 67% | 20% |
Continuer à consommer | 47% | 30% | 33% | 42% |
Diminuer la consommation | 38% | 50% | 0% | 38% |
Total | 100% | 100% | 100% | 100% |
Tableau 15 – Réactions des « faux-connaisseurs relatifs » en termes de consommation d’un produit ayant fait l’objet de pratique neuromarketing suivant leurs croyances en l’efficacité du neuromarketing
- La plupart (67%) de ceux qui croient vraiment en l’efficacité du neuromarketing pensent que la pratique de ce dernier doit être à proscrire (cf. Tableau 16). En revanche, les autres individus, notamment ceux qui ne croient pas en cette efficacité (81%), pencheraient plutôt pour la réglementation de l’utilisation du neuromarketing. Ceux qui plaideraient pour la libéralisation sont nettement minoritaire. A remarquer que ceux qui revendiquent la proscription de la pratique du neuromarketing (27% des faux connaisseurs relatifs) ne sont tous pas nécessairement ceux qui croient en cette efficacité : en fait, ces derniers ne représentent que 17% de ceux qui veulent que soit proscrite l’utilisation du neuromarketing en France. La moitié même de ces derniers ne pensent pas que le neuromarketing soit vraiment un outil efficace pour la publicité.
Croyances des enquêtés en l’efficacité du neuromarketing | |||||||||
Proportion des enquêtés suivant leurs croyances | Proportion des enquêtés suivant leurs revendications | ||||||||
Revendications pour le neuromarketing | < 4 | [5 ; 6] | > 7 | Total | < 4 | [5 ; 6] | > 7 | Total | |
Libéraliser | 0% | 10% | 0% | 2% | 0% | 100% | 0% | 100% | |
Proscrire | 19% | 40% | 67% | 27% | 50% | 33% | 17% | 100% | |
Réglementer | 81% | 50% | 33% | 71% | 81% | 16% | 3% | 100% | |
Total | 100% | 100% | 100% | 100% | 71% | 22% | 7% | 100% |
Tableau 16 – Proportion des « faux-connaisseurs relatifs » suivant leurs croyances en l’efficacité du neuromarketing et suivant leurs revendications pour le neuromarketing
Désormais, 2/3 (67%) de ceux qui ne continueraient plus à consommer les produits ayant fait l’objet de pratique neuromarketing pencheraient pour la proscription de cette pratique dans l’industrie de l’alimentaire en France. La plupart de ceux qui continueraient à consommer ces produits (même en quantité moindre) penseraient qu’il serait mieux de procéder à la règlementation de la recherche et de la pratique du neuromarketing.
Revendication pour le neuromarketing | ||||
Réactions en termes de consommation | Libéraliser | Proscrire | Réglementer | Total |
Ne pas continuer à consommer | 0% | 67% | 33% | 100% |
Continuer à consommer | 5% | 5% | 89% | 100% |
Diminuer la consommation | 0% | 29% | 71% | 100% |
Total | 2% | 27% | 71% | 100% |
Tableau 17 – Revendications des « faux consommateurs relatifs » selon leurs réactions en termes de consommation
Par ailleurs, 42% des faux connaisseurs relatifs projettent de continuer la consommation d’une marque de produits dès qu’il est révélé que l’entreprise fabricant ou distribuant ces produits pratique le neuromarketing. Ces individus penseraient maintenir leur stratégie lorsqu’il s’agit d’un type de produits (c’est-à-dire, lorsque toutes les marques de ce type de produit ont fait appel à la pratique neuromarketing). Il en est de même pour ceux qui voudraient cesser la consommation de cette marque (20% des faux connaisseurs relatifs) et de ce type de produits (24% de ces faux connaisseurs relatifs). Il y a tout de même (cf. Tableau 18) :
- 11% qui décideront de substituer le type de produits concerné parmi ceux qui voudraient continuer à consommer la marque de produits concernée : ce changement de comportement est difficilement explicable ;
- 11% qui décideront de continuer à consommer le type de produits concerné parmi ceux qui projetteraient de cesser de consommer la marque concernée : ils pensent probablement que le changement de comportement requis (rompre avec l’habitude de consommer un produit) demande trop d’efforts pour un type de produits que pour une seule marque de produit.
Réaction pour un « type » de produits | |||||
Réaction pour une « marque » de produit | Cesser de consommer | Continuer à consommer | Diminuer la consommation | Substituer les produits | Total |
Ne pas continuer à consommer | 89% | 11% | 0% | 0% | 100% |
Continuer à consommer | 0% | 89% | 0% | 11% | 100% |
Diminuer la consommation | 18% | 18% | 35% | 29% | 100% |
Total | 24% | 47% | 13% | 16% | 100% |
Tableau 18 – Réactions des « faux connaisseurs relatifs » pour un type de produits selon leurs réactions pour une marque de produit
Il faut admettre qu’il y a de forts enjeux concernant ceux qui veulent seulement diminuer leurs consommations concernant les produits ayant fait l’objet de pratique neuromarketing. Ils représentent 38% des faux connaisseurs relatifs lorsque la pratique ne concerne qu’une seule marque de produits, et ne seront plus que 13% dès qu’il s’agirait d’un type de produit (ainsi, toutes les marques concernées) : 35% seulement de ceux qui veulent diminuer la consommation pour une marque le feront aussi pour un type de produit. Les restes se répartiront entre : cessation de consommation (18%), reprise de la consommation avec la quantité habituelle d’auparavant (sans restriction, 18%), et substitution avec d’autres produits (qui est une autre forme de cessation de consommation, 29%).
Il faut dire que pour les faux connaisseurs relatifs, continuer à consommer une marque ou un type de produit ayant fait l’objet de pratique neuromarketing ne veut pas nécessairement signifier « acceptation » de cette pratique. Certes, s’il y aurait un référendum permettant de trancher sur l’autorisation (ou non) de la pratique du neuromarketing en France, 60% de ceux qui voteront en faveur de cette pratique (voter « pour ») sont issus de ceux qui vont continuer à consommer ainsi (cf. Tableau 19) ; d’ailleurs, l’intention de vote en faveur du neuromarketing est très faible pour les faux connaisseurs relatifs (11%). En revanche, 37% de ceux qui ne changeront pas leur comportement de consommation pensent qu’ils vont voter contre le neuromarketing. Il y aurait même 32% des individus voulant continuer à consommer les produits concernés qui participeront également à une campagne pour faire voter « contre » le neuromarketing (cf. Tableau 20). Ainsi, ces individus représentent 33% de ceux qui vont faire de telle campagne (en défaveur du neuromarketing).
Proportion en fonction d’intention de vote | Proportion en fonction d’intention de consommation | ||||||||
Réactions en termes de consommation | Voter « contre » | Ne pas voter | Voter « pour » | Total | Voter « contre » | Ne pas voter | Voter « pour » | Total | |
Ne pas continuer à consommer | 32% | 11% | 0% | 20% | 78% | 22% | 0% | 100% | |
Continuer à consommer | 32% | 50% | 60% | 42% | 37% | 47% | 16% | 100% | |
Diminuer la consommation | 36% | 39% | 40% | 38% | 47% | 41% | 12% | 100% | |
Total | 100% | 100% | 100% | 100% | 49% | 40% | 11% | 100% |
Tableau 19 – Intention de vote (pour ou contre le neuromarketing) des « faux-connaisseurs relatifs » et leurs réactions en termes de consommation de produits ayant fait l’objet de pratique neuromarketing
Proportion en fonction d’intention de faire ou ne pas faire de campagne | Proportion en fonction d’intention de consommation | ||||||||
Campagne « contre » | Ne pas participer | Campagne « pour » | Total | Campagne « contre » | Ne pas participer | Campagne « pour » | Total | ||
Ne pas continuer à consommer | 28% | 17% | 0% | 20% | 56% | 44% | 0% | 100% | |
Continuer à consommer | 33% | 43% | 75% | 42% | 32% | 53% | 16% | 100% | |
Diminuer la consommation | 39% | 39% | 25% | 38% | 41% | 53% | 6% | 100% | |
Total | 100% | 100% | 100% | 100% | 40% | 51% | 9% | 100% |
Tableau 20 – Intention de participer à une campagne (pour faire voter pour ou contre le neuromarketing) pour les « faux-connaisseurs relatifs » et leurs réactions en termes de consommation de produits ayant fait l’objet de pratique neuromarketing
3.1.3 Les « non-connaisseurs relatifs »
Ce sont alors les individus ayant choisi de ne pas cacher qu’ils n’ont pas su la ou les réponses à l’une ou aux deux questions filtres sur l’utilisation du neuromarketing en France.
3.1.3.1 Profils des « non-connaisseurs relatifs »
Ces « non-connaisseurs relatifs » représentent environ 38%, soit un peu plus du tiers (1/3) des enquêtés. Désormais, leurs niveaux de connaissance sur les généralités concernant le neuromarketing sont relativement bas :
- Moins des quarts de ces individus seulement ont trouvé une définition exacte (ou proche de l’exacte) du neuromarketing. Sur des questions faciles et fondamentales, concernant l’appréhension par le neuromarketing des mécanismes inconscients, de l’émotion et de la pensée, près de la moitié seulement ont trouvé les bonnes réponses.
- La note moyenne de l’ensemble de ces individus est égale à 3.18, très inférieure à la moyenne (5 sur 10). 29% d’entre eux seulement ont obtenu une note supérieure à la moyenne.
Ces non-connaisseurs relatifs sont moins engagés dans les débats moraux relatifs au neuromarketing. Moins de la moitié de ces individus seraient partisans dans au moins 4 des principaux sujets de ces débats. Les plus engagés dans ces débats pointent du doigt le neuromarketing comme un outil de manipulation (surtout pour ceux qui ont de faible défense cognitive), comme responsable d’achats inutiles et d’épidémies dues aux excès de consommation (souvent nuisible). Pourtant, ces individus (les plus engagés) ne sont pas vraiment persuadés que le neuromarketing est un outil efficace pour la publicité (avec une note moyenne d’efficacité égale à 4).
Ainsi, n’ayant pas de base solide pour asseoir leur conviction et leurs décisions relatives aux questions du neuromarketing, ces non-connaisseurs relatifs ont probablement une grande aversion au risque :
- Ils préfèrent ne pas se prononcer sur certains sujets lorsqu’ils ne sont pas sûrs de la crédibilité de leurs choix, plutôt que de décider avec de forte incertitude ;
- Leur prudence se manifeste également lorsqu’ils reçoivent de nouvelles informations (concernant le neuromarketing) : ils procèdent d’abord à de vérification avant de prendre une quelconque décision (70% d’entre eux déclarent se comporter ainsi s’il y a d’éventuelle information indiquant qu’une entreprise pratique le neuromarketing en France).
Par ailleurs, il semble que cette catégorie soit constituée d’individus dont la plupart sont indifférents aux problématiques posées concernant le neuromarketing.
3.1.3.2 Réactions des « non-connaisseurs relatifs »
Bien que les décisions prises par les non-connaisseurs relatifs risquent de changer suivant les circonstances ou à la suite d’une nouvelle information jugée crédible, et malgré leur relative indifférence vis-à-vis des discussions sur le neuromarketing, il est tout de même intéressant de connaitre leurs opinions « actuelles ». Tout d’abord, il faut souligner le fait que 32% seulement de ces individus estiment qu’ils vont cesser de consommer la marque de produit dont l’entreprise fabricante ou distributrice utilise le neuromarketing. Ensuite, ces derniers vont en quelque sorte maintenir leur stratégie (toujours cesser de consommer ou bien substituer ces produits par d’autres) lorsqu’il s’agit d’un type de produits. Ce comportement de maintien de stratégie est aussi observé chez 85% de ceux qui pensent continuer à consommer les produits concernés. A rappeler que ce sont seulement les projets plus ou moins incertains des non-connaisseurs relatifs, c’est-à-dire que ces derniers peuvent décider à tout moment de changer complètement leurs stratégies, selon le contexte.
Réactions pour un type de produits (en termes de consommation) | |||||||||||
Proportions suivant les réactions pour un type de produit | Proportions suivant les réactions pour une marque de produit | ||||||||||
Réactions pour une marque de produit (en termes de consommation) | Cesser | Continuer | Diminuer | Substituer | Total | Cesser | Continuer | Diminuer | Substituer | Total | |
Arrêter de consommer | 90% | 0% | 0% | 33% | 32% | 82% | 0% | 0% | 18% | 100% | |
Continuer de consommer | 0% | 73% | 33% | 17% | 38% | 0% | 85% | 8% | 8% | 100% | |
Diminuer la consommation | 10% | 27% | 67% | 50% | 29% | 10% | 40% | 20% | 30% | 100% | |
Total | 100% | 100% | 100% | 100% | 100% | 29% | 44% | 9% | 18% | 100% |
Tableau 21 – Réactions des non-connaisseurs pour une marque et pour un type de produits
Ceux qui pensent qu’ils vont diminuer la consommation de la marque concernée par la pratique du neuromarketing peuvent être associés à des indécis (ceux qui ne sont pas sûrs des décisions qu’ils vont prendre) :
- La pluralité des issues envisagées par ces individus lorsqu’il s’agit ensuite d’un type (et non plus d’une seule marque) de produits marquent l’instabilité de leurs décisions. Ils ne sont pas certains de leurs décisions (qui sont désormais considérées comme temporaires) : parmi ceux qui pensent diminuer leur consommation à la découverte de la pratique de neuromarketing dans leur marque consommée habituellement, 20% uniquement projettent de maintenir cette stratégie lorsqu’il s’agit ensuite d’un type de produit.
- Ces individus pensent plutôt à une solution intermédiaire qu’à des alternatives radicales : la plupart d’entre eux (80%) proposeraient la régularisation de la recherche et la pratique du neuromarketing en France, au lieu d’opter pour la libéralisation ou bien la proscription.
Revendications pour le neuromarketing en France | |||||||||
Proportion suivant les revendications | Proportion suivant les réactions | ||||||||
Réactions pour une marque de produit (en termes de consommation) | Libéraliser | Proscrire | Réglementer | Total | Libéraliser | Proscrire | Réglementer | Total | |
Arrêter de consommer | 0% | 55% | 28% | 32% | 0% | 55% | 45% | 100% | |
Continuer de consommer | 80% | 36% | 28% | 38% | 31% | 31% | 38% | 100% | |
Diminuer la consommation | 20% | 9% | 44% | 29% | 10% | 10% | 80% | 100% | |
Total | 100% | 100% | 100% | 100% | 15% | 32% | 53% | 100% |
Tableau 22 – Proportion des non-connaisseurs relatifs suivant leurs revendications pour le neuromarketing et suivant leurs réactions en termes de consommation
En outre, il y a des éléments qui semblent indiquer que, d’une manière générale, les non-connaisseurs relatifs en général sont en quelque sorte des indécis :
- Il est constaté que ceux qui pencheraient pour la réglementation du neuromarketing en France (une solution intermédiaire pour éviter peut-être les solutions radicales : libéraliser/proscrire) sont majoritaires (53%) parmi les non-connaisseurs relatifs.
- Un peu moins des deux-tiers (62%) des non-connaisseurs relatifs projettent de ne pas voter, ni de participer à d’éventuelle campagne relative à de tel vote, si les avis des français seraient consultés via un référendum pour décider du sort à réserver au neuromarketing en France. Ils sont près de la moitié (45%) pour ceux qui voudraient arrêter la consommation des produits concernés par la pratique neuromarketing.
Voter et/ou participer à une campagne en faveur ou contre la pratique du neuromarketing en France | |||||||||
Proportion par intention de vote | Proportion par intention de participer à une campagne | ||||||||
Réactions pour une marque de produit (en termes de consommation) | Voter « contre » | Ne pas Voter | Voter « pour » | Total | Faire campagne « Contre » | Ne pas faire campagne | Faire campagne « pour » | Total | |
Arrêter de consommer | 45% | 55% | 0% | 100% | 55% | 45% | 0% | 100% | |
Continuer de consommer | 15% | 62% | 23% | 100% | 15% | 69% | 15% | 100% | |
Diminuer la consommation | 20% | 70% | 10% | 100% | 20% | 70% | 10% | 100% | |
Total | 26% | 62% | 12% | 100% | 29% | 62% | 9% | 100% |
Tableau 23 – Intention de vote ou de participation à une campagne en faveur (pour) ou contre le neuromarketing en France
En somme, les non-connaisseurs relatifs peuvent être qualifiés d’indécis, cherchant des éléments d’informations supplémentaires suivant les circonstances pour asseoir leurs décisions concernant le neuromarketing.
3.2 Récapitulation et recommandations
Les recommandations formulées dans la présente section sont émises à l’endroit des entreprises œuvrant en France et désirant connaitre si le fait de recourir aux techniques neuromarketing leur sera bénéfique ou non. Pour cela, ces entreprises devraient considérer les trois grands types d’individus pouvant constituer le public français.
- D’abord, il y a les « connaisseurs relatifs » : ils ont des connaissances objectives (donc exactes) plus complètes concernant la réalité du neuromarketing en France (recherches et pratiques). Il y a lieu de retenir que ces individus ont une forte confiance en soi concernant le neuromarketing, d’autant plus que leurs niveaux de connaissance sur ce domaine sont relativement élevés.
- Ensuite, il y a les « faux-connaisseurs relatifs » : bien que leur niveau de connaissance générale concernant le neuromarketing soit assez élevé, ces individus font confiance à leurs connaissances (subjectives) qui ne sont pas exactes et/ou incomplètes (au moins partiellement). Comme les connaisseurs relatifs, ils sont aussi très engagés sur les débats d’ordre moral relatifs au neuromarketing, mais plutôt sur des sujets de critiques partagés au marketing en général.
- Finalement, il y a les « non-connaisseurs relatifs » : le niveau et la qualité de leur connaissance en général sont relativement faibles en ce qui concerne le neuromarketing ; d’où leur faible engagement (voire indifférence) dans les débats d’ordre moral à ce sujet.
Connaisseurs | Faux-connaisseurs | Non-connaisseurs | |
Proportion | Très faibles (près de 11%) | Les plus nombreux (près de la moitié) | Nombreux (plus du tiers) |
Connaissances relatives au neuromarketing en France | Exactes et relativement complètes | Inexactes et/ou incomplètes (au moins partiellement) | |
Confiance en leurs connaissances | Elevée | Faible | |
Connaissances générales sur le neuromarketing | Niveau élevé | Niveau faible | |
Engagement sur les débats moraux | Fortement engagé | Faiblement engagé (voire indifférence) | |
Sujets retenant l’attention | Surtout des sujets spécifiques au neuromarketing | Surtout des sujets communs au marketing en général |
Tableau 24 – Les 3 types d’individus constituatnt le public français concernant le neuromarketing
Chacun de ces types d’individus réagirait différemment lorsqu’ils vont découvrir que la marque ou le type de produits qu’ils ont l’habitude de consommer ont fait l’objet de pratique neuromarketing :
- Pour les connaisseurs relatifs
Leur qualité de « connaisseur » devrait renforcer leur confiance en leurs propres connaissances. Ainsi, il y a de forte probabilité qu’ils ne changeront pas leurs stratégies lorsqu’ils vont rencontrer le neuromarketing dans les produits qu’ils ont l’habitude de consommer. En principe, la découverte du neuromarketing dans ces produits devrait constituer de sérieux frein à l’achat de ces derniers pour 40% environ de ces connaisseurs relatifs (hypothèse 1). Ces individus peuvent constituer de sévère menace pour les entreprises qui veulent recourir aux techniques neuromarketing car ils ne veulent pas seulement cesser leur consommation des produits concernés, mais ils essayeront également d’influencer le public pour que celui-ci évite ces produits, d’une part, et ils tenteront également d’effectuer du lobbying auprès des autorités compétentes afin que soit proscrite la pratique du neuromarketing en France. Bien que le nombre de ces individus pourrait être considéré comme non significatif (moins de 5% de la population totale), leurs influences sont cependant à craindre, avec leur qualité de connaisseur : ils pourraient être consultés pour toute question relative au neuromarketing et leurs conseils pourraient toujours être pris en compte. Au total, la découverte du neuromarketing dans les produits qu’ils consomment habituellement devrait constituer un frein à l’achat pour la majorité des connaisseurs relatifs (environ 6.6% de la population totale), dont la plupart abandonneront complètement ces produits (les restes diminueront les quantités qu’ils consomment).
Il faut dire qu’il est difficile, voire presque impossible, de faire changer d’avis ces connaisseurs relatifs, surtout ceux qui ont décidé de cesser la consommation des produits concernés par la pratique du neuromarketing. Tout au plus, les entreprises concernées pourraient jouer sur les informations diffusées concernant le neuromarketing et alimentant les débats d’ordre moral sur le sujet : ainsi, il devrait être plus bénéfique (pour ces entreprises) d’influencer l’opinion publique dans son ensemble plutôt que de tenter de convaincre les connaisseurs relatifs d’accepter le neuromarketing. Après tout, il faut admettre que le facteur le plus important qui influence la décision d’un individu concernant le neuromarketing est la représentation que celui-ci se fait de l’utilisation du neuromarketing.
- Pour les faux-connaisseurs relatifs
Ils sont surtout influencer par leurs connaissances subjectives, dont leur croyance en l’efficacité des techniques neuromarketing (dans les publicités). Pour cette catégorie d’individu, il s’agit surtout de question de conviction et de représentation : ces facteurs subjectifs agissent surtout pour ceux qui ont des décisions moins radicales (pour ceux qui veulent continuer à consommer les produits concernés tout en diminuant les quantités achetées).
Les entreprises du secteur alimentaire voulant utiliser le neuromarketing en France devraient surtout investir sur ces individus car ils sont relativement plus nombreux (plus de la moitié de la population totale). Aussi, ils sont beaucoup plus facile à convaincre (que les connaisseurs relatifs), notamment en se basant sur des informations objectives (donc exactes et prouvées comme telles) démontrant qu’ils ont tort sur certains points. Au fil du temps et suivant le contexte, les stratégies que vont prendre les faux-connaisseurs pourraient se radicaliser davantage (tout simplement cesser ou continuer la consommation des produits concernés : peu d’entre eux choisiront une solution intermédiaire, c’est-à-dire diminuer seulement la consommation).
- Pour les non-connaisseurs relatifs
Leur nombre est important (près d’un tiers de la population) même moins élevé que les faux-connaisseurs relatifs. Ils se sentent moins impliqués par les questions relatives au neuromarketing et ne pourront être influencés que par des informations crédibles et fiables sur le domaine. Mais, les entreprises cherchant à utiliser le neuromarketing auront plus de chance dans les actions visant ces individus que d’autres : ils devraient nécessairement jouer le rôle de source d’informations sur lesquels les non-connaisseurs pourraient compter.
En conclusion, à la découverte de la pratique du neuromarketing sur les produits qu’ils consomment habituellement :
- Cette découverte constitue un frein à l’achat de ces produits pour ceux qui projettent de cesser leur consommation de ces produits parmi les connaisseurs relatifs (près de 4% de la population) : vérification de l’hypothèse 1. Ce serait aussi le cas pour des faux-connaisseurs relatifs qui pensent également prendre la même décision (environ 12% de la population totale). Théoriquement, cette découverte devrait constituer aussi un frein pour des non-connaisseurs (10%), mais leur décision est susceptible de changer lorsqu’ils auront plus d’informations objectives.
- Certains individus peuvent être choqués d’une certaine manière par ces informations mais continuent tout de même à consommer ces produits : vérification de l’hypothèse 2. C’est essentiellement le cas pour la plus grande partie des faux-connaisseurs relatifs (24%), mais aussi des certains connaisseurs relatifs (3%). Des non-connaisseurs relatifs (9%) ont également pris cette même décision, mais cela devrait être pris comme une stratégie non-définitive.
- D’autres individus peuvent également être influencés par ces informations et décident de trouver d’autres alternatives à ces produits : vérification de l’hypothèse 3. Une partie de ces individus vont opter pour la substitution de ces produits par d’autres produits répondant aux mêmes besoins : des faux-connaisseurs (8%) et des non-connaisseurs (12%). Une autre partie va chercher à diminuer seulement la quantité des produits concernés par la pratique du neuromarketing, ce qui semble être la décision privilégié pour les restes de la population. En tant que stratégie temporaire, la diminution de la quantité consommée est surtout attribuée à des faux-connaisseurs (7%) et aux non-connaisseurs relatifs (7%), en attendant des informations supplémentaires devant les aider à choisir une décision plus optimale.
Figure 5 – Les stratégies des différents types d’individus en termes de consommation des produits ayant fait l’objet de pratique neuromarketing
En somme, les entreprises du secteur alimentaire qui cherchent à utiliser les techniques des neurosciences dans leurs démarchent marketing devraient tenir compte des recommandations suivantes vis-à-vis des différents types d’individus selon les stratégies que ceux-ci projettent de tenir :
- Veiller sur les informations alimentant les débats d’ordre moral concernant le neuromarketing, surtout émanant des connaisseurs relatifs pour lesquels la découverte de la pratique du neuromarketing dans les produits qu’ils ont l’habitude de consommer constitue un frein. Ces entreprises ont intérêt à jouer le rôle d’informateur crédible à propos du neuromarketing de sorte que leurs avis soient aussi entendus comme ceux des connaisseurs relatifs.
- Convaincre les faux-connaisseurs relatifs par des informations objectives et fiables susceptibles de « contrer » leurs avis défavorables qui se basent essentiellement sur des croyances.
- Fournir d’avantage d’informations fiables pour les non-connaisseurs pour les faire accepter la pratique du neuromarketing. Ces entreprises ne devraient en aucun cas mépriser cette action puisque ces individus sont susceptibles de devenir des « connaisseurs relatifs » (qui vont prendre des stratégies radicales et auront des influences très importantes dans l’opinion publique).
En conclusion, la question d’information est primordiale dans les actions que devront prendre les entreprises du secteur alimentaire qui veulent pratiquer le neuromarketing en France.
Conclusion
Certes, le neuromarketing pourrait ne pas constituer une pure révolution dans le domaine du marketing. Il faut tout de même admettre que l’utilisation des techniques et méthodes des neurosciences dans le marketing confère plusieurs avantages par rapport aux autres techniques plus traditionnelles. Théoriquement, le neuromarketing devrait permettre principalement de tester l’efficacité des publicités. Mais, une large médiatisation de certaines expériences célèbres utilisant ces techniques des neurosciences ainsi que les appuis de la part de certains scientifiques de forte notoriété ont fait augmenter l’efficacité du neuromarketing aux yeux du public. Il arrive même que certaines compétences utopiques (la lecture des pensées d’un individu, par exemple) soient attribuées au neuromarketing, alimentant ainsi et davantage les débats d’ordre moral sur le sujet dans l’opinion publique. En tout cas, il faut comprendre que les recherches neuromarketing restent encore interdites en France, même si l’utilisation des résultats des recherches faites ailleurs est parfaitement autorisée sur le territoire français. Désormais, il semble que le neuromarketing constitue jusqu’alors un sujet assez obscur et tabou, aussi bien dans l’opinion du public français qu’au niveau des entreprises résidant en France et qui s’intéressent au neuromarketing.
Il apparait que le niveau de connaissance des français vis-à-vis des généralités sur le neuromarketing est encore relativement faible. Entretemps, les opinions de la plupart du public en la matière sont alimentées par des croyances, c’est-à-dire des connaissances subjectives (par opposition aux connaissances objectives qui sont exactes). Une grande majorité du public français a d’ailleurs pris position dans les débats d’ordre moral concernant le neuromarketing.
Trois types d’individus peuvent être identifiés dans le public français, avec des stratégies variées face à la pratique du neuromarketing sur les produits alimentaires dont les consommateurs français ont l’habitude de consommer. D’abord, il y a les « connaisseurs relatifs », peu nombreux, avec une connaissance générale sur le neuromarketing relativement élevée et assez complète. La plupart d’entre eux vont probablement cesser de consommer ces produits concernés par la pratique neuromarketing, avec des décisions plus ou moins fermes. Ensuite, il y a les « faux-connaisseurs relatifs », les plus nombreux, avec un niveau de connaissance élevé mais se basant aussi sur des croyances. Outre la plus grande partie de ces individus qui optent pour une stratégie intermédiaire (diminuer la consommation de ces produits), plusieurs d’entre eux vont aussi choisir des stratégies radicales (cesser de consommer ou continuer à consommer ces produits). Finalement, il y a les « non-connaisseurs relatifs » dont les connaissances sur le neuromarketing sont assez faibles. Ceux-ci optent surtout pour des stratégies temporaires, en attendant que des informations objectives et crédibles complètent leur connaissance sur le neuromarketing, devant alors leur permettre de prendre des décisions plus optimales.
En principe, les entreprises du secteur alimentaire en France qui veulent recourir aux techniques des neurosciences pour faire vendre ont intérêt à investir davantage dans la mise à disposition d’informations crédibles, objectives et plus complètes concernant le neuromarketing, auprès du public français. En se plaçant comme « connaisseurs relatifs », ces entreprises auront plus de chance de convaincre le public de ne pas être hostile au neuromarketing, de limiter les risques de cessation de consommation de leurs produits, et d’influencer l’opinion publique sur les débats d’ordre moral à ces sujets.
Quelques éléments limitent tout de même la portée de la présente étude. Il faut parler de l’étendue du secteur considéré dans l’étude de cas : le secteur alimentaire est trop vaste pour pouvoir effectuer des analyses offrant des informations plus riches. Ainsi, des analyses comparatives auraient révélé des informations intéressantes sur les opportunités et les menaces réelles que constituerait la pratique du neuromarketing pour certaines entreprises. Cependant, il faut admettre qu’il est encore difficile d’obtenir des informations objectives sur l’efficacité réelle du neuromarketing, ce qui n’a pas permis de procéder à de telles analyses. En tout cas, les informations fournies par le présent travail de recherche devraient constituer un prélude à d’autres recherches sur le domaine, notamment pour des études de cas en prenant un cas particulier d’entreprise.
Bibliographie
Alba, J. W., & Hutchinson, J. W. (2000). Knowledge Calibration: What Consumers Know and What They Think They Know. Journal of Consumer Research, 2(27), 123-156.
Bridonneau, M., Mathieu, C., & Parrique, T. (2011). Le Neuromarketing – Perspective d’Avenir ou Atteinte à l’Ethique ? Versaille: Université de Versaille Saint Quentin.
Brucks, M. (1986). A Typology of Consumer Knowledge Content. Advances in Consumer Research(13), 58-63.
CEST. (2007). Neuromarketing et publicité – Les préoccupations éthiques soulevées par les jeunes. Québec: Commission de l’éthique de la science et de la technologie (CEST).
Cleeremans, A., & David, E. (2007). Dans le cerveau d’Homer Simpson : La psychologie économique à l’heure du neuromarketing. Le Travail Humain.
Courbet, D., & Benoit, D. (2013). Neurosciences au service de la communication commerciale : manipulation et éthique – Une critique du neuromarketing. Etudes de communication,(40), 28-42.
Cours des comptes. (2010). Sécurité sociale 2010. Paris: Cours des comptes.
Crupi, A. (2015, mai 27). Nielsen Buys Neuromarketing Research Company Innerscope. Récupéré sur AdAge.com: http://adage.com/article/media/nielsen-buys/298771/
Dreyfus-Alphandéry, S., & Bord-Cebron, M. (2014). Codes Sociaux, liens et frontières. Paris: ADAGE/BNF.
Droulers, O., & Roullet, B. (2006). Neuromarketing : Cadre théorique et Perspectives. Actes du XXIIème Congrès AFM – 11-12 mai 2006. Nantes.
Droulers, O., & Roullet, B. (2007). Emergence du neuromarketing : Apports et perspectives pour les praticiens et chercheurs. Décisions Marketing, 9-22.
France-Antille. (2013, février 28). Michel Badoc, professeur émérite à HEC Paris : « Rien que le mot Neuromarketing choque ». Récupéré sur France-Antille.fr: https://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=2&ved=0CC8QFjABahUKEwi8m9maloXGAhWClCwKHXI9AL8&url=http%3A%2F%2Fwww.martinique.franceantilles.fr%2Factualite%2Feconomie%2Fmichel-badoc-professeur-emerite-a-hec-paris-rien-que-le-mot-neuromarketi
Georges, P., & Badoc, M. (2010). Neuromarketing en Action. Eyrolles.
HEC Paris. (2013, février 28). Michel Badoc, professeur émérite à HEC Paris : « Rien que le mot neuromarketing choque ». Récupéré sur HEC Paris: https://www.hec.fr/News-Room/HEC-dans-la-presse/Michel-Badoc-professeur-emerite-a-HEC-Paris-Rien-que-le-mot-neuromark
iMotions. (2014, octobre 22). iMotions and The University of Nebraska at Omaha Announces a State Of The Art Neuromarketing Research Mega Lab. Récupéré sur iMotions: http://imotionsglobal.com/press-release/imotions-university-nebraska-omaha-announces-a-state-of-the-art-neuromarketing-research-mega-lab/
Le Figaro. (2014, juillet 8). Les délais d’attente pour une IRM continuent d’exploser. Récupéré sur Le Figaro: http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2014/07/08/20002-20140708ARTFIG00085-les-delais-d-attente-pour-une-irm-continuent-d-exploser.php
Mangematin, J. (2012, avril 7). Le neuromarketing peut-il nous manipuler ? Récupéré sur Quoi.info: http://quoi.info/actualite-science/2012/04/07/le-neuromarketing-peut-il-nous-manipuler-1134745/
Mc Clure, S., & al. (2004, octobre). Neural correlates of behavioral preference for culturally familiar drinks. Neuron(44), 379-387.
Neuroscience Marketing. (2013, décembre 2). Le neuromarketing est-il interdit en France ? Récupéré sur Neuroscience Marketing: http://neurosciencemarketing.fr/neuromarketing-interdit-france/
Neuroscience marketing. (2015, mai 31). Nielsen acquiert la société de neuromarketing Innerscope Research. Récupéré sur Neuroscience marketing: http://neurosciencemarketing.fr/nielsen-acquisition-neuromarketing-innerscope/
Nieuwenhuizen, R. (2014, novembre 18). Pourquoi Albert Heijn utilise-t-il le neuromarketing ? Récupéré sur Gondola: http://www.gondola.be/fr/content/pourquoi-albert-heijn-utilise-t-il-le-neuromarketing-76000
Ouiller, O. (2008). Exploration du cerveau, neurosciences : Avancées scientifiques, enjeux éthiques. Compte Rendu de l’Audition Publique Ouverte à la Presse du mercredi 26 mars 2008 (pp. 44-49). Paris: Assemblée Nationale – Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques – Sénat.
Oullier, O. (2003, octobre 23). Le « neuromarketing» est-il l’avenir de la publicité ? Le Monde(18272), 17.
Pêtre, A. (2012). Compte-‐rendu du colloque Neuromarketing de Sorbonne Symposium. Sorbonne Symposium, Colloque Neuromarketing (p. 6). Sorbonne – Paris 3: Extreme+ Sensio.
Ricoeur, P. (1990). « Ethique et morale » Sois-même comme un autre. Paris: Le Seuil.
Roullet, B., & Droulers, O. (2008). Neuroscience du consommateur : une propédeutique. Actes du VIIe Congrès international sur les tendances du marketing en Europe, 17-19 janvier 2008. Venise.
Sicard, D. (2008). Exploration du cerveau, neurosciences : Avancées scientifiques, enjeux éthiques. Compte Rendu de l’Audition Publique Ouverte à la Presse du mercredi 26 mars 2008 (pp. 65-66). Paris: Assemblée Nationale – Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques – Sénat.
Witte, K., & Morrison, K. (2000). Examining the influence of trait anxiety/repression‐sensitization on individuals’ reactions to fear appeals. Western Journal of Communication, 64(1), 1-27. doi:10.1080/10570310009374661
Zak, P. J. (2004). Neuroeconomics. Philosophical Transactions of the Royal Society London B(359), 1737-1748.
Zaltman, G. (2004). Dans la tête du client. Montréal: Editions Transcontinentales.
[1] Accélérateur de particule.
[2] Rettie R. et Brewer C. (2000) cités par Droulers & Roullet (2006).
[3] La psychologie économique se focalise surtout sur le comportement des agents économiques, l’économie de l’environnement, le développement économique, les relations internationales (commerce et finance), etc.
[4] Rossiter et al. (2001), cités par Droulers et Roullet (2006)
[5] Cité par Droulers et Roullet (2006)
[6] Le terme « traditionnel » évoque seulement une distinction des méthodes autres que celles utilisées par le neuromarketing, dans le présent document.
[7] Travaux de Dehaene et al. (1998) et de Cleeremans, Destrebecqz, et Boyer (1998) cités par Cleeremans et David (2007).
[8] Holland, Hendriks et Aarts (2005), cités par Droulers et Roullet (2006).
[9] Si la divulgation des travaux de Read Montague sur la préférence des marques (Pepsi et Coca-cola) dans la revue Neuron est prise comme point de naissance manifeste et grand publique du neuromarketing.
[10] Cités par Courbet et Benoit (2013)
[11] Rapporté par Roullet et Droulers (2008).
[12] Mais cette isolation pourrait constituer d’atout dans certaines circonstances, pour mettre en évidence les effets d’un élément particulier, par exemple (besoin de « stérilisation de l’environnement ».
[13] A titre indicatif, Droulers et Roullet (2007, p. 25) donne des chiffres sur les coûts (de 2006) des techniques des neurosciences, dont par exemple : Coûts d’investissement : entre 1 et 2 millions d’euros pour l’IRMf et entre 80 et 100 mille euros pour l’EEG ; pour la maintenance : de 100 000 à 130 000 euros pour l’IRMf et de 1 000 à 2 000 euros pour l’EEG ; exploitation horaire (hors RH) : 260 à 400 euros l’IRMf et entre 40 et 50 euros l’EEG.
[14] L’article 35 du Code de déontologie médicale exige que l’information à mettre à la disposition d’un sujet volontaire doive être « loyale, claire et approprié ». La charte du patient hospitalisé impose que de telle information soit « simple, accessible intelligible et loyale ». (Roullet & Droulers, 2008).
[15] La découverte d’anomalie chez le sujet représente près de 30% des cas, 82% des expérimentateurs témoignent avoir déjà connu ce genre de circonstance (Roullet & Droulers, 2008).
[16] Le fonctionnement du CPP est expliqué par le décret 2006-477 du 26 avril 2006.
[17] Les nouvelles générations d’appareils émettent un champ magnétique puissant, qualifié de très fort (généralement supérieur à 3 Teslas).
[18] Les auteurs (Roullet & Droulers, 2008, pp. 12-13) citent trois types d’accidents qui ont déjà causé le décès du sujet, dont l’effet missile (déplacement d’objet avec l’attraction de l’aimant), le mouvement d’objets intracorporels (comme le stimulateur cardiaque), et les effets de couple (dus à la torsion d’objet conducteur). Travaux de Kulynych (2002) et de Yoon et al. (2006).
[19] A lire par exemple : Ricœur (1990, pp. 200-201)
[20] Des passages du serment d’Hippocrate souvent cités : « […] je promets et je jure d’être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité. […] Je ne tromperai jamais leur confiance et n’exploiterai pas le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences ».
[21] A voir également : Cours des comptes. (2010). Sécurité sociale 2010. Paris: Cours des comptes, pp.300-301.
[22] Guy Rocher définit le concept de « culture » comme un « ensemble lié de manières de penser, de sentir et d’agir plus ou moins formalisées qui, étant apprises et partagées par une pluralité de personnes, servent, d’une manière à la fois objective et symbolique, à constituer ces personnes en une collectivité particulière et distincte ». Rocher, G. (1995). Introduction à la Sociologie générale. Montréal: Éditions Hurtubise HMH ltée, troisième édition, p.112.
[23] La loi des grands nombres nécessite une taille d’échantillon au moins égale à 30 individus (convergence vers la loi normale)
[24] La réponse à la question est : de tel volontaire est exposé à un risque plutôt élevé (et non à un danger).
[25] Le terme « pratique » sera considéré comme désignant l’utilisation des résultats de recherche. La réalisation d’une recherche n’est donc pas incluse dans ce terme, dans toute la suite, sauf mention contraire explicite.
Nombre de pages du document intégral:83
€24.90